Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation (nos 1679, 1690).
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme
Je veux à mon tour vous remercier pour les paroles que vous avez prononcées en solidarité avec Israël, madame la présidente. En ces heures sombres et tragiques, je remercie les parlementaires présents dans l'hémicycle et je m'associe en pensée à ceux qui ont choisi d'aller dire ce soir leur soutien à l'État d'Israël face au terrorisme.
Je suis devant vous cet après-midi pour vous présenter un projet de loi dont l'ambition tient tout entière dans ces quelques mots qui résument son article unique : avancer les négociations commerciales entre les distributeurs et les fournisseurs afin d'anticiper les baisses de tarifs que doit entraîner l'évolution des coûts des matières premières, elle-même à la baisse. Protéger le pouvoir d'achat des Français : nous partageons tous cet objectif au-delà des divergences politiques. Certes, les propositions diffèrent au sein de l'hémicycle sur les moyens de l'atteindre – nous aurons l'occasion d'en débattre –, mais ce sur quoi il ne peut y avoir de divergence, c'est sur l'observation des faits, ces faits qui fondent la proposition du Gouvernement.
Depuis plusieurs mois, les prix de certaines matières premières baissent, et substantiellement. Entre septembre 2022 et septembre 2023, le cours du blé tendre a baissé de 40% et le prix des oléagineux de 17 %. Ces baisses, ainsi que celles d'autres cours encore, se retrouvent déjà dans l'évolution des prix agricoles à la production : selon l'Insee, en août, ces derniers étaient en baisse de 7,4% depuis un an. Les matières premières agricoles ne sont pas les seules concernées : c'est aussi le cas du papier et du carton pour les emballages, dont les prix ont connu une baisse de près de 20 % en un an, ou encore des prix de l'énergie, qui après avoir été très élevés en 2022 reviennent aujourd'hui à des niveaux plus raisonnables.
Ces baisses de coûts peuvent – doivent ! – se retrouver dans les prix payés par nos compatriotes à la caisse, et le plus vite possible. Mais, vous le savez, mesdames et messieurs les députés, dans notre pays, la négociation commerciale entre les industriels et les distributeurs, l'une des plus réglementées au monde, est annuelle et la loi fait obstacle à la répercussion immédiate des mouvements de prix. Tandis qu'en 2022, ce cadre a permis de lisser la répercussion de la hausse des coûts des industriels dans les prix de vente aux consommateurs, les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette annualité empêche aujourd'hui l'inflation alimentaire de baisser plus rapidement et de desserrer l'étau sur les produits du quotidien achetés par les Français.
Il y a pourtant urgence. Vous le constatez toutes les semaines dans vos circonscriptions, je le constate également à chaque déplacement, quelques produits voient leurs prix baisser dans les rayons, mais trop peu et pas assez pour que le passage à la caisse ne soit plus une épreuve pour les Français. Cette situation d'urgence appelle des solutions d'urgence, car chaque jour compte. Le pragmatisme doit nous guider. Tel est le sens du projet de loi que je vous présente aujourd'hui, qui contient une proposition d'adaptation temporaire de la négociation commerciale annuelle – rien de plus.
Nous avons entendu, au cours des travaux de la commission – qui ont donné lieu à des débats intéressants –, l'appel de parlementaires et d'acteurs économiques à une modification pérenne de certaines règles encadrant les négociations commerciales. Je le redis, le Gouvernement n'est pas insensible à cet appel : dans le monde de volatilité des prix qui est désormais le nôtre, réinterroger un modèle économique conçu dans une période où la stabilité et la déflation étaient de mise est nécessaire.
Mais "la connaissance est hostile à toute précipitation", affirme l'écrivain Alain Mabanckou : on ne décide pas dans la précipitation de modifier l'un des objets les plus structurants de notre vie économique et l'un des cadres de négociation commerciale les plus protecteurs pour nos producteurs agricoles. Une réflexion d'ampleur est indispensable. C'est la raison pour laquelle je vous annonce d'emblée, dans la continuité de ce que je vous ai dit en commission et pour ne pas vous faire perdre de temps, que nous allons lancer une mission gouvernementale transpartisane afin de réfléchir à une réforme du cadre global des négociations commerciales. (M. Grégoire de Fournas s'exclame.) Cette mission disposera des moyens de l'État – des moyens importants – et saura, j'en suis sûre, éclairer le Gouvernement et la représentation nationale sur cette question complexe, qui nécessite, avant toute prise de décision, des auditions, des consultations et des expertises.
La disposition que je vous propose avec le projet de loi aura quant à elle un effet rapide, puisqu'elle avance de six semaines la date butoir des négociations commerciales entre les distributeurs et les industriels, qui se termineront le 15 janvier et non le 1er mars 2024. Les six semaines gagnées sont précieuses, d'autant qu'elles permettront aux baisses de prix d'intervenir juste après les fêtes de fin d'année, qui, nous le savons, affectent particulièrement le portefeuille des Français.
Je vous invite donc à soutenir cet objectif. Étant donné l'importante baisse des cours des matières premières qui constituent des milliers de produits alimentaires du quotidien, pourquoi nos compatriotes devraient-ils attendre le mois de mars pour en bénéficier alors que l'on pourrait les soulager dès la mi-janvier ? Vous me direz, comme en commission, que certaines matières premières connaîtront des hausses de prix – j'en suis consciente. Mais l'arbre ne saurait cacher la forêt des baisses attendues.
Vous me direz aussi que certains industriels annoncent des hausses de tarifs plutôt que des baisses pour 2024 – nous avons également abordé ce point en commission –, mais, je le répète, ce qui compte n'est pas la ligne de départ, mais la ligne d'arrivée. Comme chaque année, c'est vrai, les industriels vont proposer des tarifs à la hausse et les distributeurs s'en plaindront, mais ces nouveaux tarifs seront âprement négociés, durant des nuits entières. Voilà pourquoi chaque jour compte : l'important est que les prix baissent à l'issue des négociations, sur la ligne d'arrivée, même s'ils étaient en hausse au départ.
C'est pourquoi nous vous proposons, mesdames et messieurs les députés, de nous donner tous les moyens légaux pour répercuter les baisses de prix le plus rapidement possible dans le maximum de rayons. Je dis "tous les moyens légaux", mais cette possibilité ne doit pas s'exercer à n'importe quelles conditions. En tant que ministre des PME, j'ai été sensible au débat que nous avons eu en commission à leur sujet, en particulier parce que j'ai écouté les fédérations professionnelles qui les représentent. Je sais que les PME de la filière agroalimentaire sont l'instrument de notre souveraineté alimentaire et industrielle et qu'à ce titre, elles doivent être protégées.
Parce que l'enfer est parfois, on le sait, pavé de bonnes intentions, et surtout parce qu'on est toujours moins intelligent quand est seul, j'ai pris le temps d'écouter vos amendements, mais aussi les propositions des organisations professionnelles. J'ai entendu les demandes visant à mieux protéger les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) défendues par certains députés lors de l'examen du texte en commission. Comme je m'y étais alors engagée, j'ai consacré ces derniers jours à retravailler en ce sens avec les acteurs concernés, à commencer par la représentation nationale, que je remercie pour nos échanges. Un chemin s'est fait jour pour que cette disposition simple soit, si vous la votez, mise en œuvre de manière à protéger ces acteurs.
Que nous ont dit les PME ? D'abord, qu'elles ne souhaitaient pas être les perdantes des négociations en passant après les gros industriels, au risque de se voir expulsées des linéaires des grands distributeurs ; nous l'avons entendu. Ensuite, que nombre d'entre elles ont déjà envoyé leurs conditions générales de vente (CGV) afin de négocier, dès à présent, leurs tarifs pour 2024 avec les distributeurs. Enfin, qu'il y a autant de PME en France que de situations particulières, raison pour laquelle nous devons conserver un cadre qui leur apporte de la flexibilité, et non les enfermer dans un carcan rigide dont notre pays a parfois le secret.
Ces positions se traduisent dans certains de vos amendements que nous discuterons et sur lesquels je donnerai un avis favorable. Nous avons également travaillé avec les distributeurs à un pacte d'engagement pour que, cette année encore, les négociations avec les PME soient réalisées en priorité.
Vous l'aurez compris : le contexte est favorable à une baisse de prix des produits alimentaires en rayon. Il n'y a pas de temps à perdre : plus de cinquante des soixante-quinze plus grands industriels ont entendu l'appel du Gouvernement à accélérer les renégociations et ont déjà envoyé leurs CGV aux distributeurs avant le 1er novembre, ou s'apprêtent à le faire.
J'appelle solennellement tous les industriels, grands et petits, à leur emboîter le pas, sans attendre l'entrée en vigueur de cette loi. Chaque jour compte : ne perdons pas de temps pour redonner du pouvoir d'achat aux Français.
Pour terminer, je crois qu'il n'y a pas lieu aujourd'hui de se retrancher derrière des postulats économiques et autres théories. Il s'agit simplement de répondre à une question : acceptez-vous d'avancer de six semaines les renégociations commerciales, afin de gagner six semaines sur la baisse des prix ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 11 octobre 2023