Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Eric DUPOND-MORETTI. Vous êtes le ministre de la Justice, le garde des Sceaux. On va revenir sur la loi qui a été adoptée hier, mais bien sûr sur les actes antisémites d'abord. Il y a une centaine d'actes antisémites qui sont été recensés depuis samedi en France, 24 interpellations. Vous avez publié une circulaire, vous demandez au Parquet une réponse – je cite – "Réponse pénale, ferme et rapide". Qu'est-ce que vous entendez par "ferme et rapide" ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Ferme, ça signifie sévère. Je demande à ce que les Parquets soient sévères. Rapide, je pense qu'il est inutile que l'on définisse ce mot. L'antisémitisme, ça n'est pas une opinion, c'est une infraction. L'apologie du terrorisme c'est une infraction, punie de 5 ans d'emprisonnement, et quand elle bénéficie d'une certaine publicité, 7 ans d'emprisonnement. Donc il n'est pas question aujourd'hui qu'on puisse faire impunément l'apologie du terrorisme.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça c'est l'apologie du terrorisme, mais les actes antisémites, il y a l'un de ceux qui ont été arrêtés, l'une des 24 interpellations, qui avait des armes, qui était avec des armes. Qu'est-ce qu'on risque, quand vous dites "ferme", je vous repose la question, qu'est-ce qu'on risque, quelle est la sévérité risquée ?
ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, vous savez, la justice est indépendante, et la justice n'est pas laxiste. C'est un débat que nous avons eu à de nombreuses reprises…
APOLLINE DE MALHERBE
Tout à fait, enfin un débat, ce n'est pas un débat, je ne débats pas avec vous Eric DUPOND-MORETTI, je vous interroge, et vous me répondez.
ERIC DUPOND-MORETTI
Un peu quand même. Un peu quand même, et je rappelle d'ailleurs qu'il y a un rapport de la Cour des comptes, qui dit de façon très claire, que la justice n'est pas laxiste. Donc, qu'est-ce que l'on attend ? D'abord de rappeler les règles, et c'est le rôle du garde des Sceaux. On ne peut pas impunément voir se développer l'antisémitisme dans ce pays.
APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites ça, on a l'impression que la question n'est pas uniquement ce qui s'est passé ces derniers jours, mais probablement de manière dormante, des actes antisémites qui se sont multipliés et qui ne seraient que ravivés en quelque sorte par ce qu'il se passe en ce moment même en Israël. Dans la circulaire, vous avez été même un peu plus précis, puisque vous avez été jusqu'à développer, vous dites notamment "la survenance des attaques terroristes du 7 octobre, est de nature à engendrer une recrudescence d'infractions à caractère antisémite, qu'il s'agisse d'atteintes à l'intégrité physique de personnes issues de la communauté juive, de dégradation des lieux de culte ou encore de propos susceptibles de revêtir les qualifications d'apologie du terrorisme". Et vous allez jusqu'à dire "le port d'un drapeau du Hamas tombe sous le coup de cette directive, tout comme les propos vantant les attaques, en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ainsi que la diffusion publique de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas". Est-ce que le NPA, par exemple, qui a distribué des tracts sur lesquels on peut lire qu'ils ne se joignent pas - je cite - à la litanie des appels à la désescalade, qu'ils rappellent leur soutien aux Palestiniens et à tous les moyens de lutte qu'ils ont choisis pour résister. Est-ce que ces propos du NPA tombent sous le coup de ce que vous avez décrit, comme étant des propos qui doivent être condamnés, y compris pénalement ?
ERIC DUPOND-MORETTI
La justice est saisie.
APOLLINE DE MALHERBE
Elle est saisie.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr, et elle dira ce qu'elle a à dire. Bien sûr que justifier le Hamas, comme certains irresponsables politiques l'ont fait, c'est évidemment dévastateur. Et auprès de certains esprits qui peut être n'attendent que ça, c'est une véritable catastrophe. On a besoin de cohésion, on a besoin de concorde nationale. Pas de…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais est ce qu'il faut aller éventuellement jusqu'à dissoudre le NPA ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Laissons faire la justice, faisons lui confiance. Elle est saisie. Elle dira un certain nombre de choses qu'elle a à dire, et elle le dira sans ambages. Et pour le reste, c'est du périmètre du ministère de l'Intérieur que de répondre à cette question précise que vous posez.
APOLLINE DE MALHERBE
La justice est saisie sur le NPA. Est-ce que la justice doit se saisir également du manque de condamnation des actes terroristes exprimés par la France insoumise ?
ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, la France Insoumise, on va le dire, ne veut pas de ce mot "terroriste et terrorisme". Et j'ai même entendu l'un d'entre eux, monsieur BOMPARD, pour le citer nommément, nous dire qu'il fallait qu'Israël se mette à la même table que le Hamas. Ça, madame, ces actes odieux, et d'une certaine façon les mots sont dérisoires pour les décrire, résonnent dans notre pays. Je rappelle les attentats du 13 novembre. Je rappelle ce lieu festif qui est devenu un lieu mortifère…
APOLLINE DE MALHERBE
Le Bataclan.
ERIC DUPOND-MORETTI
Le Bataclan. Est ce qu'on aurait osé nous proposer, à nous, gouvernement de la France, de nous mettre à la même table que Daesh ? C'est monstrueux de s'exprimer comme ça. D'ailleurs, il y a une véritable fracture au sein de la classe politique. Maintenant, il n'y a plus que quelques séides, quelques affidés de monsieur MÉLENCHON, qui persistent dans cette dialectique d'un autre temps. Et puis tous les autres, de façon j'allais dire uniforme, disent des choses différentes et rappellent que le Hamas est une organisation terroriste. C'est ainsi d'ailleurs que l'Union européenne définit le Hamas. Vous avez eu la position au sein même de la NUPES, de monsieur Jérôme GUEDJ par exemple, qui dit "Mais enfin, ce n'est plus possible, ça". On ne peut pas sous-estimer, présenter les choses de cette façon.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y en a quelques-uns qui se sont distingués, en effet…
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais pardon, si vous m'y autorisez, on est dans la confusion de tout. La cause palestinienne, on peut y être sensible. La politique d'Israël, on peut évidemment la critiquer ou l'approuver, mais rien ne justifie l'enlèvement d'enfants, le massacre d'enfants, les images que l'on a vues. On a vu d'ailleurs des soldats découvrir ces scènes apocalyptiques, les larmes aux yeux. Et on vient nous dire "ce n'est pas du terrorisme". Eh bien écoutez, c'est à désespérer de tout. Je le dis, dans ce pays, il y a des responsables politiques et il y a des irresponsables politiques.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a ce que vous dites politiquement, il y a ce qui peut être fait juridiquement. Est-ce que, encore une fois, les propos de la France Insoumise et le refus de dire "terrorisme", tombent sous le coup de ce que vous même Eric DUPOND-MORETTI, avez précisé, je le redis, dans votre circulaire, c'est à dire "l'idée d'inciter à porter un jugement favorable sur le Hamas" ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Soyons très clairs. Moi, je dis au Parquet : lorsque vous constatez des infractions, poursuivez-les rapidement, sévèrement, systématiquement. Je ne peux pas en dire plus. Je ne peux pas me substituer à l'analyse du procureur. L'indépendance de la justice m'interdit cela. Nous verrons. Je sais qu'un certain nombre de plaintes ont été déposées. Le président LARCHER, hier, s'est exprimé de façon très claire…
APOLLINE DE MALHERBE
Le président du Sénat.
ERIC DUPOND-MORETTI
… sur une chaîne concurrente, pour dire que, lui, il ne verrait pas d'un mauvais œil que l'on dise que certains députés pourraient, pourraient tomber sous le coup de poursuites. Voilà, moi je ne peux pas en dire plus.
APOLLINE DE MALHERBE
J'entends, vous dites que vous ne pouvez pas en dire plus, mais j'entends quand même à demi-mots que vous êtes plutôt dans les mêmes opinions que Gérard LARCHER là-dessus. Vous ne pouvez pas le dire, parce que vous êtes ministre de la Justice, c'est tout ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Madame de MALHERBE, moi, je ne peux ni à mots entiers ni à demi-mots ne pas respecter l'indépendance de la justice de mon pays.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais cela dit…
ERIC DUPOND-MORETTI
J'en suis d'ailleurs l'un des garants.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous en êtes l'un des garants, et vous en êtes parfois même d'ailleurs l'un de ceux qui est pointé par la justice, on y reviendra tout à l'heure. Il y a un autre parti, qui est le parti des Indigènes de la République, qui a estimé sur Twitter, ce week-end, je le cite, que la résistance palestinienne menait son action avec détermination et confiance. Un message qui était d'ailleurs illustré par des hommes armés en ULM, une silhouette d'hommes armés en ULM, mais évidemment, silhouette de ces terroristes. C'est d'ailleurs cette même image qui a été choisie par Black Lives Matter, le mouvement américain, pour dire leur soutien à la Palestine, ces silhouettes de terroristes. Est-ce que tout cela pour vous est également, doit également conduire à véritablement rejeter hors du droit ces propos, ces images, ces slogans ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais Madame, le soutien à la Palestine, ce n'est pas le soutien à une organisation terroriste. D'ailleurs, la France accorde une aide humanitaire à la Palestine. Et comment vous dire, c'est cette confusion sémantique qui génère évidemment beaucoup de troubles et qui notamment accélère ce dont nous avons parlé, il y a de cela quelques minutes, c'est-à-dire la surmultiplication des actes, des agissements, des propos antisémites que je veux voir condamnés.
APOLLINE DE MALHERBE
Cette confusion dont vous parlez, il y a quand même eu un précédent, et c'est là-dessus aussi que je voudrais vous interroger. Vous dites : il faut qu'on soit ferme et rapide sur la question de l'antisémitisme. Vous vous souvenez peut-être qu'en juillet 2014, il y avait eu cette manifestation officiellement à l'appel du soutien à la Palestine, 15 000 personnes qui avaient défilé en France, et à la fin de cette manifestation, des slogans qu'on avait entendus avec les mots "Mort aux Juifs", 16 interpellations à la fin de la manifestation, j'ai regardé ce qu'elles étaient devenues, ces 16 personnes qui avaient été arrêtées, eh bien, sur les 16 personnes interpellées lors de cette manifestation, avec les slogans "Mort aux juifs", il y en a 11 qui ont été relâchées faute de preuve. Il y en a quatre qui ont été jugées en correctionnelle, trois ont été relaxées. Une seule donc de ces 16 personnes interpellées a finalement été condamnée, condamnée à trois mois de prison avec sursis. Et encore, non pas pour les propos antisémites qu'ils ont eu trop de mal à qualifier, mais pour avoir dégradé un rétroviseur et un deux-roues. Est-ce que c'est pour ça que vous dites aujourd'hui qu'il faut être ferme, parce qu'on ne l'a pas été ?
ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, Madame, pour condamner un homme, quels que soient les faits qui lui sont reprochés, dans notre pays, il faut des preuves. Si les juges n'en ont pas trouvé, il faut que vous entendiez, et ce n'est pas le nombre qui change cette règle, qu'on ne peut pas entrer en voie de condamnation. Ensuite, il y a tout un processus duquel le Garde des sceaux est forcément exclu. Car, je le redis, la justice est indépendante, et c'est toujours gênant pour moi ces questions, pourquoi ? Parce qu'au fond, on donne le sentiment aux téléspectateurs que le Garde des sceaux, il ne veut pas répondre. Et moi, je souhaite répondre, mais la Constitution me l'interdit, parce que…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais en l'occurrence, en l'occurrence, je respecte parfaitement les institutions, Eric DUPOND-MORETTI. Mais il y a, d'un côté, votre circulaire qui est extrêmement précise et ferme, et où l'on entend votre détermination, et puis, il y a, de l'autre, les faits. Et c'est pour ça que je voulais aussi en revenir à cela. C'est-à-dire au bout de la chaîne judiciaire, qu'est-ce que ça devient ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais qu'est-ce que ça devient ? Ça dépend des situations. Ça dépend des circonstances, ça dépend des preuves que l'on a pu rapporter contre ceux qui sont attraits devant les juridictions, en l'occurrence, les juridictions correctionnelles.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous avez été avocat. Ça, c'était dans votre vie précédente, et vous avez notamment été l'avocat d'Abdelkader MERAH, qui était le frère de Mohamed MERAH. Et je me souviens évidemment de votre plaidoirie à l'époque. J'ai reçu hier sur RMC Latifa Ibn ZIATEN, qui est la mère d'une des victimes de Mohamed MERAH, et en sortant de cette plaidoirie, pour laquelle vous aviez plaidé la relâche d'Abdelkader MERAH, Latifa Ibn ZIATEN s'est adressée à nous tous, Français, à travers la caméra. Elle était déçue du verdict, et elle disait : Vous êtes naïfs, vous êtes naïfs, vous, les Français, réveillez-vous ! Est-ce qu'il n'aurait pas mieux fallu écouter Latifa Ibn ZIATEN ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, vous rappelez que j'ai été l'avocat d'Abdelkader MERAH. Pourquoi j'ai accepté de le défendre, je l'ai dit déjà à l'époque. Les terroristes n'ont pas de tribunaux. Les terroristes ne connaissent pas les droits de la défense. Ce qui distingue, Madame, le terrorisme et les terroristes de l'État de droit, qui est le nôtre, et qu'il convient impérieusement de maintenir, c'est quoi ?
APOLLINE DE MALHERBE
C'est le droit.
ERIC DUPOND-MORETTI
C'est la règle de droit. Et c'est la raison pour laquelle j'ai défendu sur le terrain principiel, vous savez, Madame, défendre un homme, ce n'est pas épouser sa cause. C'était rappeler les principes. Je l'ai fait. Je l'ai fait totalement. Moi, je n'ai jamais contesté à quiconque le droit d'être défendu. Et dans notre société, nous ne faisons pas comme certains islamistes radicaux, et nous avons, Madame, des règles qui ont été édictées pour certaines depuis des siècles, et qu'il convient impérieusement de respecter. Sinon, nous basculons dans quelque chose qui n'est plus d'État de droit et qui, je le dis, n'est plus la démocratie.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais je vous repose la question que Latifa Ibn ZIATEN avait posée à ce moment-là. Elle disait : la justice est naïve, on est trop naïf. A-t-on été trop longtemps naïf avec la radicalisation ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, peut-être, madame Ibn ZIATEN est une femme qui a été meurtrie. Quand on est victime, Madame, on a son chagrin, et on a le droit d'exprimer sa révolte…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous n'êtes pas d'accord avec le fond, je veux dire, au-delà de… vous pensez que c'est surtout dicté par l'émotion, plus que par les faits…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, Madame, ce n'est pas ce que je dis, peut-être a- t-on été naïf. A-t-on laissé prospérer un certain nombre de choses. Voyez-vous, quand vous me rappelez ici le nombre d'infractions antisémites, d'agressions antisémites, peut-être que nous n'avons pas été suffisamment attentifs. Mais qu'il me soit permis de vous dire que c'est une responsabilité collective, collective, parce que dans notre pays, qui est un État… qui est un pays et un État laïc, on a le droit évidemment de vivre sa religion sans être insulté, injurié, molesté. Et il faut être très vigilant, moi, en ce qui me concerne, je veux l'être. Je ne suis pas responsable, pas plus que vous d'ailleurs, d'une possible naïveté. Mais nous ne sommes pas aujourd'hui naïfs. Nous sommes proactifs sur ces questions…
APOLLINE DE MALHERBE
Proactifs et extrêmement fermes. Un mot de Salah ABDESLAM, parce que, pour l'instant, il est retenu en Belgique. La Belgique qui refuse de rendre Salah ABDESLAM à la France, enfin, qu'il vienne purger sa peine en France. Est-ce que vous allez faire en sorte que la France récupère Salah ABDESLAM comme la Belgique s'y était engagée ?
ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, ça n'est pas la Belgique qui refuse. Il y a une décision de justice qui est une décision prononcée dans le cadre de ce qu'on appelle un référé. Le fond n'a pas encore été évoqué. Nous avons des accords clairs avec la Belgique. Je ferai tout pour qu'ils soient respectés et Madame, ils le seront.
APOLLINE DE MALHERBE
Les Français tués en Israël, les otages, ressortissant français en Israël. Est-ce que la justice française doit s'en saisir ?
ERIC DUPOND-MORETTI
J'ai eu, il y a quelques minutes de cela, avant d'arriver sur votre plateau, en ligne, le procureur national antiterroriste qui m'a indiqué avoir demandé une expertise complète à la DGSI, service de renseignements, et il prendra sa décision, je pense, dans les heures qui viennent, dans les heures qui viennent ou demain.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que le Parquet antiterroriste pourrait se saisir, au nom de la France, au nom du fait qu'ils sont des ressortissants français, de ce qui se passe là-bas ?
ERIC DUPOND-MORETTI
C'est un critère de compétences, d'avoir une victime française, et malheureusement nous en avons, le PNAT pourrait…
APOLLINE DE MALHERBE
Le parquet antiterroriste.
ERIC DUPOND-MORETTI
Le Parquet National Antiterroriste pourrait se saisir, il le fera en toute indépendance. Mais nous aurons, je le crois, sur cette question, qui est une question centrale, une réponse rapide.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous seriez aujourd'hui à la tête de ce Parquet, vous vous saisiriez de l'affaire.
ERIC DUPOND-MORETTI
Je ne suis pas à la tête de ce Parquet, je suis…
APOLLINE DE MALHERBE
Encore une fois, vous allez me dire que la justice est indépendante.
ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà, encore une fois, il faut le rappeler tout le temps, je suis garde des Sceaux, je ne peux pas appeler le procureur national antiterroriste…
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais enfin, vous étiez au téléphone avec lui, vous lui avez dit "Vous devriez le faire" ? Vous avez dit quoi ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais certainement pas madame.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous lui avez dit quoi alors ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Certainement pas. Je me suis inquiété de l'évolution des choses et j'ai souhaité avoir un certain nombre, une conversation avec lui, mais il ne me viendrait pas à l'idée, voyez-vous, de dire au procureur national antiterroriste "Faites ci, fait ça". Et d'ailleurs, si par…
APOLLINE DE MALHERBE
Si par un incident…
ERIC DUPOND-MORETTI
… inadvertance ou tout ce que vous voulez, mais inadvertance, c'est le moins pire, je venais à prononcer ces mots, je pense qu'il me dirait immédiatement : "Monsieur le garde des Sceaux, je vous rappelle que je suis indépendant". C'est l'indépendance juridictionnelle. Elle est sacrée.
APOLLINE DE MALHERBE
Thierry BRETON, le commissaire européen, a appelé les patrons des réseaux sociaux à éradiquer les contenus violents et terroristes qui circulent, notamment sur X, l'ancien réseau Twitter. Est-ce qu'il faut là encore, que la justice mette en place, est-ce qu'on a les outils juridiques pour contrôler la circulation de ces propos, de ces images, de ces vidéos sur les réseaux sociaux ?
ERIC DUPOND-MORETTI
On a beaucoup évolué sur ces questions, mais elles sont aussi européennes ces questions, vous le savez, et nous, nous sommes très attentifs à ce qu'il y ait effectivement une répression claire, nette et précise, des propos qui s'expriment hélas sous anonymat et de façon récurrente sur ces réseaux sociaux. Parce que, au fond, cette violence verbale, elle finit par générer de la violence tout court. C'est vrai pour les réseaux sociaux, c'est vrai aussi, madame, pour ceux que j'ai appelé tout à l'heure les "irresponsables politiques".
APOLLINE DE MALHERBE
La loi justice a été adoptée hier. Ça fait des mois que c'était votre projet. Vous promettez une justice plus rapide.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous promettez aussi plus de places dans les prisons ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, attendez, alors, plus rapide, plus proche de nos compatriotes, simplifiée. Quels sont les leviers ? D'abord des budgets absolument historiques, qui nous permettent désormais d'envisager des embauches massives de magistrats, de greffiers, d'attachés de justice. Tout cela dans le but de rendre une justice évidemment plus rapide, mais également…
APOLLINE DE MALHERBE
10 000. On parle de 10 000 embauches.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui oui. Sans oublier naturellement les agents pénitentiaires. Tout cela a pour but, vous l'avez dit, une justice plus protectrice, une justice plus rapide, une justice plus proche de nos concitoyens. Donc, si l'on envoie du personnel, naturellement, cela arrange les choses. Mais nous n'avons pas fait que cela, nous avons également simplifié les procédures considérablement. La procédure pénale est en cours de simplification et la procédure civile, c'est une procédure de l'amiable que je veux mettre en place. Pourquoi ? Parce qu'à l'étranger, où on s'est déplacé, on a analysé très précisément deux procédures qui permettent d'aller beaucoup plus vite et qui permettent aux justiciables de se réapproprier son procès, ce qui n'est pas toujours le cas. Je vais vous dire un exemple…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est une nouvelle manière de faire, de rendre la justice.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, absolument. C'est un changement de culture. Nous avons lancé ce qu'on appelle des ambassadeurs de l'amiable, qui vont dans toutes les cours d'appel de France pour convaincre tout le monde. Ces ambassadeurs, ce sont des magistrats totalement engagés, des avocats totalement engagés, des commissaires de justice, des notaires. Je vais vous donner un exemple. On peut subir une procédure de divorce, par exemple, qui touche à l'intime, sans avoir rencontré son juge. Mais ceux qui nous écoutent et qui ont vécu cela, comment vous voulez qu'ils aiment la justice ? Parce qu'elle est à leurs yeux désincarnée. Elle a besoin d'être incarnée. Puis, nous créons une équipe autour du magistrat. Ça c'est totalement nouveau, pour permettre à ce que les décisions soient rendues plus vite. Mon objectif, c'est de diviser tous les délais de justice par deux d'ici 2027.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous faites confiance à la justice, y compris pour vous, ERIC DUPOND-MORETTI ? Vous serez jugé entre le 6 et le 17 novembre, pour soupçon de prise illégale d'intérêt.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, je voudrais vous dire une chose. Souvent, devant vous, j'ai rappelé que la justice ne se rendait pas sur les plateaux de télévision, ni dans la rue d'ailleurs. Je suis présumé innocent, je suis innocent, je compte le démontrer. Et depuis que je suis ministre, j'ai toujours été respectueux de la présomption d'innocence des uns et des autres. Et Dieu sait que j'ai souvent été interrogé sur ces questions.
APOLLINE DE MALHERBE
Eric DUPOND-MORETTI, ministre de la Justice, merci d'être venu répondre à mes questions ce matin.
ERIC DUPOND-MORETTI
Merci à vous
source : Service d'information du Gouvernement, le 13 octobre 2023