Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, à France Info le 18 octobre 2023, sur le marché de l'électricité au sein de l'Union européenne.

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Média : France Info

Texte intégral

JÉRÔME CHAPUIS
L'Union européenne a-t-elle tiré les leçons de la crise énergétique ? On va s'arrêter sur cet accord européen très important, qui a été annoncé hier, il concerne le marché de l'électricité. Très important, parce qu'il aura forcément des conséquences sur nos factures. Et pour en parler, notre grand témoin ce matin est la ministre de la Transition énergétique. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Bonjour Jérôme CHAPUIS.

JÉRÔME CHAPUIS
D'abord, cet accord trouvé hier soir par les 27, qu'est-ce qu'il change, qu'est-ce qu'il contient ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors, c'est un accord que nous sommes allés chercher, sur lequel on a travaillé depuis des mois, parce que les Allemands avaient une réticence, notamment pour intégrer le nucléaire dans cet accord, et vous savez que pour la France c'était très important. Et cet accord, il contient une chose essentielle, c'est qu'il vise à déconnecter le prix de l'électricité européenne du prix des énergies fossiles, et notamment du gaz, et il vise à faire en sorte que les Européens et donc les Français, paient le prix moyen de la production, des coûts de production de leurs capacités de production, qu'elles soient renouvelables ou nucléaires, et donc ça fait baisser en moyenne le prix de l'électricité.

JÉRÔME CHAPUIS
Pour être très clair, ce qui s'est passé il y a un an, avec une envolée des prix à cause de l'augmentation du gaz, avec cet accord ça ne serait pas arrivé ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Avec cet accord, effectivement ce type d'envolée des prix, de volatilité très forte, eh bien elle ne se refléterait pas sur la facture des entreprises, sur la facture des Français, ce que nous, nous avons fait l'année dernière, rappelez-vous, c'est que les prix se sont envolés et c'est l'État qui a dû mettre en place un bouclier énergétique pour bloquer l'envolée des prix pour les ménages et pour les très petites entreprises, et des grandes entreprises sont restés exposés à ces prix élevés, même si on a fait le maximum, là avec un tel accord le prix du gaz peut s'envoler mais il n'influera que sur une petite partie du prix de la facture.

JÉRÔME CHAPUIS
La facture des Français, elle est préservée en quelque sorte de ces fluctuations, de ces prix qui font le yo-yo ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
C'est effectivement une bonne nouvelle pour la facture des Français, une bonne nouvelle pour les Français puisque cela va permettre, sans avoir à utiliser des systèmes coûteux comme le bouclier énergétique, de limiter l'envolée des prix, lorsque le prix du gaz par exemple touche des sommets à l'international.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais il peut toujours y avoir des crises, comme il y en a une en ce moment, avec le pétrole qui augmente, le gaz qui augmente. Ça, ça a des conséquences, cet accord il ne peut pas tout non plus.

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Cet accord, je le rappelle, il va permettre aussi de développer, de financer des capacités massives d'énergies renouvelables et d'énergie nucléaire. Or, l'énergie renouvelable et les énergies renouvelables, les énergies nucléaires, sont compétitives aujourd'hui, et donc si les Européens produisent beaucoup d'énergies renouvelables et d'énergie nucléaire à un prix compétitif, ils n'ont pas besoin de se fournir en gaz sur les marchés ou en tout cas ils réduisent leur exposition, et c'est ce que fait cet accord, c'est-à-dire que plutôt que de faire payer le prix de la centrale à gaz la plus chère de toute l'Europe, il va faire payer le prix moyen de notre coût de production de l'électricité, et donc un prix qui est plus faible, puisqu'aujourd'hui nous avons les moyens de production qui sont beaucoup plus compétitifs.

JÉRÔME CHAPUIS
La grande gagnante de cet accord, est-ce que c'est l'industrie du nucléaire ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Oui, parce qu'il y avait cette réticence à reconnaître le nucléaire dans cet accord. Aujourd'hui, le financement du futur nucléaire comme le financement des centrales existantes et de leur prolongation, est garanti par cet accord, avec l'Alliance du nucléaire que j'ai créée en début d'année, nous avons tenu et fait entendre notre voix jusqu'au bout, et ça se sent dans le point d'atterrissage et la décision globale aujourd'hui.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais vous voyez venir les critiques, tout l'argent qu'on va mettre sur le nucléaire, on ne le mettra pas sur le renouvelable.

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
C'est très faux cette critique, puisqu'en fait nous investissons massivement, grâce à cet accord, ça donne en fait de la visibilité aux investisseurs, qu'ils soient nucléaires ou énergies renouvelables. Et juste pour rappeler une chose, la France aujourd'hui à plus d'énergies renouvelables dans sa consommation finale que les Allemands, donc nous sommes et nucléaire et renouvelable, et nous voulons investir massivement et dans le nucléaire et dans le renouvelable. Ce qui est important, c'est que ceux qui investissent soient assurés qu'ils ont un retour sur investissement, qu'ils ont un prix qui est stabilisé, et c'est ça qui va déclencher les investissements. C'est également très important pour les industriels, nous avions besoin d'une réponse aux Chinois, d'une réponse aux Américains, et avec cet accord, là aussi en stabilisant les prix de l'énergie, on montre qu'on a une Europe compétitive.

JÉRÔME CHAPUIS
Ça veut dire aussi qu'il peut y avoir des conséquences en cascade sur les prix, parce que l'énergie ça rentre dans les coûts de fabrication.

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Exactement. Alors, encore une fois nous sommes à un stade de décisions globales et il y a encore des discussions politiques pour le finaliser…

JÉRÔME CHAPUIS
Ce sera quand d'ailleurs cet accord, il est pour 2025, entrée en vigueur ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Non, alors, deux choses, il doit se concrétiser dans les semaines et les mois qui viennent avec le Parlement européen, et dans sa mise en œuvre, c'est un accord pour les années qui viennent, puisqu'aujourd'hui vous avez les factures pour les entreprises, elles sont sur 2024 et souvent 2025, donc c'est sur les contrats qui se mettront en place à partir de 2024, mais probablement sur les années 2026 et suivantes.

JÉRÔME CHAPUIS
Et ça veut dire qu'à partir de ce moment-là, donc je vous repose la question, les entreprises auront plus de visibilité sur leurs factures d'électricité…

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Exactement.

JÉRÔME CHAPUIS
Avec des conséquences en chaîne sur les prix, et donc sur l'inflation ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Et donc c'est une façon aussi de répondre à l'inflation et de ne plus être dépendant ou aussi dépendant de la facture des énergies fossiles. Dernière chose quand même, on parle d'électricité, mais notre dépendance aux énergies fossiles, au gaz et au pétrole, c'est pour se transporter et pour se chauffer, et nous sommes toujours dépendants aux 2/3, et c'est pour ça qu'il est important d'investir massivement, et dans les énergies renouvelables, et dans le nucléaire, puisque ça permet de baisser la facture.

JÉRÔME CHAPUIS
Vous avez dit, vous avez parlé de l'Allemagne, on était vraiment presque à couteaux tirés avec l'Allemagne sur ce dossier, si la France est gagnante est-ce que ça veut dire que l'Allemagne est perdante ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER
En fait je pense que c'est à bon accord pour l'Allemagne. Elle a de très fortes réticences sur le nucléaire, nous le savons, mais le fait que le nucléaire français, le nucléaire belge, le nucléaire néerlandais, puissent continuer à fonctionner à un coût compétitif, c'est aussi bon pour l'Allemagne, puisque ça fait baisser la facture des Européens.

JÉRÔME CHAPUIS
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, pour nous expliquer cet accord très compliqué, mais on a compris qu'il aura de grosses conséquences sur notre facture d'électricité d'ici 1 à 2 ans. Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition énergétique, Grand témoin de France Info ce matin


source : Service d'information du Gouvernement, le 19 octobre 2023