Texte intégral
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous recevons Mme Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles, sur le volet du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 dont elle a la charge.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Madame la ministre, nous sommes frappés par l'absence d'un véritable volet famille au sein du PLFSS, alors même que les enjeux sont considérables. Le volet autonomie est, certes, un peu plus fourni avec la fusion des sections soins et dépendance des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Par ailleurs, la commission a déjà eu l'occasion d'exprimer son inquiétude s'agissant du calibrage du fonds d'urgence destiné aux établissements et services en difficultés financières.
Après votre intervention liminaire, la rapporteure générale et nos rapporteurs de branche, ainsi que les collègues qui le souhaiteront, vous interrogeront.
Mme Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles. - Je suis très heureuse de participer aujourd'hui à ma première audition parlementaire au Sénat. Je le suis d'autant plus que les sujets que je porte en tant que ministre des solidarités et des familles sont au coeur des besoins essentiels de nos concitoyens, besoins qui nécessitent de renforcer nos services publics.
Il s'agit, d'abord, de nos familles et de nos enfants, dont nous devons permettre l'épanouissement et le développement. Il est de notre responsabilité absolue de lutter contre la baisse de la natalité observée depuis dix ans en renforçant l'accompagnement de toutes les familles, en cohérence avec ma conception universelle de la politique familiale. Celle-ci ne saurait se limiter à une politique de redistribution ou de correction des inégalités ; elle doit d'abord être une politique qui appuie et soutient toutes les familles dans le respect de leurs choix.
Il s'agit ensuite de nos aînés, de nos parents, dont nous devons soutenir l'autonomie. Nous faisons ainsi « grandir » la branche autonomie pour relever le défi du vieillissement de notre population. Soutenir toutes les familles, c'est soutenir tous les âges de la vie.
Il s'agit enfin des personnes en situation de handicap - un sujet auquel je sais que vous êtes très attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs - auxquelles nous devons assurer une vie comme les autres, parmi les autres, afin que le droit commun s'applique à eux et à leurs familles. Nous mettrons en place, d'ici 2030, 50 000 solutions pour garantir leur inclusion.
Mais reprenons point par point.
Tout d'abord, les familles. Elles sont dans toute leur diversité le premier maillon de notre société et le creuset des apprentissages fondamentaux de la vie collective et de l'expression des solidarités. Le retour du terme « familles » dans la dénomination même de mon ministère n'est pas le fruit du hasard. Nous avons décidé de réaffirmer cette priorité politique, dans la lignée du choix fort fait par notre pays après la guerre : aider toutes les familles et s'en donner les moyens.
Cette ambition est d'autant plus essentielle dans le contexte de baisse continue de la natalité que notre pays connaît depuis dix ans, une baisse qui s'est encore accrue en 2023. Nous devons tout faire pour inverser cette tendance. C'est le sens de l'action que le Gouvernement mène afin de renouer avec une politique familiale universelle, qui répond aux besoins de toutes les familles.
La branche famille consacre déjà plus de 50 milliards d'euros chaque année à cet objectif. Ces moyens augmenteront de 2 milliards supplémentaires en 2024, notamment pour mettre en oeuvre le chantier du service public de la petite enfance, qui vise à garantir à tout parent l'accès à une solution d'accueil de qualité et en toute sécurité pour leur enfant, en crèche ou chez une assistante maternelle proche de chez eux et financièrement accessible.
Nous le savons, la question du mode de garde est aujourd'hui le premier frein à la réalisation du désir d'enfants au sein des familles. C'est pourquoi 6 milliards d'euros seront consacrés à ce service public jusqu'en 2027, pour revaloriser et accompagner nos professionnels de la petite enfance. Il s'agit d'un investissement indispensable si nous voulons créer les 200 000 solutions encore manquantes aujourd'hui.
Soutenir toutes les familles, c'est aussi soutenir les mères seules. Le PLFSS intègre des aides monétaires qui seront revalorisées à hauteur de 4,6 % en avril, comme l'allocation de soutien familial (ASF), soit la pension alimentaire minimale, dont nous avons augmenté de 50 % le montant l'année dernière.
Au total, la branche famille représentera 63 milliards de dépenses en 2027, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2022. Le complément de libre choix du mode de garde (CMG), l'aide individuelle à la garde d'enfants, fera l'objet d'une double réforme : il sera étendu à toutes les familles monoparentales jusqu'aux 11 ans révolus de l'enfant ; et il sera modifié encore en 2025 pour que le reste à charge soit enfin le même pour toutes les familles, qu'elles choisissent de faire garder leur enfant en crèche ou auprès d'une assistante maternelle. Je m'assurerai que ces moyens soient dépensés effectivement et efficacement afin de garantir la qualité de la prise en charge et la sécurité de nos enfants. Ainsi, pas un seul euro des 200 millions dédiés chaque année à la revalorisation des professionnels de la petite enfance n'ira aux structures qui n'amélioreraient pas réellement les conditions de travail de ces derniers.
Enfin, quand on parle de natalité, un chiffre relevé par l'Union nationale des associations familiales (Unaf) est très parlant. C'est celui de l'écart, grandissant, entre le désir d'enfants et le nombre d'enfants mis au monde dans chaque famille. Le désir d'enfants est constant : il se situe autour de 2,4 enfants par femme, quand les couples ont plutôt aujourd'hui 1,8 enfant en moyenne. Ma responsabilité est bien là : réduire le plus possible cet écart pour permettre aux familles d'avoir les enfants qu'elles souhaitent.
Le service public de la petite enfance est un premier élément de réponse. Mais nous devons aller au-delà en levant les tabous liés à l'infertilité, comme je le fais dans le cadre de travaux que nous menons avec le ministre de la santé, ou encore en laissant plus de liberté et de choix aux familles concernant le congé parental. J'ai lancé à ce sujet une concertation la semaine dernière avec les organisations syndicales et patronales, en lien avec les annonces faites par la Première ministre lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023. Notre objectif est de faire évoluer ce congé vers une période d'interruption choisie, mieux indemnisée et mieux partagée entre les parents.
Les solidarités et la famille, c'est aussi tout au long de la vie. C'est pourquoi, plus que jamais, la question de l'autonomie doit nous préoccuper. Nous devons faire face à un défi démographique, si ce n'est à un choc démographique, dans les années à venir, comme le montrent deux chiffres : en 2030, un Français sur trois aura plus de 60 ans et, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, les plus de 65 ans sont actuellement plus nombreux que les moins de 15 ans. L'objectif global de dépenses qui finance nos établissements aussi bien pour personnes âgées que pour personnes en situation de handicap augmentera de 4 % en 2024, soit davantage que les 2,5 % d'inflation anticipée. Cette hausse des moyens traduit nos engagements non seulement envers les familles, mais aussi envers les professionnels du secteur.
Je rappellerai les engagements les plus importants.
Il faut d'abord répondre aux demandes des personnes concernées, au premier rang desquelles figure la volonté de vieillir chez elles, à leur domicile. C'est la raison pour laquelle nous mettrons en oeuvre le virage domiciliaire dès janvier 2024 par le biais de Ma Prime Adapt', une nouvelle aide financière qui doit permettre de prévenir la perte d'autonomie et d'adapter les logements à celle-ci.
Des moyens sont ensuite consacrés à la poursuite du développement de nouveaux centres de ressources territoriaux afin de décloisonner les interventions auprès des personnes âgées à domicile et de simplifier leurs démarches. Ces centres s'inscrivent dans la dynamique du service public départemental de l'autonomie (SPDA). Il faut mettre fin au parcours du combattant de nos aînés, des personnes en situation de handicap et de leurs proches, à cette errance administrative et institutionnelle qui constitue une forme de maltraitance. Il s'agit d'un projet d'humanisation et de simplification de nos services publics. L'appel à manifestation d'intérêt a été lancé en septembre dernier auprès de l'ensemble des conseils départementaux pour sélectionner les premiers territoires pilotes du SPDA. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à inciter vos départements à faire acte de candidature.
Parmi les réformes structurelles que nous menons figure celle de l'aide à domicile.
Le tarif plancher, fixé à 22 euros en 2022 puis à 23 euros en 2023, sera indexé indirectement sur l'inflation à compter de 2024. La dotation complémentaire, appelée aussi bonus qualité, a été portée à 3 euros. Nous prévoyons également d'ici à 2030 la création de 25 000 nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Enfin, les deux heures supplémentaires dédiées à l'accompagnement et à la lutte contre l'isolement social, en particulier pour les bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), s'appliqueront à partir du 1er janvier 2024.
Nous irons plus loin sur ce sujet dès le 20 novembre prochain, à l'occasion de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi « Bien vieillir », qui sera ensuite examinée - je l'espère - dans les meilleurs délais au Sénat. Elle contient déjà des éléments de réponse très concrets avec la carte professionnelle pour les aides à domicile, mais également avec le fonds de soutien à la mobilité, ainsi qu'en matière de lutte contre les maltraitances.
Je souhaite que nous proposions un véritable parcours résidentiel adapté aux besoins et aux envies de nos concitoyens. Nous devons donc continuer à développer sur l'ensemble de notre territoire des structures d'habitat intermédiaire. Entre le domicile et l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), de plus en plus médicalisé, d'autres choix de résidence doivent exister. Je pense au développement de l'habitat inclusif, des résidences autonomie et des résidences seniors.
J'ai réuni le comité des financeurs pour travailler avec certains présidents de département choisis par l'Assemblée des départements de France (ADF) et avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à l'élaboration d'une vraie réforme des concours de la branche autonomie aux départements. La CNSA doit être un instrument de pilotage efficace des politiques publiques sur la question des parcours résidentiels.
Pour consolider l'offre d'accompagnement des personnes âgées en établissement, des recrutements doivent pallier la pénurie de personnels. Ainsi, 50 000 postes supplémentaires en Ehpad sont prévus à l'horizon 2030 ; nous respectons la trajectoire exigeante fixée par le Président de la République, avec 6 000 postes ouverts en 2024, après 3 000 cette année.
L'enjeu est aussi de rendre ces postes attractifs. C'est pourquoi j'ai obtenu que les infirmiers et les aides-soignants en Ehpad publics bénéficient de la même mesure de revalorisation pour le travail de nuit et les jours fériés que leurs collègues en établissements publics sanitaires. Cette revalorisation concerne également le secteur privé non lucratif. Il n'y a pas, d'un côté, le secteur sanitaire et, de l'autre, le secteur médico-social : les deux font face aux mêmes difficultés et doivent par conséquent travailler dans les mêmes conditions, sans hiérarchie.
Enfin, concernant le fonds d'urgence que vous avez évoqué, monsieur le président, je n'ignore rien des difficultés financières d'un grand nombre d'Ehpad. Nous avons débloqué 100 millions d'euros pour ce fonds avec la Première ministre dès cet été. Notre objectif était de créer des commissions départementales afin de mettre autour de la table créanciers et financeurs. À ce sujet, j'ai donné instruction aux agences régionales de santé (ARS) d'informer systématiquement les parlementaires de ces réunions et de leur suivi. Il faut parfois changer la culture de nos administrations déconcentrées...
Ces commissions départementales, au-delà de soutenir financièrement les Ehpad et les services d'aide à domicile les plus en difficulté, doivent nous permettre d'établir une cartographie globale de la situation des 7 500 Ehpad de notre pays, entre ce qui relève de difficultés conjoncturelles et ce qui relève de problèmes structurels.
En l'occurrence, le PLFSS apporte une première réponse structurelle avec la possibilité, pour les départements qui le souhaitent, de fusionner les sections soins et dépendance. Une mesure importante en termes de financement qui, une fois le PLFSS adopté, sera testée dans quelques départements pilotes qui auront manifesté leur intérêt.
Je compte également sur la réforme des concours de la CNSA pour rendre véritablement lisible la politique publique que nous menons en matière d'autonomie. Je l'ai dit au président de l'Assemblée des départements de France (ADF) et je le redis devant vous : rien ne se décidera sans ou contre les départements. Il ne s'agit absolument pas de recentraliser leurs compétences. Je crois à l'échelon départemental et à la nécessité d'avoir des politiques décentralisées au plus près de nos concitoyens, mais je crois aussi à la nécessité de l'équité territoriale. La réforme des concours doit nous permettre de soutenir plus et mieux les départements : tel est l'objectif assigné à la CNSA, en lien avec le comité des financeurs et les présidents des départements.
Enfin, dernier point que je souhaiterais aborder - je sais que vous y êtes très attentif, monsieur le président -, la question du handicap et de la mise en oeuvre des engagements pris par le Président de la République dans le cadre de la Conférence nationale du handicap.
Nous avons annoncé le déploiement de 50 000 nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap. Je parle de « solutions » au pluriel, car on a trop longtemps considéré qu'il fallait un bloc uni de solutions. En réalité, les personnes en situation de handicap et leurs familles attendent une multiplicité de solutions qui répondent réellement à leurs préoccupations. Je pense notamment au droit à la scolarité, y compris en institut médico-éducatif, où il est anormal que des enfants n'aient qu'une demi-matinée de cours par semaine, ou au droit à une prise en charge adaptée, notamment au sein de l'aide sociale à l'enfance, qui compte 20 % d'enfants en situation de handicap.
Ces 50 000 solutions favoriseront en priorité la sortie des 10 000 adultes maintenus dans des établissements pour enfants au titre de l' « amendement Creton ». Ils ont eux aussi droit à une prise en charge qui corresponde à leurs besoins et qui respecte leur dignité. Cela permettra de libérer des places qui devraient être dévolues à des enfants.
Une autre mesure clé pour 2025 concerne la création d'un véritable service de repérage et d'orientation des situations de handicap chez les enfants de 0 à 6 ans, un dispositif qui devrait nous permettre d'en finir avec les pertes de chance. Une détection précoce permet en effet une meilleure prise en charge des enfants et des familles concernés.
Enfin, nous facilitons la vie des personnes en situation de handicap en agissant sur le reste à charge des familles. Aujourd'hui, 60 000 de nos compatriotes déboursent en moyenne plus de 5 000 euros pour avoir un fauteuil adapté à leurs besoins. Nous avons pris l'engagement de couvrir à 100 % le coût des fauteuils roulants, quelles que soient leurs spécificités ; le texte a même été corrigé pour qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur l'intention du Gouvernement. Qu'ils soient manuels ou électriques, même s'ils coûtent jusqu'à 30 000 euros, tout sera absolument pris en charge. C'est une petite révolution qui devrait changer concrètement la vie des familles et - je l'espère - mettra fin aux cagnottes lancées sur internet pour acheter un fauteuil adapté.
Les progrès que j'ai évoqués pour accompagner les personnes âgées et les personnes en situation de handicap ne sont possibles que grâce à la création de la cinquième branche relative à l'autonomie et la part supplémentaire de 0,15 point de contribution sociale généralisée (CSG), soit 2,6 milliards d'euros, qui lui est dévolue à compter de 2024. Nous consommons déjà la moitié de ce surplus dès 2024 et la trajectoire de dépenses que nous avons envisagée le consomme presque intégralement d'ici à 2027.
Enfin, le texte qui vous sera présenté reprendra plusieurs amendements auxquels le Gouvernement a donné un avis favorable à l'Assemblée nationale. Je pense à ceux qui s'inscrivent dans le prolongement de la nouvelle stratégie pour les aidants, que j'ai présentée avec Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des personnes handicapées. Cette stratégie garantit notamment 40 000 solutions d'ici à la fin du quinquennat pour que les aidants, notamment familiaux, puissent bénéficier de quinze jours de répit.
Nous prolongerons en 2024 l'expérimentation du dispositif de relayage au domicile des personnes, en attendant une généralisation qui ne saurait tarder compte tenu de la pertinence du dispositif.
Le renouvellement des droits à l'allocation journalière du proche aidant pour chaque nouvelle personne aidée sera également rendu possible, parce qu'on peut être aidant plusieurs fois dans sa vie ou en même temps au bénéfice de plusieurs personnes.
Enfin, dans le cadre d'une politique familiale que je souhaite la plus universelle possible, il s'agira de corriger les effets de bord, en facilitant par exemple la prise du congé paternité pour les pères agriculteurs qui, de facto, peinent à se faire remplacer pendant cette période.
Je ne doute pas que le Sénat aura la volonté de faire évoluer encore le PLFSS.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, madame la ministre, pour cette présentation qui s'apparente à un véritable discours de politique générale et traduit vos ambitions sur les différents volets que vous avez abordés ! Nous allons maintenant évoquer plus particulièrement la partie budgétaire du PLFSS.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci, madame la ministre, pour votre énergie et la volonté que vous affichez, mais il semble qu'il y ait un net décalage entre vos propositions et les mesures contenues dans le PLFSS pour 2024.
Aux termes de la loi du 7 août 2020, ce PLFSS prévoit l'attribution à la CNSA de 0,15 point de CSG supplémentaire, soit 2,6 milliards d'euros, auparavant attribués à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Or l'article 10 du PLFSS tend à neutraliser l'incidence de cette augmentation sur les plafonds de la compensation de la CNSA aux départements pour la prestation de compensation du handicap (PCH) et l'APA ; la différence s'élèverait à 250 millions d'euros. Ce n'est pas un très bon signal à envoyer aux départements au moment où ils font face à des besoins croissants liés au vieillissement de la population et aux problèmes liés à la perte d'autonomie. Comment justifier cette disposition ?
Je ferai ensuite une remarque générale sur le fonds d'urgence. Certes, 100 millions d'euros, ce n'est pas une somme négligeable. Les départements pourraient, pour ceux qui le peuvent, apporter leur participation financière. Comment assurer à toutes les structures qui ont besoin d'aide qu'elles pourront en bénéficier ? On a un peu le sentiment, en l'état, que les premiers arrivés seront les premiers servis, et tant pis pour les autres. Attention à ne pas reproduire la frustration qu'avaient pu ressentir « les oubliés » du Ségur de la santé !
De larges moyens sont accordés à la CNSA et j'ose espérer, madame la ministre, que vous veillerez à ce qu'ils soient distribués en parfaite équité, afin que ce ne soit pas, encore une fois, les plus habiles qui décrochent les financements les plus importants, comme c'est déjà le cas dans certains territoires.
M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Je vous remercie, madame la ministre, pour vos propos, qui révèlent votre intérêt pour la famille et les questions de natalité. Je regrette toutefois le décalage qui existe entre vos ambitions et la réalité de ce PLFSS. Comme le dit le docteur House dans la célèbre série, ce sont les actes qui comptent et non les mots ! (Sourires.)
Le PLFSS doit fixer des caps et des priorités. Vous avez annoncé un retour au concept de politique familiale universelle. Doit-on s'attendre à un retour de l'universalité des allocations familiales, à laquelle le gouvernement Valls avait mis fin ? Sinon, de quoi s'agit-il ?
Pouvez-vous nous préciser le calendrier de la réforme du congé parental ? Avec ma collègue Annie Le Houerou, nous avons récemment rendu un rapport sur le sujet.
Vous avez évoqué la pénurie de personnel dans les crèches. Qu'avez-vous prévu pour rendre ces métiers plus attractifs ? Et quels nouveaux moyens, concrètement, seront alloués aux établissements de protection maternelle infantile (PMI) pour qu'ils puissent mettre en place le régime d'autorisation et de contrôle prévu par le projet de loi pour le plein emploi ?
Enfin, alors que le solde positif de la branche famille a déjà été réduit de 2 milliards d'euros en 2023 avec les transferts de charges depuis l'assurance maladie-maternité et que l'excédent ne sera que de 800 millions d'euros en 2024, ne craignez-vous pas un décalage entre les ambitions que vous affichez et la réalité des financements disponibles ?
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour la branche autonomie. - On sent, en effet, un véritable engagement dans vos propos, madame la ministre. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur la fusion des sections soins et autonomie ? Le texte prévoit une option irréversible, dépendant de la seule décision des départements, qui risque de créer durablement un régime à deux vitesses. Ne serait-il pas plus judicieux de parler d'une expérimentation qui serait évaluée au bout de trois ans avant de la généraliser ? Par ailleurs, quelles conditions financières seront proposées aux départements qui souhaiteraient mettre en place cette fusion dès 2025 ?
Je regrette que le virage domiciliaire que vous voulez opérer soit doté de si peu de moyens. Où en sommes-nous sur l'objectif de 25 000 places en Ssiad et quelles sont vos propositions en matière de recrutement pour les services à domicile et les Ehpad, tous deux peu attractifs ?
Enfin, je terminerai sur l'article 38 qui vise à mettre en place un service de diagnostic et de prise en charge précoce. Qu'apporte ce dispositif par rapport aux plateformes de coordination et d'orientation (PCO) mises en place pour les troubles du neurodéveloppement (TND), ou aux centres d'action médico-sociale précoce (Camsp) ? N'y a-t-il pas là une part d'affichage ? Car des dispositifs de repérage existent déjà - je pense notamment aux visites obligatoires jusqu'aux 3 ans de l'enfant. Quelle est donc l'ambition réelle de cet article ?
Mme Aurore Bergé, ministre. - Pour davantage de cohérence, je vous répondrai thématique par thématique.
Premier point : la branche autonomie.
Elle bénéficie bien de 0,15 point de CSG, soit 2,6 milliards d'euros. On en consomme la moitié, ce qui permet d'éviter à la branche de connaître, dès 2024, un déficit estimé à 1,3 milliard d'euros, et de garantir la trajectoire de nos engagements pour 2027, notamment avec la montée en charge des 50 000 nouveaux personnels soignants prévus d'ici à 2030 - 3 000 nouveaux postes en 2023, puis 6 000 en 2024.
Avec ce système, nous garantissons également l'intégralité du financement du tarif plancher pour les aides à domicile - un enjeu majeur pour la revalorisation de ces métiers - et le financement à 100 % du bonus qualité de 3 euros supplémentaires. Les 50 000 nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap sont elles aussi assurées.
Comment coordonner toutes ces actions qui relèvent de compétences partagées avec les départements ? Selon moi, la CNSA est le bon instrument de pilotage : au lieu de se voir assigner un rôle réel de pilotage de politiques publiques, elle est perçue comme un organisme « porte-monnaie », si vous me permettez l'expression. Il faut mettre de la cohérence dans le système et évaluer les besoins de chaque département en fonction de leur évolution démographique, du vieillissement de leur population ou encore de l'importance prise par les maladies neurodégénératives, qui risquent de concerner jusqu'à 1,2 million de personnes dans les années à venir.
En tant que ministre des solidarités et des familles, et à la demande du président de l'ADF, j'ai la charge de présider les réunions du comité des financeurs aux côtés des quatorze présidents de département désignés par l'ADF. J'ai demandé à la CNSA des simulations de l'évolution démographique de chaque département, afin de mieux évaluer leurs besoins. Nous travaillerons en coordination avec les commissions départementales installées depuis la fin du mois de septembre.
Je ne connais pas la situation de chaque Ehpad. Nous sommes régulièrement alertés de la situation déficitaire de trop nombreux établissements, mais découle-t-elle de difficultés conjoncturelles, liées à la revalorisation des salaires des personnels, l'augmentation des prix de l'énergie ou celle des prix de l'alimentation, ou bien de problèmes structurels, liés à l'inadaptation aux besoins de la population ? La cartographie qui sera réalisée devrait nous permettre d'assurer un meilleur pilotage de nos actions.
Nous avons désormais les moyens de mieux prendre en charge les dépenses des départements grâce à la branche autonomie. Une première enveloppe budgétaire sera ouverte dès 2024, mais une réforme systémique des concours de la CNSA est nécessaire pour arrêter l'empilement de mesures - un nouveau concours à chaque nouveau ministre et à chaque nouvelle politique publique. Les critères d'attribution devront également être clarifiés et réorganisés pour accompagner au mieux les départements, encore une fois dans une logique de partenariat. On ne pourra engager ce chantier sans les départements, et ils ne le feront pas sans nous.
Pour répondre à votre remarque, madame la rapporteure générale, il faut accepter l'idée que les départements qui bénéficieront du fonds d'urgence seront soit les plus en difficulté, soit les plus engagés. Il paraît légitime de récompenser les meilleurs élèves, même si nous ne pouvons malheureusement pas toujours le faire, mais, dans un souci d'équité - je reprends le terme que vous avez employé -, il n'est bien sûr pas question de laisser tomber des établissements qui en auraient besoin.
Nous tenterons de répartir le plus objectivement possible les 100 millions d'euros du fonds entre les départements, en fonction de leur taille et de la proportion de personnes âgées de plus de 75 ans - un bon indicateur sur les risques de perte d'autonomie. Ce travail a été fait par les ARS. Cela signifie-t-il que nous ne pourrons pas aller au-delà de cette enveloppe ? Non, comme nous le montrons avec l'utilisation des crédits non reconductibles des ARS. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé des engagements supplémentaires dans certains départements, décidés non pas « à la tête du client », mais en fonction de critères objectivables.
Sur la fusion des sections soins et dépendance, l'idée n'est pas de la rendre irréversible. Je suis totalement d'accord avec l'idée d'une expérimentation : j'ai d'ailleurs parlé de départements pilotes. Je suis en revanche défavorable à une généralisation immédiate. Ce serait contraire à l'idée de la décentralisation, qui sous-entend une possibilité de différenciation territoriale. Les départements ne sont pas dans les mêmes situations budgétaire et démographique, et n'ont pas les mêmes besoins.
Certains départements voudront s'engager très rapidement parce que c'est leur intérêt, notamment en termes de finances publiques. Nous les aiderons en priorité, pour garantir l'équité territoriale et le soutien aux personnes qui doivent être accompagnées. Je suis favorable à une véritable expérimentation. Il ne sera pas question de généraliser avant d'avoir fini d'expérimenter, dans la mesure où il s'agit d'évaluer la situation.
Deuxième point : la politique familiale.
Je vous remercie d'avoir noté mon engagement et mon énergie ; je vais faire en sorte de vous en convaincre par des actes désormais.
L'actuel CMG implique une prise en charge différente selon que l'enfant est confié à une assistante maternelle ou à une crèche. Or le mode de garde n'est pas toujours choisi par les parents, qui doivent souvent se contenter des offres disponibles autour d'eux. Il est donc injuste de les pénaliser en arguant qu'ils auraient fait un choix. Désormais, hormis les modulations selon le revenu ou la composition du foyer, le reste à charge sera le même, quel que soit le mode de garde : telle est notre conception d'une politique familiale universelle.
Sur le congé parental, je souhaite que nous allions vite, et cette ambition a été réaffirmée par la Première ministre lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023. Il y a de facto un lien entre la garde des enfants et l'emploi, de même qu'entre le nombre d'enfants au sein d'une famille et le stress lié à la question du mode de garde. De manière générale, il s'agit d'un enjeu majeur d'égalité entre les femmes et les hommes. J'ajoute que les pays ayant la natalité la plus élevée sont aussi ceux où le taux d'emploi des femmes est le plus haut. Pour soutenir la natalité, il faut donc soutenir l'égalité entre les femmes et les hommes.
Aujourd'hui, moins de 1 % des pères demandent à bénéficier du congé parental, contre 14 % des mères, et le nombre de bénéficiaires a été divisé par deux depuis que ce congé a été réformé. Ce n'est pas un succès ! Il convient donc de le modifier, ou de créer à côté un droit nouveau, pour que les parents puissent passer davantage de temps avec leur jeune enfant.
Troisième point : la pénurie de professionnels.
Cette pénurie concerne l'ensemble des secteurs dont j'ai la responsabilité, notamment le médico-social, mais aussi ceux du soin, du lien et de l'humain. Plusieurs raisons expliquent cette situation, notamment le fait que durant des années on ait peu - ou pas - considéré ces professions, qui parfois n'étaient pas jugées comme des métiers à part entière. Or elles impliquent une technicité ; une aide à domicile doit, par exemple, apprendre à porter une personne âgée.
Il faut avant tout reconnaître ces métiers, tout comme la formation, la qualification et la reconnaissance salariale qui s'y attachent. C'est ce que nous faisons, notamment dans le secteur de la petite enfance auquel nous consacrerons 200 millions d'euros chaque année à partir du 1er janvier 2024. J'ai posé des conditions à ce soutien : l'ensemble de ces personnels devront relever d'une convention collective, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, et les conventions devront prévoir la revalorisation des bas salaires, une meilleure formation continue, des possibilités de mobilité professionnelle ainsi que la reprise de l'ancienneté.
Quatrième point : le handicap et son diagnostic précoce.
Nous souhaitons rendre lisible l'offre d'accompagnement et aller vers les familles, notamment celles qui sont les plus éloignées de nos administrations, afin que 100 % des enfants puissent bénéficier de la détection du handicap. À cette fin, le projet de budget prévoit une augmentation des moyens des centres médico-sociaux (CMS). Il s'agit, là aussi, de garantir une prise en charge universelle, sans reste à charge, l'équité territoriale et familiale, ainsi que l'égalité entre les bénéficiaires, qu'ils soient salariés ou professions libérales. Nous éviterons ainsi le parcours du combattant administratif infligé aux familles et faciliterons la prise en charge des enfants.
Mme Jocelyne Guidez. - En zone rurale, le recrutement des aides à domicile est difficile, car celles-ci n'ont souvent pas les moyens, du fait de leur situation précaire, de passer le permis de conduire. Peut-être faudrait-il leur permettre, pendant quatre ou cinq ans, de travailler au même endroit ?
L'article 38 du PLFSS, relatif au service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce et à l'accompagnement du handicap, ne va pas assez loin. Qu'est-il prévu pour les enfants de 6 à 12 ans, et pour les adultes ? Comment envisagez-vous de rattraper notre retard dans ce domaine ? Je rappelle que les PCO sont destinées aux enfants de 0 à 6 ans et de 7 à 12 ans. Cette incohérence est-elle liée à un manque de personnels ?
Les frais médicaux pour les enfants de moins de 6 ans seront remboursés de manière forfaitaire, une partie étant prise en charge par l'assurance maladie et le reste à charge par les complémentaires santé. Quid des parents qui n'ont pas de complémentaire ? Toutes les complémentaires accepteront-elles de couvrir ces dépenses ?
Il est prévu qu'un arrêté fixe, pour le service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce, le reste à charge des assurés. Or j'avais cru comprendre qu'il n'y en aurait pas... J'y insiste, ce service public s'adressant en particulier aux familles les plus démunies, le reste à charge doit être le plus faible possible, voire nul comme c'est le cas pour les PCO.
Je vous remercie, madame la ministre, au nom des 24 départements concernés par l'expérimentation du « baluchonnage ». Il faut désormais pérenniser le dispositif.
Mme Céline Brulin. - À propos du recrutement de 50 000 soignants dans les Ehpad, vous avez dit que la trajectoire était tenue. La prolongation de l'effort jusqu'en 2030 nécessiterait une loi de programmation ; cela ne semble pas prévu. Qu'en est-il ?
Le tarif plancher pour chaque heure d'intervention des aides à domicile est passé de 22 à 23 euros et va continuer de progresser - c'est une bonne chose. La compensation pour les départements est calculée en se basant sur le delta entre le tarif précédemment pratiqué par ces collectivités et celui désormais en vigueur sur tout le territoire. Les départements qui étaient volontaristes en la matière se retrouvent donc pénalisés. Ne serait-il pas plus pertinent de retenir des critères démographiques, comme la proportion de personnes âgées, ou liés aux moyens des collectivités ?
L'expérimentation des pôles d'appui à la scolarisation, prévue à l'article 53 du projet de loi de finances pour 2024, inquiète les parents d'élèves en situation de handicap : ils craignent que des moyens manquent pour l'accompagnement de leurs enfants. Quel sera le calibrage de ce dispositif ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - J'apprécie votre propos volontariste, madame la ministre, mais nous attendons des actes. Vous souhaitez mettre en place une politique familiale universelle ; je ne suis pas convaincu que ce PLFSS permette de répondre à cette ambition.
Nous avons alerté le président de la CNSA, Jean-René Lecerf, lors de son audition par notre commission : dans de nombreux départements, les associations d'aide à domicile et les Ehpad sont en faillite, pour des raisons conjoncturelles et structurelles. Les rémunérations ont certes augmenté, mais de manière encore insuffisante si l'on veut recruter des personnels qualifiés, compétents et formés. Il faut poursuivre l'effort ; il y a urgence ! Les 100 millions d'euros concédés par la CNSA ne permettront pas de résoudre le problème, car il ne s'agit que de saupoudrage. L'excédent de cette caisse est de 1,3 milliard d'euros : il faut les mobiliser immédiatement, et ne pas attendre la fin 2024. C'est un cri d'alarme que je vous adresse !
Mme Annie Le Houerou. - J'ai, moi aussi, bien entendu votre volontarisme, madame la ministre.
Je me fais la porte-parole de ma collègue Monique Lubin, sénatrice des Landes, qui souhaite vous interroger sur les résidences de répit partagé. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement prévoyant des solutions temporaires de répit partagé entre les aidants et leurs proches, lesquelles relèvent du code de l'action sociale et des familles. Mme Lubin avait demandé à votre prédécesseur, en février dernier, si le Gouvernement envisageait de mettre à disposition les crédits nécessaires au financement de ces places. La réponse était ambiguë.
La nouvelle stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants 2023-2027, dévoilée le 6 octobre dernier, fait bien mention du répit et des vacances partagées, mais il n'y est indiqué ni chiffrage ni calendrier. Vous parlez de 40 000 solutions de répit. Dans les Landes, le projet est prêt, le site identifié, les études préalables et le programme immobilier sont en cours de finalisation ; le dossier de financement est prêt à être déposé. Qu'en est-il du chiffrage et du calendrier ? Des projets sont également prêts en Bretagne, en Normandie et en Occitanie.
Mme Aurore Bergé, ministre. - Madame Guidez, les aides à domicile constituent la profession la plus féminisée - 99 % de femmes - et, vous avez raison, l'une des plus précaires, avec un taux de pauvreté de 19 %. Elles accompagnent près d'un million de personnes en perte d'autonomie ou handicapées. Nous apportons deux réponses pour améliorer leur situation : nous créons un fonds mobilité, et nous augmentons l'indemnité kilométrique, qui passe de 0,38 à 0,55 euro.
Nous pouvons aller plus loin en matière de flottes de véhicules - soutien au leasing ou à l'achat de voitures électriques - parce que c'est un enjeu écologique et que leur voiture coûte très cher en entretien et en carburant aux aides à domicile. À cet égard, la CNSA pourrait contribuer plus et mieux, en lien avec les départements, en vue d'expérimenter de nouvelles solutions. On ne peut accepter que ces professionnelles paient pour travailler ! C'est un enjeu majeur.
Madame Brulin, sur le tarif plancher, ce n'est pas la bonne option qui a été choisie puisque ce sont les départements n'ayant pas fait d'effort pour l'aide à domicile - était-ce trop compliqué pour eux ou n'en avaient-ils pas les moyens ? - qui ont bénéficié de la compensation. Quoi qu'il en soit, des départements ruraux qui, eux, avaient fourni cet effort ne sont pas soutenus. Il faut donc une véritable refonte des fonds de concours, en lien avec les départements, si l'on veut adapter notre société au vieillissement et accompagner les professionnels du secteur.
La question d'une loi de programmation ou d'orientation est posée. Le Gouvernement doit respecter les engagements pris devant le Parlement, surtout lorsque ceux-ci ont été approuvés à l'unanimité dans le cadre de la proposition de loi sur le « Bien vieillir ». Il convient d'introduire davantage de cohérence et de lisibilité dans les dispositifs que nous prévoyons, notamment quant aux moyens dévolus à l'enjeu de l'autonomie.
Monsieur Vanlerenberghe, il n'y a pas d'excédent disponible puisque l'enjeu est de garantir une trajectoire jusqu'en 2027. Si nous décidions de consommer la totalité des 2,6 milliards d'euros de crédits, je ne pourrais pas vous garantir que cette trajectoire serait tenue ; or je vous rappelle qu'elle prévoit notamment la création de 50 000 emplois.
En revanche, le Gouvernement est prêt à produire à cet égard un effort renforcé dès 2024, avec une enveloppe supplémentaire en faveur des départements. Plutôt que de proposer une consommation immédiate des crédits, il faut se poser des questions de plus long terme sur le financement de la branche autonomie, au-delà de la réaffectation de 0,15 point de CSG. Une proposition de loi vise à répondre à ces enjeux. Le Gouvernement décidera ensuite s'il faut présenter un projet de loi de cadrage, d'orientation ou de programmation.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Et les Ehpad ?
Mme Aurore Bergé, ministre. - Monsieur le sénateur, j'ai pleinement conscience de ce problème sur lequel je suis interpellée quotidiennement. Mais il nous faut, parallèlement, réussir à prendre le virage domiciliaire. L'État a consacré 1 milliard d'euros à l'aide à domicile depuis 2017. C'est très important ! Il faut poursuivre l'effort, pour garantir la rémunération des professionnelles qui s'engagent concrètement sur le terrain.
Par ailleurs, quel modèle économique voulons-nous pour nos Ehpad, dont certains sont très médicalisés, par exemple avec des unités pour les maladies neurodégénératives ?
Il faut aussi réfléchir aux solutions intermédiaires, entre le domiciliaire et l'Ehpad - habitat inclusif, résidences autonomie et seniors -, en tenant compte des engagements financiers de l'État et des départements. La réforme des concours de la CNSA permettra de définir des critères pertinents et objectifs, ce qui n'a pas été fait au cours des dernières années. Il faut cesser de décourager les départements qui veulent agir.
Madame Le Houerou, le droit au répit est en effet un enjeu déterminant, car l'état de santé des aidants familiaux se dégrade ; il arrive que certains d'entre eux décèdent avant la personne qu'ils accompagnent. Nous avons annoncé la création de 6 000 places de répit supplémentaires, ce qui s'ajoute au rechargement des droits à l'allocation journalière du proche aidant (AJPA).
Pour ce qui concerne l'accueil temporaire, les modèles étaient trop rigides. Par exemple, il serait bon de trouver des solutions uniquement pour la nuit, ainsi que des solutions de répit partagé qui n'impliquent pas de partir de son domicile puisqu'il s'agit de dégager un peu de temps pour soi. Des amendements seront déposés en ce sens. Je souhaite que nous avancions sur ce sujet. Je serai favorable à toute proposition améliorant le dispositif de répit partagé. N'hésitez pas à me transmettre les projets concrets qui existent sur le terrain !
Mme Corinne Féret. - La situation des établissements accueillant des personnes âgées est dramatique. N'oublions pas que les besoins permettant de prendre soin des personnes âgées dépendantes, notamment, s'élèvent à 9 milliards d'euros par an. L'excédent est donc insuffisant et aucune nouvelle ressource n'est prévue, si ce n'est la fraction de CSG réaffectée, ce qui n'est pas négligeable. Il faut prévoir des moyens si l'on veut, comme vous le souhaitez, renforcer la branche autonomie, et soutenir les départements et les établissements en grande difficulté. Les intentions ne suffisent pas.
Vous avez déploré le manque de moyens prévus au cours des dix dernières années. Or la majorité présidentielle est aux responsabilités depuis 2017 !
Vous irez prochainement dans les Côtes-d'Armor. Venez aussi dans le Calvados ! Dans chaque département, les directeurs d'Ehpad et les élus vous feront part de leurs inquiétudes.
Nous devons faire face au choc démographique que représente le vieillissement de la population. À quand une grande loi sur l'autonomie et la prise en charge du grand âge ? Différents rapports ont exposé le problème. Il convient désormais de prendre des mesures pour répondre à ce défi sociétal. Or les moyens prévus dans ce PLFSS sont insuffisants. Quant aux difficultés des professionnels du secteur, elles ne sont pas nouvelles...
S'agissant de la fusion entre les sections soin et dépendance, prévue à l'article 37 du PLFSS, elle ne fait pas l'objet d'une phase expérimentale : il s'agit d'une mesure pérenne pour laquelle seuls les départements qui le souhaitent opteront. Je vous invite donc, madame la ministre, à proposer un amendement afin de rendre cet article conforme à ce que vous annoncez.
Mme Corinne Imbert. - Vous dites ne pas vouloir pénaliser les conseils départementaux qui se sont engagés en prévoyant un tarif plancher et en aidant les services à domicile à louer des flottes de véhicules. En tant qu'élus des territoires, nous y veillerons.
Quel est le montant des mesures nouvelles prévues dans ce PLFSS, si l'on met de côté l'effet bénéficiaire ?
Selon votre prédécesseur, puisque la compétence autonomie relève des conseils départementaux, lorsque l'État dépense un euro dans ce secteur, les départements doivent aussi y consacrer un euro. Êtes-vous sur la même ligne ?
Mme Anne-Sophie Romagny. - En matière de risque dépendance et de perte d'autonomie, le reste à charge des familles est estimé à 500 euros en moyenne par personne dépendante, ce qui est énorme. L'État ne pourra pas le prendre en charge, nous le savons. La prévention est insuffisante : peu de Français ont aujourd'hui une couverture dépendance. Pourriez-vous prévoir une cotisation dédiée au risque dépendance, une solution de solidarité collective en quelque sorte ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je prends acte de vos propos volontaristes sur le libre choix pour la garde des jeunes enfants et la diversification des modes de garde.
Nous constatons des errances importantes dans le secteur des Ehpad publics, et nombreux sont ceux qui rencontrent des problèmes financiers. Le calibrage de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), à ce stade, permet-il de prendre en compte ces difficultés ?
Mme Marie-Pierre Richer. - Dans le département du Cher, deux associations d'aide à domicile sont en redressement. Nous constatons tous que le fonds d'urgence pour l'aide à domicile n'est pas suffisant. Que comptez-vous mettre en place pour soutenir les conseils départementaux et ces associations ? Cette problématique est liée à celle de l'accès aux soins.
Mme Aurore Bergé, ministre. - En 2022, la branche autonomie a bénéficié de 35 milliards d'euros ; en 2027, ces crédits atteindront 45 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 30 %. Et, pour autant, les impôts des Français n'augmenteront pas. La montée en puissance de cette branche est donc très nette, ce qui est légitime au regard du défi démographique auquel nous devons faire face. N'oublions pas la bonne nouvelle sous-tendue par ces chiffres : l'espérance de vie en bonne santé progresse, ce qui devrait nous réjouir. Mais cela implique de prendre des mesures structurelles, portées avec les départements.
Je n'utiliserai pas l'expression « un euro pour un euro », madame Imbert. Mais il faut tenir compte de la situation de chaque département et de la cartographie des Ehpad dont il hérite. Nous voulons certes mettre en place une politique territorialement équitable, mais en procédant à une différenciation afin d'accompagner davantage et mieux certains départements. Pour autant, je ne souhaite pas voir se reproduire l'écueil du tarif plancher, qui a été très désincitatif.
Madame Aeschlimann, la situation déficitaire des Ehpad publics est généralisée. Les commissions départementales que nous avons installées doivent aussi servir à cartographier, accompagner et restructurer ces établissements. Je ne veux pas que les difficultés se posent de nouveau dans six mois ou un an ; ce ne serait ni tenable en termes de finances publiques ni de bonne gestion. Il convient donc de prendre des décisions plus structurelles, par exemple en transformant un Ehpad en habitat intermédiaire.
Madame Romagny, le reste à charge pour les familles des personnes dépendantes est en effet insuffisant. Quant au reste à vivre des résidents dans les établissements, il est de 100 euros et n'a pas été revalorisé depuis longtemps. Il convient donc de procéder à des ajustements.
Enfin, il faudra se poser la question du financement à long terme de la branche autonomie, car notre société va continuer à vieillir. La réforme à entreprendre devra concerner les dix ou quinze prochaines années, ainsi que l'ensemble des parcours d'accompagnement.
Madame Guidez, je complète la réponse que je vous ai faite : l'article relatif au service de repérage, de diagnostic et d'intervention précoce et à l'accompagnement du handicap prévoit, pour les enfants âgés de 0 à 6 ans, un forfait s'appliquant dans le cadre d'une prescription de séances, lesquelles seront prises en charge à 100 %. C'est un dispositif nouveau. Quant aux enfants âgés de 7 à 12 ans, les plateformes de coordination et d'orientation permettent d'assurer leur suivi.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous vous remercions, madame la ministre, pour vos réponses.
Source https://www.senat.fr, le 7 novembre 2023