Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur les biocarburants, à Paris le 26 octobre 2023.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Réunion de travail sur les biocarburants avec les acteurs économiques

Texte intégral

Bonjour à toutes et à tous

Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue ce matin au Ministère de l'Économie et des Finances en présence des ministres de la Transition énergétique et du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, format inhabituel qui montre l'importance du moment et des discussions que nous allons avoir ce matin.

L'objectif, c'est de rassembler l'ensemble des filières et des représentants de la filière biocarburant, qui est une filière essentielle à la réussite de la transition écologique. Il ne peut pas y avoir de transition écologique dans les domaines du bâtiment ou de l'agriculture sans les biocarburants. Et donc, il faut que nous construisions ensemble l'avenir de cette filière aux côtés évidemment, sur le plus long terme, de l'électrification et de l'hydrogène qui auront aussi un rôle important à jouer.

L'objectif de cette réunion, c'est de répondre à la demande des filières économiques concernées qui ont accepté, et je les en remercie, d'accélérer la décarbonation de leur secteur, mais qui demandent de l'autre côté d'avoir de la visibilité sur la disponibilité immédiate des biocarburants et sur le plus long terme sur l'électrification des usages.

Derrière cette réunion, il y a d'abord une méthode. Et je veux vraiment insister dessus parce que je considère que la méthode que nous avons retenue collectivement est exemplaire et qu'elle doit servir de modèle pour la transition écologique dans notre pays.

La transition écologique, elle suscite énormément d'anxiété. Parce que c'est des coûts, c'est des appartements qu'il faut rénover, qui peuvent être plus difficiles à vendre ou à louer, c'est des voitures qu'il faut changer et qui sont plus coûteuses quand elles sont électriques que quand elles étaient thermiques, c'est des coûts pour les ménages, c'est des coûts pour les entreprises, et donc ce sont des inquiétudes pour l'ensemble de nos compatriotes.

Et la seule façon de répondre à ces inquiétudes, c'est du dialogue et de la visibilité. Et c'est exactement ce qu'on a réussi à faire pour la filière du bâtiment et pour la filière agricole sur la fiscalité du gazole non-routier.

Alors c'est vrai que le dialogue, c'est long. Et il nous a fallu quasiment 8 mois, tous ensemble, pour parvenir à un accord. Mais il vaut mieux prendre 8 mois, dialoguer et avoir un accord collectif que de se précipiter à faire des effets de manche, en disant, je vais supprimer les avantages fiscaux sur le GNR, vous le dites à l'Assemblée, vous le dites au Sénat, vous le dites au 20h de TF1, et puis au bout du compte, les agriculteurs et les acteurs des travaux publics ne sont pas contents, et vous reculez.

La méthode qui passe par la précipitation vous met dans le fossé. La méthode qui passe par le dialogue permet de construire sur le long terme.

Deuxième chose, c'est donner de la visibilité qui permet d'engager les acteurs. Et là, je veux dire aussi les choses avec beaucoup de clarté, je crois à une écologie du contrat et je ne crois pas une écologie de la contrainte.

Vous avez aujourd'hui des espèces de Savonarole de l'écologie qui vous expliquent qu'il faut tout détruire, renoncer à ceci, renoncer à cela, renoncer à telles exploitations, renoncer à telles pratiques économiques, mais ça ne sèmera que du désordre et davantage d'anxiété.

On ne contraint pas les Français. On ne contraint pas le peuple français. Ça n'a jamais existé dans notre histoire, et ça n'a jamais fonctionné. En revanche, je crois au contrat. Je crois à la contractualisation. Je crois aux engagements volontaires et déterminés des filières. C'est ce sur quoi nous avons bâti.

Et je voudrais saluer au passage le courage des organisations qui sont représentées ici et saluer le rôle essentiel qu'elles ont à jouer. Parce que s'il n'y a pas pas des représentants des corps intermédiaires pour faire l'interface entre le gouvernement et la TPE de travaux publics ou l'exploitation agricole sur le terrain, ça ne marche pas. Vous vous êtes engagés, vous avez eu le courage de vous engager et je veux saluer le courage des organisations qui sont représentées autour de cette table et qui, comme je l'ai indiqué, ont consacré des dizaines d'heures au dialogue et à la concertation.

À quoi nous avons abouti ? Une hausse très progressive des tarifs du gazole non-routier agricole et non agricole. Une hausse étalée sur 7 ans jusqu'en 2030. A un rythme de 2,85 centimes d'euros par litre par an pour les agriculteurs et entrepreneurs agricoles et de 5,99 centimes pour le bâtiment et pour les travaux publics. Dialogue et donc visibilité sur 7 ans.

Chacun sait quels seront les tarifs et donnera le temps et la visibilité aux secteurs concernés pour s'adapter dans leurs pratiques et répercuter progressivement l'augmentation du tarif dans les prix tout en s'adaptant et en optimisant les consommations.

Ce choix que vous avez fait et que nous avons fait ensemble est le seul responsable. Il l'est d'autant plus dans une période de crise géopolitique qui de toute façon ne laisse apercevoir aucune éclaircie possible sur le front des prix des énergies fossiles.

Enfin, il faudrait franchement être totalement aveugle à ce qui se passe dans le monde pour penser qu'avec la crise que nous avons en Ukraine, le conflit que nous avons avec la Russie et le conflit qui s'est ouvert au Proche-Orient, nous pourrions avoir demain une baisse des prix du baril ou du gaz. Très franchement c'est peu probable.

Et donc la responsabilité politique, ce n'est pas de promettre aux gens qu'on va faire baisser les prix des carburants à la pompe ou les prix des énergies fossiles ou qu'on va renoncer à des taxes qui permettent de financer la transition écologique, ce qui est totalement irresponsable, ce qui revient à enfermer les ménages comme les professionnels dans des énergies que nous ne produisons pas. Ça, c'est la voie irresponsable, c'est la voie qui consiste à se mettre la tête dans le sable.

Et puis, il y a une autre voie, celle que nous avons suivie ensemble, qui est la voie de la responsabilité de se dire : les énergies fossiles on n'en produit pas, les énergies fossiles elles vont coûter de plus en plus chers, et donc on accélère la décarbonation et on utilise les recettes fiscales pour encourager les ménages comme les entreprises à aller dans cette voie de la décarbonation et donc de l'indépendance.

Parce que derrière tout cela, l'enjeu clé, c'est l'indépendance énergétique de la France. Et face à l'envolée des prix des énergies fossiles que nous ne produisons pas, la seule réponse responsable de long terme, elle tient en un mot : indépendance énergétique. C'est ça que nous construisons aujourd'hui et c'est pour cela que je souhaite que notre accord soit un modèle pour d'autres filières et d'autres pratiques de décarbonation.

Alors ça suppose évidemment qu'il y ait, une fois que ce dialogue a eu lieu, qu'on a fait ce choix collectif et donné de la visibilité aux acteurs, des engagements et des compensations prises par les pouvoirs publics et je tiens à les rappeler.

Le premier engagement que je prends comme ministre des Finances qui est responsable des comptes publics, c'est que chaque euro de recette fiscale ira à la décarbonation des filières.

L'augmentation de la fiscalité sur le GNR, progressive jusqu'en 2030, apportera des recettes fiscales qui seront intégralement et totalement mises à disposition des filières pour décarboner ces filières. C'est un engagement formel que je veux rappeler ce matin.

Cet engagement, il doit se traduire aussi par des mesures fiscales qui permettent de faciliter cette décarbonation, c'est le deuxième engagement que je prends ce matin. Nous avons déjà dans le projet de loi de finances pour 2024 des mesures qui vont dans ce sens-là.

Je pense au suramortissement pour l'acquisition d'engins non routiers qui utilisent des carburants alternatifs. Cette disposition est prévue dans le projet de loi de finances pour 2024, ou des mesures de réduction de la fiscalité agricole qui faisait partie aussi de l'accord global, je pense par exemple à l'augmentation de la déduction pour l'épargne de précaution qui fait partie des engagements que nous avons pris.

Donc premier engagement, l'intégralité des recettes vont à la décarbonation.

Deuxième engagement, nous prenons des mesures facilitant la transition écologique sur le plan fiscal.

Troisième engagement, nous augmentons les moyens de la transition écologique avec cette année 7 milliards d'euros supplémentaires qui iront directement au secteur agricole, au secteur du bâtiment, des transports publics et des transports.

Enfin, il faut que nous réfléchissions à des mesures pérennes de compensation qui doivent se mettre en oeuvre dans l'année prochaine pour aboutir dans le budget 2025 et doivent concerner tous les acteurs.

Et je dis bien tous les acteurs. Ce n'est pas simplement les exploitations agricoles et les entreprises de travaux publics, c'est aussi les paysagistes, c'est tous les acteurs de travaux publics et du bâtiment, c'est les entrepreneurs agricoles, c'est le secteur sylvicole et le secteur du bois. Je le dis pour un certain nombre d'acteurs qui se disaient : mais nous n'allons pas bénéficier de ces mesures. Tous les acteurs de ces filières concernés doivent s'y retrouver.

Enfin, dernier élément de notre discussion ce matin, c'est l'organisation de la filière des biocarburants.

C'est le seul moyen disponible immédiatement pour décarboner les engins de vos professions. Alors, il existe évidemment des solutions de plus long terme, avec les batteries électriques, avec l'hydrogène sur lesquelles nous allons continuer et à investir et à travailler.

Nous avons d'ailleurs commencé à le faire, par exemple, sur le rétrofit pour les poids lourds. On peut parfaitement envisager d'étendre ces mesures de rétrofit à d'autres engins.

Mais sur les batteries électriques et sur l'hydrogène, soyons clairs, les solutions ne sont pas immédiates.

La moissonneuse batteuse avec des batteries électriques, ça arrivera peut-être un jour, mais ce n'est pas pour demain. Tout simplement puisque les batteries électriques aujourd'hui, elles restent très lourdes et que le principe d'une moissonneuse batteuse, je le dis avec mes souvenirs de ministre de l'Agriculture, c'est que plus elle est légère, mieux c'est parce que sinon, ça écrase le champ.

Donc, outre les problèmes de puissance que ça pose, notamment pour les engins de chantier, ça pose aussi un problème de poids pour ne pas écraser les champs quand on fait les moissons.

Mais on peut parfaitement envisager que dans 5 ans, dans 10 ans, on ait des batteries électriques beaucoup moins lourdes ou que l'hydrogène puisse être une solution dont il ne faut pas écarter cette solution-là.

Mais les gens ont besoin de solutions pour le mois prochain, pas pour dans 10 ans.

Et notre responsabilité avec Agnès Pannier-Runacher et Marc Fesneau, c'est vous apporter des solutions tout de suite. Et la solution tout de suite, c'est les biocarburants.

Donc, il faut organiser la filière. C'est cette filière qui doit permettre de pallier les difficultés que l'on peut rencontrer aujourd'hui. De ce point de vue-là, nous sommes bien dotés.

La France est un champion européen des biocarburants. Elle consomme environ 36 térawattheures de biocarburant chaque année. C'est à peu près l'équivalent de la production de 6 centrales nucléaires. Donc, c'est considérable en termes de puissance.

Nous sommes le premier producteur européen de bioéthanol, le second producteur de bio gazole. Donc, nous avons des atouts absolument considérables.

Maintenant, il faut organiser la filière. Et l'objectif de cette réunion ce matin, c'est de voir : quels freins faut-il lever pour augmenter la production ? Comment mieux structurer la filière ? Et quels sont les besoins et les attentes des consommateurs ?

Voilà les objectifs de la réunion de ce matin. Je ne suis pas plus long, mais je veux vous dire à quel point je suis heureux de voir aboutir une méthode politique, qui repose sur la concertation avec les acteurs, le dialogue et l'esprit de responsabilité.

Dans un temps politique où les passions l'emportent sur la raison et où la violence l'emporte sur la sérénité, sur un sujet aussi sensible que celui-là, être capable d'avancer avec intelligence et mesure, ça mérite d'être souligné.

Donc je veux vous remercier et vous dire qu'il faut que cet exemple sur les biocarburants reste un modèle pour d'autres filières et pour l'ensemble de la décarbonation de notre économie.

Merci à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 8 novembre 2023