Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation (projet n° 20, texte de la commission n° 39, rapport n° 38).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais me lancer dans un inventaire à la Prévert en énumérant les nombreux appels à anticiper les négociations commerciales entre les distributeurs et les industriels qui ont été lancés ces dernières semaines.
Ainsi de l'appel du 29 septembre – " Aujourd'hui, nombre de ces matières premières ont baissé. Il est donc urgent que les Français bénéficient de ces baisses " –,…
M. Bruno Belin. Nous sommes d'accord !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. … de celui du 27 septembre – " Si les parlementaires nous donnent cette nouvelle loi, on a les moyens d'aller chercher des baisses " – ou encore de celui du 21 septembre – " Nous pouvons espérer une baisse des prix de 2% à 4% ".
Ce faisant, je risquerais d'y consacrer l'intégralité de mon propos, tant ces appels sont nombreux depuis des mois. Qu'auriez-vous dit, d'ailleurs à juste titre, si nous n'avions pas entendu ces requêtes répétées, sinon que le Gouvernement est déconnecté, voire sourd aux souhaits et aux revendications de ceux qui font les prix ?
Quelques semaines plus tard, vos collègues députés ayant pu entre-temps examiner le texte, l'Insee a confirmé la baisse du prix des produits agricoles à la production, à savoir –7,4% depuis un an.
L'objet de ce projet de loi est donc simple : avancer la date butoir des négociations, fixée traditionnellement au 1er mars, pour anticiper d'autant les baisses de prix attendues dans les rayons, au bénéfice de tous les Français.
Je sais bien qu'il existe un doute, relayé par les médias et alimenté par certains acteurs du secteur eux-mêmes. Mais nous sommes des gens sérieux : nous ne mobiliserions pas le temps précieux de l'Assemblée nationale et du Sénat si des indicateurs précis, objectifs, étayés et irréfutables ne nous incitaient pas à le faire.
Oui, les prix de nombreuses références vont baisser, qu'il s'agisse de produits alimentaires ou d'autres produits. Pourquoi ?
Tout d'abord, entre octobre 2022 et octobre 2023, les cours d'importantes matières premières, qui entrent dans la composition de très nombreux produits alimentaires, ont sensiblement baissé. Or ce sont bien ces prix sur lesquels les industriels et les distributeurs fondent leur entrée dans les négociations. En voici quelques exemples : –33% pour le blé tendre, –16% pour le blé dur, –44% pour le tournesol, –40% pour le maïs, ou encore –32% pour le colza.
Les études de la direction générale du Trésor (DG Trésor), que je tiens à votre disposition, montrent une corrélation quasi automatique entre la baisse des prix agricoles à la production, la chute des prix de production des industriels et la diminution des prix payés par les consommateurs, mais toujours – cela se vérifie sur une période de dix ans – avec un temps de battement de cinq à huit mois. Tout l'enjeu de ce projet de loi est de raccourcir ce délai.
Ensuite, les prix de production de l'industrie ont également baissé entre août 2022 et août 2023. Par exemple, le prix de la pâte à papier importée a diminué de 35%. De plus, selon l'Insee, à l'exception du fioul, le prix de toutes les énergies chute : –20% sur le prix du gazole et –12% sur le pétrole.
Bien sûr, je n'oublie pas que les salaires et les autres coûts, comme celui du carburant, ont augmenté. Mais ce que j'observe, c'est que, pour de nombreux produits, les conditions de fabrication se sont améliorées. Nous voulons donc en profiter pour améliorer les conditions de vente en rayon.
Pour nos débats de ce matin, l'important est de savoir si, oui ou non, nous donnons aux industriels et aux distributeurs la possibilité de conclure plus tôt cette année leurs négociations commerciales, avec, à la clé, des baisses de prix en rayon.
Dans la version initiale du projet de loi, cela représentait une anticipation de près de quarante-deux jours – six semaines – pour les grandes entreprises, contre trente jours dans le texte qui sera débattu ce matin.
Dans tous les cas, chaque jour compte et le plus tôt sera le mieux, à condition que cela se fasse non pas au détriment des producteurs, mais dans le strict respect des dispositions des lois Égalim 1 et 2. Anticiper les négociations sans amoindrir leur qualité, tel est le subtil exercice auquel vous allez vous prêter ce matin, afin de trouver un point d'équilibre qui, je n'en doute pas, sera honnête et juste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez – c'est de notoriété publique pour les acteurs concernés –, janvier a souvent été qualifié de " mois pour rien ", s'agissant d'une période au cours de laquelle il ne se passe pas grand-chose. En accélérant le calendrier, nous ferons du mois de janvier un mois utile, comme l'a toujours été le mois de février, période à partir de laquelle les négociations s'accélèrent à l'approche de la date butoir.
En outre, je tiens à porter à votre connaissance cet élément : plus de 50 grands fournisseurs nous ont fait savoir que leurs conditions générales de vente et leurs tarifs seront effectivement envoyés avant le 1er novembre, alors que, d'habitude, ils le sont en décembre. Cela laissera donc à chacun le temps de mener à bien ces négociations.
Aujourd'hui, les débats tournent autour de deux grandes questions : qui doit être concerné ? Quand doit être fixée la fin des négociations ?
Qui doit être concerné ? La position du Gouvernement, qui veut donner au texte le plus d'ambition possible, est que le dispositif doit concerner tous les acteurs soumis au cadre actuel des négociations annuelles, sans exception sectorielle ni géographique.
Il ne faudrait pas, par exemple, sous couvert de protéger une filière, mettre des entreprises en difficulté. Aussi, n'est-il pas contradictoire de vouloir exclure les entreprises de la filière laitière et de remplir notre devoir de protection de nos petites et moyennes entreprises (PME) et de nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) ?
Mme Nathalie Goulet. Ah !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Ces entreprises souhaiteraient en effet négocier avant les grands groupes pour s'assurer une part du linéaire, c'est-à-dire pour être référencées, et des plans d'affaires, qui leur permettent d'écouler leurs volumes de production.
Justement, les revenus des producteurs et des éleveurs agricoles resteront protégés. Ils le sont par les lois Égalim 1 et 2, que le présent texte ne remet aucunement en cause ; il est indispensable de le rappeler ce matin.
Quand doit être fixée la fin des négociations ? Le 15 janvier pour tous ? Le 15 janvier pour les plus petits et le 31 janvier pour les plus grands industriels ? Nos débats trancheront ces questions de date et de seuils de chiffres d'affaires, pour déterminer quels sont les industriels concernés, et quand ils seront.
L'objectif du Gouvernement est clair : que le maximum d'entreprises ait conclu leurs négociations au 15 janvier et que, ainsi, les nouveaux prix entrent en vigueur en rayon six semaines plus tôt que prévu.
Au-delà de ces deux principales questions, nous aurons bien sûr l'occasion d'aborder les enjeux soulevés par le cadre juridique français régissant les négociations, notamment pour savoir ce qu'il conviendrait de changer dans la loi pour permettre plus de flexibilité.
Cependant, je vous le redis avec humilité et sérieux, ce projet de loi n'est pas le bon véhicule pour réformer en profondeur ce cadre.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Ça, c'est sûr !
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. Pour autant, il faudra le faire.
C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé qu'une mission gouvernementale, composée, bien sûr, de députés et de sénateurs, sera lancée dans les prochaines semaines. Il s'agira de revoir ce cadre qui, je vous l'accorde, est constitué d'un empilement de règles sédimentées, lesquelles complexifient et parfois crispent, voire grippent, les négociations commerciales.
Les Français nous attendent sur un point : la baisse des prix, et je sais combien vous y êtes attachés, mesdames, messieurs les sénateurs.
Soyons clairs, je défends ici non pas le plus bas prix, mais bien le juste prix. Aussi, lorsqu'il y a une baisse des coûts de production, laissez-moi croire qu'une baisse de prix va s'ensuivre pour un certain nombre de produits.
Tel est donc le seul objet du présent texte, même si, je ne le nie pas, il nous faudra retravailler en profondeur le sujet des négociations commerciales. Ce qui nous occupe ce matin, c'est d'anticiper de six semaines l'arrivée des nouveaux tarifs en rayon, idéalement au 15 janvier et non au 1er mars.
https://www.senat.fr, le 10 novembre 2023