Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations entre la France et la Suisse, la situation au Proche-Orient, l'Union européenne, l'antisémitisme et le conflit en Ukraine, à Berne le 15 novembre 2023.

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Circonstance : Voyage officiel les 15 et 16 novembre 2023 en Suisse ; Conférence de presse conjointe avec le Président de la Confédération suisse, Alain Berset

Texte intégral

Emmanuel MACRON
Merci beaucoup Monsieur le Président, Cher Alain, et merci pour les mots que vous venez d'avoir et pour votre accueil si chaleureux, avec votre épouse à l'égard de mon épouse, moi-même et de notre délégation.

Le Président a tout dit, de manière très exhaustive et notre communauté de vues se traduit parfaitement dans ce qu'il vient de rapporter de nos échanges. L'histoire et la langue qui nous réunissent, est cette histoire qui est nourrie d'une exigence philosophique et de valeurs qui ne sont pas de vains mots à un moment de notre humanité où la démocratie, le primat de la dignité humaine, sont remis en cause dans beaucoup d'endroits du globe, y compris ceux où on l'attendait parfois le moins.

Vous retrouvez ici, dans un pays qui a cet engagement profond dans ses gènes, comme la France, qui abrite aussi le siège de nombre d'organisations internationales et en particulier onusiennes, a pour nous beaucoup de sens. Et votre présence aujourd'hui au Conseil de sécurité, et le très bon travail que nous menons ensemble en est d'ailleurs une illustration.

Cette force, elle est aussi vivante. Vous l'avez dit, c'est la communauté française présente ici, que j'irai rencontrer juste après, qui en fait, si on prend les enregistrés et les non enregistrés avoisinent les 200?000, c'est la plus importante au monde, qui vit en Suisse. Et l'importante communauté suisse qui vit en France, qui est, je crois, aussi l'une des plus importantes, la plus importante à l'étranger qui est à peu près équivalente, et nos 200 000 transfrontaliers qui chaque jour viennent ici pour travailler et partager une partie de leur vie et nourrir leur famille, mais aussi nourrir des projets ; des échanges de biens qui représentent 40 milliards d'euros dans à peu près tous les secteurs et les relations d'investissement dont vous avez rappelé les chiffres.

Donc ça montre que cette relation, si elle paraît totalement évidente, elle est très importante sur le plan géopolitique et elle est extrêmement vivante et structurante pour nos deux pays, nos deux économies. Alors pour autant, elle suppose que l'on continue de travailler ardemment, c'est l'objet de nos rencontres régulières.

D'abord sur les questions géopolitiques et internationales, on a eu une très bonne discussion à l'instant avec justement l'ensemble des membres du Conseil fédéral sur les moyens de travailler ensemble, d'abord pour aider l'Ukraine face à la guerre d'agression russe. Et je vous remercie vraiment de la politique, de l'accompagnement des sanctions que vous avez prises. On a parlé de beaucoup de sujets détaillés sur ce point, mais c'est un engagement commun que nous avons.

Face à la situation dramatique au Proche-Orient à laquelle nous cherchons à apporter une réponse là aussi concrète, de soutien à Israël face à l'agression terroristes du Hamas, d'action aussi humanitaire dans le contexte des bombardements de Gaza et votre implication dans la conférence humanitaire était un point pour nous très important, et de travail dans une solution politique sur ce sujet.

Votre défense, comme la nôtre, du multilatéralisme est à cet égard un point très important. Notre engagement commun vaut aussi pour les questions multilatérales du moment et nos biens communs. Et votre engagement sur le climat n'est pas à démontrer. Votre présence au premier sommet polaire que nous avons organisé à Paris le 10 novembre dernier était très importante et vous avez rappelé d'ailleurs l'importance de la cryosphère pour votre pays, compte tenu du nombre de glaciers et de hauts sommets. Nous venons de signer un texte important qui traduit sur le plan bilatéral cet engagement multilatéral pour lutter contre le changement climatique et pour la protection de l'environnement en ayant un programme de recherche sur la cryosphère et les zones alpines que nous développerons ensemble.

C'est également cet engagement international commun que nous avons sur la question de l'Europe, d'abord au sein de la communauté politique européenne et moi, je me félicite de votre souhait de vous engager sur ce sujet et d'organiser ici un prochain sommet. Les questions de défense, de sécurité, de migration doivent être abordées dans ce cadre qui est très fécond. Je souhaite aussi que les discussions entre la Suisse et l'Union européenne puissent garder la dynamique qu'elles ont eues ces derniers mois. Ces liens sont importants et je souhaite qu'ils puissent passer une nouvelle étape et nous espérons désormais que les négociations avec la Commission européenne puissent être formellement lancées sans attendre, dans l'intérêt de tous, en respectant évidemment les préoccupations de chacun.

Sur le plan bilatéral, enfin, au-delà des chiffres que j'évoquais, que vous avez rappelé, on a beaucoup de choses encore à accroître en matière de recherche et d'innovation. Nos grands organismes de recherche sont là dans la délégation avec les ministres. Nous serons demain au CERN, et notre volonté, ce n'est pas simplement de célébrer un formidable objet inédit de coopération scientifique et géopolitique, mais de lancer des programmes et une ambition nouvelle. Et derrière celui-ci, comme on l'a fait pour justement la recherche sur la cryosphère et les zones alpines, bâtir les prémices d'une ambition nouvelle en la matière, parce que nous avons, je crois, cette responsabilité.

C'est la même chose aussi que nous voulons faire en passant une nouvelle étape de nos relations universitaires et estudiantines. Il y a plus de 700 partenariats universitaires entre la France et la Suisse. Vous êtes la 4e destination des étudiants français, et je me réjouis demain de rencontrer plusieurs étudiants et Suisses et Français, mais on a signé une déclaration très importante aujourd'hui qui va permettre d'améliorer la coopération bilatérale pour promouvoir les mobilités étudiantes, et c'est aussi un des axes pour moi de ce développement.

Enfin, je veux qu'on aille plus loin aussi sur les relations économiques, d'innovation. Notre French Tech, notre politique d'innovation, nous souhaitons les jumeler pleinement avec l'ambition qui est la vôtre et avancer dans cette direction. Je ne serais pas complet si je ne disais pas aussi que notre volonté est, sur tous les sujets transfrontaliers, d'ouvrir une nouvelle page. Les eaux du Doubs et du Rhône sont des éléments très importants de cette relation. Là aussi, on a une très bonne dynamique de discussion. On a réglé beaucoup de problèmes ces dernières années sur l'aéroport de Basel-Mulhouse, et on saura régler les dernières questions pendantes.

Mais tout ce qui structure la relation transfrontalière à nos yeux doit maintenant essayer de se retrouver dans un texte, une forme de coopération plus institutionnalisée encore, qui devra nous permettre de donner un cadre encore plus stable à nos transfrontaliers. Et quand je vois la dynamique des discussions des derniers mois, tout y est pour réussir ce travail dans l'intérêt mutuel, comme vous avez su le faire, d'ailleurs, ces derniers mois et ces dernières années, sur la question de la coopération sanitaire, où là aussi, des textes importants ont été signés.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais dire en complément, Monsieur le président, mais pour vous remercier à nouveau de votre accueil, de notre très bonne coopération, toutes ces années et ces derniers mois, dans un contexte si difficile, et de la chaleur que nous ressentons de l'accueil de la France aujourd'hui à Berne, plus largement en Suisse. Merci, Président.


Journaliste
Bonjour, Messieurs les Présidents. Vous l'avez évoqué à l'instant. Parmi les nombreux sujets de vos échanges, il y avait la situation au Proche-Orient. Est-ce que vous avez spécifiquement parlé de la situation à l'hôpital Al-Shifa, et notamment, est-ce que ce raid israélien vous semble justifié par le droit d'Israël à se défendre ? 
Et puis, pour vous, Monsieur le Président MACRON, plus spécifiquement, votre ministre des Armées débute aujourd'hui une série de visites dans la région. Est-ce que vous espérez, notamment grâce aux échanges avec le Qatar, obtenir rapidement un accord pour espérer une libération des otages ? Et puis, pour finir, Monsieur le Président MACRON, vos propos sur la BBC la semaine dernière où vous avez dénoncé les bombardements subis par les civils à Gaza, a heurté le gouvernement israélien. Est-ce que vous maintenez ces propos ? Alors, d'un côté, il y a ces critiques. Et de l'autre, selon nos confrères du Figaro, il y a aussi des critiques de certains diplomates français qui vous reprochent d'être trop pro-israélien. Est-ce que l'ensemble de ces critiques n'est pas la preuve que la position française manque de clarté sur ce sujet ?

Emmanuel MACRON
Le ministre des Armées est en tournée dans la région à ma demande, après la tournée qu'a effectuée la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, et c'est important de continuer à être au contact de l'ensemble des gouvernements de la région, compte tenu de la crise, pour à la fois expliquer nos positions, renforcer les coopérations et apporter sur chacun des terrains des éléments de coopération très concrets.

La priorité de la France est aujourd'hui la libération de nos otages, de participer à la demande de la libération de tous les otages, mais en particulier, évidemment, des otages français ou binationaux qui sont aujourd'hui détenus par le Hamas. Cette libération doit être inconditionnelle. Elle fait l'objet de discussions qui ont donné lieu encore à des échanges que j'ai pu avoir dimanche avec plusieurs membres du gouvernement et le Président israélien, avec aussi l'Emir du Qatar et plusieurs autres dirigeants de la région. Je veux remercier toutes les puissances amies qui nous aident dans ces négociations, en particulier le Qatar. Nous mettons tout notre poids, toute notre force, pour libérer nos otages et permettre aux familles de retrouver leurs proches. Plus largement, vous avez fait des tas de critiques. Ces critiques, si j'ai bien compris, viennent d'un côté et de l'autre, ce qui montre que notre position doit être équilibrée.

La position française, elle est claire. Elle est claire parce qu'elle s'inscrit aussi dans l'histoire qui est la nôtre, elle s'inscrit dans la tradition française qui est à la fois d'avoir un engagement historique à l'égard d'Israël et de ne jamais transiger sur le droit d'Israël de vivre en paix et en sécurité dans la région. La France a aussi toujours soutenu les aspirations légitimes du peuple palestinien et continuera d'oeuvrer pour une solution à deux États. Je pense même que l'un et l'autre ne se contredisent pas ni ne s'équilibre mais sont la condition réciproque. Il n'y aura jamais de sécurité pour Israël s'il n'y a pas un débouché politique à la question palestinienne. Cette position, c'est celle que la France a toujours défendue, celle que le Président Mitterrand défendait à la Knesset en 1982, celle que j'ai défendue ces dernières années, y compris quand certains autres alliés parfois changeaient leur position, venant changer la capitale qu'ils reconnaissaient pour Israël ou abandonnant la défense des deux États. Jamais nous n'avons cédé à ces sirènes, jamais.

Cette position est exactement celle que j'ai exprimée aux Françaises et aux Français quand j'ai pris la parole le 12 octobre dernier ; exactement, tenant chacun des points. Nous condamnons de manière intraitable l'attaque terroriste du Hamas contre Israël. Nous reconnaissons, de manière complète, le droit d'Israël de se défendre et de lutter contre le terrorisme. Et parce qu'Israël est une démocratie signataire des mêmes textes et des mêmes chartes que nous, nous avons toujours dit, et je l'ai dit aux côtés du Premier ministre NETANYAHOU, parce que je me suis rendu sur place. Ce droit à se défendre doit s'inscrire dans le cadre du droit international humanitaire et en respectant les règles de la guerre, et donc en particulier les populations civiles. Nous n'avons jamais varié. Alors ça ne fait peut-être pas plaisir aux uns ou peut-être pas plaisir aux autres, mais ce sera la position de la France. Ça l'est depuis le début et ça le restera. Et à ce titre, je revendique et j'assume la totalité des propos que j'ai pu tenir devant vos confrères de la presse anglo-saxonne parce qu'ils correspondent à cette ligne qui condamne aussi, les bombardements contre des populations civiles et qui s'émeut de la même manière d'un enfant qui est tué. Parce que nous ne pouvons pas expliquer au reste du monde qu'il y aurait deux standards et qu'on n'aurait pas d'émotion face à un enfant qui est tué par des bombardements, quand bien même ces derniers viennent en réaction à une attaque terroriste qui a été subie. Il n'y a pas de double standard pour la France. Je l'ai aussi martelé, je peux vous le redire aujourd'hui.

C'est ce qui fait que quand je me suis rendu dans la région, nous avons proposé une initiative de paix et de sécurité pour tous. Depuis ce moment-là, une initiative très claire et complète elle aussi. 
Un premier pilier, lutter contre le terrorisme que j'assume totalement, même si ça ne me fait pas plaisir à certain et qui correspond là aussi à l'engagement de la France. Lutter contre les financements du Hamas, lutter contre le financement des groupes terroristes voisins, structurer le travail régional et international contre tous les groupes terroristes qui peuvent menacer la sécurité d'Israël ou par voie de conséquences aussi la nôtre dans la région. Et ce faisant sur la base des coalitions qui existent déjà.

Deuxième pilier humanitaire que j'annonçais il y a quelques semaines et que nous avons déployé avec la conférence humanitaire le 9 novembre dernier à Paris qui a rallié de nombreux pays et qui a permis de lever 1 milliard d'euros pour l'agence onusienne de l'UNWRA sur le terrain, les besoins identifiés étaient d'1,2 million d'euros et qui surtout a conduit à l'appel à une trêve humanitaire devant conduire à un cessez-le-feu que nous avons assumé compte tenu de la durée des bombardements et compte tenu de l'évolution sur le terrain. Et il est normal que notre position, à cet égard, évolue en fonction de l'évolution sur le terrain, mais elle s'inscrit dans le droit fil de ce pilier humanitaire qui est, dès le début, énoncé. Et c'est pourquoi la France a assumé de voter pour la résolution du Brésil très tôt, de voter en faveur, seul pays du G7 à le faire, d'une résolution de la Jordanie qui est allée en ce sens. Nous sommes cohérents en la matière. Nous ne bougeons pas.

Et enfin, c'est pourquoi aussi, nous souhaitons qu'immédiatement, on relance, justement, ce travail politique, parce que c'est le seul qui donnera un débouché à la question palestinienne et qui évitera, en quelque sorte, de laisser trop de citoyens des pays voisins, qui sont affinitaires de la question palestinienne, penser que celle-ci n'ayant plus de débouchés politiques, la violence pourrait trouver une forme de légitimité. Il n'y a jamais eu de légitimité à quelque violence que ce soit, mais ce, s'il y a un canal politique qui existe. Voilà la position de la France. C'est la même. Alors, selon les saisons, les auditoires, on met l'accent tonique à un autre endroit. Enfin, je revendique d'avoir une réponse complète qui s'inscrit dans la tradition de la France et qui est une position universaliste et humaniste, qui cherche à défendre la stabilité, la sécurité et un certain modèle de vivre dans la région du Proche-Orient et qui préserve l'unité de notre pays.

Journaliste
Et sur Al-Shifa ?

Emmanuel MACRON
Sur Al-Shifa, c'est la même chose. Nous n'en avons pas parlé, mais évidemment, je l'ai toujours dit, nous condamnons avec la plus grande fermeté tous les bombardements de civils et en particulier d'infrastructures civiles qui doivent être protégées au titre de notre droit international et du droit humanitaire. Pas seulement les bâtiments, mais les personnes qui y soignent. Je rappelle que depuis le début des bombardements, plusieurs dizaines, y compris de fonctionnaires internationaux, d'humanitaires ont été tués. C'est aussi pour ça que cette position est totalement légitime.

Journaliste
Merci. Ma question s'adresse au Président de la République française. Monsieur le Président, votre présence a fait flotter le drapeau européen sur la place fédérale devant un Parlement dans lequel un parti qui est rétif aux idées européennes s'est renforcé tout à fait récemment. Quel est votre message aux Suisses et aux électeurs de ce parti qui sont les plus méfiants par rapport à l'Europe ? Merci.

Emmanuel MACRON
Moi, je suis un immense défenseur de l'Europe, comme vous le savez, parce que je pense que c'est une invention philosophique, politique et contemporaine inédite. Notre continent a connu des millénaires de guerre civile. Depuis 70 ans, nous n'en connaissons plus grâce à cette invention européenne. Parce qu'elle est bienveillante, si je puis m'exprimer ainsi, elle cesse la volonté d'hégémonie de l'un sur les autres ; elle est coopération, délégation de souveraineté voulue et conception d'une Europe qui, en fait, décide de coopérer d'abord par ce avec quoi elle se faisait la guerre et puis plus largement sur tous les défis du moment. Moi, le point de conviction, c'est d'abord ça. Quand on parle de l'Union européenne, c'est cette aventure.

La deuxième chose, les chiffres que donnait tout à l'heure votre président sont éloquents. Vous ne le savez peut-être pas, mais vous êtes déjà européens, c'est-à-dire que tous les jours, par votre position géographique, par le fait que votre pays est ouvert, vous échangez avec le reste de l'Europe et des voisins. Et donc, je peux vous convaincre de faire de la prose, comme chez Molière, vous en faites déjà. Et donc, à cet égard, je pense que l'Europe est dans les gènes de la Suisse.

Après, il y a une tradition particulière, une singularité que nous aimons tous. Et je pense que les discussions avancent bien, et je l'espère, l'accord qui pourra être trouvé, permettra une association, une relation un peu singulière qui n'est pas l'entrée dans l'Europe, là aussi, il faut faire ce distinguo, et de nature, pourra correspondre à votre identité. Je pense enfin que dans un contexte tel qu'on l'a défini, l'Europe est une chance pour la Suisse, la Suisse est une chance pour l'Europe parce que quand on parle de sujets de défense qui sont de plus en plus prégnants, de sécurité, de migration, de coopération énergétique, de recherche et de transformation technologique, nos destins sont les mêmes. Nous voulons être souverains en Europe et ne pas dépendre de grandes puissances qui sont parfois lointaines, même si elles ont les mêmes valeurs que nous, ou lointaines et qui n'ont pas les mêmes valeurs que nous. Et donc, notre intérêt, c'est de renforcer notre travail en Européens sur ce sujet.

Journaliste
Bonsoir, messieurs les présidents. Il y a eu aujourd'hui encore un sujet que vous avez abordé dans vos déclarations tout à l'heure, l'antisémitisme, disent-elles juifs, dans un cimetière allemand, qui a été dégradé dans l'Oise, en France. Alors d'abord, je voulais vous demander vos réactions à chacun sur ce nouveau signe de la montée de l'antisémitisme. Et Monsieur MACRON, votre absence à la marche contre l'antisémitisme dimanche a été critiquée et a justifié l'absence des Républicains aux rencontres de Saint-Denis que vous organisez vendredi. Est-ce que ces rencontres ont encore un sens ? Ne risquent-elles pas de devenir un face-à-face avec le Rassemblement national ?

Emmanuel MACRON
Je commencerai par la question plus politique pour aller sur la question la plus essentielle. Très sincèrement, tout le débat que nous avons eu sur la présence du Président de la République à une marche dimanche dernier est un débat qui n'avait pas lieu d'être. Si ma position sur l'antisémitisme avait pu être ambiguë une seule seconde, je comprends qu'on ait pu me demander de la clarifier. Elle ne l'a jamais été et j'ai toujours été implacable. A deux reprises, j'ai combattu le Front national devenu Rassemblement national, dont les gènes, l'origine, précisément, viennent aussi de là avec une très grande clarté. Et par la politique que j'ai conduite, les mots que j'ai toujours eus, y compris le 11 novembre au soir, il n'y a aucune ambiguïté qui soit. La place d'un président de la République n'est pas d'aller à une marche. Je le regrette et les exemples qui ont été pris n'ont pas lieu d'être.

La dernière fois qu'un de mes prédécesseurs a été à une marche, c'était le lendemain d'un attentat avec 2 millions de personnes et plusieurs dizaines de chefs d'Etat et de gouvernement qui étaient dans la rue en France. Était-ce le cas dimanche dernier ? Non. La marche était d'une nature totalement différente. Je m'en suis félicité, j'en partage les attendus, mais mon rôle n'est pas de faire une marche. Mon rôle est de travailler pour aider à la libération de nos otages, ce que j'ai fait en appelant les responsables politiques qui m'aident à le faire en Israël et au Qatar et mon rôle est de continuer à préserver dans cette période l'unité du pays et de ne jamais renvoyer de dos à dos les uns et les autres. Et à cet égard, veillons, au moment où l'unanimisme semble se faire dans la lutte contre l'antisémitisme, à bien distinguer ces formes et à bien voir qu'en France et en République, protéger les Français de confession juive, ça n'est pas mettre au pilori les Français de confession musulmane. Ce que j'ai trop entendu ces derniers jours et ces dernières semaines, c'est le faire au nom de l'universalisme.

L'existence même de la République dépend de notre capacité à lutter contre l'antisémitisme, parce que cette haine commence et précède les autres. Parce qu'à chaque fois qu'un Français de confession juive est attaqué, c'est un Français d'une autre confession qui le sera et un autre le jour d'après. Pour cette raison-là, par universalisme, et jamais parce qu'on déteste en quelque sorte une autre communauté davantage qu'elle. Ces valeurs sont les nôtres. À partir du moment où on perd ses repères, on perd la nature même de ce combat républicain. A ce titre, après ce qui s'est passé cet après-midi, qu'on ne peut qu'évidemment condamner avec la plus grande force le fait que les dix stèles juives aient été profanées dans le cimetière militaire allemand. Ce fléau, je le sais, touche aussi votre pays, il monte partout en Europe, il touche notre pays.

Je veux ici redire l'engagement personnel qui est le mien, celui du Gouvernement, qui a été mobilisé de manière implacable et sans relâche contre toutes les formes d'antisémitisme, qu'il s'agisse de profanation, qu'il s'agisse d'insultes, qu'il s'agisse d'agressions verbales ou physiques. Elles n'ont pas lieu d'être dans la République. Nous avons renforcé les moyens pour protéger. Nous avons pris les circulaires pénales qui permettent de condamner plus vite. Et nous ne lâcherons rien sur ce combat. Ce combat, enfin, passe par l'éducation de nos enfants, de nos jeunes, qui confondent aussi aujourd'hui beaucoup trop de choses à certains égards. Et il nous faut rappeler l'histoire, rappeler ce que cela veut dire et revenir au principe que j'évoquais.

Enfin, toute dernière remarque, je pense qu'utiliser le contexte que nous vivons pour justifier une absence à une réunion de travail sur des réformes constitutionnelles est absolument indigne de la part d'un dirigeant politique actuel. Indigne, je pèse mes mots. Je note avec une certaine surprise que deux dirigeants de partis dits de gouvernement qui ont eu pendant des décennies à gouverner la France avant que je ne sois élu pour la 1re fois à la Présidence de la République française, font le choix de ne pas venir à des rencontres inédites ; celles où un Président de la République décide de travailler avec des responsables politiques de toutes les sensibilités présentes au Gouvernement. Je pense que c'est une faute politique majeure de la part de ces dirigeants. Je vous rassure, ils me laisseront avec la présidente et les présidents de Chambre constitutionnelle qui sont d'éminents personnages de l'État et tous les autres dirigeants politiques — et je ne les réduirai pas à un seul — des forces politiques qui considèrent qu'ils ont un rôle et une responsabilité, celles que leur donnent les électeurs qui les ont mises en situation d'avoir un groupe au Parlement. Je pense que c'est une faute. Ils iront expliquer à leurs électeurs pourquoi ils ne sont pas là quand on a discuté de l'évolution de l'article 11 du référendum autour d'une table avec le Président. Ils iront expliquer pourquoi ils ne sont pas là quand on a parlé de décentralisation. Ils iront expliquer pourquoi ils ne sont pas là quand le Président de la République avait cru bon de les associer sur des sujets essentiels à la vie de la nation. C'est leur responsabilité, mais aucun prétexte ne le justifie, et surtout pas d'utiliser le contexte géopolitique actuel et ce que vivent nos compatriotes de confession juive aujourd'hui.

Journaliste
J'ai une question au Président de la République française. Monsieur le Président, la Suisse devrait-elle livrer des armes à l'Ukraine ? Et qu'attendez-vous exactement de la Suisse en ce qui concerne la coopération avec l'OTAN dans le cadre du Partenariat pour la paix ?

Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Moi, je respecte la tradition de neutralité de la Suisse. Je note que malgré cette tradition et parce que c'est compatible, elle a pris des décisions claires et courageuses sur la question des sanctions et une position diplomatique de soutien à l'Ukraine très claire. Ensuite, il y a des débats qui existent et j'attends l'issue de ces derniers sur la question des réexportations, pas des exportations directes. La France est tout à fait ouverte à y participer et contribuer et coopérer parce que je pense que notre soutien à l'Ukraine collectivement est une nécessité de principe et géopolitique et il ne doit pas faiblir dans la période malgré les autres conflits et la situation au Proche-Orient que nous avons déjà évoquée, la Russie ne peut pas gagner ce conflit.

Donc j'ai bon espoir sur les négociations qui sont en cours et les discussions qu'on pourrait avoir dans les prochains mois ensemble pour améliorer les choses et ce qui permettrait de marier à la fois la neutralité suisse et la capacité à réexporter des armes.

Sur ensuite la question de l'OTAN et des coopérations. Je l'ai dit, je crois à une défense européenne dont l'exclusive d'ailleurs n'est pas au sein de l'Union européenne, mais que la France veut bâtir aussi d'une manière bilatérale avec tous ses partenaires dont la Suisse. Créer plus d'intimité stratégique, plus d'interopérabilité, des capacités communes, des programmes communs de recherche, de production et d'intervention. Parce que je pense que nous, Européens, on le voit bien, nous serons confrontés de plus en plus à des risques, peut-être sur notre sol. Malheureusement, nous le voyons à notre voisinage, du Caucase en passant par le Proche-Orient jusqu'au continent africain et que nous aurons une part plus importante à prendre pour notre sécurité. Ceci impose des choix pas seulement budgétaires, mais opérationnels, capacitaires. Et à ce titre, j'espère que la Suisse pourra continuer à développer des coopérations très concrètes avec les autres Européens, dont la France. Merci beaucoup.

Animateur
Je vous remercie Monsieur le président de la République. Monsieur le Président de la Confédération, Mesdames et Messieurs, nous concluons cette conférence de presse ici. Je vous souhaite une excellente soirée.