Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, à RTL le 16 novembre 2023, sur la remise en liberté du policier mis en cause dans la mort d'un jeune fin juin à Nanterre, les actes antisémites, les musulmans en France et le projet de loi immigration.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Dans un instant, le ministre de l'Intérieur, Gérald DARMANIN. Bonjour Monsieur le Ministre et bienvenue sur RTL.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

AMANDINE BEGOT
On va beaucoup évoquer bien sûr ce projet de loi immigration, longuement dans un instant. Mais d'abord d'un mot, vous espérez toujours le faire passer sans 49.3 ?

GERALD DARMANIN
Oui.

AMANDINE BEGOT
A tout de suite.

GERALD DARMANIN
Nous sommes ouverts à la discussion.

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AMANDINE BEGOT
Gérald DARMANIN, on a appris hier que le policier mis en cause dans la mort du jeune Nahel, fin juin, à Nanterre, avait été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Il a passé 139 jours en détention provisoire. Les syndicats se disent soulagés, les syndicats de policiers, et vous, que dites-vous ce matin, il était temps ?

GERALD DARMANIN
Non, je ne dis rien, je laisse faire la justice. Je suis allé, voilà plus d'un mois à Nanterre rencontrer les policiers de la DOPC, ses collègues, voilà, ils étaient très éprouvés. Je n'oublie qu'il y a eu évidemment la mort d'un jeune homme à Nanterre, bien évidemment, il y a désormais une procédure judiciaire ; et je laisse les magistrats faire leur travail.

AMANDINE BEGOT
On ne commente pas une décision de justice, et on le sait, la justice est indépendante dans notre pays. Cet été, vous aviez dit : les policiers ne peuvent pas être les seules personnes en France pour lesquelles la présomption d'innocence ne compte pas. Ils le disent, sur le terrain, les policiers, ce risque d'être placé comme ça en détention provisoire, ça modifie profondément la façon dont ils gèrent ces refus d'obtempérer. Quelle doit être la règle ?

GERALD DARMANIN
Non, mais je pense que je me suis exprimé, cet été, on a eu, parce qu'il n'y a pas eu que le drame de Nanterre, il y a eu des émeutes urbaines où d'autres policiers, je pense à ceux de Marseille, ont pu être mis en cause, évidemment, les policiers et les gendarmes doivent rendre compte de leurs actes, aucun problème évidemment pour cela. Simplement, il me semble qu'il y a des garanties de représentation qu'ont les policiers, ils ont des armes parce que le Parlement les autorise à en avoir, et qu'on doit accepter, non pas le fait qu'il peut y avoir malheureusement des drames, mais le fait que c'est proportionnel, le juge doit regarder la proportionnalité : est-ce qu'on utilise bien les armes qui ont été confiées par l'autorité publique. Donc je pense que ce n'est pas des citoyens absolument comme les autres lorsqu'ils agissent comme policiers et comme gendarmes, et que le magistrat doit faire attention à ça. Donc je n'ai rien dit d'autre cet été. Les policiers savent que je les défends. Je sais qu'ils font un travail extrêmement difficile, très peu rémunéré, ils risquent leur vie pour nous, et moi, je ne peux pas l'oublier en tant que leur chef.

AMANDINE BEGOT
Venons-en à la flambée des actes antisémites dans notre pays, dix stèles juives ont encore été dégradées hier dans un cimetière de l'Oise. Comment arrête-ton ça ?

GERALD DARMANIN
Ce qui est dramatique dans la situation dans laquelle nous sommes, c'est qu'on aurait pu croire que devant ce qui s'est passé, les attentats islamistes terribles du Hamas contre la population d'Israël, et contre nos propres ressortissants, je rappelle qu'il y a eu plus de 40 morts français, et otages français, on aurait pu croire qu'il y ait une vague d'empathie, et en fait, je constate, moi, plutôt une vague d'antisémitisme, ce qui doit profondément blesser, apeurer les Français de confession juive. Par ailleurs, je constate également qu'il y a dans le débat public des remises en cause de ce que fait la police, de ce que nous disons. Donc il a fallu que je redise, et pourtant, je fais désormais assez de médias pour dire : oui, il y a eu plus de 1.700 actes ou actions antisémites en France depuis le 1er janvier, c'est le triple de tous les actes antisémites de l'année dernière, c'est déjà un pays qui en connaît…

AMANDINE BEGOT
Plus de 1.700 depuis le 1er janvier…

GERALD DARMANIN
Depuis le 1er janvier, oui, alors, c'est évidemment essentiellement des croix gammées, des insultes téléphoniques, des lettres de menaces de mort, et c'est heureusement moins de 5 % de coups et blessures, mais jusqu'au drame. Et puis surtout, c'est une peur, une peur qui s'installe chez tous les Français de confession juive, d'amener leurs enfants à l'école, de pouvoir vivre leur vie. Vous savez, l'antisémitisme, c'est un racisme particulier en France, parce que, d'abord, il y a l'histoire, il y a bien sûr la Shoah, il y a les attentats qui ont touché des enfants dans une cour d'école à Toulouse, parce que juive, il y a l'Hyper Cacher. Mais c'est aussi comme le canari dans les mines, moi, qui viens du Nord, que les mineurs amenaient avec eux, quand le canari meurt, c'est que le coup de grisou va arriver. Eh bien, quand les Juifs sont pris pour cibles, c'est tout le monde qui, ensuite, dans une société déviante, finit par connaître le reflux de l'altérité de racisme.

AMANDINE BEGOT
Quel est le profil des auteurs de ces actes ? Il y en a un certain nombre qui ont été jugés, condamnés aussi déjà ?

GERALD DARMANIN
Alors, pour l'instant, la police a fait énormément d'interpellations, on en est à quasiment 600, il y a une centaine d'étrangers, un petit peu plus d'étrangers sur ces 600 personnes, je voudrais dire d'ailleurs que ceux qui sont irréguliers sont déjà tous dans les centres de rétention administratifs, et on a commencé les expulsions de ces personnes. Je pense que les ordres de fermeté sont très bien respectés par la police et par les préfets. Ceux qui sont étrangers réguliers, donc c'est-à-dire à peu près 80, on leur retire leur titre de séjour, mais il n'y a pas de raison de garder en France des étrangers qu'on accueille généreusement, et qui s'en prennent à nos compatriotes juifs. Et puis les autres, c'est quand même des profils très variés, mais il y a beaucoup de mineurs, et il y a beaucoup de jeunes, je prends l'exemple de ces jeunes dans le métro parisien, la police fait un travail formidable…

AMANDINE BEGOT
On les a tous retrouvés…

GERALD DARMANIN
... Une semaine après, sur une vidéo quasi-anonyme, sans voir les visages, récupérer ces personnes qui chantent des chants nazis, et de leur haine des juifs, bon, eh bien, voilà, le plus jeune a 11 ans. Donc ce n'est pas un travail de policier quand le plus jeune a 11 ans, c'est un travail de parents et d'Education nationale.

AMANDINE BEGOT
Vous avez condamné, Monsieur le Ministre, les propos tenus avant-hier par l'imam de la grande mosquée de Paris, qui avait refusé de qualifier le Hamas de mouvement…

GERALD DARMANIN
J'ai vu que la grande mosquée de Paris avait dit que ce n'était pas leur imam, donc je voudrais ici le dire, parce que c'est important, et je remercie le recteur de la mosquée de l'avoir dit.

AMANDINE BEGOT
Il avait laissé entendre que le recensement des faits antisémites en France ne correspondait pas à la réalité, ce n'est pas leur imam, enfin, on ne sait pas qui est l'imam de qui, pardon, enfin, ça me…

GERALD DARMANIN
Non, mais moi, j'ai vu que la grande mosquée de Paris avait dit que ce n'était pas un imam qui était embauché par la mosquée de Paris. Donc je pense qu'il faut le dire. Moi, je sais le travail que fait le recteur, mais…

AMANDINE BEGOT
Bon, on peut imaginer des sanctions, vous êtes aussi ministre des Cultes, on peut imaginer des sanctions après de tels propos ou pas ?

GERALD DARMANIN
Les insinuations sont évidemment extrêmement ambiguës, il a fallu que je redise évidemment qu'il n'y avait pas de chiffre pipeauté, pas de complot, qui montrent que l'Etat ou les juifs se seraient mis d'accord pour dire qu'il y a une vague d'antisémitisme, alors qu'il n'y en a pas, il y en a évidemment, et je les ai détaillés…

AMANDINE BEGOT
Mais certains se sont inquiétés en disant : s'il est capable de dire ça sur un plateau de télé, qu'est-ce qu'il dit dans ses prêches, ils sont surveillés, les imams aujourd'hui, vraiment ?

GERALD DARMANIN
Alors, d'abord, il y a 2.600 lieux de culte musulman en France, en tant que ministre de l'Intérieur, et je crois que tout le monde connaît à la fois mon sens de la fermeté et la vérité que je peux porter aux Français, il y a eu 5 endroits en France depuis le 7 octobre, 5 mosquées en France, qui ont posé des problèmes dans leurs prêches sur 2.600. Donc, moi, je veux aussi saluer le travail que font les responsables religieux grâce à la construction d'un islam de France, et notamment ce que fait la mosquée de Paris pour éviter ça. Vous savez, le plus dur, bien sûr, il y a, comme l'imam de Beaucaire, comme cet imam, des gens scandaleux que nous poursuivons, pour le premier, bien sûr, vous avez vu qu'il a été condamné, mais l'immense majorité de nos compatriotes musulmans, évidemment, ont respecté la douleur et respectent ce qui se passe. Ce qui est sûr, c'est que l'imam TikTok ou l'imam Twitter, il est beaucoup plus dramatique celui-là. Vous savez, 75% des contenus apologétiques du terrorisme, de haine du juif, c'est sur Twitter, avec une très grande difficulté qu'a l'Etat français, comme tous les Etats, à faire respecter la police sur Internet. Et je pense qu'il faut plus s'inquiéter de la haine numérique, qui est parfois relayée sur des plateaux de télévision par des personnes comme vous les avez évoquées, que dans les mosquées où les choses se sont bien passées dans l'immense majorité des cas. Ce que je voudrais dire, c'est que les juifs français, les Français de confession juive ne sont pas responsables de ce que fait Israël, Benjamin NETANYAHOU, dans la colonisation. Voilà, ils sont français. Et quand on va protéger les juifs français, on ne protège pas Israël, même si, par ailleurs, évidemment, Israël doit se protéger…

AMANDINE BEGOT
Et les musulmans ne sont pas responsables de ce que fait le Hamas…

GERALD DARMANIN
Et les musulmans français, j'ai vu qu'à Pessac, une mosquée avait été attaquée avec des propos absolument ignominieux, eh bien, les musulmans français ne sont pas le Hamas, donc il faut qu'on reste tous raisonnables et qu'on respecte l'idée que, d'abord, nous protégeons des Français qui par ailleurs ont une religion.

AMANDINE BEGOT
Gérald DARMANIN. Le projet de loi immigration a été adopté mardi soir au Sénat, un projet très largement remanié. On en a beaucoup parlé. La prochaine étape, c'est l'Assemblée nationale. Vous me disiez tout à l'heure : oui, j'espère toujours faire passer ce texte sans 49.3. Ça va être compliqué…

GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas... J'espère toujours, je suis confiant…

AMANDINE BEGOT
Vous pensez ? Bon, mais ça va être compliqué, il y a d'un côté la majorité avec, l'AME par exemple. Excusez-moi, je n'ai toujours pas compris…

GERALD DARMANIN
Si ça n'avait pas été compliqué, je pense qu'on aurait mis quelqu'un d'autre, non, vous ne trouvez pas ? Non, mais ce que je veux dire, c'est que…

AMANDINE BEGOT
Non, mais l'Aide Médicale d'Etat, non, soyons sérieux, il nous reste super peu de temps. L'Aide Médicale d'Etat, vous êtes pour ou contre sa suppression ?

GERALD DARMANIN
Non, mais ça n'a rien à voir dans ce texte, moi, je…

AMANDINE BEGOT
Eh bien, si, c'est dans le texte !

GERALD DARMANIN
Non…

AMANDINE BEGOT
La majorité ne dit pas : on ne votera pas le texte s'il y a…

GERALD DARMANIN
Non, mais attendez, c'est quoi ce texte ? Ce texte, qu'on a déposé sur le bureau du Sénat voilà plus d'un an, et pendant un an, on m'a dit que jamais je ne le ferai passer au Sénat, on l'a fait passer, prévoit la simplification des recours administratifs, l'expulsion des étrangers délinquants et des exigences d'intégration. Il ne prévoyait pas ni les prestations sociales, ni l'Aide Médicale d'Etat. Les sénateurs l'ont rajouté, mais ils savent très bien que c'est ce qu'on appelle un cavalier législatif. Ça sera censuré par le Conseil constitutionnel parce que ce n'est pas prévu dans le texte. Moi, je pense qu'il y a des questions qui se posent autour de l'AME. Je l'ai dit, la première ministre le dit, elle a commandé un rapport à monsieur STEFANINI, quelqu'un de droite, et Monsieur EVIN, quelqu'un de gauche, mais ce n'est pas dans ce texte-là, c'est un texte budgétaire, l'Aide Médicale d'Etat, qu'on doit regarder le fonctionnement de l'Aide Médicale d'Etat. Donc, revenons au texte. Est-ce que la droite, la gauche est d'accord pour que les étrangers qui arrivent en France doivent parler français, doivent passer un examen de français, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ? Je ne vois pas comment on peut être contre ça. Est -e qu'ils sont d'accord pour qu'on expulse les étrangers délinquants ? Aujourd'hui, je ne peux pas en expulser plus de 4.000 par an parce que la loi me l'interdit, pas la Constitution, la loi. Qui peut être contre ça ? Donc moi, je dis aux parlementaires : travaillons ensemble, c'est déjà assez grave, la situation française, la situation mondiale, l'immigration va ne faire qu'augmenter du fait des dictatures…

AMANDINE BEGOT
Et quand vous lisez les propos de Eric CIOTTI hier, on n'a pas l'impression qu'il va le voter, ce texte.

GERALD DARMANIN
Non, mais j'ai lu les propos pendant très longtemps de monsieur Bruno RETAILLEAU. Jamais, il n'y aura mesure de régularisation. Six mois après, il y a un texte avec une mesure de régularisation. Ça s'appelle la politique. Je regrette qu'on n'ait pas eu une discussion parfois aussi franche en " off " qu'en " on ", parce que quand on est à la buvette de l'Assemblée, on se parle plus que quand on est sur les plateaux de télé. C'est malheureusement comme ça la politique française…

AMANDINE BEGOT
Et ne pas aller aux rencontres de Saint-Denis demain pour Eric CIOTTI, c'est une faute majeure, une faute politique majeure ?

GERALD DARMANIN
Je pense que c'est une erreur, lorsqu'on que quand on est un grand parti du gouvernement qui se dit gaulliste, on va parler avec le président de la République. Ça me paraît normal. Xavier BERTRAND l'a dit par exemple, et moi, je salue ce travail. Gérard LARCHER va y aller. Donc, voilà, moi, j'invite Eric CIOTTI, évidemment, à travailler pour le bien de la France et à voter, à discuter, bien sûr. Moi, je suis, là, avec un discours d'ouverture, de compromis, comme je l'ai fait au Sénat. Je ne suis pas là pour imposer des choses, c'est pour ça que je ne suis pas pour le 49.3. S'il faut travailler entre Noël et le Nouvel An, j'irai au Parlement entre Noël et le Nouvel An.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup.

GERALD DARMANIN
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2023