Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour Patrice VERGRIETE.
PATRICE VERGRIETE
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Les questions de logement, il en est beaucoup question ces jours-ci avec notamment un chiffre publié hier par l'Institut Paris Région qui concerne l'Ile-de-France mais qui est impressionnant. Jamais il n'y a eu autant de demandes de logements sociaux, ils ont quasiment doublé depuis 2010. En 2022, c'était 783 000 ménages qui étaient en attente et on a calculé qu'il fallait plus de dix ans en Ile-de-France, et même seize ans à Paris intra-muros, pour avoir un logement social. Comment expliquer ces chiffres qui sont aujourd'hui très mauvais ?
PATRICE VERGRIETE
Oui, c'est vrai qu'il y a une très forte demande de logement social et c'est vrai d'ailleurs partout en France. Aujourd'hui, on est à 2,4 millions de demandeurs de logements sociaux. Comment expliquer ça ? D'abord l'augmentation des prix immobiliers eux-mêmes liée à plein de facteurs issus d'ailleurs en partie de la politique nationale du logement.
JEFF WITTENBERG
On dit que ça baisse.
PATRICE VERGRIETE
Aujourd'hui, ça baisse justement parce qu'on essaie de réguler les choses et parce qu'il y a une crise de la production. Mais entre, par exemple, 2000 et aujourd'hui, les prix immobiliers se sont envolés beaucoup plus vite que le pouvoir d'achat immobilier des ménages. Donc moins d'accession à la propriété, notamment des catégories populaires et moyennes, et donc plus de demande vers le logement social ; en plus des familles où les familles monoparentales ont plutôt augmenté, donc des ménages qui se sont plutôt entre guillemets appauvris, parce qu'un seul salaire qui rentre, donc plus de demande.
JEFF WITTENBERG
Mais est-ce que ça veut dire aussi qu'on ne construit pas assez de logements et que les rachats de logements neufs notamment, qui ont été annoncés par la Première ministre il y a quelques semaines, ce n'est pas suffisant finalement par rapport à l'attente et à la demande ?
PATRICE VERGRIETE
Alors, c'est très variable suivant les territoires en réalité. Il y a des territoires où on ne va presque pas construire parce qu'on a beaucoup de vacance, et là il faut mettre l'accent sur la reprise de la vacance, la rénovation de ces logements. Et puis il y a des territoires où il faut beaucoup construire, l'Ile-de-France évidemment en fait partie, les métropoles, les sites en réindustrialisation, et là il faut mettre le paquet effectivement et c'est ce qu'on veut faire avec le gouvernement aujourd'hui, et l'accord qu'on a trouvé notamment avec le mouvement HLM.
JEFF WITTENBERG
Alors, il y a un public qui a souvent des problèmes de logement, ce sont les étudiants. Vous allez annoncer aujourd'hui des mesures pour le logement étudiant. Qu'est-ce qui va se passer dans les prochains mois, Patrice VERGRIETE ?
PATRICE VERGRIETE
Alors c'est vrai que moi, quand j'apprends que 12% des étudiants aujourd'hui renoncent à leur premier choix d'études pour des questions de logement, il y a à agir, donc c'est vrai qu'on va travailler tous azimuts. On a décidé avec la Première ministre, avec Sylvie RETAILLEAU qui est ministre de l'Enseignement supérieur, de lancer un grand plan logement étudiant et on va travailler, j'ai envie de dire, sur tout ce qui est possible. Mobiliser davantage de foncier dans les universités pour pouvoir construire des logements étudiants, transformer des bureaux en logements, essayer effectivement de prendre des engagements sur la construction de logements sociaux étudiants avec le CROUS ou les bailleurs sociaux.
JEFF WITTENBERG
Est-ce qu'il y a des constructions qui vont être décidées prochainement ?
PATRICE VERGRIETE
35 000 dans les prochaines années, 8 000 dès l'année prochaine en logement social étudiant, et tout ça avec des accompagnements aussi d'autres types de résidences. On a par exemple notamment autorisé, dans le cadre du projet de loi de finances, davantage de résidences sur le logement locatif intermédiaire, c'est-à-dire des loyers 15 % en dessous du marché pour les étudiants. Donc, c'est vrai qu'on va focaliser, on va mettre le paquet, j'ai envie de dire, pour pouvoir répondre à cette demande parce qu'on ne peut pas priver nos étudiants de l'accès au logement. Et honnêtement aujourd'hui, pour le pouvoir d'achat, la précarité étudiante, c'est d'abord le logement étudiant.
JEFF WITTENBERG
Mais c'est du logement public ou privé ? Vous dites 8 000 logements l'année prochaine, qu'est-ce qui va se passer ?
PATRICE VERGRIETE
Alors l'an prochain, 8 000 logements sociaux étudiants et 35 000 dans les années qui viennent, dans les trois années qui viennent. Et puis également, il ne faut pas qu'il n'y ait que du logement social étudiant, il faut aussi répondre à du logement intermédiaire, c'est-à-dire moins que le marché, 15% en dessous du marché. Il en faut, j'ai envie de dire, pour toutes les bourses. Il faut en tout cas développer le logement social étudiant et travailler tous azimuts, c'est ce qu'on va faire.
JEFF WITTENBERG
Pénurie de logements d'un côté, trop de l'autre. On a beaucoup parlé cette semaine des locations de meublés touristiques type Airbnb qui pullulent, si j'ose dire, dans les grandes villes et singulièrement à Paris. Une proposition de loi vise à changer la fiscalité qui est aujourd'hui très avantageuse pour les propriétaires qui peuvent louer et payer peu d'impôt. Un abattement à 30% pour tout le monde serait sur la table. Est-ce que vous y êtes favorable ? Est-ce que vous êtes favorable globalement à encadrer ce marché ?
PATRICE VERGRIETE
Alors vous avez raison, et d'ailleurs c'est l'une des explications du manque de logements étudiants, c'est-à-dire effectivement les meublés touristiques se sont développés et souvent au détriment d'autres personnes. Les étudiants en ont été les victimes. D'abord la priorité, c'est de donner aux maires la possibilité d'arrêter, de limiter le développement dans les communes où aujourd'hui, c'est excessif. Mais même moi à Dunkerque, j'ai connu + 47%...
JEFF WITTENBERG
Vous étiez maire de Dunkerque.
PATRICE VERGRIETE
Voilà. + 47 % de meublés touristiques en deux ans. Vous vous rendez compte, le développement ? Et donc ça, ça se fait au détriment des personnes qui ont besoin de résider sur le territoire ou des étudiants. Et donc du coup, il faut casser cette dynamique dans les territoires où ça s'est trop développé.
JEFF WITTENBERG
Mais comment ? Comment on la casse ?
PATRICE VERGRIETE
Alors d'abord, donner aux maires un outil pour arrêter le développement, réguler le marché. C'est ce qui est fait dans la proposition de loi qui a été votée en commission, là, et qui va passer très prochainement dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, et donc on aura la possibilité pour les maires de contrôler ce marché. C'est-à-dire là où les maires considèrent que ça va trop vite, trop fort, ils auront un outil pour dire " là, on va limiter le développement ". Et après, il y a la question de la fiscalité qui va venir. On a lancé une mission parlementaire justement pour remettre à plat la fiscalité sur l'ensemble du locatif et on pourra agir à partir de là.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que vous êtes favorable aussi à une limitation du nombre de jours où on peut louer son logement par la plateforme, par exemple Airbnb, sur une année ? La possibilité de mettre son appartement ou sa maison sur plusieurs sites ?
PATRICE VERGRIETE
C'est l'un des outils qui sera aussi donné aux maires, la possibilité de diminuer le nombre de jours, donc le maire aura cette possibilité de le faire.
JEFF WITTENBERG
Ça existe dans certaines villes déjà.
PATRICE VERGRIETE
Oui. Mais justement ce qui est mieux encore, c'est l'esprit de la décentralisation : c'est de donner aux maires la possibilité de le moduler et donc là, du coup, les maires auront un outil pouvant réguler les choses.
JEFF WITTENBERG
Les locations de logements en Ile-de-France pendant la période des Jeux Olympiques l'été prochain atteignent parfois des sommes phénoménales, exorbitantes, disent certains. Est-ce que ça vous choque lorsqu'on loue par exemple 1 000 euros par nuit au mois d'août 2024 son appartement à Paris ?
PATRICE VERGRIETE
C'est toujours choquant quand on essaie de profiter finalement d'un événement, d'une grande fête populaire pour essayer effectivement de se faire de l'argent, si vous me permettez. Ma collègue Olivia GREGOIRE travaille avec des hôteliers, avec les plateformes justement pour essayer au moins d'avoir une charte éthique sur ce sujet et essayer de respecter une certaine décence.
JEFF WITTENBERG
Une charte éthique mais il n'y aura aucune obligation.
PATRICE VERGRIETE
Aujourd'hui, il n'y a pas effectivement de possibilité de moduler à travers la loi, mais on va… J'espère que ma collègue va trouver quelque chose qui permettra au moins de respecter les règles.
JEFF WITTENBERG
De respecter les règles. Patrice VERGRIETE, vous êtes donc ministre du Logement. La COP 28, la conférence sur le changement climatique, a débuté hier à Dubaï. Parmi les solutions pour réduire l'empreinte carbone, il y a bien sûr la rénovation des logements et la fin des passoires thermiques, c'est pour ça que ça vous concerne directement. On en est très loin encore aujourd'hui. Est-ce que le gouvernement est toujours prêt à aller vite sur ce point ? Par exemple, est-ce qu'il est toujours prévu que d'ici un an – c'est ce qui est aujourd'hui dans les textes – les logements qui sont le plus, entre guillemets, passoires thermiques, ceux en catégorie G comme on dit, ça fait plus de 600 000 logements, soient interdits à la location alors que, on l'a expliqué, il manque aujourd'hui de logements ?
PATRICE VERGRIETE
Alors la transition écologique, ce n'est pas une option. Vous le voyez, ç'a été dit dans votre journal, on atteint des niveaux records en termes de réchauffement climatique. Aujourd'hui il faut agir, la planète est en danger. Et puis, c'est aussi le confort des habitants, c'est aussi les factures énergétiques, donc il faut agir. Là-dessus, le gouvernement a mis en place beaucoup d'aides à travers MaPrimeRénov, ça va jusqu'à 90% du montant des travaux pour les plus modestes, donc c'est important. Et après, il y a eu un certain nombre de mesures prises dans la loi climat résilience. On doit tenir ce calendrier. C'est 646 000 logements qui sont concernés par, entre guillemets, la potentielle interdiction de location l'année prochaine. On peut travailler. On a vu que 90% de ces logements, on pouvait le faire en un an. On a fait cette analyse.
JEFF WITTENBERG
En un an, vous allez résoudre le problème…
PATRICE VERGRIETE
Oui, on peut le faire.
JEFF WITTENBERG
Pour 628 000 logements ?
PATRICE VERGRIETE
646 000 logements, il faut qu'on y arrive. Il faut qu'on y arrive ! De toute façon, si on reculait, je suis certain qu'on ne ferait pas évoluer les choses dans les années qui viennent.
JEFF WITTENBERG
Et si vous n'y arrivez pas, ces logements ils sortent du parc locatif ? Est-ce que vous le confirmez ce matin ?
PATRICE VERGRIETE
On va accompagner. Et en fait, la limite n'est pas vraiment au 1er janvier 2025 puisque c'est à la relocation à partir du 1er janvier 2025, donc c'est à la fin du bail. Donc certains logements là-dedans pourront avoir leur fin de bail en 2026-2027, donc on a le temps pour le faire. Il faut simplement un peu d'énergie et un peu de volontarisme.
JEFF WITTENBERG
Il y a parfois des propriétaires qui n'ont pas les moyens de faire ces travaux.
PATRICE VERGRIETE
Les propriétaires qui n'ont pas les moyens sont accompagnés à 90% par MaPrimeRénov aujourd'hui. Donc le gouvernement a mis en place, on a mis des accompagnateurs, on met les moyens pour pouvoir accompagner ces propriétaires.
JEFF WITTENBERG
Cette COP 28 donc sur le changement climatique qui se tient dans un pays producteur de pétrole, qui vit de la production du pétrole, à Dubaï, est-ce que ça vous paraît normal ? Est-ce que c'est un petit peu baroque ? Quel est votre sentiment d'homme politique français là-dessus ?
PATRICE VERGRIETE
Alors c'est vrai que Dubaï est plutôt le symbole des énergies fossiles, et puis on ne peut pas dire qu'en termes de politique d'aménagement et d'urbanisme, ce soit exemplaire en matière de transition énergétique. Pour autant, il faut embarquer tout le monde, finalement, dans cet enjeu parce qu'on en train de parler d'un enjeu climatique mondial. Et donc c'est vrai que c'est important que tous les pays finalement en viennent à adopter des mesures plus adaptées à la lutte contre le dérèglement climatique. Donc j'ai envie de dire, je suis partagé entre… C'est vrai que ce n'est pas un très, très beau symbole mais en même temps, il faut aussi que demain ils fassent évoluer leur politique.
JEFF WITTENBERG
Mais serait-il plus crédible de le faire dans un autre pays pour vous ?
PATRICE VERGRIETE
Je n'en sais rien. En tout cas, si ça peut permettre de faire évoluer les Emirats arabes par rapport à la transition écologique, ce sera une bonne chose ; sinon ça restera un symbole négatif.
JEFF WITTENBERG
Patrice VERGRIETE, vous êtes un des nouveaux venus, un des nouveaux visages de ce gouvernement puisque vous êtes ministre du Logement depuis l'été dernier, depuis un remaniement où on avait reproché à certains, dont votre prédécesseur, ministres de ne pas être assez visibles et voilà qu'on reparle de remaniement. Il y a eu l'épisode Eric DUPOND-MORETTI qui échappe à une condamnation, qui donc reste au gouvernement. Il y a Olivier DUSSOPT aussi qui attend un jugement. Est-ce qu'aujourd'hui vous sentez ces bruits d'un gouvernement qui n'est pas très stable ?
PATRICE VERGRIETE
Ecoutez non, sincèrement non. De toute façon, je suis sur un sujet, vous l'avez dit, qui connaît une crise aujourd'hui avec des enjeux majeurs. Donc c'est vrai, je travaille pour accélérer les choses, essayer d'amortir la crise de la production et permettre aux Français demain d'avoir des conditions de logement beaucoup plus importantes. Vous savez, je ne vous donne qu'un exemple : aujourd'hui, moi je vois des gens qui sont obligés de s'éloigner à une heure, une heure et quart de leur lieu de travail. Je pense qu'on a beaucoup à faire sur le logement pour améliorer la vie des gens.
JEFF WITTENBERG
Merci beaucoup Patrice VERGRIETE, ministre délégué au Logement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2023