Interview de Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, à Public Sénat le 16 novembre 2023, sur l'aide médicale d'État, la régularisation des travailleurs sans-papiers et le report du projet de loi fin de vie.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

Agnès FIRMIN LE BODO
Ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale 
et des Professions de santé

Public Sénat, Oriane MANCINI – 8h00

16 novembre 2023

 

ORIANE MANCINI
Et notre invitée politique ce matin c'est Agnès FIRMIN LE BODO, bonjour.

AGNES FIRMIN LE BODO
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci d'être avec nous, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, vous êtes également porte-parole d'Horizons, c'est le parti d'Edouard PHILIPPE. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale représentée par Julien LECUYER de « La Voix du Nord », bonjour Julien.

JULIEN LECUYER
Bonjour Oriane, bonjour Madame la ministre.

AGNES FIRMIN LE BODO
Bonjour.

ORIANE MANCINI
On a beaucoup de sujets à aborder avec vous et beaucoup de dossiers, évidemment Agnès FIRMIN LE BODO, mais d'abord on va revenir sur le projet de loi immigration puisque le Sénat, ça y est, l'a voté mardi, dans une version durcie par la majorité sénatoriale, qui a notamment supprimé l'Aide Médicale d'Etat, remplacée par une Aide Médicale d'Urgence, est-ce que vous souhaitez que les députés rétablissent cette Aide Médicale d'Etat telle qu'elle existait ou est-ce que vous appelez à aménager le dispositif pour faciliter le compromis après avec le Sénat ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Ecoutez, de façon très claire, la ligne que j'ai portée au nom du gouvernement sur le banc du Sénat il y a quelques jours, était de rappeler que le gouvernement tient au dispositif de l'AME, parce que nous le redisons, l'Aide Médicale d'Etat, dite AME, est bien un objet de santé publique, il est d'ailleurs inscrit dans le code de l'action sociale et des familles. Donc c'est bien un enjeu de santé publique, qui repose sur trois piliers, d'abord l'humain, nous traitons des hommes et des femmes, l'enjeu autour de la santé publique, parce que c'est bien un objet de santé publique, et puis d'une logique aussi économique. Donc l'AME, ça été dit, n'est pas un outil d'attractivité, de tourisme médical comme certains le laissent penser, et ce sujet n'avait rien à faire, puisque c'est un objet de santé publique, dans le projet de loi immigration.

ORIANE MANCINI
Donc vous n'êtes pas prêts à des aménagements ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Donc, je continue ; mais puisqu'on voit bien que depuis maintenant plusieurs années, j'étais encore au banc au mois de mai, puisque cette fois-ci, à l'Assemblée nationale, il y avait un projet de résolution pour faire évoluer l'AME. Ce sujet, depuis des années, suscite des fantasmes, et donc le gouvernement a souhaité confier une mission à Patrick STEFANINI et à Claude EVIN pour voir s'il y avait des aménagements à faire sur cette Aide Médicale d'Etat, je rappelle quand même néanmoins que nous avions déjà, lors de la dernière mandature, fait des aménagements, puisque nous avions déjà réformé le panier de soins, augmenté les contrôles, et je tiens à dire que l'AME est le dispositif le plus contrôlé par la Sécurité sociale.

JULIEN LECUYER
Pour quand est prévu le rendu du rapport ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Donc, l'avis de sagesse que le Gouvernement a émis c'était un avis de sagesse de cohérence, puisque nous avions confié cette mission à Patrick STEFANINI et à Claude EVIN, la moindre des choses c'est d'attendre les rapports de la mission avant éventuellement de faire des aménagements.

ORIANE MANCINI
Mais on a déjà un pré-rapport qui dit que le dispositif est utile, qu'il n'y a pas…

AGNES FIRMIN LE BODO
Il n'y a pas de souci d'attractivité.

ORIANE MANCINI
Il n'y a pas d'appel d'air, du coup est-ce que ça veut dire que rien ne changera ou non ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Bah non ! pour le coup c'est bien pour ça que nous avons émis un avis de sagesse, sans préjuger du tout du compte-rendu de cette mission. La première commande avait de nous rendre le rapport au mois de janvier, le débat à l'Assemblée nationale arrivant avant, on leur a demandé d'accélérer un petit peu, et ce rapport sera remis juste avant le débat à l'Assemblée nationale…

ORIANE MANCINI
Donc juste avant le 11 décembre.

AGNES FIRMIN LE BODO
Oui : donc le gouvernement n'est pas fermé à des évolutions si des préconisations sont faites en ce sens, mais nous le redisons, transformer l'AME en AMU serait une erreur, vraiment à la fois en termes de santé publique, mettrait sur les hôpitaux une charge supplémentaire dont les hôpitaux n'ont pas besoin, ça c'est vraiment absolument nécessaire de le redire.

ORIANE MANCINI
Et qu'on soit clair, la position de gouvernement à l'Assemblée sera celle du rapport, ou pas.

AGNES FIRMIN LE BODO
On ne préjuge pas du rapport, mais nous ne sommes pas fermés, du coup, à des évolutions, à des évolutions, si Patrick STEFANINI et Claude EVIN préconisent des évolutions.

JULIEN LECUYER
Comment vous réagissez à la tribune qui a été signée par 3500 médecins pour justement défendre cette aide médicale ?

AGNES FIRMIN LE BODO
J'ai trouvé ça, d'abord très intéressant, que des soignants disent à quel point l'AME est un enjeu de santé publique, et quand on regarde les soignants il y avait, j'allais dire des soignants de tous horizons, et j'ai trouvé que cet appui n'était pas forcément le… j'ai trouvé ça intéressant, je crois que c'est la première fois que ça se fait, et on est d'abord passé à 3000, puis 3500 soignants, qui ont souhaité dire à quel point il était dangereux, dangereux, de transformer l'AME en AMU, parce qu'il était aussi important que la médecine de ville puisse prendre en charge…

ORIANE MANCINI
Oui, mais vous entendez ce que répond Bruno RETAILLEAU, il dit qu'avant 99 il n'y avait pas de problème de santé publique, qu'ailleurs en Europe le dispositif est plus restreint et qu'il n'y a pas de problème de santé publique.

AGNES FIRMIN LE BODO
Alors, d'ailleurs en Europe le dispositif n'est pas plus restreint, que l'AME est bien un dispositif qui permet du contrôle, supprimer l'AME… c'est en Espagne où le dispositif a été supprimé pendant un certain temps, ils sont revenus dessus parce qu'on perd, j'allais dire on perd le contrôle, et ça permet aussi, c'est un enjeu de santé publique, soigner les pathologies aiguës c'est mieux que d'attendre des complications, c'est mieux de soigner une angine en ville, que de voir quelqu'un arriver à l'hôpital pour un phlegmon, donc l'idée c'est mieux de traiter le plus tôt possible, et ça c'est valable pour tous nos concitoyens aussi.

ORIANE MANCINI
Julien, une dernière question sur l'immigration ?

JULIEN LECUYER
Sur l'immigration, oui, puisque l'article sur les régularisations aussi dans les métiers en tension, une mesure phare du texte, a été nettement restreint, la procédure reviendrait finalement à la main des préfets, assortie de conditions tellement multiples qu'elle réduit énormément le contingent probable, c'est satisfaisant pour vous ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Là aussi, je veux dire, il faut de la cohérence. Donc l'accord a été trouvé sur ce dispositif, qui est important, on voit bien qu'il y a beaucoup de métiers en tension. Je vais revenir sur le domaine de la santé, et notamment les praticiens hors Union européenne. Nous avions proposé, dans le cadre de ce projet de loi immigration, de faire une carte talents métiers de santé, là aussi, sur le principe, on est d'accord, les Républicains étaient d'accord, mais n'ont pas accepté cette carte talents parce qu'il y avait, dans cette carte talents, un regroupement familial. Faire venir des praticiens hors Union européenne, ce sont des hommes et des femmes qui ont déjà fait leur vie, qui ont 40, 45 ans, et donc…

JULIEN LECUYER
Une famille a priori.

AGNES FIRMIN LE BODO
Une famille, a priori, ou pas, ce n'est pas grave, mais l'idée c'est de vraiment, s'ils souhaitent venir en France, les accueillir aussi avec leur famille. Donc tout ça a été, j'allais dire, restreint, dans le temps, avec le dispositif de passer des examens, eh bien non ! parce qu'il y a juste le regroupement familial, là aussi on dit que c'est un appel d'air à l'immigration, mais les mêmes vous demandent, dans d'autres temps, de faire venir le maximum de praticiens hors Union européenne, c'est la demande de Monsieur JUVIN, de Monsieur MARLEIX par exemple, voilà…

JULIEN LECUYER
Donc ils sont incohérents à droite ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je pense que ce n'est pas tout à fait cohérent, voilà, c'est juste ce que je veux dire, je donne juste un exemple.

JULIEN LECUYER
C'est plus diplomatique en effet.

ORIANE MANCINI
On va parler de la fin de vie. Il y a une réunion de cadrage qui aurait dû se tenir mardi, avec le président de la République, sur ce sujet, elle a été reportée, vous avez une date ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, pas encore, mais là aussi je pense qu'il faut arrêter les analyses sur les dates et les histoires d'agenda. Le président de la République, le 3 avril dernier, a demandé au gouvernement de travailler à l'écriture d'un projet de loi pour construire le modèle français de l'accompagnement de la fin de vie, c'est ce que nous avons fait, après beaucoup de travail, sur un sujet aussi difficile que celui-là il faut prendre le temps, c'est ce que nous avons fait également. Nous continuons à travailler, notamment sur la stratégie décennale des soins palliatifs. On ne va pas faire le lien entre une date reportée et, j'allais dire, le progrès et la loi de progrès qu'il apportera…

ORIANE MANCINI
Ce n'est pas le signe qu'il avance à reculons…

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, ce n'est pas le signe qu'il avance à reculons. Juste, faire le parallèle avec l'agenda, qui depuis septembre, l'agenda, que ce soit en termes de géopolitique, en termes d'intempéries, voilà, on ne va pas faire le comparatif entre un décalage de date sur un agenda et la volonté de vouloir avancer sur ce sujet, c'est vraiment…

JULIEN LECUYER
Alors, j'entends Madame la ministre, mais il y a quand même, excusez-nous, une sorte de flou qui persiste, à la fois sur le calendrier, on peut l'expliquer, il y a eu la visite papale aussi, qui a pu altérer le calendrier de votre projet de loi, on l'attendait quand même à la fin de l'été, il n'a pas été déposé, on l'attend encore, et même sur la méthode, on s'interroge toujours puisqu'on ne sait pas si ça peut passer au Parlement ou si ça va être la voix du peuple qui va être privilégiée.

AGNES FIRMIN LE BODO
Sur le référendum, puisque c'est votre question, actuellement, pour pouvoir passer par référendum, il faudrait modifier la Constitution, ce serait un choix, ce n'est pas le choix qui a été fait, je le redis, le choix qui a été fait, c'est de demander au gouvernement de travailler sur un projet de loi, ce projet de loi il a été travaillé, nous avons encore des aménagements à faire à la marge, c'était l'objet de la réunion avec le président de la République, j'aurai été accompagnée de trois autres ministres sur ce sujet, là on est bien dans une histoire de calendrier, je le répète. Le président de la République, mardi, était aux côtés, dans le Pas-de-Calais… Voilà, l'agenda du président va au gré aussi, j'allais dire, de la situation géopolitique…

ORIANE MANCINI
Oui, mais… un texte qui était promis avant le 21 septembre, on se retrouve bientôt à l'hiver, on n'en voit toujours pas la couleur.

AGNES FIRMIN LE BODO
Un texte qui était… je le redis, avant la fin de l'été c'était remise au président de la République, ce qui…

JULIEN LECUYER
Il devait passer en conseil des ministres fin septembre ou début octobre.

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, non, non, non, c'était remise au président de la République du texte.

JULIEN LECUYER

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, non, je ne vais pas jouer sur les mots, c'est clairement ce qui a été demandé.

JULIEN LECUYER
On nous a clairement annoncé qu'il arriverait en conseil des ministres à cette période.

AGNES FIRMIN LE BODO
Donc, je le redis, l'agenda, depuis la rentrée, en termes de géopolitique, en termes d'intempéries, est malheureusement, j'allais dire conséquent…

ORIANE MANCINI
Mais du coup il arrive quand au conseil des ministres ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Assez vite, dès que nous, j'allais dire dès que nous avons pu, les quatre ministres qui devaient participer à la réunion de mardi, et le président de la République, faire les derniers arbitrages.

ORIANE MANCINI
Oui, mais ce sera en décembre ou pas ? pas forcément.

JULIEN LECUYER
On ne sait toujours pas.

ORIANE MANCINI
Ça peut être en 2024.

AGNES FIRMIN LE BODO
De toute façon le texte devait arriver au Parlement en 2024.

ORIANE MANCINI
Oui, mais pas forcément en décembre au conseil des ministres.

JULIEN LECUYER
Comme vous dites, ce n'est pas encore stabilisé, parce que vous parliez d'arbitrages, on a cru comprendre que le président de la République lui-même avait des interrogations sur l'exception d'euthanasie, est-ce que vous nous dites encore quels sont les points encore sur lesquels il faut justement s'accorder ?

AGNES FIRMIN LE BODO
On a à la fois sur la stratégie décennale encore à… puisque l'idée c'est de faire en sorte aussi que ce que nous allons proposer sur les soins palliatifs sur dix ans, j'allais dire, soient réalisables tant en termes de professionnels de santé qu'en termes de budget, donc nous sommes encore en train de travailler sur ces sujets, et puis, je vous le redis, c'est des réunions d'arbitrages sur la façon dont on va faire évoluer ce droit, cet accès à l'aide à mourir, c'est l'objet des réunions que nous allons avoir avec le Président de la République.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce que dans le texte il y aura le mot euthanasie, dans le projet de loi ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Vous me permettrez de ne pas vous répondre à cet instant, mais je l'ai déjà dit, la réponse est non.

JULIEN LECUYER
La voie du référendum, c'est pour vous une bonne chose ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je pense qu'interroger nos concitoyens c'est toujours une bonne chose, est-ce que sur un sujet aussi difficile que celui-là on peut trouver la bonne question qui permette de répondre vraiment à un sujet qui, je le redis, qui touche à l'intime de chacun et qui est vraiment très compliqué. Pour avoir beaucoup travaillé sur le sujet, je le redis, avoir travaillé avec des soignants, avec des parlementaires, avoir beaucoup consulté, c'est un sujet qui est vraiment très très compliqué, et on voit bien que la question du oui ou du non, sur un sujet comme celui-là… Si la question c'est est-ce qu'il faut que la loi évolue sur la fin de vie, mais après, et c'est pour ça que c'est difficile aussi… le modèle choisi, on voit bien d'ailleurs qu'autour de nous il y a différents modèles choisis par différents pays, donc ça dépend vraiment de la question. Sur un sujet comme celui-là, la question à poser, à répondre par oui ou par non, n'est pas si simple que ça, est-ce qu'on parle juste d'une évolution, du principe, parce que c'est un sujet de société, c'est clairement un sujet de société, et les nombreux débats que je fais, auxquels je participe, et encore, et je vais encore continuer à en faire, on voit bien, me montrent à quel point je crois que la société est vraiment prête à évoluer, mais tout le monde s'interroge, et c'est légitime…

JULIEN LECUYER
Excusez-moi, mais pour résumer votre positionnement c'est, réticence vis-à-vis du référendum du fait de la difficulté de la question en elle-même, donc plutôt privilégier le débat parlementaire ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je crois, oui, sur un sujet comme celui-là, vraiment. C'est vraiment très très compliqué…

JULIEN LECUYER
Oui, oui, je l'entends.

AGNES FIRMIN LE BODO
Parce qu'on voit bien, et le débat parlementaire, aussi, permettra d'enrichir le texte et le rôle des parlementaires.

JULIEN LECUYER
Et pourtant le président va…

ORIANE MANCINI
Il faut continuer le travail – juste, pardon – avec les groupes parlementaires, ça vous continuez… ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Je ne les ai pas revus depuis, mais on va continuer le travail, bien sûr.

ORIANE MANCINI
Pardon Julien.

JULIEN LECUYER
Pourtant le président va proposer cette réflexion aux Rencontres de Saint-Denis demain, l'ouverture du champ du référendum peut-être sur la question de la fin de vie.

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, peut-être sur les questions de société, ce n'est pas tout à fait la même chose…

JULIEN LECUYER
Oui, mais dans les questions de société on a la fin de vie.

AGNES FIRMIN LE BODO
La fin de vie fait partie des questions de société. Je redis que moi je ne suis pas contre le principe, la difficulté sur un sujet comme celui-là c'est qu'on voit bien qu'on ne peut pas répondre à la question uniquement par est-ce que vous voulez l'euthanasie ou est-ce que vous voulez le suicide assisté, franchement, pour avoir beaucoup travaillé le sujet, ce n'est pas si simple que ça.

ORIANE MANCINI
Julien, un mot sur ces rencontres de Saint-Denis.

JULIEN LECUYER
On a vu que le PS, LFI, et maintenant LR, par la voix d'Eric CIOTTI, ont refusé l'invitation du président, pour vous c'est une faute ?

AGNES FIRMIN LE BODO
C'est une erreur, sans aucun doute. D'abord, à l'heure où on se pose la question de l'enjeu de la démocratie, des valeurs de la République, lorsqu'un président de la République invite les forces politiques à discuter, je crois, comme ça a d'ailleurs été le cas lors de la première réunion, qu'il est important d'accepter le principe d'une discussion, ça s'appelle la démocratie et c'est plutôt intéressant, noter que trois partis ont fait le choix de ne pas venir, je trouve que c'est plutôt une erreur, oui.

ORIANE MANCINI
Julien, on va parler de l'état de santé des soignants.

JULIEN LECUYER
Oui, l'état de santé des soignants qui est préoccupant, qui doit devenir une priorité stratégique du système de santé, ça c'est la conclusion d'un rapport qui vous a été remis il y a un mois, une feuille de route est attendue en décembre, alors est-ce que vous pouvez au moins nous dire quelles pistes sont explorées à l'heure actuelle ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Alors, on voit bien que sur les enjeux des problématiques autour de la démographie médicale, j'ai souhaité, dès l'entrée dans mon ministère, travailler sur deux sujets, sur l'attractivité et la fidélisation des professions de santé, d'abord la sécurité des professionnels de santé, et la santé des professionnels de santé. En sortie de crise sanitaire, peut-être le prisme de mon métier de pharmacien, m'a montré à quel point les professionnels de santé ne prenaient pas soin de leur santé. Le premier travail que nous avons fait c'était de les interroger, 55.000 réponses, 75 % disent ne pas bien dormir, 50 % disent avoir fait un burn-out, 38 % disent ne pas bien manger…

JULIEN LECUYER
60 % souffrent de douleurs chroniques, un tiers admet ne pas avoir une alimentation saine, on pourrait multiplier les chiffres, visiblement, ils ne vont pas bien.

AGNES FIRMIN LE BODO
Donc, visiblement, nos professionnels de santé ne vont pas bien. Donc j'ai confié une mission à Philippe DENORMANDIE, praticien hospitalier, à Marine CREST, médecin généraliste, et Alexis BATAILLE, infirmier militaire. L'idée, c'était vraiment de leur demander de travailler à la fois sur les soignants en ville et sur les soignants dans les établissements. Ils m'ont remis un rapport intéressant avec des pistes d'amélioration, et surtout, des pistes de travail…

JULIEN LECUYER
Et donc ces pistes, alors…

AGNES FIRMIN LE BODO
Donc on va en décembre donner une feuille de route, une feuille de route avec des objets autour bien sûr de la prévention, d'amélioration de la qualité de vie au travail, mais, ce n'est pas vraiment l'objet uniquement du rapport, et de permettre aux professionnels de se soigner. On a vu qu'il y a des choses qui existent très bien. D'abord aussi de se former à sa propre santé, et de lever le tabou, de lever le tabou sur le déni, de prendre soin de sa santé, parce qu'on a peur du regard du confrère, notamment à l'hôpital. L'Hôpital Foch a développé un dispositif qui est un centre de santé pour les soignants qui est assez intéressant, où les soignants sont vus par d'autres professionnels que ceux qui travaillent, par exemple à l'hôpital. Donc, cette feuille de route, elle sera présentée en décembre. On réfléchit aussi aux soignants de ville des professions libérales qui n'ont pas de médecine du travail. Ça veut dire qu'un médecin…

JULIEN LECUYER
Il faut l'inventer ?

AGNES FIRMIN LE BODO
C'est soit lui-même, ce n'est jamais une bonne idée.

JULIEN LECUYER
Oui, les cordonniers les plus mal chaussés…

AGNES FIRMIN LE BODO
Soit, parfois le collègue d'à côté, ce n'est pas une bonne idée non plus. L'idée, c'est vraiment de proposer des nouveaux dispositifs, et surtout de faire prendre conscience qu'il est important de prendre soin de sa santé, d'améliorer la prise en charge…

JULIEN LECUYER
Et donc de créer une médecine du travail des médecins ?

AGNES FIRMIN LE BODO
De leur offrir la possibilité d'aller dans une médecine de travail, d'avoir des rendez-vous systématiques. Là aussi, je pense que c'est important la prise de conscience qu'un professionnel de santé qui va bien est un professionnel de santé qui soigne bien.

ORIANE MANCINI
L'une de vos missions, Agnès FIRMIN LE BODO, pas simple, c'est aussi de mettre fin aux déserts médicaux. L'Association des maires ruraux a publié une étude cette semaine disant que l'espérance de vie en milieu rural est de deux ans plus courte que pour les gens qui habitent en ville, et que c'est largement lié aux difficultés d'accès aux professionnels de santé. Comment vous avez réagi à cette étude ?

AGNES FIRMIN LE BODO
L'Association des maires ruraux, l'année dernière, avait fait aussi une étude sur ce sujet-là en disant que les déserts médicaux étaient plus importants dans les territoires ruraux qu'en ville. On voit bien que les difficultés d'accès aux médecins, évidemment, se sont – aux professions de santé d'ailleurs – élargies, qui sont, pas plus prégnantes en milieu rural puisque le plus grand désert médical, c'est l'Île-de-France…

ORIANE MANCINI
Non, mais là, dans l'étude, ils disent qu'il y a moins de recours aux soins hospitaliers, de chimiothérapie…

AGNES FIRMIN LE BODO
C'est vrai que c'est moins facile, parce qu'il y a moins, notamment en termes de proximité, de services de spécialités comme vous le dites. Donc potentiellement, statistiquement, moins de chances, et donc, c'est bien pour ça qu'il est important, et c'est bien pour ça que les hôpitaux de proximité et les hôpitaux périphériques ont été développés. C'est bien pour ça que nous avons construit des plans « d'aller vers », le plan des Médicobus, qui permettra d'aller vers, et notamment dans les territoires ruraux les plus reculés, dans lesquels il n'y a plus de professionnels, parce que les professionnels ne veulent plus s'installer tout seuls. Donc le développement des 4.000 maisons de santé pluriprofessionnelles, qui permettent à plusieurs professionnels, et notamment dans les territoires ruraux, de pouvoir s'installer ensemble, de travailler ensemble, et là aussi, de développer le « aller vers » ; tous ces objets-là sont maintenant construits, puisque j'ai présenté en juin 4 plans, qui vont nous permettre de répondre en partie aux difficultés…

ORIANE MANCINI
Et qui pour vous sont suffisants ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Non…

ORIANE MANCINI
Parce que, eux, ils disent par exemple qu'il faudrait un guichet unique au niveau du département pour accompagner l'installation des professionnels de santé…

AGNES FIRMIN LE BODO
Ça a été voté, c'est proposé. Après, il y a tout l'objet autour de l'attractivité, et comment on accompagne les professionnels à s'installer. C'est l'objet de la plateforme. C'est aussi l'objet de la maison de santé pluriprofessionnelle, c'est tout de suite, on met à disposition quelqu'un qui va accompagner les professionnels pour construire ces projets parce qu'on sait bien que ce n'est pas le métier d'un médecin. La volonté, c'est vraiment d'accompagner dès le début les jeunes médecins pour s'installer et les professionnels quand ils ont des projets pour monter leur projet…

JULIEN LECUYER
C'est l'accompagnement qui prime à l'heure actuelle. Mais si vous ne voyez pas de résultat, il n'y a pas, comment dire, l'idée d'une contrainte, d'aller plus loin ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Le gouvernement, là aussi, a une position très claire sur ce sujet, 87 % de la France est un désert médical. Là aussi, à l'instant où je vous parle, il faut sortir, j'allais dire, des fantasmes où il y aurait des endroits très sur-dotés, 87 % de la France est un désert médical. Donc il y a des endroits effectivement où il y a un tout petit peu plus de médecins qu'ailleurs. Il faut entendre aussi ce que nous disent les médecins. Regarder ce qui s'est fait dans les pays voisins. Ceux qui ont essayé la régulation, la coercition, l'obligation reviennent sur ces mesures parce que ça ne marche pas.

ORIANE MANCINI
Mais c'est votre parti qui avait alerté, des parlementaires de votre parti qui avaient alerté en disant : il va falloir prendre des mesures de coercition parce que si on continue sur les déserts médicaux, c'est un carburant pour le Rassemblement national.

AGNES FIRMIN LE BODO
Non, alors dire qu'on va résoudre les déserts médicaux à partir du moment où 87 % de la France est un désert médical avec la régulation, on voit bien que ça ne marche pas, ça aura même des effets contraires. Ce que nous disent d'abord les jeunes médecins : si vous m'obligez, on arrête, on arrête, on ne pratiquera pas, on fera autre chose, ou on ira à l'étranger. Ce que certains commencent à faire. Les médecins retraités qui souhaitent continuer, notamment grâce à la mise en place du dispositif cumul-emploi-retraite, à vouloir exercer. Si vous leur dites : vous allez faire votre journée de vacation à 150 kilomètres de chez vous, ça ne marche pas non plus. Ils ne le feront pas. Donc, on perd des chances de pouvoir embarquer avec nous, soit, des jeunes professionnels qui souhaitent s'installer, soit, des médecins retraités. L'enjeu du dé-conventionnement, qui est aussi un enjeu qui serait délétère sur l'accès aux soins. Et je le répète, la protection sociale, la solidarité, c'est bien aussi ça que nous défendons. Donc…

ORIANE MANCINI
Vous voulez dire que c'est un manque de responsabilité pour vous, des médecins qui se dé-conventionnement ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Eh bien, c'est-à-dire qu'on ne permet pas le remboursement. Donc c'est un peu plus compliqué. Ce n'est pas un manque de responsabilité, c'est un choix. Mais le risque, le risque d'une régulation…

ORIANE MANCINI
Ce n'est pas responsable vis-à-vis des Français…

AGNES FIRMIN LE BODO
Eh bien, notamment, oui, c'est un risque. C'est un risque de voir qu'une partie de nos concitoyens, là aussi, on recrée des difficultés d'accès aux soins, parce que certains de nos concitoyens n'ont pas les moyens de payer une consultation qui ne serait pas remboursée. Donc, si on fait le cumul de tous ces dispositifs, on voit bien qu'à l'heure où on se parle, à partir du moment où 87 % de la France est un désert médical, nous n'avons pas assez de professionnels de santé, je dis de santé, de façon globale. Imposer des mesures serait contre-productif. Nous le pensons vraiment très sincèrement, et je crois qu'il est important d'écouter et de regarder aussi ce qui se fait ailleurs.

JULIEN LECUYER
Et vous dites quand même aux médecins de prendre leurs responsabilités. Ils vont être aidés, accompagnés jusqu'à un certain point, ou il faut quand même que chez eux, il y ait une part de responsabilité par rapport à la situation ?

AGNES FIRMIN LE BODO
Ils l'ont déjà. Je le redis, les médecins ne sont pas responsables de ce qui se passe actuellement. Je veux dire, les décisions, elles ont été prises il y a plusieurs années. Nous n'avons pas pris assez tôt la mesure de suppression du numerus clausus qui est en partie responsable de cette situation. On sait qu'on va avoir encore huit ans très difficiles. Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut rien faire. C'est l'objet des 4 plans que nous avons présentés. C'est aussi l'objet des travaux que nous menons avec les professionnels pour les délégations de tâches ou les transferts de compétences par exemple. Ça, c'est un travail important, mais qui sera aussi bénéfique quand nous aurons plus de professionnels, c'est-à-dire dans huit ans et dans dix ans.

ORIANE MANCINI
Merci Agnès FIRMIN LE BODO. Merci beaucoup d'avoir été invitée ce matin.

AGNES FIRMIN LE BODO
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2023