Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, à France Info le 8 décembre 2023, concernant le projet de loi sur l'immigration, le terrorisme, la laïcité et la sécurité des Jeux olympiques de 2024.

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Média : France Info

Texte intégral

JEAN-REMI BAUDOT
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

JEAN-REMI BAUDOT
Vous dites dans Nice Matin, être ouvert – je cite – au fait de rétablir le délit de séjour irrégulier, qui sanctionne la seule présence sur le territoire français, d'une personne en situation irrégulière. C'est un délit qui avait été supprimé sous François HOLLANDE, réintroduit par la droite au Sénat, puis supprimé à l'Assemblée. Pourquoi revenir éventuellement sur ce point ?

GERALD DARMANIN
Moi, j'ai toujours dit au Sénat et aux débats en Commissions des lois à l'Assemblée nationale, que j'étais favorable à ce délit. Alors, la différence de ce délit, avec celui qui existait précédemment, c'est qu'il n'y a pas de peine de prison qui est prévue, puisque la directive européenne, d'ailleurs élaborée par la droite européenne, prévoit de supprimer ce délit avec cette peine de prison, mais un délit avec une amende, pour permettre aux policiers et aux gendarmes, d'interpeller les personnes. Donc, je sais que c'est une demande des LR, mais aussi de quelques parlementaires de la majorité, le président MARCANGELI, du groupe Horizons, avait déjà déposé un amendement, moi je suis favorable à ce qu'on étudie cela. Il y a plusieurs types d'amendements. Il y a ceux qui disent : on fait un délit dans la zone des 20 km de la frontière, il y a ceux qui disent on fait un délit pour l'ensemble du territoire national.

AGATHE LAMBRET
Ça concerne combien de personnes, Gérald DARMANIN, aujourd'hui ?

GERALD DARMANIN
Eh bien ça concerne tous ceux qui seraient irréguliers, donc ça peut être un certain nombre de personnes. On peut regarder les choses selon qu'ils sont à la frontière ou selon qu'ils sont sur l'ensemble du territoire national. Mais là, je vais à Nice tout à l'heure, à la frontière à Menton. Depuis le 1er janvier, les policiers et les gendarmes ont interpellé plus de 40 000 personnes. Donc ça vous donne à peu près ce que ça pourrait être. A quoi ça sert ? Ça sert à ce que les policiers et les gendarmes puissent interpeller la personne. Ce texte, qu'est-ce qu'il vise ? La fermeté contre l'immigration irrégulière.

AGATHE LAMBRET
Mais, juste sur ce délit de séjour irrégulier, pardon, c'est une demande de longue date du Rassemblement national. Vous ne craignez pas, en tentant de faire ce cadeau à la droite, de braquer l'aile gauche de votre majorité ?

GERALD DARMANIN
Non, moi, quand j'étais député UMP, j'avais voté contre la fin de ce délit en décembre 2012. Donc moi, ma boussole, ce n'est pas le Rassemblement national, ma boussole c'est l'intérêt général. Est-ce que c'est plus efficace ? Aujourd'hui…

AGATHE LAMBRET
Et votre aile gauche, elle suivra ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui, aujourd'hui, aujourd'hui, il y a un texte qui est présenté à l'Assemblée nationale, qui est en dernière lecture si j'ose dire, qui passe toutes les embûches jusqu'à présent. Pour avoir une majorité à l'Assemblée nationale, il ne vous aura pas échappé que nous sommes en majorité relative, nous devons faire un compromis avec la droite et le centre, puisque la gauche a déjà dit qu'elle ne voudrait en aucun cas voter le texte.

JEAN-REMI BAUDOT
Mais pour l'instant, la droite est en train de reculer.

GERALD DARMANIN
Non, je constate que le texte est passé en commission. Nous étions minoritaires en commission et pourtant nous avons été majoritaires. Voilà, je constate qu'hier nous avons rejeté la proposition de loi constitutionnelle de monsieur CIOTTI, même s'il y avait des choses intéressantes dedans. On verra ce qui se passera lundi dans les quinze jours qui viennent. Moi, ce qui m'intéresse, c'est de travailler pour les Français. Il faut une majorité à l'Assemblée nationale. Il faut donc un compromis. Il y a deux solutions, soit il y a un 49.3, parce qu'on ne veut pas discuter avec les oppositions, mais dans ces cas-là, il faut le dire tout de suite, mais ni les parlementaires, ni moi-même, ni la Première ministre ne le veut. Soit il y a une discussion avec ceux qui pourraient composer une majorité pour ce texte. C'est un texte de fermeté contre la délinquance étrangère, de fermeté contre l'immigration irrégulière. Je pense qu'on peut trouver, comme on l'a trouvé, au Sénat, un compromis avec la droite.

AGATHE LAMBRET
Mais elle est où la majorité ? Parce que « nous ne voterons pas ce texte au rabais », a prévenu mercredi le président de LR, Eric CIOTTI. Malgré tout, vous restez optimiste ? Vous n'êtes pas dans le déni, Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
Vous savez, quand vous êtes aux responsabilités politiques, vous avez l'habitude, maintenant ça fait quasiment sept ans que je suis ministre du président de la République, quatre ans que je suis au ministère de l'Intérieur. J'ai entendu beaucoup de déclarations qui ne correspondaient pas toujours à ce que faisaient les uns et les autres. D'ailleurs, je constate que quand on dit " je ne voterai pas ce texte ", il n'a pas dit qu'il ne s'abstiendrait pas. Bon, ce qu'il faut, c'est discuter, bien évidemment, et je ne vois pas comment, objectivement, un parlementaire de droite peut voter contre un texte qui prévoit notamment d'expulser 4 000 étrangers délinquants par an. Imaginez un seul instant, que dans quelques semaines, une fois que ce texte serait rejeté par la droite, quelqu'un, un étranger, délinquant, criminel, passe à l'acte et tue d'autres personnes. La responsabilité des parlementaires LR serait absolument énorme. Vous savez, dans les couloirs, dans mon bureau, à l'Assemblée nationale, beaucoup de parlementaires LR ont envie de trouver un compromis avec la majorité pour un texte de fermeté. Et je rappelle que c'est un texte qui est soutenu par 80 % des Français, quels que soient les sondages.

JEAN-REMI BAUDOT
Gérald DARMANIN, il y a deux options que vous citiez, avoir une majorité, qui permettrait de faire passer le texte, éventuellement passer en force avec un 49.3. En réalité, il y a une troisième option qui est peut-être en train de se décider, de se dessiner, on parle de cette loi, elle pourrait être rejetée par les oppositions, dès lundi, à travers ce qu'on appelle pour nos téléspectateurs, nos auditeurs, une motion de rejet, portée notamment par les écologistes. Mais la droite pourrait peut-être s'y greffer. Est-ce que vous redoutez que cette motion de rejet puisse être votée et que donc, finalement, le texte tombe avant même d'être étudié ?

GERALD DARMANIN
Non mais, l'Assemblée est souveraine, et la majorité, vous le savez bien, est en majorité relative à l'Assemblée. Donc arithmétiquement, oui, les oppositions peuvent se coaliser et voter contre le texte. Ce serait…

JEAN-REMI BAUDOT
Vous craignez une coalisation des…

GERALD DARMANIN
Non, mais je le constate, éventuellement, ce serait la coalition entre la carpe et le lapin. Vous voyez des parlementaires LR voter une motion sur l'immigration, avec les Verts et les LFI ? Vous voyez la NUPES et monsieur MARLEIX, dans le même paquet de votes ? Ils pensent radicalement des choses opposées. Alors que ce texte permet un débat sur l'immigration. Tout le monde veut un débat sur l'immigration. Ça veut dire quoi lundi ? Ça veut dire qu'on n'a pas envie de parler du texte. On n'a pas envie de proposer une vision alternative. Il y a plein d'amendements, 2 500 amendements qui sont déposés, avec des visions parfois différentes du gouvernement. Mais c'est ça la démocratie. Lundi, ça voudrait dire que la NUPES et monsieur MARLEIX des LR, se mettraient d'accord contre l'intérêt général, contre le débat démocratique, pour dire " on ne parle pas d'immigration ", tout en réclamant qu'il faut parler d'immigration. Bon, ce ne serait pas très sérieux. Ce serait d'ailleurs absolument contre nature et ce serait contraire à l'intérêt général des Français.

AGATHE LAMBRET
Mais, vous le dénoncez, mais vous le redoutez, non ? Parce que Matignon a battu le rappel des troupes.

GERALD DARMANIN
Mais bien évidemment que nous sommes concentrés, Mais moi, je suis un ministre de l'Intérieur, avec une majorité relative à l'Assemblée nationale, je le constate comme vous, seulement j'ai essayé de gagner mon siège de député, des électeurs de Tourcoing m'ont réélu et j'ai essayé de contribuer à la majorité. Maintenant, vous savez, moi, j'ai la conscience tranquille. Je propose un texte de fermeté contre l'immigration irrégulière. Est ce qu'on veut ou non que désormais les passeurs, les marchands de mort, soient non pas condamnés à un délit, 5 ans de prison, mais 20 ans de prison ? C'est ce que propose le texte.

AGATHE LAMBRET
Gérald DARMANIN, il y a une ligne rouge pour la droite, vous le savez, c'est le délit de séjour. Non, pardon, c'est la régularisation des travailleurs sans papiers.

GERALD DARMANIN
Non mais, ce qui est très intéressant…

AGATHE LAMBRET
La Commission des lois a adouci la version du Sénat. Est-ce que vous pourriez revenir à la version du Sénat pour convaincre les LR ?

GERALD DARMANIN
J'entends bien que vous êtes très intéressée par la politique politicienne parlementaire…

AGATHE LAMBRET
Non mais c'est intéressant, c'est concret.

GERALD DARMANIN
Oui, mais ce qui est... Non, ce qui est concret, ce n'est pas ça. Ce qui est concret, c'est qu'est-ce qu'il y a dans ce texte.

AGATHE LAMBRET
Eh bien justement.

GERALD DARMANIN
Ce texte, eh bien voilà, ce texte, pour les Français…

AGATHE LAMBRET
Sur la régularisation des travailleurs.

GERALD DARMANIN
... est très soutenu par les Français. C'est à la fois un texte de fermeté contre l'immigration irrégulière, de fermeté contre les délinquants étrangers et d'intégration. Et dans l'intégration, il y a des exigences : la langue, un examen de français, désormais pour avoir un titre de séjour, ce n'est pas le cas. Les Français doivent savoir qu'on va instaurer un examen de français pour un titre de séjour. Le travail, ceux qui travaillent, eh bien oui, pour ceux qui travaillent, qui n'ont aucun casier judiciaire, qui n'ont aucun problème avec la République, comme c'était le cas de mes grands-parents, et bien ils doivent pouvoir être régularisés.

AGATHE LAMBRET
Est-ce qu'il pourrait y avoir des quotas sur cette mesure ?

GERALD DARMANIN
Et puis il y a ceux – pardon – qui ne respectent pas les règles de la République et qui doivent être exclus. Moi, je suis prêt à discuter sur l'ensemble des dispositions. Vous savez, cette version de régularisation des travailleurs, elle a connu trois versions, celle du gouvernement, celle du Sénat. Je rappelle que le Sénat de Monsieur RETAILLEAU, de Monsieur LARCHER, ont voté une mesure de régularisation. La droite a donc voté une mesure de régularisation, et tant mieux, et c'est normal, et parce que la droite, c'est le travail, et c'est logique, et celle désormais de la Commission des lois. Faut-il une quatrième version ? Mais pourquoi pas ? C'est ça le débat parlementaire, qui trouvera un équilibre entre les personnes qu'on doit régulariser. On parle de 7 000 personnes par an, c'est-à-dire objectivement pas énormément de monde. Et faut-il…

AGATHE LAMBRET
Ce n'est pas ce que dit Olivier MARLEIX.

GERALD DARMANIN
Oui, mais c'est, pardon, mais on aura un débat parlementaire. Ce serait dommage que ce débat se fasse par tracts, par médias interposés et pas dans l'hémicycle. Donc…

JEAN-REMI BAUDOT
Alors, on va continuer néanmoins à débattre, si vous le permettez…

GERALD DARMANIN
Non mais attendez, c'est très important, il faut donc que nous ayons la discussion pendant quinze jours au Parlement, pour savoir quels sont les projets alternatifs et pour trouver un compromis. Moi je suis ouvert à ce compromis.

JEAN-REMI BAUDOT
On va continuer à parler de ce qu'il y a dans cette loi immigration, dans un instant Gérald DARMANIN, après le Fil Info à 08h41, Maxime GLORIEUX.

Le fil info

AGATHE LAMBRET
Toujours avec Gérald DARMANIN, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer. Dans Le Figaro, Elisabeth BORNE confirme que renégocier l'accord franco-algérien de 1968 qui permet un statut spécifique pour les Algériens en matière de séjour et d'emploi notamment, est bien à l'ordre du jour. Renégocier, mais pour changer quoi précisément ?

GERALD DARMANIN
Alors c'est un accord important qui nous lie avec l'Algérie qui est le plus grand pays d'Afrique avec lequel on a une histoire particulière. Et il est normal que nous ayons un accord particulier avec ce pays pour lequel nous avons beaucoup d'amitié, de relations économiques et bien sûr de relations migratoires de l'un et de l'autre côté de la Méditerranée. Cet accord de 68 avait été imaginé par le général de GAULLE en plusieurs contreparties, notamment du fait qu'on continuait les essais nucléaires dans le Sahara. Il faut respecter aussi cette histoire. C'est pour ça que mettre fin à cet accord sine die n'était pas une bonne idée…

AGATHE LAMBRET
C'est ce que demandaient Les Républicains…

GERALD DARMANIN
Voilà… et je pense que la question évidemment diplomatique peut toujours se poser. D'abord, je pense que c'est une question qui relève du président de la République lui-même quand on est gaulliste et pas du Parlement. Et indépendamment de ça, madame la Première ministre a eu raison de dire que ce que nous engageons, c'est une discussion nouvelle…

JEAN-REMI BAUDOT
Mais il est toujours justifié ? Si on se base sur des arguments qui dataient du Général de GAULLE, la question du nucléaire, est-ce que c'est aujourd'hui encore justifié ?

GERALD DARMANIN
Nous avons beaucoup de relations avec l'Algérie…

JEAN-REMI BAUDOT
Elles ne sont pas toujours simples ces relations…

GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas toujours simple, comme avec vos voisins et notamment l'Algérie est un pays souverain. Je sais qu'il y a peut-être des nostalgiques, mais l'Algérie est un pays souverain qui prend ses décisions. Elles ne nous plaisent pas toujours, comme les décisions que nous prenons, ne plaisent pas toujours aux Algériens et c'est légitime et on en discute. Moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'on a une relation particulière avec ce grand pays. Et c'est une relation qui est basée pas que sur des questions migratoires d'ailleurs, des questions de lutte contre le terrorisme. L'Algérie nous donne beaucoup d'informations pour lutter contre le terrorisme. Doit-on jeter tout ça à travers la fenêtre parce qu'on a des difficultés migratoires…

AGATHE LAMBRET
Qu'est-ce qu'il faut changer alors… parce qu'il y a déjà eu trois avenants. Les républicains disent qu'un avenant supplémentaire, ça ne changerait absolument rien. Concrètement, qu'est-ce que vous voulez changer ? Par exemple, aujourd'hui, les Algériens peuvent accéder plus rapidement que les autres ressortissants à un titre de séjour de dix ans. Ça pourrait changer ?

GERALD DARMANIN
Et en même temps, les Algériens ont un visa pour venir en France, ils réclament la fin de ce visa. Bon, voilà, il y a des pays qui n'ont pas besoin de visa pour venir en France…

AGATHE LAMBRET
Mais ils peuvent s'installer librement pour exercer une profession indépendante…

GERALD DARMANIN
Oui mais en même temps ils n'ont pas le passeport Talent, c'est-à-dire l'immigration économique…

AGATHE LAMBRET
Donc on ne touche rien…

GERALD DARMANIN
Si, il y a des discussions à avoir. Il faut respecter Algérie pour être un pays souverain. On ne va pas dire comme ça, nous tout seuls en France, voilà ce qu'on va imposer à l'Algérie. Ce n'est comme ça que ça se passe, les relations diplomatiques ! Ou alors ça, c'est dans un monde soit de colonisation, soit dans le monde des «Oui-Oui », on n'est pas dans le monde des " Oui-Oui "'. J'ai déjà commencé cette discussion à la demande du Président de la République. J'ai rencontré à sa demande le président TEBBOUNE qui discute avec nous. Il y a une élection présidentielle en Algérie l'année prochaine, il faut aussi le prendre en compte. Le Quai d'Orsay, le ministère des Affaires étrangères a donc commencé à appliquer les consignes de madame la Première ministre : renégocier pour équilibrer, pour moderniser cet accord, mais pas jeter l'histoire à la poubelle.

JEAN-REMI BAUDOT
Gérald DARMANIN, cela fait une semaine qu'un nouvel attentat a eu lieu à Paris. Vous avez parlé à l'époque d'un ratage psychiatrique. Aujourd'hui, vous déniez toujours toute responsabilité de la part des services de l'intérieur. Il n'y a pas eu de manquements, pas d'autres types de ratage ?

GERALD DARMANIN
D'abord, il y a une enquête du Parquet antiterroriste. Je laisserai la justice faire son travail. Quand il y a un attentat, il y a toujours un raté de l'action publique, c'est évident. Et moi-même, en tant que ministre de l'Intérieur, on se pose mille questions. Moi, je constate, pour avoir regardé ce qui s'était passé au trébuchet, que la DGSI, le service secret intérieur, qui dépend du ministre de l'Intérieur, en 2016, ont interpellé cette personne, l'ont fait condamner à quatre ans de prison. Il a fait ces quatre ans de prison intégralement. Que la police et la justice, les services secrets et la justice, tant qu'ils l'avaient sous la main, si j'ose dire, tant que la loi leur permettait, il n'a pas commis d'actes terroristes, d'actes contraires à la loi. Et puis c'est à la fin de son suivi socio-judiciaire que cette personne s'est convertie à l'islam radical et cette personne, à partir de début 2023, n'était plus en suivi socio-judiciaire, qu'il a arrêté de prendre ses médicaments…

JEAN-REMI BAUDOT
La propre mère du terroriste…

GERALD DARMANIN
Je termine quelques instants… Il a vu 40 fois un psychiatre pendant sa période judiciaire et socio-judiciaire et début 2023, il a arrêté d'en voir parce qu'il n'était plus obligé d'en voir et il a arrêté de prendre ses médicaments. Bien. Alors effectivement, sa maman est venue voir dans un commissariat de l'Essonne les policiers pour dire : je suis inquiète pour mon fils qui est à la fois dans l'arrêt de son traitement psychiatrique et en même temps, considère que ce qui se passe à Gaza le pousse à la haine et peut-être au passage à l'acte. Nous avons contacté la mère dès le lendemain. Les services secrets l'ont contactée dès le lendemain. À plusieurs reprises, on lui a demandé de pouvoir nous dire qu'il fallait demander l'hospitalisation psychiatrique de son fils. Vous savez que c'est un tiers qui peut demander cette hospitalisation. Ce n'est pas le préfet qui peut le demander, ce n'est pas le maire de la commune, c'est un tiers ; la mère ne voulait pas parce qu'elle avait reçu jadis des menaces, notamment d'égorgement. Et elle est revenue quelques jours après pour dire finalement : mon fils va mieux. Quel est le problème ? Ce n'est pas que la police ne l'a pas recontacté. La police avait balisé sa voiture, la police avait fait son travail pour suivre cet individu le mieux possible. Le problème, c'est que le préfet, les services du ministère de l'Intérieur ne peuvent pas, à la place de la mère, porter la demande d'hôpital psychiatrique. C'est pour ça que j'ai demandé une injonction de soins, une injonction de diagnostic psychiatrique.

AGATHE LAMBRET
…. Cette injonction de soins manifestement, c'est la seule mesure que vous avez proposée concrètement. Mais les médecins sont dubitatifs : Ils disent déjà que la radicalisation, ça ne se soigne pas avec des médicaments. Et ensuite, en quoi le préfet, en quoi le policier serait mieux que le juge ?

GERALD DARMANIN
Alors, quand j'étais maire, il y avait une possibilité laissée à tous les maires de France, à tous les préfets de France : si quelqu'un divague tout nu dans la rue par exemple, les policiers municipaux vont le présenter à un médecin généraliste qui constate qu'il n'a pas toute sa raison et pour lui comme pour les autres, vont voir le maire pour demander un internement en hôpital psychiatrique, en hospitalisation d'office. Le maire, le préfet peuvent déjà le faire, c'est-à-dire pour la folie ordinaire. Le problème de cette personne, c'est qu'elle ne comportait pas de comportements extérieurs qui relevaient de la folie, mais elle était sous traitement psychiatrique et le fait qu'elle arrête de prendre ses médicaments posait un problème pour elle et bien sûr pour les autres. Il faut que nous ayons dans la loi la possibilité, comme le maire ou comme le préfet le fait pour la folie, si j'ose dire, ordinaire de la rue, de constater que cette personne ne va pas bien et le préfet ne le ferait pas tout seul : il demanderait une obligation, une interpellation de cette personne par les policiers pour le présenter obligatoirement devant un psychiatre qui ferait un diagnostic.

JEAN-REMI BAUDOT
Mais est-ce qu'il n'y a pas une confusion sur la question de la psychiatrie et du terrorisme. Si on écoute par exemple le spécialiste du djihadisme, Hugo MICHERON, il met en garde. Il dit en gros : si on prend de l'idéologie pour de la pure folie, on fait une erreur d'évaluation. En gros, ce n'est pas parce qu'on dit « j'ai envie d'égorger des gens », ce n'est pas forcément de la folie, c'est peut-être tout simplement un projet idéologique.

GERALD DARMANIN
Alors d'abord, j'ai toujours dit que le sujet premier était l'islam radical pour ce qui concerne le terrorisme islamiste ou les idéologies radicales pour l'ultra-droite ou l'ultragauche. Le problème principal, c'est l'islamisme radical, évidemment, je l'ai toujours répété, sur 100 terroristes islamistes potentiels ou personnes qui pourraient passer à l'acte, qui sont évidemment des gens qui sont dans l'idéologie radicale et le premier problème, c'est évidemment l'islam radical ; nous, nous pensons qu'il y a entre 25 et 40% qui ont par ailleurs des problèmes psychiatriques. Ce n'est pas nous qui le disons, ce sont les médecins psychiatres qui le disent. Ce terroriste a vu 40 fois un médecin psychiatre et il était sous traitement psychiatrique. Ce n'est pas un bon cocktail que d'avoir l'islam radical d'un côté et des maladies psychiatriques de l'autre. Ce n'est pas une excuse pour l'acte, mais on peut constater ensemble qu'il y a aussi une forme de maladie psychiatrique qui est encouragée par l'islam radical. C'est 30% aujourd'hui des personnes qui sont suivies par la DGSI ou par les renseignements territoriaux. C'est beaucoup et c'est le cas dans tous les pays occidentaux.

AGATHE LAMBRET
Le problème, c'est aussi le manque de moyens en psychiatrie en France et vous le savez. Mais sur le fond, le Rassemblement national demande l'extension de la rétention de sûreté aux faits de terrorisme. Aujourd'hui. Cette mesure qui permet de garder dans un centre des personnes qui ont déjà purgé leur peine n'est possible qu'à des conditions très restrictives, notamment une peine de quinze ans de prison. Est-ce que vous êtes d'accord pour élargir le périmètre de la rétention de sûreté ?

GERALD DARMANIN
Moi, je pense que quand on doit protéger les Français, toutes les questions doivent se poser et aucune n'est taboue. Vous avez raison de dire que la rétention de sûreté, c'est-à-dire en dehors de toute condamnation judiciaire, d'enfermer les gens, c'est une question quand même essentielle pour les démocraties et qu'elle existe déjà. Et vous avez raison de dire que quand quelqu'un a été condamné à quinze ans de prison, on peut éventuellement le faire, mais c'est renouvelé chaque année. Faut-il abaisser ce seuil ? Est-ce que c'est en-dessous de quinze ans ? Je rappelle que ce terroriste avait été condamné à cinq ans de prison dont un avec sursis. Il n'était pas concerné par cette mesure. Faut-il abaisser ce seuil ? C'est une discussion que l'on doit avoir. Je constate que c'est toujours un juge qui prend cette décision. Ce n'est jamais le préfet, jamais le ministre de l'Intérieur.

AGATHE LAMBRET
Abaisser ce seuil ou l'étendre aux faits de terrorisme…

GERALD DARMANIN
Oui, mais ça veut dire donc un peu abaisser le seuil, puisque quinze ans de condamnation pour terrorisme, c'est quelqu'un qui a commis des actes extrêmement graves, cinq ans de condamnation pour terrorisme - ce qui était le cas de ce terroriste-là qui avait été condamné parce qu'il voulait partir en Syrie et qu'il n'avait pas commis d'actes terroristes, il aurait voulu en commettre - c'est une question que doit se poser effectivement le Parlement. Il doit y avoir un équilibre entre la protection des Français et la protection et la liberté individuelle des personnes. Moi, je choisis toujours la protection des Français et donc moi, je suis tout à fait prêt, la Première ministre l'a dit d'ailleurs, une nouvelle fois, à prendre de nouvelles mesures, à la demande du Président de la République qui nous a demandé d'y réfléchir. Et toutes les questions qui se posent pour protéger les Français doivent avoir une réponse et la rétention de sûreté est une des réponses possibles.

Le fil info

AGATHE LAMBRET
Toujours avec Gérald DARMANIN, ministre de l'Intérieur et des outre-mer. A l'occasion d'une cérémonie hier soir à l'Élysée, le grand rabbin de France, Haïm KORSIA, a allumé la première bougie d'Hanoukka devant le président. Vous ne cessez de parler de laïcité dans une République laïque et vous êtes en charge des cultes. C'est normal qu'une fête religieuse s'invite au palais présidentiel ?

GERALD DARMANIN
La laïcité, ce n'est pas la négation des religions. La laïcité, c'est au contraire que toutes les religions puissent exister et cohabiter sans que l'Etat en choisisse aucune. Le président de la République, il a parlé à l'enterrement religieux de Gérard COLLOMB. J'ai accompagné de multiples fois le président de la République dans des mosquées, dans des synagogues, dans des églises, dans des temples. La laïcité, ce n'est pas cacher quoi " cette religion que je ne veux pas voir "…

AGATHE LAMBRET
Mais l'Elysée, ce n'est pas un temple Gérald DARMANIN …

JEAN-REMI BAUDOT
C'était au coeur de l'Elysée en l'occurrence dans la salle des fêtes …

GERALD DARMANIN
D'abord, il n'y a pas eu de cérémonie religieuse. Le président de la République a reçu un prix contre l'antisémitisme.

AGATHE LAMBRET
Vous connaissez la symbolique de l'allumage de la bougie pour Hanouka, c'est une fête religieuse, c'est très important pour les juifs. Ce n'est pas un geste anodin !

GERALD DARMANIN
Mais d'abord les nos compatriotes juifs, ils subissent un antisémitisme éhonté dans notre société.

AGATHE LAMBRET
Oui mais là, ce n'est pas le sujet !

GERALD DARMANIN
Si, si, non, non, c'est le sujet !

AGATHE LAMBRET
A Perpignan, on a le tribunal administratif qui interdit le maire d'exposer une crèche dans ses murs, mais dans l'Elysée, donc dans le temple républicain par excellence, un rite religieux, ça, ça ne vous pose pas de problème?

GERALD DARMANIN
Moi, j'ai toujours pensé que les religions, elles pouvaient exprimer - et elles le font d'ailleurs - exprimer leurs convictions tant qu'elles ne gênent pas celles des autres et tant que ça ne se transforme pas en idéologie politique, il n'y a aucun problème sur le fait que les maires puissent aller recevoir dans les mairies des personnes religieuses. Je l'ai fait quand j'étais maire.

AGATHE LAMBRET
Mais la crèche par exemple, pourquoi il n'y a pas de crèches ?

GERALD DARMANIN
Mais moi, je trouve un peu absurde mais ce sont des décisions de justice, donc je les écoute et je les regarde et je les respecte. Mais ça fait partie de notre vie culturelle, incontestablement. Mais que le président de la République reçoive des religieux qui, et c'est normal, puissent se montrer surtout le jour d'une fête religieuse parce qu'il faut se rappeler quand même que nous sommes pendant cette fête juive importante, au moment où nos compatriotes juifs connaissent des actes antisémites, où les rabbins sont attaqués, où les synagogues sont attaquées, où on agresse des gens qui ont des signes extérieurs de la religion dans la rue, moi je trouve ça tout à fait normal que le président de la République se mette à côté de nos compatriotes juifs.

AGATHE LAMBRET
Mais justement, il ne s'est pas rendu à la marche contre l'antisémitisme. Et ça, ça n'a pas été compris. Vous parlez de la reconnaissance des actes antisémites, c'est pour se rattraper aujourd'hui. C'est ça ?

GERALD DARMANIN
Non mais le président d'abord est libre d'abord de son comportement et de son action. Le président de la République, comme il l'a toujours été, est un défenseur des religions, vous le savez, qui est très intéressé à cette question. Il les respecte toutes. En tant que chef de l'Etat, il n'y a nulle violation de la laïcité. Il faut comprendre que c'est. C'est quoi la laïcité ? C'est la neutralité des agents publics. Ça n'a pas changé. Les agents publics sont toujours neutres. Ils n'ont pas montré leur religion dans leur action quotidienne. C'est la pluralité religieuse et la liberté de culte. C'est ce que nous devons assurer. L'Etat n'en reconnaît aucun particulièrement. Il les reconnaît toutes et tous, ces religions, et c'est très important. Et troisièmement, je pense que c'est vraiment très important : nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, dit la Déclaration des droits de l'homme, c'est la Déclaration des droits de l'homme. Ne cherchons pas des polémiques où il n'y en a.

JEAN-REMI BAUDOT
Mais quand vous voyez les réactions depuis hier soir, sans chercher la polémique, on se demande si ça ne fait pas l'effet inverse d'un soutien éventuel à la communauté.

GERALD DARMANIN
Vous savez, c'est la vie médiatico - réseaux sociaux d'aujourd'hui ; il y a quinze jours, le président ne va pas à la marche contre l'antisémitisme. C'est quasiment s'il n'est pas rangé dans la catégorie Jean-Luc MELENCHON. Maintenant, il reçoit un prix contre l'antisémitisme. Le grand rabbin de France, le grand rabbin de France, qui montre son attachement à la fête religieuse que connaissent aujourd'hui les Juifs dans des circonstances où ils sont menacés tous les jours, on considère désormais qu'il est pro Juifs ou pro Israël. J'ai vu ça sur les réseaux sociaux. Bon, voilà, il y a un équilibre entre ces deux polémiques. Il faut savoir poser la réflexion à la place du réflexe.

AGATHE LAMBRET
La France est en alerte urgence attentat et les Jeux olympiques auront lieu dans huit mois. Environ 15 millions de personnes sont attendues en région parisienne. Vous n'avez toujours pas de plan B pour la cérémonie d'ouverture sur la Seine ?

GERALD DARMANIN
Ah mais cette manie, me semble-t-il, de ne pas tirer les conclusions précédentes - j'entends les commentaires et vous en faites le relais, je le comprends bien et c'est une question très importante que la sécurité des jeux olympiques - est quand même assez étonnante. Nous avons une Coupe du monde de rugby. C'est le quatrième événement mondial. Des centaines de milliers de personnes par jour en France …

JEAN-REMI BAUDOT
Ce n'est pas tout à fait la même échelle. C'est un gros événement, mais ce n'est pas …

GERALD DARMANIN
Quatrième évènement mondial. En même temps c'est vrai que l'on a eu le pape à Marseille pendant deux jours, parce que vous avez raison, en même temps on a eu le droit à la reine d'Angleterre pendant trois jours. Bon.

AGATHE LAMBRET
Et les Jeux, c'est le premier événement et c'est hors stade, c'est inédit.

GERALD DARMANIN
Est-ce que ça s'est bien passé la Coupe du monde de rugby ? Est-ce qu'on a bien accueilli le pape à Marseille ? Est-ce qu'on a bien accueilli le roi et la reine d'Angleterre ? La réponse est oui. Et pendant ce temps-là, malheureusement, il y a eu les attentats islamistes ignobles contre Israël et les difficultés très fortes que le monde occidental connaît. Nous sommes concentrés pour l'organisation des Jeux olympiques. C'est vrai que c'est inédit. Une fois par siècle, la France organise des Jeux olympiques à Paris, et la cérémonie d'ouverture sur la Seine, c'est une cérémonie d'ouverture extraordinaire, mais nous y mettons énormément de moyens. Je rappelle qu'on a une loi spécifique pour mettre des périmètres de sécurité qui feront le contrôle absolu. D'ailleurs, quand le préfet de police annonce un badge d'accès avec un QR Code, tout le monde lui tape dessus. Et je constate qu'une semaine après on dit " mais vous ne faites pas assez de moyens pour protéger les Parisiens ". Donc il y a quand même deux poids, deux mesures en une semaine avec un attentat au milieu. Donc, peut-être que là encore, l'équilibre, la raison, et être posé, laisser les policiers travailler est une bonne chose. Tous les policiers et les gendarmes seront sur le pied de guerre, si j'ose dire, entre juin, juillet et août. Moi je les en remercie, parce qu'ils font un travail formidable et ils n'auront pas de vacances pendant cette période. Il y a peu de gens qui n'auront pas de vacances en cette période…

AGATHE LAMBRET
Et on sera encore en niveau alerte attentat, cette fois-ci ?

GERALD DARMANIN
On sera sans doute en niveau…

AGATHE LAMBRET
Ce n'est pas incompatible.

GERALD DARMANIN
... alerte attentat, et justement, ça nous permettra de mettre des périmètres de sécurité extrêmement importants. Personne ne pourra accéder à ces périmètres sans montrer patte blanche. S'ils sont dans un fichier, s'ils ont une arme, et les policiers et les gendarmes savent faire ça, et j'ai une grande confiance en eux, et j'y suis concentré…

AGATHE LAMBRET
Gérald DARMANIN, d'un mot, vous étiez candidat à Matignon, mais Elisabeth BORNE a été reconduite. Vous vous voyez rester à Beauvau après les Jeux olympiques ?

GERALD DARMANIN
Mais d'abord, moi je n'étais pas candidat à autre chose que servir mon pays, au ministère de l'Intérieur. Le président de la République dispose des postes ministériels. Je suis très honoré d'être le ministre de l'Intérieur. C'est un travail difficile, évidemment, qui fait naître beaucoup de difficultés, mais qui, tous les jours, me permet d'être auprès des fonctionnaires les plus courageux qui soient, les policiers, les gendarmes.

AGATHE LAMBRET
Vous n'avez pas répondu.

GERALD DARMANIN
Non, mais je me vois au ministère de l'Intérieur, tant que le président me prêtera une vie politique au ministère de l'Intérieur. S'il faut y rester plusieurs années, j'en serais très heureux. Vous savez, ça fait 4 ans que je le suis, et je pense que les policiers et les gendarmes voient que je les défends tous les jours.

JEAN-REMI BAUDOT
Et vous serez notamment aujourd'hui à Menton. Merci beaucoup, Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.

JEAN-REMI BAUDOT
Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, d'avoir été l'invité du 8 :30 France Info. Merci beaucoup Agathe de m'avoir accompagné.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 décembre 2023