Texte intégral
Monsieur le président de la commission des affaires européennes,
Monsieur le président de la commission des finances,
Monsieur le rapporteur général,
Mesdames les rapporteures,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Merci de m'accueillir pour cette audition sur les nouvelles règles du pacte de stabilité et de croissance. Ça ne fait pas la Une de la presse mais c'est probablement un des sujets les plus stratégiques pour le pays pour les années, voire des décennies à venir.
Je voudrais partir de deux constats avant de répondre aux questions du président Jean-François Rapin. Le premier constat, c'est que les écarts de dette et de situation budgétaires entre les États membres n'ont jamais été aussi élevés depuis la crise du Covid et la crise inflationniste.
L'écart maximal de niveau de dette publique entre l'État le plus endetté, la Grèce, et les États les moins endettés comme le Luxembourg ou d'autres, atteignent 150 points. La Grèce a un niveau de dette publique proche de 170 %, le Luxembourg a un niveau de dette publique de 25% de sa richesse nationale.
Chacun mesure bien que dans ce contexte-là, les règles anciennes qui ne sont plus appliquées jusqu'à la fin 2023, comme vous l'avez rappelé, sont obsolètes. Les 60% de dette publique a du sens quand la marge est entre 40 et 70%. Elle n'a plus aucun sens lorsque la marge est entre 25 et 160 ou 170% de la richesse nationale. Premier constat : les règles actuelles sont obsolètes.
Deuxième constat, très important parce que le pacte de stabilité et de croissance doit servir un objectif politique. S'il y a bien un sujet qui me préoccupe aujourd'hui, c'est l'écart de croissance et de productivité entre les États-Unis et l'Europe. Nous sommes en train de perdre la partie. Les États-Unis ont aujourd'hui 2,5% de croissance pour l'année 2023. La moyenne des États de la zone euro, c'est 0,6%. C'est deux points de croissance de moins. Nous ne pouvons pas continuer comme cela avec des États-Unis qui ont une croissance forte, qui créent beaucoup d'emplois, qui investissent, qui innovent, qui récupèrent des pans entiers de l'industrie européenne et l'Europe qui, elle, resterait les bras croisés.
Nous plaidons avec le président de la République depuis maintenant plusieurs mois pour que l'Europe fasse les investissements nécessaires sur la décarbonation, sur l'innovation, sur la sécurité. Il y a urgence à le faire, il y a plusieurs façons de le faire. Ça peut être des investissements nationaux, ça peut être des investissements européens, ça peut être des facilités qui sont données.
Mais je le redis, le Pacte de stabilité et de croissance doit servir un objectif politique. Et nous, notre objectif politique, c'est une Europe puissante et prospère. Pas une Europe en récession et pas une Europe de l'austérité.
Je voudrais également souligner un impératif en début d'audition. Chacun mesure bien les besoins d'investissement massifs qui existent aujourd'hui en ce début du XXIe siècle. Des investissements dans la décarbonation économique et dans l'industrie verte, ils sont indispensables si nous ne voulons pas laisser des pans entiers de l'industrie là encore aux États-Unis. Des investissements dans la défense, et j'ai bien peur que ce qui se passe en Ukraine se rappelle douloureusement à notre bon souvenir. Et enfin des investissements dans l'intelligence artificielle, si nous avons encore l'ambition, qui est en tout cas la mienne et celle de ma majorité, d'avoir une intelligence artificielle générative européenne indépendante. Et là aussi, je voudrais que chacun mesure le moment où nous sommes. Soit demain, nous sommes clients de ChatGPT, de Google et de Microsoft, très bien, mais nous ne serons plus indépendants. Soit nous créons notre propre intelligence artificielle générative avec nos propres entreprises, mais ça va coûter beaucoup d'argent et demander des investissements colossaux.
A titre d'exemple, le président de Microsoft, que j'ai rencontré la semaine dernière, entend investir, pour les années qui viennent, 100 milliards d'euros d'achat de microprocesseurs. Aucun État européen, et même l'Union européenne dans son ensemble, n'atteint à elle seule le montant de cet investissement d'une seule entreprise privée américaine.
Dans ce contexte, il est évidemment indispensable de revenir sur les anciennes règles qui ont été définies il y a plus de 25 ans. Si nous ne redéfinissons pas ces règles, nous reviendrons au 1er janvier 2024 aux règles anciennes qui sont, je le redis, totalement obsolètes.
Ce serait à la fois une erreur économique, car ces règles sont procycliques et donc nous entraîneraient dans l'austérité. Et ce serait en plus une faute politique parce que cela marquerait l'impuissance des États européens à se mettre d'accord sur des éléments structurants de l'avenir en commun.
Il faut donc de nouvelles règles qui doivent reposer à notre sens sur trois principes, nouvelles règles qui doivent être définies pour le prochain quart de siècle a minima. Ces trois principes, ce sont ceux, pour répondre à la question du président RAPIN, que nous avons défendus avec beaucoup de constance depuis plusieurs mois au nom de la France.
Le premier principe, c'est la différenciation des trajectoires budgétaires nationales. Ce n'est pas la même chose de partir de 25% de dette publique ou de 170% de dette publique. C'est basique, mais c'est une réalité qu'il est bon de rappeler. Nous voulons que, sur la base d'une évaluation de la dette et de la soutenabilité de la dette — j'y reviendrai, la fameuse DSA, Debt Sustainability Analysis — nous puissions définir des trajectoires de réduction de la dette et de réduction des déficits correspondant à la situation particulière de chaque État. C'est ce qu'on appelle la différenciation.
Deuxième principe que nous avons défendu, celui de l'appropriation, c'est-à-dire que c'est chaque État qui doit définir sa trajectoire budgétaire nationale. C'est un point très important ce que j'entends dire tout le temps, notamment de la part de certains partis qu'on se fait dicter les règles par la Commission européenne. C'est totalement faux. Au contraire, ces nouvelles règles reposeront sur des propositions des États membres.
Enfin, troisième principe que nous avons défendu, qui est absolument fondamental et qui était au coeur de notre nuit blanche de la semaine dernière, c'est la nécessité de prendre en compte les investissements et les réformes dans le bras préventif comme dans le bras correctif. Le bras préventif quand vous êtes sous les 3% de déficit et le bras correctif quand vous êtes au-dessus des 3% de déficit.
Pourquoi ? Parce que nous voulons que dans tous les cas de figure, tous les États membres aient un intérêt à investir et à faire des réformes de structure sans quoi, une fois encore, nous serons le continent de l'austérité au lieu d'être le continent de la prospérité.
Moi, je veux que l'Europe soit un continent de la prospérité et certainement pas le continent de l'austérité. Voilà la position que nous avons défendue depuis plusieurs mois à longueur de négociations qui, je le redis plus d'un an maintenant, m'ont emmené à de multiples rencontres avec mon homologue allemand et qui me permettent de vous dire ce soir que nous sommes désormais tout proche d'un accord.
Nous avons progressé sur chacun des points que j'ai mentionnés. Dans le cadre du bras préventif, c'est-à-dire lorsque les États sont sous les 3% de déficit public, l'accord est quasiment complet. Accord sur la différenciation, une analyse de soutenabilité de la dette, une DSA sera faite par chaque État et pour chaque État membre, elle tiendra compte de la situation de chaque État, sa croissance potentielle, sa démographie, sa situation de finances publiques. À partir de là, un système d'ajustement sera mis en place pour mettre l'État sur une trajectoire soutenable à moyen terme, c'est-à-dire à horizon de 10 ans.
Cette différenciation reposera sur un indicateur précis : la croissance des dépenses primaires (ie hors charge d'intérêt de la dette) nette des mesures en prélèvements obligatoires qui pourraient être décidées par les États. Donc il y a bien un indicateur très clair.
Qu'est-ce que ça veut dire en bon français ? Nous regarderons la croissance des dépenses hors charges d'intérêt de la dette, les dépenses primaires dont nous retirerons les mesures nouvelles qui restent à la main des États, c'est-à-dire celles qui portent sur les impôts et les taxes (les prélèvements obligatoires).
Par ailleurs, dans ce bras préventif, il est convenu, conformément à la position constante de la France, qu'il y aura une extension possible de redressement de la dette de 4 à 7 ans si jamais un État fait des investissements avec une liste d'investissements précis, notamment sur la décarbonation ou fait des réformes de structure. Donc cela nous semble un dispositif particulièrement vertueux.
On part de la situation de chaque État, on regarde comment définir sa trajectoire de désendettement adaptée à sa situation personnelle : situation des finances publiques, situation démographique, situation de croissance potentielle ; on lui laisse évidemment toute marge de manoeuvre sur les impôts et sur les taxes. Et si jamais il fait des mesures structurelles ou il prend des investissements indispensables, on lui donne 3 années de plus pour réduire sa dette.
Enfin, deuxième principe préventif, l'appropriation. Je le rappelle, c'est l'État membre qui propose lui-même son propre plan de désendettement de moyen terme. Donc je ne peux pas laisser dire que la Commission impose quoi que ce soit. Simplement, on est dans un ensemble budgétaire commun. Il y a des règles communes, chacun doit les respecter, mais chacun définit sa méthode pour respecter ces règles budgétaires et le nécessaire désendettement.
Toute la discussion qui a eu lieu lors de l'Ecofin des 7 et 8 décembre 2023 et qui a duré, pour tout dire toute la nuit, a porté sur le bras correctif, c'est-à-dire lorsque le déficit des Etats est supérieur à 3%. Il est évident que l'intérêt direct de la France était engagé puisque nous sommes au-dessus des 3% de déficit et nous le serons jusqu'en 2027.
Si on peut faire mieux, si la croissance est au rendez-vous et que les parlementaires, dans leur très grande sagesse, proposent des économies supplémentaires et que nous pouvons aller plus vite, nous serons très heureux d'aller plus vite.
Mais dans l'état de la loi de programmation des finances publiques, nous passons sous les 3% de déficit public en 2027. Donc nous sommes dans le bras correctif dans la procédure pour déficit excessif.
Dans ce cas-là, la règle qui s'applique, c'est une règle de 0,5 point d'ajustement structurel par an, c'est-à-dire un ajustement qui tient compte de la charge d'intérêt de la dette. C'est la règle qui a toujours été définie et c'est une règle sur laquelle l'immense majorité des États membres ne veut pas revenir, en estimant que tout assouplissement de cette règle poserait une difficulté.
Le problème que pose l'application stricte de cette règle, et c'est le point sur lequel j'ai insisté, c'est qu'elle est procyclique. Et dans une situation où vous avez tant d'Etats qui sont en récession, ou d'autres Etats qui ont des niveaux de croissance très faibles et une croissance moyenne de l'Union européenne qui est aussi faible, avoir une règle d'ajustement en bras correctif aussi strict, va conduire à alimenter la récession et le ralentissement de la croissance en Europe.
C'est exactement ce que nous avons connu pendant la période de la crise financière, avec des règles très strictes qui ont été imposées à la Grèce et qui ont finalement ralenti le redressement de la Grèce.
Nous avons donc beaucoup négocié, notamment avec notre partenaire allemand, et nous sommes tombés d'accord, avec mon homologue allemand Christian Lindner, sur la possibilité de déduire pendant ces 3 ans, 2025, 2026, 2027, de l'augmentation de la charge de l'intérêt de la dette, les investissements et les réformes qui seraient faits.
Donc, on regardera quelle est la charge d'intérêt supplémentaire de la dette sur cette période-là, et on pourra en déduire les investissements et les réformes, ce qui est une incitation, évidemment, à faire des investissements dans la décarbonation et à faire des réformes de structure, et donc à alimenter la croissance, y compris quand on est au-dessus des 3% de déficit et qu'on est dans le bras correctif.
Je salue d'ailleurs l'esprit d'ouverture dont a fait preuve mon homologue allemand. Ça doit permettre de trouver un compromis. Je pense que nous, nous avons été très clairs sur le respect des règles. Nous avons accepté, je vais y revenir, un certain nombre de garde-fous, et l'Allemagne, d'un autre côté, a accepté de tenir compte de cette demande que je crois justifiée et indispensable d'inclure les investissements et les réformes dans le bras correctif.
De notre côté, nous avons accepté que les garde-fous soient rigoureux et sérieux, et je pense qu'il est indispensable que les règles qui sont définies, les nouvelles règles, fassent l'objet de contrôles et de garde-fous sérieux, contrairement aux anciennes règles, qui sont tellement strictes et avec des garde-fous tellement durs que, finalement, elles ne sont jamais appliquées depuis 25 ans, ce qui n'est pas la meilleure garantie de crédibilité de ces règles.
Premier garde-fou, premier safeguard sur la dette, l'obligation est faite aux États de réduire d'un point la dette en moyenne par an, une fois que les États sont sortis de la procédure pour déficit excessif. Là aussi, ça a été une longue négociation, l'Allemagne préférant 1 point de baisse de la dette systématiquement chaque année ; et pendant plusieurs semaines, nous avons négocié 1 point de baisse de dette en moyenne par an, ce qui me paraît bien préférable parce qu'il faut tenir compte des aléas conjoncturels.
Il vaut parfois mieux faire 0,8 une année et 1,2 l'année suivante, et faire 1 en moyenne, que d'être obligé chaque année de faire systématiquement 1 point de baisse de dette. Sur le déficit, le point d'accord sur lequel nous sommes parvenus, c'est 1,5% de déficit structurel. comme objectif cible.
Alors je rappelle, là aussi pour éviter toute confusion, que ce n'est pas, comme je l'ai lu à longueur de journée dans les journaux, une division par 2 de l'objectif cible de l'actuel Pacte de stabilité.
Dans le Pacte de stabilité actuel, la cible est à 0,5 ; et le 3% que tout le monde a en tête est un plafond. Donc il faut comparer ce qui est comparable : nous passons d'un objectif cible de 0,5 à un objectif cible de 1,5, ce qui laisse un peu plus de marge de manoeuvre. Et le plafond est toujours à 3 parce que c'est le plafond à partir duquel la dette et le niveau de dette publique peut baisser dans un Etat membre. Sur ce déficit, l'objectif est d'avoir 0,4 point par an d'ajustement pour parvenir à cet objectif cible de 1,5 de déficit structurel, avec là aussi, en bras préventif, la possibilité d'avoir un ajustement plus lent de 0,25 par an si un État fait des investissements ou des réformes de structure.
Donc, je pense que la vraie victoire française dans cette discussion a été d'obtenir qu'en bras correctif, comme en bras préventif, il y ait une incitation à faire des investissements et à faire des réformes de structure comme la réforme des retraites ou la réforme de l'assurance chômage.
Enfin, dans ces nouvelles règles sur lesquelles nous travaillons, les sanctions sont plus progressives, moins procycliques. Elles peuvent être révisées tous les 6 mois. Elles sont donc plus crédibles que les règles actuelles. Non, je le redis, elles n'ont jamais été appliquées.
Trois conclusions pour terminer.
D'abord, nous n'avons pas d'accord définitif. Nous avons aujourd'hui un accord entre la France et l'Allemagne qui était soutenu par l'Italie et la présidence espagnole. Donc c'est déjà une avancée majeure. Il reste à convaincre les États du Nord, les États dits frugaux, les États baltes, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, le Danemark de rejoindre cet accord. Il y aura donc un nouvel Ecofin, une nouvelle réunion des ministres des Finances avant la trêve de fin d'année pour finaliser cet accord. Et je tiens vraiment à souligner l'état d'esprit très coopératif dans lequel nous avons travaillé avec l'Allemagne, avec l'Italie et avec la présidence espagnole, et je salue le travail remarquable qui a été fait notamment par la présidence espagnole Nadia Calvino, qui est appelée à devenir présidente de la Banque européenne d'investissement.
Le deuxième point que je veux souligner, après des règles qui sont adaptées à la situation économique, c'est que ces règles sont aussi moins brutales. Je donne juste l'état actuel du droit. Aujourd'hui, vous avez cette fameuse règle des 1/20ème quand votre dette est supérieure au plafond de 60 % de richesse nationale, dans ce cas-là, vous êtes obligés de réduire le montant de votre dette publique de l'écart à 60 % de 1/20ème par an. C'est cette fameuse règle des 1/20ème qui est à la fois absurde et totalement hors de portée.
Je prends l'exemple de la France qui a un niveau de dette publique de 110 % de son PIB. Il y a donc entre la cible à 60 % et la réalité de la dette, un écart à la cible de 50 points. Si on divise par 20, suivant cette règle du 1/20ème, cela fait 2,5 points de PIB d'ajustement de la dette par an obligatoire suivant les règles actuelles. Le point de PIB étant à 26 milliards d'euros, cela voudrait dire qu'il faudrait que nous trouvions 67 milliards d'euros d'économies par an. Autant vous dire que c'est la récession garantie pour toutes les années qui viennent. Donc vous tuez la croissance, vous tuez le rétablissement des finances publiques et vous tuez le pays tout court. Donc ces règles n'ont plus aucun sens aujourd'hui.
Enfin, dernier élément, ce sont des règles qui préservent les investissements et les réformes. Je le redis, je pense que c'est le point clé que nous avons obtenu après des mois de négociation. Ça me paraît très important. J'espère maintenant et je vais me battre pour ça, que nous aurons d'ici la fin de l'année, un accord global non seulement entre France, Italie, Espagne et Allemagne, mais également avec les 23 autres États membres, pour que de nouvelles règles s'appliquent, qui soient à la fois plus responsables et plus efficaces.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 15 décembre 2023