Interview M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à BFM TV/RMC le 14 décembre 2023, sur la situation des entreprises françaises, les tarifs des assurances, les aides en matière énergétique et la politique de l'immigration.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre de l'Economie bien sûr et de très nombreuses questions à vous poser ce matin. Bien sûr des questions politiques après la crise autour de la loi immigration mais des questions d'emploi, de consommation, de pouvoir d'achat, de carburant, et je voudrais commencer quand même par vous poser la question du paradoxe. On a le CAC 40 qui est au plus haut, plus haut historique, et de l'autre côté on a les Français qui galèrent. Est-ce qu'il n'y a pas un problème en France ?

BRUNO LE MAIRE
Vous avez des entreprises qui réussissent, tant mieux, parce que derrière vous avez des centaines de milliers de salariés qui travaillent dans ces entreprises du CAC 40 et puis vous avez une situation économique qui effectivement est difficile, reste difficile pour beaucoup de nos compatriotes parce que l'inflation depuis deux ans tire sur tout le monde. Elle tire sur les ménages, elle tire sur les familles, en particulier l'inflation alimentaire. Tout notre objectif maintenant que nous sortons de cette crise inflationniste, va être justement de relancer l'activité des entreprises pour qu'elles puissent avoir toutes, pas simplement les entreprises du CAC 40 mais les PME, les TPE, une meilleure situation et donc de meilleurs salaires pour ceux qui y travaillent. Un des objectifs décisifs pour moi du début de l'année, c'est le projet de loi sur la simplification pour que ce ne soient pas que les entreprises du CAC 40 qui tirent leur épingle du jeu, mais toutes les entreprises : les TPE, les PME, les indépendants, tous ceux qui n'en peuvent plus de la paperasse, des complications administratives et qu'on dise : je ne peux pas bosser tranquille, simplifiez-moi la vie et je créerai des emplois. C'est à elles que je vais m'adresser en priorité début 2024.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça pour le coup, j'ai l'impression que vous nous en avez déjà souvent parlé, et j'ai même l'impression qu'Emmanuel MACRON, un des premiers, avait dit : il faut arrêter d'emmerder les Français, pour paraphraser Georges POMPIDOU. Ça fait un bout de temps que vous le savez, ça.

BRUNO LE MAIRE
Mais on a fait des choses. On a fait une loi qui a bien fonctionné, la loi PACTE, avec un certain nombre de dispositions de simplification. On a simplifié par exemple les seuils pour les petites entreprises, c'était trop compliqué. On a pris des dispositions sur l'intéressement, la participation, les primes défiscalisées : la prime Macron, c'est un plébiscite, ça marche remarquablement bien. C'est une incitation pour se dire : maintenant, cinq ans plus tard, on va redonner…

APOLLINE DE MALHERBE
On fait un deuxième étage de la fusée ?

BRUNO LE MAIRE
On fait un deuxième étage et, croyez-moi, cet étage de la fusée, on va mettre des boosters très puissant.

APOLLINE DE MALHERBE
Lesquels ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne veux pas qu'il y ait des explications comme " ç'a déjà été fait " ou " ça va être trop difficile ". Tous les obstacles qui sont déjà en train de se multiplier pour me dire " c'est trop compliqué, vous allez heurter telle profession, vous allez heurter tel intérêt particulier ", je souhaite que nous puissions les écarter pour qu'un patron de PME, un patron de TPE, un indépendant, se dise " enfin, je respire ". C'est ça l'objectif : " enfin, je respire ".

APOLLINE DE MALHERBE
Ce sera clair, ce sera net, ce sera puissant ?

BRUNO LE MAIRE
En tout cas, je mettrai de la clarté, de la puissance et une détermination totale parce que, étant engagé en politique depuis maintenant de nombreuses années, je vois à quel point cette accumulation de normes, de paperasse et de règles désespère ceux qui veulent créer de l'activité dans notre pays.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors ça, en tout cas, ça ne coûte pas cher, justement simplifier…

BRUNO LE MAIRE
C'est un des mérites aussi, ça ne coûte rien et ça rapporte beaucoup en termes d'activité.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais Bruno LE MAIRE, pendant ce temps-là, je le disais, les Français galèrent et il y a un problème aussi entre les profits d'un côté et les augmentations de tarifs de l'autre. Avant de rentrer dans la question des négociations industrielles mais aussi de la loi immigration, un mot sur les assurances. Elles ont annoncé qu'elles allaient augmenter leurs tarifs et pourtant elles ont des profits records. Elles préviennent notamment d'une augmentation de 5 à 6% en moyenne sur les tarifs de l'assurance habitation. Ici même début novembre, vous aviez dit " je ne laisserai pas faire, je serai extrêmement vigilant ". AXA annonce + 5 à 6% des tarifs et dans le même temps, ils ont fait des bénéfices nets de 6,7 milliards l'an dernier ; et au premier semestre, le seul premier semestre 2023, ils ont fait 3,8 milliards d'euros de bénéfices. Est-ce normal de demander + 6 % aux Français ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il n'a échappé à personne que l'année 2023, elle a été marquée par une succession de calamités, d'épisodes de sécheresse. Vous avez 11 millions d'habitations qui sont victimes du phénomène de retrait gonflement, argile, donc qui perdent de leur valeur. Vous avez des difficultés sur le trait de côte, vous avez des phénomènes de sécheresse qui sont absolument calamiteux partout désormais en France, ça renchérit le coût de l'assurance. Ce que je constate, c'est qu'en 2023 les assureurs ont tenu la parole qu'ils m'avaient donnée, c'est-à-dire que les tarifs n'ont pas augmenté de plus que l'inflation. J'ai veillé à ce que leur parole soit respectée.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc ils rattrapent cette année ? Ça vous paraît acceptable.

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas vous dire ce matin… Nous veillerons là aussi à ce que les augmentations soient raisonnables mais je ne vais pas vous dire ce matin : " il y a une multiplication des catastrophes climatiques qui ont un coût vertigineux, mais je vais vous garantir, moi, que je vais stopper les primes d'assurance ", parce que ce serait un mensonge et que je préfère dire la vérité. Le vrai sujet maintenant, c'est 1/ faire jouer la concurrence. Je veux dire, si on n'est pas satisfait de sa prime d'assurance, on peut désormais en changer très rapidement. Ça fait partie des mesures de simplification que nous avons mises en place et j'invite tout le monde à faire jouer la concurrence en matière de primes d'assurance. Et ensuite, il faut qu'on regarde sur le long terme comment est-ce qu'on peut assurer des risques qui ne sont plus des risques probables mais des risques certains. C'est la mission que nous avons lancée avec Christophe BECHU, dont nous attendons les réponses d'ici quelques jours, que je présenterai début janvier. Il faut qu'on réfléchisse à l'avenir de l'assurance dans un monde où le changement climatique crée tant de dégâts maintenant, toutes les semaines et tous les jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Carburant, vous aviez dit " les chèques, c'est fini ", puis finalement non.

BRUNO LE MAIRE
Les chèques, c'est fini, je le confirme. Je n'ai qu'une parole donc quand je dis que les chèques, c'est fini, les chèques, c'est fini. Nous mettons en place à partir du 1er janvier 2024 une indemnité. Ce n'est pas exactement la même chose.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça s'appelle quand même le chèque carburant, non ?

BRUNO LE MAIRE
Non, ce n'est pas un chèque carburant.

APOLLINE DE MALHERBE
Enfin, Olivier VERAN il a dit : " le chèque carburant va être élargi à 1,6 million de Français supplémentaire ".

BRUNO LE MAIRE
Il n'y a pas de chèque carburant. Il y a depuis des années un chèque sur l'énergie qui aide les plus modestes à payer leur facture énergétique. C'est juste, c'est nécessaire et ça, on continue. Il n'y a pas de raison qu'on n'aide pas les plus modestes à se chauffer et à s'éclairer. Ça fait partie des biens de première nécessité. Et par ailleurs, nous mettons en place au 1er janvier 2024, comme ç'a été le cas l'année dernière, une indemnité carburant pour les travailleurs, c'est-à-dire pour tous ceux qui, si jamais les prix du carburant devaient exploser, ne pourraient plus se rendre sur leur travail parce que le plein serait trop cher. J'ai été élu quinze ans d'une circonscription rurale dans l'Eure, je peux vous garantir que j'en ai vu des travailleurs qui me disaient : " je ne peux pas aller bosser, le plein coûte trop cher ".

APOLLINE DE MALHERBE
On est d'accord mais je voudrais être très précise là-dessus. Vous dites " si le carburant venait à augmenter ", il se trouve qu'il baisse. Au moment où on se parle, le sans plomb 95 est à 1,76 euro le litre en moyenne en France. Et par ailleurs vous dites " les chèques, c'est fini ". Mais si j'ai bien écouté, Olivier VERAN, lui il dit l'inverse. Il dit que ça va même être élargi à 1,6 million de Français supplémentaire.

BRUNO LE MAIRE
Mais nous disons la même chose, nous mettons en place un dispositif, mais on ne va pas déclencher le dispositif au moment où le prix du carburant…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous ne voulez pas l'appeler chèque, mais enfin, c'est un chèque…

BRUNO LE MAIRE
Non, pas du tout, parce que, un chèque, c'est automatique, ça voudrait dire qu'au 1er janvier, le Trésor public envoie un chèque à des millions de Français, ce ne sera pas le cas. Je préfère, là aussi...

APOLLINE DE MALHERBE
Il faudra le demander…

BRUNO LE MAIRE
Etre très honnête, non, parce que tant que les prix du carburant restent à des niveaux qui sont raisonnables, aujourd'hui, on est à 1,76 euro, 1,78 euro…

APOLLINE DE MALHERBE
Ah, donc, ce ne sera envoyé que si le carburant monte ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, ce ne sera pas envoyé, il faudra en faire la demande, et c'est un dispositif de protection, quand les prix des carburants explosent. Ce n'est pas un dispositif qu'on met en place à n'importe quel moment, ça n'aurait aucun sens…

APOLLINE DE MALHERBE
Ah, non, mais c'est très intéressant ce que vous dites, mais je n'avais pas du tout compris ça comme ça, c'est-à-dire qu'Olivier VERAN n'avait pas parlé…

BRUNO LE MAIRE
Mais s'il y a eu une incompréhension. Mais Olivier VERAN a précisé quelles étaient…

APOLLINE DE MALHERBE
Il avait parlé des conditions éventuellement de travail, mais il n'avait pas parlé des conditions de tarif…

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, mais nous disons la même chose, Olivier VERAN a précisé le nombre de personnes…

APOLLINE DE MALHERBE
A partir de quel niveau alors ?

BRUNO LE MAIRE
Qui sont éligibles, on a effectivement décidé que les classes moyennes, c'est le choix que nous avons fait, avec la Première ministre, que les classes moyennes seraient éligibles. Donc on passe de D5 à D6. Ça veut dire concrètement, 1.380 euros nets mensuels, ça, c'est le cinquième décil, vous avez droit déjà réclamer cette indemnité si les prix du carburant explosaient, ça va aller désormais jusqu'à près de 1.600 euros nets mensuels pour une personne seule. Mais…

APOLLINE DE MALHERBE
Et à partir de combien le litre est-ce que vous enclenchez ce système ?

BRUNO LE MAIRE
La dernière fois, on a enclenché le système lorsque le prix du litre approchait les 2 euros. Pour moi, c'est la cote d'alerte pour que les personnes puissent payer leur plein d'essence et se rendre au travail. Je rappelle que quasiment 90% des bénéficiaires venaient des zones rurales, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas d'autre choix que de prendre leur voiture pour les travailler. Donc si demain, au mois de février, au mois de mars, il y a une crise…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc ça veut dire qu'au 1er janvier, si le carburant est toujours…

BRUNO LE MAIRE
Mais au 1er janvier, ça n'a rien de…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais attendez, il faut comprendre les choses. Si au 1er janvier…

BRUNO LE MAIRE
Mais je vais vous expliquer très clairement, Apolline de MALHERBE...

APOLLINE DE MALHERBE
Le carburant est toujours à 1,07 euro…

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, il n'y aura pas de dispositif…

APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y aura pas de dispositif de chèque carburant…

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est toute la différence, je le redis, ça n'est pas un chèque, c'est une indemnité, c'est une protection. Une protection de l'Etat pour ceux qui vont travailler, si jamais les prix du carburant explosent, puissent continuer à aller travailler. Si demain, ce que je ne souhaite pas, bien entendu, vous avez une crise qui s'aggrave au Proche-Orient, que les prix du pétrole explosent, et que, par conséquent, vous avez des prix à la pompe qui approchent les 2 euros, je déclencherai le dispositif d'indemnité carburant travailleur, et chacune des personnes éligibles avec les normes que j'ai fixées, que je viens de présenter ce matin, pourra aller demander à la direction des Finances publiques d'avoir cette indemnité de 100 euros par véhicule assuré. Voilà exactement ce que nous mettons en place.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, ça veut dire quoi, 1,95, quand vous dites « approcher les 2 euros » ?

BRUNO LE MAIRE
Mais approcher les 2 euros, ça peut être 1,95 euro, 1,96 euro. Vous savez, on voit très bien quand le prix du carburant atteint une cote d'alerte et que les gens vous disent, les travailleurs vous disent : désolés, on ne peut plus aller travailler. La dernière fois, nous l'avons mis en place, lorsque les carburants ont atteint 1,95 euro. Ça me paraît un seuil raisonnable, si en février, en mars ou même plus tard, vous avez des prix du carburant qui atteignent ces niveaux-là, qui sont insupportables pour les gens, insupportables pour ceux qui vont travailler et insupportables, en particulier pour les gens qui sont dans les zones rurales. Eh bien, dans ce cas-là, immédiatement, nous mettrons en place ce dispositif de protection, et ceux qui travaillent pourront aller continuer à travailler sans avoir la boule au ventre parce qu'ils vont faire des pleins qui sont trop chers.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y en a un qui vous a bien eu quand même, c'est TOTAL…

BRUNO LE MAIRE
Mais, TOTAL a maintenu son…

APOLLINE DE MALHERBE
Ils vous on dit : non, non, mais nous, on va s'engager, si ça dépasse 2 euros, ça ne leur a pas coûté très cher !

BRUNO LE MAIRE
Mais on verra. Qu'est-ce qui compte, ce n'est pas d'inciter les gens à continuer à utiliser des énergies fossiles, à continuer à utiliser du pétrole. Ce qui compte, c'est de protéger ceux qui travaillent pour qu'ils n'aient pas l'impossibilité de prendre leur véhicule parce que le prix du litre d'essence est trop cher. C'est un dispositif de protection. Il est responsable pour les finances publiques, et il est efficace pour ceux qui travaillent, en particulier dans les zones rurales.

APOLLINE DE MALHERBE
La loi Immigration a donc été rejetée par une majorité des députés, et on peut continuer comme si de rien n'était.

BRUNO LE MAIRE
Mais elle n'a pas été rejetée. Ce qui a été rejeté, c'est l'examen. Et aujourd'hui, il faut poursuivre dans la voie de la discussion, de la négociation pour parvenir à un texte de loi. Je voudrais juste qu'on reprenne un tout petit peu de distance et qu'on sorte…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais politiquement, je veux dire, vous êtes un de ceux au gouvernement qui a le plus d'expérience politique. Vous avez même été candidat à la présidentielle. C'est une crise majeure ?

BRUNO LE MAIRE
Absolument pas, je trouve que c'est…

APOLLINE DE MALHERBE
Non ?

BRUNO LE MAIRE
Non, c'est un échec parlementaire. C'est un échec collectif. Et je pense qu'il faut que nous en prenions tous notre part. Mais c'est un échec parlementaire. Ce n'est pas une crise politique. Gardons notre sang froid. Oui, il y a eu, il y a quelques jours maintenant, un échec politique collectif à l'Assemblée nationale. Ça ne fait pas une crise politique. En revanche, si on prend un tout petit peu de distance par rapport à l'agitation de l'Assemblée nationale. Regardons la réalité du problème, l'immigration déstabilise tous les gouvernements en Europe. C'est vrai en Grande-Bretagne, c'est vrai en Italie, c'est vrai également en France. Tout simplement parce que les citoyens européens demandent légitimement de la fermeté en matière migratoire. La fermeté, ce n'est pas la stigmatisation de l'étranger. La fermeté, c'est le contrôle des frontières. Et c'est l'assurance que lorsqu'une personne est en situation irrégulière sur le territoire, elle quitte effectivement et rapidement le territoire national. Le projet de loi qui a été présenté par Gérald DARMANIN est un bon projet de loi, qui permet justement de garantir cette fermeté qu'attendent tous nos compatriotes, et nos compatriotes, je le remarque, plébiscitent les mesures du projet de loi, donc il y a eu…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce que reproche à ce projet de loi, votre ancienne famille politique, Les Républicains, c'est d'avoir à la fois cette fermeté, mais d'avoir aussi gardé une sorte de porte d'entrée dans l'immigration illégale, qui serait cette fameuse régularisation des travailleurs sans-papiers. Est-ce que vous, ministre de l'Economie, vous estimez qu'il faut, malgré tout, maintenir cette disposition au risque de ne pas obtenir les accords de la droite, ou est-ce que vous vous dites que l'économie peut fonctionner aujourd'hui sans cette immigration illégale ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, moi, ce que je constate, c'est qu'elle est maintenue dans le texte de loi qui va maintenant servir de base de négociation. Il y a un seul texte qui a été adopté par les représentants du peuple français, c'est le texte du Sénat. Donc nous allons partir, comme Gérald DARMANIN et la Première ministre le font, partir du texte du Sénat, qui me paraît une bonne base de négociation.

APOLLINE DE MALHERBE
Pourquoi vous ne l'aviez pas gardé direct ?

BRUNO LE MAIRE
Mais parce qu'il y a des demandes qui sont légitimes de la part de la majorité, des demandes que j'appuie, qui sont portées par la Première ministre, qui sont portées par Gérald DARMANIN.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est ça qui est un échec, c'est ce " et en même temps " qui est un échec, non ?

BRUNO LE MAIRE
Non, ce n'est pas un " en même temps " du tout, les demandes qui sont portées, et j'espère que Les Républicains sauront faire preuve d'ouverture d'esprit, de sens des responsabilités pour comprendre que les demandes de la majorité sont des demandes raisonnables. Quand on dit qu'il faut garder une aide médicale d'Etat, oui, il faut garder une aide médicale d'Etat. Ça me paraît évident que, dans l'intérêt national et dans l'intérêt sanitaire…

APOLLINE DE MALHERBE
Dans le texte du Sénat, ça n'est plus une aide médicale d'Etat, c'est une aide médicale d'urgence…

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il est important de garder une aide médicale d'Etat qui soit évidemment circonscrite, mais qui permette d'éviter tout simplement la propagation de maladies dans notre territoire. C'est l'intérêt général. Je pense que sur les prestations sociales, il faut que le texte du Sénat puisse évoluer, et je suis convaincu que Les Républicains seront prêts à faire évoluer cela. Donc, si on tient compte des demandes légitimes et responsables qui ont été formulées par Gérald DARMANIN, par la Première ministre, au nom de la majorité tout entière, et j'appuie cette position-là, qui est une position de responsabilité, sur la base du texte du Sénat, qui a été adopté, et qui comporte des mesures de régularisation, nous devons pouvoir trouver un accord, et au bout du compte…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais je vous repose la question Bruno LE MAIRE, vous êtes ministre de l'Economie. Est-ce que vous estimez que l'économie française…

BRUNO LE MAIRE
Je vais répondre…

APOLLINE DE MALHERBE
Peut se passer de cette main d'oeuvre étrangère ou est-ce que, au contraire, il faut maintenir une forme de régularisation des métiers en tension ?

BRUNO LE MAIRE
Mais vous avez deux choses qui sont très différentes. D'abord, moi, ma position est une position de fermeté. Je l'ai dit depuis un an. J'ai dit que le sens de ce texte de loi était très simple…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, pas de régularisation…

BRUNO LE MAIRE
C'était la fermeté, la fermeté et la fermeté.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc pas de régularisation ?

BRUNO LE MAIRE
La fermeté, ce n'est pas manquer de bon sens ou d'humanité. Quand vous avez des gens…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais donc, je ne comprends pas, en fait, vous vous retrouvez dans la même situation du « en même temps », c'est-à-dire, vous dites : fermeté, mais régularisation.

BRUNO LE MAIRE
Mais la fermeté, ça n'est pas être totalement sourd au bon sens et ce n'est pas manquer de sens des responsabilités. Vous avez des gens qui travaillent dans des restaurants, dans des hôtels, qui ont leur famille qui est déjà installée en France, qui respectent nos valeurs, qui parlent parfaitement nos langues, qui respectent tous nos codes, qui respectent la société française et qui même aiment la France. Eh bien, ceux-là, il faut les régulariser, et il faut les régulariser en faisant attention à ce que ce soit bien au cas par cas, bien contrôlé. C'est le point d'équilibre que nous devons pouvoir trouver. Et puis, il y a une autre question, mais qui est très différente, qui est de savoir si, face à la pénurie de main d'oeuvre qu'il y a dans un certain nombre de secteurs, les services à la personne, l'hôtellerie, la restauration, nous faisons appel à une main d'oeuvre étrangère où nous essayons de former et de qualifier nos propres jeunes sur le territoire. Pour moi, la réponse est très claire, il ne faut pas faire appel à une main d'oeuvre étrangère. Je note au passage que c'est pourtant ce qu'a fait madame MELONI en Italie. Il faut former et qualifier les jeunes qui aujourd'hui n'ont pas d'emploi et qui doivent…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc si je comprends bien, ceux qui sont déjà là, qui travaillent depuis un bon bout de temps, qui sont, comme le disent les chefs cuisiniers, dans nos cuisines. Est-ce que ceux-là on les régularise ? Mais en revanche, on ne prend pas de nouveaux travailleurs étrangers, donc on régularise ceux qui sont déjà dans les jobs. Mais les jobs qu'on ouvre à d'autres, on ne doit prendre en priorité que des gens qui sont déjà là et qui ont la nationalité française ?

BRUNO LE MAIRE
C'est un très bon résumé mais je vais vous dire, c'est une question…

APOLLINE DE MALHERBE
J'essaye de comprendre parce que, on est d'accord.

BRUNO LE MAIRE
C'est deux choses qui sont très différentes.

APOLLINE DE MALHERBE
On est d'accord : ceux qui sont là, oui, les prochains jobs, non.

BRUNO LE MAIRE
Je pense que c'est important de distinguer les choses et c'est important aussi d'être honnête avec soi-même. Quand vous discutez avec un cuisinier dans un restaurant, un serveur ou une personne qui peut vous aider quotidiennement ou aider des personnes âgées, que vous vous entendez avec elle, que vous savez une fois encore qu'elle respecte nos valeurs, notre langue, notre histoire, qu'elle est parfaitement intégrée, et que dans le secret des discussions vous dites " dans le fond, vous auriez votre place en France ", je ne vais pas venir ensuite sur un tableau de télévision…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais ça pourrait être le cas à nouveau d'autres qui arriveraient dans un an mais qui arriveraient à la même conclusion.

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas venir ensuite sur un plateau de télévision vous dire " cette personne-là ne mérite pas ses papiers ".

APOLLINE DE MALHERBE
Qui s'intégrerait aussi très bien.

BRUNO LE MAIRE
Elle doit être régularisée, c'est une affaire de justice et d'humanité. Pour autant, je le redis, nous avons aujourd'hui des centaines de milliers d'emplois qui ne sont pas pourvus. Là, il y a un vrai choix politique à faire. Est-ce que nous osons, comme madame MELONI qui vient de décider en Italie d'ouvrir tout grand ses frontières parce qu'elle a un besoin impératif d'un certain nombre de personnes, notamment dans les aides à domicile et les soins à domicile ? Ou est-ce que nous formons et nous qualifions pour que ce soient nos propres jeunes qui occupent ces emplois ? Ma réponse, elle est très claire, ce qui se passe en Italie doit être un message d'alerte pour que nous formions et nous qualifions nos jeunes sur les métiers qui sont en tension où on n'arrive pas à trouver les personnes. J'ai même fait une proposition…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous le savez mieux que personne…

BRUNO LE MAIRE
Apolline de MALHERBE, j'ai même fait une proposition très concrète. J'ai dit : vous avez un compte personnel de formation, j'ai proposé qu'on abonde ce compte personnel de formation pour tous les jeunes qui accepteraient d'aller travailler dans les métiers en tension. Allons chercher ceux qui n'ont pas d'emploi dans notre pays, c'est ça la priorité absolue. Et pour terminer sur ce sujet immigration, je tiens à dire que si nous sommes capables, sur la base de ce texte du Sénat, de faire preuve de sens des responsabilités, nous devons et nous pouvons trouver un accord et un compromis sur ce texte de loi immigration. Il n'y a pas un de nos compatriotes, pas un, qui comprendrait qu'en raison de jeux politiciens, nous ne soyons pas capables de nous mettre d'accord sur un texte de loi qui rétablit la fermeté en matière de contrôle des flux migratoires.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous le savez mieux que personne, vos anciens camarades de LR ne veulent pas de cette régularisation.

BRUNO LE MAIRE
J'ai un point de désaccord avec vous. Le texte sorti du Sénat, où Les Républicains sont majoritaires…

APOLLINE DE MALHERBE
Ils ont transformé l'article 3 en article 4 bis.

BRUNO LE MAIRE
Qui sont portés par le président du groupe qui, je pense, sait faire preuve de sens des responsabilités, Bruno RETAILLEAU, ont adopté un article dit 4 bis qui prévoit justement des régularisations. La seule question, c'est de savoir comment est-ce qu'on opère ces régularisations. Moi, je ne suis pas chargé du sujet, je ne suis pas ministre de l'Intérieur, Gérald DARMANIN fait remarquablement son travail. C'est dans la négociation conduite par la Première ministre et le ministre du Travail que nous devons pouvoir trouver un accord sur les modalités de cette régulation.

APOLLINE DE MALHERBE
Dernière question Bruno LE MAIRE sur la franchise médicale. Il a été évoqué l'idée que cette franchise soit augmentée, en gros qu'on commence à mettre de notre poche un peu plus à partir du 1er janvier quand on achète des médicaments. Est-ce que vous le confirmez ce matin ?

BRUNO LE MAIRE
Chacun connaît ma position. Je souhaite que par sens des responsabilités cette franchise puisse passer de 50 centimes à un euro. Elle n'a pas bougé depuis 2008, ce qui est une incitation à être responsable sur notre consommation de médicaments, et je souhaite dans le même temps que le plafond à 50 euros pour tous ceux qui consomment beaucoup de médicaments parce qu'ils sont en affection de longue durée, qu'ils n'ont absolument pas le choix et qu'ils ont besoin de ces médicaments, ce plafond à 50 euros soit maintenu.

APOLLINE DE MALHERBE
Et puisqu'il me reste 30 secondes, le leasing de la voiture électrique à 100 euros, avant Noël vraiment ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, oui, avant Noël.

APOLLINE DE MALHERBE
Avant Noël ? Avant Noël, il y en aura qui pourront… Alors quoi, qui vont pouvoir commencer à remplir une feuille sur Internet ?

BRUNO LE MAIRE
Je souhaite qu'avant Noël on puisse ouvrir… Vous aurez des précisions dans les jours prochains.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais personne ne sera au volant d'une voiture à 100 euros.

BRUNO LE MAIRE
Non, parce que malheureusement entre la commande et l'arrivée du véhicule, le véhicule électrique ne sera pas sous le sapin. Mais en tout cas, nous faisons vraiment le maximum pour que le dispositif puisse être prêt d'ici la fin de l'année. C'est très attendu, ça permet d'accélérer la décarbonation de nos véhicules et ça permet de donner à chacun accès à un véhicule électrique à un tarif réseau.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc il reste deux semaines mais c'est bon, ce sera fait.

BRUNO LE MAIRE
Oui. Mais vu notre rythme de travail, deux semaines c'est long.

APOLLINE DE MALHERBE
Bruno LE MAIRE, ministre de l'Economie, merci d'être venu répondre à mes questions.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2023