Interview de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la biodiversité, à Radio J le 15 décembre 2023, sur les otages à Gaza, la loi immigration, la biodiversité et la PMA.

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Média : Radio J

Texte intégral


CHRISTOPHE BARBIER
Sarah El HAÏRY, bonjour !

SARAH EL HAÏRY, SECRETAIRE D'ETAT CHARGEE DE LA BIODIVERSITE
Bonjour !

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue, on est ravi de vous accueillir. Hélas ! On doit commencer cette émission par cette triste nouvelle. Le corps d'Elyia TOLEDANO, un otage franco-israélien. Son corps a été retrouvé à Gaza par les forces spéciales israéliennes. Que dire d'autre que partager la peine et être infligé ?

SARAH EL HAÏRY
Partager la peine, mais surtout rappeler également évidemment qu'il y a d'autres otages qui sont encore retenus, et que jusqu'au dernier, la mobilisation doit rester totale, et que pour avoir la sécurité, pour avoir la paix, eh bien, il faut aller au bout. Il faut aller au bout, et il faut aller récupérer chacun de ces otages. Je pense évidemment à leurs familles. Je pense à Mia également qui était un lien particulier. Et évidemment, c'est des moments qui restent extrêmement douloureux et qui nous rappellent que le drame continue et qu'ils sont encore retenus.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est aussi parce qu'il reste des otages là-bas qu'il faut attendre encore pour cette cérémonie d'hommage aux victimes françaises du 7 octobre, que le Président de la République a promis mais pour laquelle on n'a pas de date encore ?

SARAH EL HAÏRY
Je crois que la date arrivera. Et le plus difficile, c'est vrai, c'est de dire… Les familles endeuillées ont besoin de la mobilisation de toute la République, de toute la France, de rappeler que nous en avons perdu déjà beaucoup trop. Mais il y a encore de l'espoir. Moi, je veux vivre avec cet espoir que les autres otages pourront rentrer à la maison, retrouver leurs familles. Et dans le fond, un hommage, c'est d'une certaine manière parfois, voilà, une date qui est posée, une page qui est tournée. Mais elle ne se tournera jamais dans le coeur des familles. Elle ne se tournera jamais. C'est une cicatrice qui est qui encore béante. Donc dans le fond, gardons cette énergie pour permettre à tous ceux qui sont encore retenus de revenir, de rejoindre les siens. Et c'est toute la mobilisation de la France, aux côtés évidemment des amis et des frères israéliens.

CHRISTOPHE BARBIER
L'actualité, c'est encore pour quelques jours. La loi Immigration avec cette Commission Mixte Paritaire qui va se réunir. Si le texte qui sort de cette CMP est très durci, très droitisé, que feront les députés du MoDem, votre famille.

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, les débats sont riches, sont vifs, mais ce qui est certain, c'est que cette loi, on en a besoin. Maintenant, cette loi, à la base, c'était un équilibre de fermeté nécessaire. Parce que rappelons les choses, nous avons besoin de nouveaux outils juridiques nous permettant, eh bien, de raccompagner à la frontière des personnes qui sont dangereuses, dangereuses pour notre unité, dangereuse dans la vie quotidienne, en fait, de notre pays, qui ont trahi la tradition d'accueil de notre pays.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc cette fermeté républicaine, elle ne vous dérange pas ? La fermeté, c'est aussi votre choix ?

SARAH EL HAÏRY
Absolument. Nous avons besoin de fermeté. Nous avons besoin de nouveaux outils, de nouveaux outils juridiques. C'est pour ça que nous posons cette loi, pour plein de raisons, pour les gendarmes, les policiers qui, au quotidien, doivent mettre en oeuvre ces outils. Parce que dans le fond, quand tu trahis, tu t'en vas. Et on t'accompagne à partir. Mais de l'autre côté, il fallait aussi lever cette hypocrisie. Je pense évidemment aux métiers en tension sur un certain nombre de sujets. Donc une certaine humanité mais, je veux dire, assumer. Il faut sortir de la naïveté que nous pouvons avoir en particulier pour les personnes qui travaillent.

CHRISTOPHE BARBIER
François BAYROU faisait remarquer quand même que ce texte, s'il sort de la CMP et qu'il passe, il n'y aura pas eu vraiment de débat de fond à l'Assemblée. C'est une première dans notre vie parlementaire.

SARAH EL HAÏRY
Ça manque. Ça va manquer, ça va manquer en profondeur. Vous savez, moi, je suis parlementaire à la base. Et quand tu es élu député, quand tu te présentes devant les gens, dans le fond, ta responsabilité, ton gage, ta force, c'est d'aller débattre, d'aller pousser peut-être aussi parfois les oppositions dans leurs retranchements, et surtout de trouver ce point de consensus. Et à la fin, tu votes un point d'équilibre, et en conscience. Ça veut dire que le débat a eu lieu. Moi, je suis extrêmement triste d'avoir vu cette Assemblée nationale, non pas repousser un texte, mais repousser le débat. Ils se sont juste privés du débat. Et c'est peut-être ça qui est peut-être le plus grand flou dans la période actuelle. En ayant célébré presque cette victoire d'avoir repoussé le texte dans l'impression générale, en réalité, c'est un faux, c'est un flou. Ils ont repoussé le débat. Et donc aujourd'hui, le débat sera entre 17 parlementaires, 7 députés, 7 sénateurs. Moi, j'espère que la sagesse présidera aux travaux et que, dans le fond, le seul et unique objectif sera la protection des Français, et pas de petits coups politiciens. Je pense qu'on en a assez soupé depuis quelques jours maintenant.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors du côté des coups politiciens, certains en ont profité pour dire : " Ben il faut dissoudre ". D'ailleurs, dans les sondages, les Français disent : « Oui, pourquoi pas une dissolution ? On a envie de revoter ». Comment vous accueillez cette demande des Français ?

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, moi, ce que je vois, c'est que quand ils ont envoyé une majorité pas complète mais une majorité relative à l'Assemblée, c'est qu'ils nous ont envoyé un message. Maintenant, il faut construire. Il faut construire avec des oppositions pour qu'on soit avec des personnes qui ne partagent pas exclusivement le même projet. Et nous l'avons pris comme tel. Et depuis le début, nous avons voté plus de 50 textes en construisant des majorités nouvelles, parfois avec la Droite, parfois avec la Gauche. Et nous avons réussi à faire ça. Sur ce texte en particulier Immigration qui est nécessaire, eh bien, il y a une sorte de consensus entre les extrêmes qui fait que, hop, un texte nous échappe. La dissolution, dans le fond, on ne devrait jamais en avoir peur. C'est juste la confiance qui est renouvelée et qui est retrouvée par les urnes, mais ça reste exclusivement la décision du Président de la République qui, au moment nécessaire, puisque c'est un outil constitutionnel, pourra l'utiliser s'il le souhaite. Mais appeler à la dissolution, comme le fait aujourd'hui le Rassemblement National, c'est en réalité une sorte de leurre pour ne pas aller, dans le fond, assumer le fait qu'ils ont voté avec l'extrême Gauche un texte qui était nécessaire, alors même que dans le fond, ils passent leurs journées à appeler à plus de fermeté, à la régulation de l'immigration, ou encore à des outils supplémentaires pour les policiers et gendarmes. Eh ben résultat des courses, ils se sont, d'une certaine manière… Oui, ils ont accepté l'alliance avec LFI et l'extrême Gauche. Et aujourd'hui, pour essayer de créer un nouveau leurre, eh bien, ils appellent à la dissolution.

CHRISTOPHE BARBIER
Parlons de votre portefeuille. La défense de la biodiversité, vous pilotez une stratégie nationale pour cette biodiversité. Vous avez présenté, d'ailleurs, l'évolution de cette stratégie en Conseil des ministres cette semaine. Il y a un point qui inquiète beaucoup les élus, mais aussi les milieux économiques, c'est l'artificialisation des terrains du territoire français. Vous luttez contre cette artificialisation, vous voulez la diviser par deux. Et beaucoup disent : " On n'y arrivera pas ". Comment les rassurer ?

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, la zéro artificialisation des sols, c'est une loi qui a été débattue à l'Assemblée nationale et au Sénat, et qui a été même améliorée énormément par les sénateurs. On a trouvé des nouvelles avancées, surtout pour les territoires ruraux, parce que vous savez, ces territoires qui n'ont pas beaucoup artificialisé et qui se retrouvent d'un coup en disant : " Mais ça veut dire que nous, notre développement, on va faire comment ? On va être contraint ". Je voudrais rappeler juste deux choses. Cette artificialisation des sols, c'est une des conséquences de l'effondrement de la biodiversité parce qu'on étanchéifie les sols, donc en fait, on tue, d'une certaine manière, la vie qu'il y a en dessous. On bloque le cycle de l'eau. Et tout ça nous amène à nous dire : " Bon, il faut réduire d'ici 2030 de 50%, et d'ici 2050, on se retire ". Et comment on le fait ? On le fait avec intelligence. C'est-à-dire qu'on accompagne d'abord les élus, les maires principalement, à choisir où est-ce qu'ils vont artificialiser ou pas. Mais surtout, c'est artificialisation nette. Et le mot magique dans cette loi, c'est " Nette ". C'est-à-dire que si demain on dépollue une friche industrielle, si demain on utilise une ancienne école aujourd'hui n'est plus utilisée, une ancienne usine, eh bien, on crée de la surface utilisable. C'est quoi la réflexion profonde ? C'est… On ne va pas courir derrière l'artificialisation de sols qui sont sains, parfois agricoles, parce que nous avons besoin de souveraineté alimentaire, par exemple ; mais on va d'abord utiliser qu'on a de déjà artificialisé, et donc créer de la surface nécessaire. Pour ça, il faut des moyens, des moyens économiques et des moyens d'ingénierie. C'est pour ça qu'il y a, par exemple, le Fonds Vert avec plus de 2,5 milliards d'Euros. Donc il ne faut pas avoir peur. Dans le fond, c'est pour nos enfants que nous le faisons, et c'est pour préserver ce dont nous avons le plus besoin, ces services rendus par la nature.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est aussi pour nos enfants et pour les papillons et les abeilles que vous voulez diminuer fortement l'usage des produits phytosanitaires. On a vu avec le glyphosate que c'était parfois très difficile. Les agriculteurs disent : " On n'a pas de solution de remplacement ". Vous ne vous inquiétez pas de ce manque de progrès scientifique ?

SARAH EL HAÏRY
On a des débats aujourd'hui qui sont ouverts avec une consultation sur le plan Ecophyto, c'est-à-dire le plan qui doit réduire les pesticides. Moi, je ne démords pas de ça, je pense qu'il faut absolument réduire et tenir nos objectifs de moins de 50%. J'entends les agriculteurs, bien sûr, qui disent : " Il y a des difficultés ", mais ces difficultés, on les dépasse et on sait les dépasser. Je vous rappelle juste, il y a quelques mois à peine, quelques années, tout le monde disait : " On ne pourra pas sortir du glyphosate dans les usages non-agricoles ". Aujourd'hui, il n'y a plus une goutte de glyphosate, ni sur les rails de la SNCF ni dans nos cimetières ni dans les collectivités. Demain, dans le monde agricole, il y en a qui font des transitions. Certes, ce n'est pas facile, c'est pour ça que nous investissons dans la recherche. Mais moi, j'ai été particulièrement déçue de la position européenne qui a été, dans le fond, assez conservatrice. Alors même que nous avons besoin d'élan, nous avons besoin de ne pas créer de concurrence au sein du marché européen. Et là, pour le coup, eh bien, moi, pour nos enfants, pour notre pays, pour notre souveraineté, je souhaite profondément que notre agriculture à nous, française, passe le pas de cette dépendance aux pesticides, en particulier parce que ce sont nos nappes phréatiques qui sont concernées. Finalement, c'est notre biodiversité, c'est notre nature à nous qui est principalement, et la santé bien sûr des hommes et des femmes qui, au quotidien, travaillent avec ces produits.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour la santé de nos enfants. Si vous êtes à distance avec nous ce matin, c'est parce que vous attendez dans quelques jours, c'est imminent, un heureux événement, on vous en félicite. Il fallait vous ménager ce matin. Vous avez annoncé votre grossesse, vous réalisez ce bébé par procréation médicalement assistée, vous allez l'accueillir avec votre compagne. La société française a très bien accueilli cette nouvelle. C'était presque un signe de pacification de notre société peut-être par rapport à cette révolution des moeurs qu'on a connue.

SARAH EL HAÏRY
C'est, dans le fond, notre projet de famille. C'est une proposition et un projet que moi j'ai porté, même en tant qu'élue en 2017. Mais après l'évolution du droit, il faut l'accompagner de l'évolution ben de la société, dans le fond. Et pour que la société évolue, eh bien, parfois, il faut assumer de le dire. Ça n'a pas toujours été le cas, ça n'a pas toujours été aussi bien accueilli. Eh bien, moi, j'ai envie que notre petite fille, quand elle arrivera à l'école, que… les mentalités évoluer, que dans le fond, d'autres familles, quelle que soit d'ailleurs leur situation - Puisque la PMA, c'est une procédure d'accompagnement médical, on peut en avoir besoin en étant un couple hétérosexuel, en étant un couple homosexuel, ou encore une femme seule aujourd'hui. – eh bien, que le regard change aussi. Ce n'est pas facile, ce n'est pas quelque chose… C'est un process médical qui est long, qui prend du temps, qui embarque aussi toute une famille et, au-delà de ça, les familles des familles. Et nous avons simplement envie que ces évolutions dans les moeurs, dans notre société, le regard, changent aussi, du coup, demain sur ces enfants, quel que soit le chemin que choisissent les parents.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour la vie. Beaucoup de jeunes, et notamment de jeunes femmes disent : " Non, il ne faut plus faire d'enfants dans le monde tel qu'il est, le réchauffement climatique, la guerre. On n'a pas le droit de faire un enfant dans un monde aussi terrible ". Que dire pour les rassurer ?

SARAH EL HAÏRY
Je l'entends, je l'entends beaucoup trop profondément. Nous, on fait un bébé, c'est parce que dans le fond, moi, j'ai foi en l'avenir quand même. Vous savez, j'ai la chance d'avoir 35 ans, d'avoir l'histoire qui est la mienne, d'être dans le Gouvernement, une des plus grandes puissances au monde. Et s'il y a quelque chose à faire, c'est bien nous qui pouvons la porter et la faire pour eux. Parce que la France a une place particulière dans Le Concert des Nations. La COP 28 le montre, pour l'écologie, les transformations du monde industriel, le monde de l'économie. Bien sûr, le monde est dangereux, mais parce que… Dans le fond, il y a toujours de l'espoir, parce que dans le fond, ça reste des hommes et des femmes qui le composent. Alors oui, je leur dis : « Ayez confiance en vous et en votre capacité à changer pour un monde meilleur. »

CHRISTOPHE BARBIER
Eh bien, à Radio J, on aime beaucoup les bébés. N'est-ce pas Nicolas ? Alors on vous souhaite bon courage pour les jours qui viennent. Et puis ça va être un grand moment de bonheur. Sarah El HAÏRY, merci et bonne journée


source : Service d'information du Gouvernement, le 18 décembre 2023