Interview de Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État, chargée de la citoyenneté et de la ville, à LCI le 5 janvier 2024, sur une nouvelle géographie des quartiers populaires, l'insécurité à Marseille et l'immigration illégale.

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Média : LCI

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Notre invitée ce matin, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE. Bonjour.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Vous êtes Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Intérieur en charge de la Citoyenneté et de la Ville. Madame AGRESTI-ROUBACHE, il y a une nouvelle géographie des quartiers populaires. Ce n'était plus arrivé depuis 2014, on est en 2024.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui, depuis la loi Lamy.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Pourquoi est-ce qu'il faut attendre dix ans pour définir à nouveau ce qui est un quartier prioritaire ou ce qui ne l'est pas ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors plusieurs choses. En premier, c'est quoi un quartier prioritaire ? Je vous donne juste deux, trois axes, c'est important de le savoir. Qu'est-ce qui fait qu'un quartier devient un quartier prioritaire ? C'est 12 900 euros pour le revenu médian, il faut une unité urbaine de 10 000 habitants et un QPV de 10 00 habitants. Ça, c'est les premiers critères. Pourquoi ça n'a pas été fait avant ? Parce qu'il y a eu le Covid et donc tout a été décalé. C'est juste pour ça. La réalité, c'est que les élus locaux l'attendaient donc on l'a fait. Dès que j'ai été nommée, je me suis mise sur refaire la liste quartier par quartier. J'ai laissé les préfets et les élus locaux faire les choses ensemble. Je ne me suis pas mêlée, sauf dans des quartiers, par exemple, qui devaient sortir et où j'ai décidé - c'est pour ça que j'avais fait cette circulaire au mois d'août, le 31 août - je dis aux préfets " il faut 2,5 % du budget dans vos départements pour accompagner les quartiers qui vont sortir. "

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Est-ce que ça change vraiment leur vie ? Est-ce que ça change vraiment le quotidien des habitants ? On dit beaucoup que l'Etat a déserté les quartiers, que les services publics sont partis, que ça ne va pas.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non. Non, plusieurs choses. Moi, j'ai appelé - j'appelle toujours de mes voeux et on va le faire -je veux déjà une évaluation du droit commun, la mobilisation du droit commun pour les quartiers prioritaires. Pour moi, c'est ce qu'il faut démarrer à faire. Il faut commencer à le faire. Il faut accepter de se dire qu'est-ce que le droit commun ? Donc le droit commun, la sécurité, l'école, l'éducation, la culture, le sport. Déjà, qu'est-ce qu'on mobilise au niveau du droit commun, et c'est quoi la politique de la ville ?

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais est-ce que vous avez – pardon de vous interrompre – mais est-ce que vous avez la collaboration pleine de tous vos collègues du gouvernement ? Vous parlez de l'éducation. On sait que dans ces quartiers, c'est là où il manque des enseignants par exemple.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui, avec Gabriel ATTAL. Mais bien sûr, bien sûr que oui. Plusieurs choses. Je rappelle juste un budget, comme ça on voit. Les quartiers prioritaires et la politique de la ville, c'est une politique exceptionnelle pour des quartiers exceptionnellement en difficulté, en plus du droit commun. Ça, c'est la première chose. Quand le président de la République arrive en 2017, 385 millions alloués aux politiques de la ville avec quand même un gouvernement de gauche, je le rappelle : avec un gouvernement de gauche. Maintenant, mon budget c'est 640 millions. Donc déjà, on n'est plus sur les mêmes choses. Il y a l'ANRU, on n'a pas parlé de l'ANRU, la rénovation urbaine. On est passé à 12 milliards entre 2024 et 2030. Donc les nouveaux contrats, c'est 12 milliards.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais ça c'est très bien, mais ce sont des grands chiffres. Pour les gens, ça ne veut rien dire, vous comprenez.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Donc qu'est-ce que vous changez tous les jours ? Le président à Marseille, puisqu'on va parler, j'espère, du Marseille en grand, il dit « il faut ouvrir les collèges de 8 heures à 18 heures. » Pourquoi ? Il dit « je veux un adulte à chaque fois devant chaque ado : c'est fait, généralisation en 2024. Les cités éducatives, c'est quoi les cités éducatives ? C'est des moyens. Je vous donne le budget : 79 millions d'euros pour les cités éducatives au moment où je vous parle, et j'ai rajouté 29 millions d'euros pour continuer à les généraliser. Et je dis juste le cadre de la cité éducative, ce sont des groupes scolaires - donc collège, élémentaire, lycée - où on donne des moyens en plus aux personnels, aux directeurs - pas aux élus - aux directeurs pour dire « faites votre projet éducatif » et comment est-ce que les gamins, parce que je viens de là, j'ai fait du soutien scolaire dans mon quartier et je sais que la base, c'est ça, la base c'est l'éducation.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Alors justement, pardon Madame la Ministre…

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je vous en prie.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Vous êtes élue marseillaise.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Marseille en grand, vous l'avez dit, désormais ce projet vous incombe. Il a été lancé avant que vous preniez vos fonctions évidemment. L'idée, c'est d'accompagner Marseille par une série d'investissements, d'aides à la dette, au prêt pour que la cité s'améliore et à la sécurité. Gérald DARMANIN était sur place, il installe une compagnie spécialisée dans les violences urbaines, il annonce des moyens supplémentaires pour la lutte contre le trafic de drogue. Pardon, mais pour les habitants, on a l'impression que rien ne change. Les moyens sont annoncés, les déplacements se multiplient, rien ne change.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, non, ce n'est pas vrai de dire…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Il y a eu des dizaines de morts l'année dernière.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors là, ce n'est pas l'élue et ce n'est pas la ministre qui va vous parler. Là, c'est la Marseillaise qui vous parle. Le président de la République a fait un plan de sauvetage massif de la deuxième plus grande ville de France, un plan de sauvetage massif de 5 milliards d'euros. Un milliard pour les écoles : vous connaissez, vous, beaucoup de communes à qui on donne un milliard pour rénover 188 écoles ? Première chose. Les rénovations ont démarré, c'était 2021 Marseille en grand, donc un milliard pour les écoles. Un milliard pour les transports, 500 millions en prêt de l'Etat, prêt garanti par l'Etat, 500 millions en subventions pour faire des métros, des trams et des mobilités douces.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Non mais j'entends mais vous annoncez des milliards, et encore une fois ce n'est pas concret pour les gens.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je n'aime pas parler en milliards, non mais…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Mais ce n'est pas concret pour les gens. Les gens qui sont chez eux, qui vivent les ravages du trafic de drogue, les morts dans les quartiers.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ce n'est pas vrai. 300 policiers en plus, vous croyez que ça n'existe pas ? On voit plus de policiers à Marseille. Moi je n'ai jamais vu autant de policiers, et c'est les gens qui me le disent, ce n'est pas moi qui le dis, les gens vous disent " c'est vrai, on voit plus de policiers. " La CRS 81 qu'on a accueillie avec le ministre de l'Intérieur avant-hier, donc 190 CRS en plus dans les quartiers Nord. Là, c'était dans le XIIIème arrondissement. Tout ça, c'est concret. Par contre, ne perdez jamais de vue qu'on part de très, très loin. On a tellement… Vous savez, moi je l'ai dit, je suis née au débit. Dans les quartiers nord de Marseille et dans les quartiers pauvres de Marseille, on est né au débit. Nous, on ne part pas à zéro, on part au débit. Donc déjà il faut rattraper le débit pour arriver, on va dire, à égalité, et puis après le but c'est d'aller plus loin.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Est-ce que vous dites ce matin aux gens qui habitent ces quartiers et qui vous regardent " oui, votre vie elle va changer ; concrètement, elle va changer " ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Votre vie, elle va changer. Vous savez, plusieurs choses. Vous parlez de la drogue. Je l'ai dit et tout le monde avait ri quand je l'ai dit mais je le pense : déjà, pas de consommateurs, pas de dealers. Parce que s'il n'y a pas de demande, il n'y a pas d'offre. Ça, c'est la base. Première chose. Deuxième chose, je crois qu'on a aussi oublié le mot prévention. Moi j'appartiens, j'ai 47 ans, j'appartiens à une génération qui a connu de la prévention. Et sur les politiques de la ville, et je vous reboucle après avec Marseille, j'ai décidé de réformer complètement le statut des adultes. Relais. C'est-à-dire je veux des médiateurs formés à bac + 2, je veux des médiateurs qui ont une vocation et non pas qui font ça parce que juste ils rentrent dans le cadre d'un contrat, et qu'on fasse ça pour vraiment changer la vie des gens. Et j'ai fait quelque chose d'autre sur les politiques de la ville et qui concernent évidemment Marseille. J'ai dit " on va faire confiance a priori aux petites associations ", parce que vous, vous me parlez de changer la vie des gens.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Oui. C'est l'essentiel, non ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Qui change la vie des gens au quotidien ?

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Enfin, c'est votre objectif en tant que politique.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
C'est les petites associations qui sont au bas des immeubles. Et c'est comme ça que j'ai grandi, et moi si j'ai un voeu – puisqu'on est au début de l'année - c'est qu'un jour les politiques de la ville n'existent plus et que le droit commun suffirait à tout gérer, tout organiser. Juste pour finir sur Marseille en grand, une autre chose. Il y a aussi un volet culture et je reviens sur le volet école. 188 écoles pour les petits Marseillais qui vont être ou complètement détruites et reconstruites et rénovées. Si ça on pense que ça ne peut pas changer la vie des gens… Et j'ai beaucoup de chance sur les politiques de la ville, c'est juste une chose : c'est que c'est le seul moyen de changer concrètement la vie des gens.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Ça, c'est la synthèse du rapport de la Cour des comptes sur la gestion de l'immigration illégale dans notre pays. D'ailleurs, téléchargez-le, c'est hyper intéressant. Ça concerne tout le monde, c'est très simple. Il y a des graphiques, il y a très peu de chiffres, c'est très intéressant. Bon en gros, le gouvernement ne fait pas ce qu'il faut ; enfin, pas suffisamment. Pourquoi ? Parce que…

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Le rapport a été fait avant que la loi passe.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Laissez-moi terminer ma question. Pourquoi ? Parce qu'il y a beaucoup d'idéologie face aux faits. Et en fait, ce que dit la Cour des comptes, c'est que les faits sont têtus. Il manque de moyens en fait. Vous parliez de moyens, il manque de moyens.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors nouvelle loi, nouveau projet. Parce que ce rapport, je le répète, a été fait avant que la loi soit votée. Donc là, on repart. Pareil, il faut toujours revenir aux fondamentaux. Un milliard d'euros en plus par exemple pour lutter contre l'immigration irrégulière. 8 500 policiers et gendarmes en plus pour lutter contre l'immigration irrégulière. Je rappelle qu'on avait, pareil lors d'un débat, je n'avais pas réussi à me faire comprendre, mais là j'espère que je vais me faire comprendre. Les OQTF : plus de 14 000 OQTF exécutées en France.

PASCAL PERRI
Sur 450 000 à exécuter. Pardon.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
100 000 par an.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
On nous dit par rapport à l'Allemagne. Mais vous savez pourquoi ? La grosse différence, c'est qu'en réalité, cette nouvelle loi va nous permettre peut-être de faire comme les Allemands. Parce que les Allemands comptent leurs OQTF quand la personne est dans l'avion ; nous, on compte les OQTF quand elles sont prononcées et non pas exécutées. Donc la réalité, c'est que ça provoque un gap. Et cette nouvelle loi - moi, je l'ai soutenue, vous le savez, je suis revenue et je vais revenir après sur l'article 4 qui avait été supprimé - la réalité, c'est que 4 000 délinquants qu'on peut expulser en plus avec cette nouvelle loi, oui, ça va changer la vie des gens. Et ce que je crois aussi, c'est que. C'est quand même une loi, je l'ai répété 10 000 fois, c'est quand même la loi où la plus grande majorité des Français étaient d'accord, sauf les partis politiques, et franchement ça interroge.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Dernier mot, vous serez encore au gouvernement la semaine prochaine ou celle d'après ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors vous savez quoi ? Demandez au président de la République, je pense qu'il le sait beaucoup mieux que moi. Moi, ce que je sais…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Vous avez envie d'y rester.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, moi ce que j'ai envie, je l'ai dit…

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Non ?

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Ce que j'ai envie, c'est qu'on m'a confié une mission que j'adore. J'ai deux ministères, parce que j'ai deux secrétariats d'Etat, j'ai la Citoyenneté et la Ville. Tout ce que j'espère, c'est pouvoir faire ce que je faisais déjà quand j'étais jeune, je le faisais quand je faisais du soutien scolaire, c'est de pouvoir juste aider à mon petit niveau les gens. Si déjà j'arrive à faire ça, je pense que j'ai réussi une partie de ma vie.

JEAN-BAPTISTE BOURSIER
Merci beaucoup. Merci Sabrina AGRESTI-ROUBACHE d'avoir été avec nous ce matin en direct sur LCI.

SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Merci beaucoup. Je vous en prie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 janvier 2024