Tribune de Mmes Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et Laurence Boone, secrétaire d'État, chargée de l'Europe, dans "Ouest France" le 6 janvier 2024, sur la construction européenne, intitulée "Pour nous autres Européens, une année d'espérance".

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Média : Ouest France

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Dans six mois, le 9 juin 2024, nous serons appelés à voter pour désigner nos représentants au Parlement européen. Autrement dit, nous allons élire celles et ceux qui auront la charge de défendre nos intérêts, en faisant avancer l'Europe pour faire avancer la France. Car c'est bien à l'échelle européenne que nous pesons dans le monde : en renforçant l'Europe, nous nous renforçons nous-mêmes.

Aujourd'hui, l'Europe sort de sa situation de minorité géopolitique pour entrer dans l'âge adulte, au moment même où nous devons faire des choix décisifs pour les décennies à venir. Alors que la Russie continue de saper l'ordre du droit international pour tenter de vassaliser l'Ukraine dans un projet impérialiste d'un autre âge, alors que la Chine s'emploie à obtenir le contrôle de matières premières indispensables à nos industries et notre vie quotidienne, que les adversaires de la démocratie utilisent notre liberté d'expression pour semer leurs idées nauséabondes et que les extrêmes attisent les haines, le choix qui sera fait lors du prochain scrutin européen est existentiel. Pour le projet européen et pour nous tous.

* Une histoire

Lors de sa première phase de construction, ce projet avait été porté par l'enthousiasme de l'après Seconde Guerre mondiale. Il visait d'abord à la réconciliation d'un continent dévasté, en permettant de garantir de manière conjointe la paix, la prospérité et la liberté. Appuyée sur la conviction que les liens économiques éviteraient de nouvelles guerres, cette première phase passait par des projets concrets de reconstruction. C'est l'époque de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) entre l'Allemagne et la France, qui choisissent d'unir leur force en mettant en commun la production des deux biens essentiels à la puissance au XXe siècle et ayant nourri les guerres. C'est la même philosophie qui prévaut plus tard, avec la Communauté économique européenne (CEE), la politique agricole commune (PAC) ou encore l'union douanière. Mais c'est aussi le choix résolu des premiers élargissements de l'Europe, à neuf, puis à dix Etats.

Les années 1980 ont ensuite marqué l'entrée du projet dans l'adolescence, non sans une certaine exaltation et un certain idéalisme, poussés par la volonté d'une construction européenne pour tous, où l'économie devait, pensait-on, se conjuguer avec la solidarité et les opportunités citoyennes. C'est la période des grandes avancées portées par la vision du président de la Commission européenne d'alors, Jacques Delors : le marché unique, l'euro, Erasmus, les fonds structurels. C'est l'époque de la chute du mur, de l'extension de la démocratie et du libéralisme, d'une Europe ouverte et dynamique dans la mondialisation heureuse , synonyme de liberté et d'opportunités pour nos concitoyens. C'est en même temps la deuxième vague d'élargissement, à l'Est, qui consacre la démocratie libérale ouverte. Alors que le communisme soviétique s'effondre, l'Europe se sent pousser des ailes.

* "Complices directs de Poutine"

Cette phase est aujourd'hui achevée et accompagner le passage de l'Europe à l'âge adulte, celui de l'Europe souveraine, c'est justement la mission que nous ont confiée le président de la République Emmanuel Macron et la Première ministre Elisabeth Borne. Nous nous y consacrons inlassablement, depuis un an et demi, avec la satisfaction de travailler à ce que nous aurions cru presque impensable il y a quelques années encore : la naissance d'une défense européenne, la régulation des géants du numérique, la mise en oeuvre d'une politique de réindustrialisation, la réponse au changement climatique ou encore le plan de relance, qui a transformé la crise Covid en opportunité de financements, au service de la transition numérique et énergétique de l'Europe

Pour autant, cette phase de l'âge adulte coïncide aussi avec un monde bien plus brutal et un contexte beaucoup plus inquiétant, avec le retour de la menace contre l'Europe. Sur le continent, la Russie mène une guerre atroce, contre l'Ukraine d'abord, mais aussi, de manière insidieuse et indirecte, contre une Union européenne qu'elle cherche à affaiblir par la désinformation, le chantage à la fourniture d'énergie ou encore la déstabilisation en Afrique. Tous les nationalistes et les populistes qui rêvent de défaire ce que les Européens ont bâti ces soixante-dix dernières années servent au fond le même projet de sape de l'Union européenne, et donc d'affaiblissement de ses Etats membres. Ils sont les complices directs de Poutine.

* Faire bloc

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans la naïveté ou l'angélisme : l'Europe n'est pas parfaite. Pour autant, ce sont les bâtisseurs qui parviennent à la perfectionner en la faisant évoluer, et certainement pas ceux qui veulent sa destruction. C'est pourquoi nous affirmons, avec la majorité présidentielle, notre conviction qu'il faut chercher sans relâche à renforcer l'Europe.

C'est pourquoi le président de la République et le Gouvernement proposent une politique européenne d'affirmation et d'audace, pour répondre aux défis auxquels notre continent est confronté.

C'est avec une politique de demande européenne d'équipements de défense que l'on peut accélérer la production européenne en la matière.

C'est en exportant des centrales en Europe que l'on rentabilise la filière nucléaire et assurons un prix de l'électricité raisonnable. C'est à 450 millions de citoyens que l'on peut s'affirmer face à X (ex-Twitter), TikTok ou Méta (Facebook) pour garder la maîtrise de notre espace numérique commun. C'est avec une politique sociale européenne que l'on prévient le dumping aux frontières. C'est avec une politique européenne d'asile et migration que l'on sécurise les frontières de l'Europe en gardant nos valeurs de solidarité. C'est en travaillant à l'élargissement de l'Union, en accélérant le développement économique et social de nos voisins qu'on les arrime du côté des démocraties pour mieux garantir la paix sur le continent. Et c'est avec la puissance d'un bloc européen que nous autres, Français, pourrons préserver notre modèle social et nos valeurs.

Aujourd'hui et alors que débute cette nouvelle année, une année qui sera assurément décisive, nous voulons dire à nos compatriotes que nous pouvons être fiers du chemin accompli par l'Europe, mais qu'il nous faut rester vigilants et volontaristes.

Ce combat est un engagement de chaque jour, car ni l'Europe ni la paix - nous le voyons bien hélas en portant notre regard sur l'Ukraine - ne doivent jamais être considérées comme définitivement acquises. Face au piège tendu par les eurosceptiques de tous bords, celui de l'effacement de l'Europe, nous affirmons que notre Union constitue notre meilleure garantie de liberté et de sécurité. Le 9 juin prochain, chacun sera appelé à faire un choix. Les seuls qui soutiennent sans relâche et avec constance l'Europe, ses valeurs et son indépendance, sont les membres de la majorité présidentielle. Notre avenir passe par une Europe plus forte.

Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 janvier 2024