Déclaration de Mme Marie Lebec, ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement, sur les salaires en France, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Marie Lebec - Ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la suite du débat sur le thème : "Les salaires en France". Nous poursuivons la séquence de questions-réponses. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement
Je vous présente mes excuses pour mon retard. Je vous remercie pour votre question particulièrement importante et pertinente, au moment même où le Président de la République tient sa conférence de presse et vient de rappeler toute l'importance que nous accordons à la valeur travail – tout comme l'a fait le Premier ministre.

M. Pierre Dharréville
Ce n'est pas lui qui décide !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Depuis sept ans que je suis élue à l'Assemblée nationale, je suis allée, à de très nombreuses reprises, à la rencontre des entreprises en France, notamment dans ma circonscription.

La baisse des cotisations est régulièrement évoquée, notamment lorsqu'on aborde la question de la revalorisation des salaires. Elle constitue l'un des leviers sur lequel nous pouvons agir. Dès 2017, nous nous sommes engagés à transformer le CICE – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – en une baisse de charges pérenne. Nous poursuivons les efforts.

L'ex-Première ministre, Mme Élisabeth Borne, a confié à deux économistes, MM. Antoine Bozio et Étienne Wasmer, une "mission relative à l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité et à son effet sur l'emploi, le niveau des salaires et l'activité économique". Les points que vous avez soulevés sont au cœur de leur mission. Ils remettront leur rapport cet été mais présenteront des conclusions provisoires au printemps. Cela vous donnera l'occasion d'évoquer avec Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, la question de la baisse des cotisations.

M. Nicolas Ray
Des cotisations salariales également !

Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Leclercq.

M. Laurent Leclercq (Dem)
Ce soir, nous évoquons la question des salaires, importante pour toutes les personnes qui travaillent en France. Le salaire, et plus largement la rémunération du travail, nous émancipe et nous fait contribuer à la société ainsi qu'à la solidarité nationale. Il nous permet de vivre, tout simplement.

Pourtant, en 2024, le principe "à travail égal, salaire égal" ne s'applique toujours pas en France. Entre le salaire d'un homme et celui d'une femme dont les situations professionnelles sont identiques, il existe un écart inexpliqué de 9 %. Cela contrevient au principe d'égalité qui fonde notre République. C'est pourquoi le président Macron a déclaré "grande cause du quinquennat" l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans la continuité de la mobilisation de la majorité entre 2017 et 2022, un nouveau plan interministériel prévoit des mesures ambitieuses jusqu'en 2027. Il devra donner les moyens d'atteindre enfin l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Comment l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, créé par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, sera-t-il à même de favoriser les comportements vertueux ? Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour renforcer l'égalité salariale dans la fonction publique ? Comment l'instauration du service public de la petite enfance et le soutien accru aux familles monoparentales amélioreront-ils la conciliation entre vie professionnelle et parentalité ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je vous remercie pour cette question qui soulève deux points : l'égalité salariale et la protection des femmes, puisque la maternité peut avoir des conséquences sur leur niveau de rémunération. Dans ce contexte, comment accompagnons-nous les hommes et les femmes qui deviennent de jeunes parents ?

L'égalité salariale est inscrite dans la loi depuis 1972. Depuis 2017, nous avons œuvré. Bien que l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes se soit réduit de 1 point, il est encore de 4,3 %, ce qui doit nous nous inciter à fournir encore des efforts.

L'index voté dans la loi du 5 septembre 2018 a fait bouger durablement les pratiques, plutôt dans le bon sens. En effet, on constate que le nombre d'entreprises ayant publié leur index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au 1er mars est en forte hausse. La note moyenne augmente et l'indicateur relatif à l'augmentation de la rémunération des salariées à la suite de leur congé maternité progresse de 6 %. Ces résultats doivent nous encourager à poursuivre nos efforts. Deux décrets, pris à la fin de l'année 2023, instaurent cet index dans la fonction publique.

Nous prenons aussi des mesures pour lutter contre les répercussions du passage à la parentalité sur une carrière ou un emploi. La prime d'activité, que nous avons instaurée, est un soutien décisif pour les familles monoparentales. Par ailleurs, 200 000 places d'accueil des jeunes enfants seront créées d'ici à 2030 – pas moins de 6 milliards d'euros seront investis en faveur de la petite enfance d'ici la fin du quinquennat.

Mme la présidente
La parole est à Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC)
Le secteur du médico-social est à bout de souffle. Les métiers du lien et de l'humain sont essentiels. Je rêve d'une France où le bien grandir, comme le bien vieillir, s'inscriraient dans une vision globale des politiques publiques et prioritaires, afin de construire une société confiante en son avenir.

On dénombre 1,3 million de travailleurs sociaux. Ce sont des professionnels de première ligne, qui exercent un métier du lien, essentiel à chacune des familles.

Le Livre blanc du travail social, remis le 5 décembre, était attendu ; il répond aux urgences. Face à la crise majeure de recrutement et à la perte de sens dans ces métiers, si essentiels pourtant, ses quatorze préconisations doivent être mises en œuvre. L'État et les partenaires doivent s'engager sur une feuille de route claire ; la revalorisation des salaires est une priorité.

À la perte de sens et à la difficulté de recruter, s'ajoute une précarisation croissante : les salaires de nombreux professionnels s'approchent de plus en plus des revenus les plus faibles. Le décrochage des salaires, grignotés par l'inflation, atteste de la déconsidération du travail social. En France, un éducateur spécialisé dans la protection de l'enfance doit se contenter d'un salaire brut de 1 530 euros. Dans de telles conditions, comment vivre décemment ? Le logement, l'énergie, la nourriture représentent une part prépondérante des revenus. La pauvreté est au rendez-vous.

Dans le secteur médico-social, où l'on exerce des métiers du lien, aucun salaire ne devrait être en dessous de 2 000 euros. Il s'agit de déterminer nos valeurs collectives et les priorités des politiques publiques. L'heure est à l'action : comment comptez-vous appliquer les préconisations du Livre blanc du travail social ? La revalorisation des salaires est une feuille de route qui doit faire l'objet d'un réel engagement.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Ces métiers du lien, vous l'avez dit, sont fondamentaux et contribuent au bien vivre dans la société. Le Haut Conseil du travail social a présenté un Livre blanc à cinq ministres, lesquels se sont engagés à suivre ses préconisations pour lutter contre la perte d'attractivité de ces métiers.

Les négociations de branche sont particulièrement suivies par les ministères, puisque 20 % des salariés du secteur sont encore sous le Smic. Les rémunérations doivent être améliorées. L'État s'est engagé financièrement. Nous transmettrons votre question au ministère concerné, qui vous répondra plus précisément quant à l'avancée des négociations.

Mme la présidente
La parole est à Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES)
"La société que nous voulons est une société dans laquelle pour réussir on ne devrait pas avoir besoin de relations ou de fortune, mais d'effort et de travail." Étrange lettre que celle que nous a adressée le chef de l'État le 13 janvier 2019 pour annoncer la tenue du grand débat national. Il semblait y désavouer les nominations de son propre Gouvernement.

L'effort et le travail, donc, devraient permettre de réussir. Ces jours-ci, à Davos, se réunissent cinq milliardaires, dont la fortune depuis trois ans a enflé, chaque heure, de 14 millions de dollars.

M. Pierre Dharréville
Joli bilan !

Mme Marie Pochon
Le constat est implacable : les ultrariches n'ont jamais été aussi riches alors que, dans le même temps, 90 % de la population française voyait baisser ses revenus. Les prix augmentent et les marges des entreprises explosent mais les salaires ne suivent pas et la perte de pouvoir d'achat s'accentue. Plus d'un demi-million de Français ont basculé sous le seuil de pauvreté en 2021, autant que l'ensemble de la population de mon département, la Drôme.

En proposant ce débat, le Rassemblement national veut faire croire qu'il est le grand protecteur du pouvoir d'achat. C'est faux et facile à prouver : ses députés se sont opposés à l'augmentation des salaires, en particulier du Smic, et ont refusé de voter le rétablissement de l'ISF – l'impôt de solidarité sur la fortune. Ils ne sont même pas – c'est dire leur intérêt – présents dans l'hémicycle.

L'effort et le travail ? La moitié des membres de votre Gouvernement sont nés à Paris. Combien sont millionnaires ? Vous oubliez tous ceux qui ont des salaires de misère, alors qu'ils travaillent dur et font leur part. L'effort et le travail ? Une augmentation générale des salaires n'affecterait pas le prix des marchandises – le Fonds monétaire international (FMI) le reconnaît désormais –, mais elle pourrait entraîner une baisse du taux général de profit.

Madame la ministre, nous croyons en la politique, la vraie, celle qui agit pour l'intérêt général et cesse les courbettes devant les intérêts des plus grands. Quand indexerez-vous les salaires sur l'inflation et privilégierez-vous l'effort et le travail de millions de salariés sur les profits de quelques-uns ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
À titre personnel, j'ai toujours du mal à comprendre ceux qui semblent considérer que le travail ne peut pas être une source d'épanouissement, de réussite et de satisfaction ;…

M. Pierre Dharréville
Ce n'est pas automatique !

Mme Marie Pochon
C'est une source de revenus…

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Aussi. Dans l'exercice de leur profession – le métier est parfois choisi, parfois moins –, nos concitoyens gagnent en valeur et en fierté. Je crois qu'on doit valoriser le travail,…

Mme Marie Pochon
Les salaires !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
…ceux qui travaillent dur et se lèvent tôt : c'est au cœur de notre projet.

Vous avez évoqué les milliardaires qui se réunissent à Davos. Je parlerai, quant à moi, de nos actions concrètes en faveur de nos concitoyens. Lors du mandat précédent, nous avons travaillé à un meilleur partage de la valeur. Cet effort s'est poursuivi et traduit par des mesures législatives. Grâce à cette politique, nous avons retrouvé un objectif de plein emploi, baissé de 2 % le taux de chômage, attiré des entreprises qui investissent, créent de la richesse, innovent et recrutent. Nous avons également protégé les salariés lors du covid. Nous devons continuer à agir pour une meilleure répartition de la valeur au sein des entreprises, comme nous l'avons fait au travers de la loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises, et d'autres mesures législatives.

M. Romain Daubié
C'est vrai !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Nous avons enfin adopté des mesures de protection du pouvoir d'achat pour faire face aux crises et à l'inflation. On doit certes toujours chercher à l'améliorer, mais reconnaissons que notre système comporte un mécanisme de protection dont les salaires les plus bas – je pense notamment au Smic – bénéficient.

Bien que le Gouvernement ne doive pas se substituer aux partenaires sociaux – une critique qui revient fréquemment et dont nous devons tirer toutes les conséquences –, nous suivons avec attention les négociations salariales en cours pour revaloriser les salaires les plus bas.

M. Romain Daubié
C'est très clair !

Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR-NUPES)
Le rapport du groupe d'experts sur le Smic remis en 2023 affirme que la hausse du salaire minimum interprofessionnel de croissance est un levier fort peu efficace pour lutter contre la pauvreté laborieuse, laquelle s'explique par de faibles quantités de travail et des charges familiales lourdes – surtout dans le cas des familles monoparentales. Nous sommes toujours très étonnés à la lecture des préconisations de ce comité d'experts – dont les membres sont adroitement désignés par le Gouvernement –, comme lorsqu'il conseille de ne pas revaloriser le Smic en période d'inflation galopante. L'affirmation selon laquelle le Smic ne serait pas protecteur pour les classes, qualifiées fort à-propos de "laborieuses", nous laisse perplexes.

Même si nous considérons que le Smic devrait être augmenté, il n'en reste pas moins vrai qu'il contribue en l'état à assurer un niveau de vie minimal à tous les salariés. Grâce à son mode de revalorisation, il a augmenté comme l'inflation, c'est-à-dire de 12,5 % entre janvier 2021 et décembre 2023, de sorte que le pouvoir d'achat lié au Smic a été préservé. Aussi sommes-nous inquiets lorsque ce comité d'experts préconise de réformer les modalités de revalorisation automatique du Smic ou de l'indexer sur la moyenne des évolutions des minima salariaux d'un panel de branche.

M. Pierre Dharréville
Scandaleux !

M. Yannick Monnet
Une telle réforme entraînerait une dégradation substantielle du pouvoir d'achat des salariés au Smic et, plus généralement, des bas salaires. Or les smicards et les bas salaires deviennent malheureusement la norme dans notre pays, puisque 3,1 millions de salariés étaient payés au Smic au 1er janvier 2023 et que la moitié des employés gagnent moins de 1 231 euros par mois. Ce qui doit être mis en cause, ce n'est pas le Smic en tant que tel mais votre politique de l'emploi qui favorise les contrats courts et précaires et fabrique des travailleurs pauvres.

Les faits sont implacables : 1,2 million de personnes exercent un emploi mais disposent d'un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, c'est-à-dire 918 euros par mois.

M. Pierre Dharréville
Exactement !

M. Yannick Monnet
En un an, les contrats de moins de 20 heures par mois ont augmenté de 26 % – les travailleurs concernés sont ceux qui se lèvent tôt le matin.

Ma question est double : prévoyez-vous de réformer les modalités de revalorisation du Smic, comme y invite votre comité d'experts, ou envisagez-vous une meilleure redistribution des richesses, sous forme de salaire et non de primes – désocialisées, inégalitaires et arbitraires ? En bref, envisagez-vous de vous attaquer à l'emploi précaire et aux bas salaires ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Le groupe d'experts sur le Smic a fait plusieurs propositions pour revoir les modalités de calcul du Smic selon des règles d'indexation automatique. Le Gouvernement estime que les mécanismes d'indexation ont prouvé leur efficacité. Le sujet est débattu au sein du Haut Conseil des rémunérations mais ne débouchera pas dans l'immédiat sur des réformes.

M. Pierre Dharréville
C'est toujours ça de pris !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
S'agissant de l'alternative entre salaires et primes, j'apporterai à nouveau un témoignage de terrain, tiré de ma circonscription. Il faut toujours, en effet, que l'on puisse vivre décemment grâce à son salaire. C'est indéniable et c'était le sens de ma réponse à la députée Pochon concernant un meilleur partage de la valeur par le biais de dispositifs d'intéressement ou de participation. Nous devons inciter les entreprises et les grandes instances patronales à formuler d'autres propositions.

Quand vous allez sur le terrain à la rencontre des plus petites entreprises, elles font valoir combien la prime est pour elles un moyen de gratifier leurs salariés tout en préservant l'évolution de leur chiffre d'affaires.

M. Romain Daubié
Exactement !

M. Pierre Dharréville
C'est un contournement du salaire.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Beaucoup disent aspirer à augmenter leurs salariés – pour les stabiliser dans l'entreprise, les rendre fiers et leur donner envie de continuer à œuvrer à son service – mais cela n'est pas toujours possible et dépend des secteurs et de la saisonnalité des activités. Je comprends votre propos mais je ne crois pas qu'il faille opposer primes et salaires : il importe avant tout que les salariés aient le sentiment d'être associés aux gains qu'ils génèrent.

M. Romain Daubié
Très bien, très clair !

Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.

M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Il est impossible de parler du pouvoir d'achat dans nos territoires ultramarins sans parler de la cherté de la vie, des salaires et de leurs disparités territoriales. L'inflation des derniers mois a aggravé un phénomène préexistant. Malgré les mesures d'urgence, nombre de nos concitoyens ont des difficultés à boucler leurs fins de mois. Les inégalités de revenus entre les outre-mer et l'Hexagone sont réelles, d'autant que les économies ultramarines sont extrêmement dépendantes de la sphère publique, qui constitue souvent la principale source de création de richesses.

Dans ce contexte, le supplément de rémunération consenti aux fonctionnaires des agences publiques pour faire face à la cherté de la vie empêche souvent ses bénéficiaires d'avoir recours aux mesures d'aides d'État. Je pense aux petits et moyens salaires, privés d'aide parce que les barèmes sont calibrés sur les rémunérations en vigueur dans l'Hexagone. Quelle est la position de votre Gouvernement à ce sujet ?

Par ailleurs, de nombreux territoires ultramarins connaissent un niveau de chômage très important. Le tissu économique se caractérise de surcroît par une concurrence insuffisante, entraînant des situations de monopole et d'oligopole. Sans concurrents satisfaisants, les créations d'emplois dans les entreprises ainsi que les augmentations de salaires qui pourraient en découler restent faibles. Quels leviers l'État pourrait-il actionner pour soulager les entreprises de leurs charges et les accompagner afin de dégager les fonds indispensables à la revalorisation salariale ?

De manière plus générale, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires considère qu'il serait plus judicieux, pour réduire les inégalités dans les outre-mer, d'œuvrer à la hausse des salaires dans le secteur privé plutôt que de chercher à tirer vers le bas les rémunérations du secteur public et, in fine, de l'économie locale. La suppression de la sur-rémunération serait mortifère pour nos territoires. J'aimerais connaître la position du Gouvernement sur ce point.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
En cette période de vœux et de réunions de rentrée, tant la présidente de l'Assemblée nationale que le Premier ministre ont rappelé l'importance de garder un œil sur les départements et régions d'outre-mer (Drom), qui font face aux mêmes défis que la métropole mais où la cherté de la vie et les difficultés en matière de pouvoir d'achat sont décuplées.

Le Gouvernement en a fait une priorité, avec plusieurs dispositifs que vous connaissez : les outils de modération des prix, notamment des carburants réglementés, grâce à un bouclier qualité prix (BQP) ; l'Oudinot du pouvoir d'achat qui a permis de relancer les négociations locales, renforcées par des échanges nationaux entre les opérateurs de la grande distribution et les territoires ultramarins. Je me permets de rappeler aussi les décisions prises par Élisabeth Borne en juillet 2023 pour transformer les économies ultramarines, notamment la réforme de l'octroi de mer, qui permettra de faire baisser les prix des produits de grande consommation. Une réforme de la régulation des prix et du système de distribution des carburants sera mise en œuvre ces prochains mois. Enfin, la capacité de contrôle de la concurrence sera renforcée.

Nos compatriotes ultramarins bénéficient, au même titre que ceux de la métropole, de toutes les mesures destinées à protéger leur pouvoir d'achat. Mais nous devons y être d'autant plus vigilants que la situation est complexe dans les outre-mer.

M. Romain Daubié
Bravo !

Mme la présidente
La parole est à M. Dominique Da Silva.

M. Dominique Da Silva (RE)
Après bientôt deux ans d'une forte inflation, la question du pouvoir d'achat et des salaires demeure au cœur des préoccupations des Français.

M. Pierre Dharréville
Mais pas du Gouvernement !

M. Dominique Da Silva
Face à des oppositions plus enclines à tout critiquer qu'à proposer des mesures concrètes et sérieuses, notre majorité et le Gouvernement ont toujours agi et continuent de le faire pour soutenir les travailleurs.

M. Pierre Dharréville
Ah bon ?

M. Dominique Da Silva
On peut citer deux mesures fortes pour 2024.

M. Pierre Dharréville
Lesquelles ?

M. Dominique Da Silva
Grâce à la loi portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, 1,5 million de salariés bénéficieront d'une augmentation de leurs revenus. Quant aux fonctionnaires, ils profiteront d'une augmentation du point d'indice dès la fin du mois de janvier.

Comme l'a rappelé le Premier ministre, le Gouvernement est au travail pour défendre des mesures concrètes et audacieuses. Nous devons ainsi continuer à œuvrer à la revalorisation des salaires…

M. Pierre Dharréville
Commencer, plutôt !

M. Dominique Da Silva
…et au renforcement de la valeur travail. Car, oui, le travail doit payer mieux et être plus incitatif que les allocations. De fait, certains salariés voient leur salaire rattrapé par le Smic, ce qui entraîne découragement et incompréhension. Nous devons donc remédier à la tendance au tassement des salaires.

Fin 2023, le Gouvernement avait évoqué l'application, en 2024, d'une mesure coercitive concernant les minima de branche si aucun progrès significatif n'était constaté ou si le dialogue social n'était pas concluant.

Au-delà de la problématique des minima et des classifications de branches, quelles pistes le Gouvernement privilégie-t-il pour soutenir les salaires des classes moyennes et remédier au phénomène de tassement ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Vous avez raison, la compression des salaires est réelle et a des traductions matérielles pour ceux de nos concitoyens dont le salaire se situe juste au-dessus du Smic et qui ont le sentiment d'être rattrapés par les salariés percevant le salaire minimum. Ce phénomène, notamment dû à un manque de dynamisme des négociations salariales, a pour conséquence une perte de pouvoir d'achat, une absence de progression salariale et donc un manque d'attractivité des métiers, notamment ceux du secteur médico-social. C'est pourquoi le Gouvernement s'est engagé à être très attentif à la mise en conformité des branches.

Pour que les salaires progressent, que le travail paye mieux, les partenaires sociaux doivent rester mobilisés. Si le Gouvernement ne doit pas se substituer à ces derniers, il est néanmoins très attentif à la situation. Le travail est au cœur de notre projet, mais il faut qu'il soit rémunéré à sa juste valeur.

Au reste, le Gouvernement a pris l'engagement, lors de la conférence sociale, que, si en juin 2024, une majorité des branches restaient en situation de non-conformité, nous réfléchirions à des mesures législatives visant à asseoir les exonérations de cotisations des entreprises sur les minima conventionnels plutôt que sur le Smic.

Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.

M. Charles Sitzenstuhl (RE)
Le salaire est le paiement du travail, et la récompense du travail est le fil rouge de notre politique économique depuis 2017. Oui, nous agissons pour les Français qui travaillent !

Je tiens à rappeler trois éléments à cet égard. Premièrement, la meilleure réponse à la question des salaires, c'est le retour à l'emploi. Depuis sept ans, le chômage baisse en France. De près de 10 % lorsqu'Emmanuel Macron a été élu à la présidence de la République, son taux a été ramené à un peu plus de 7 %. Dans plusieurs endroits du pays – comme chez moi, en Centre-Alsace –, le plein emploi est désormais une réalité grâce aux efforts consentis par les entreprises et à une politique de l'emploi exigeante. Du reste, le chef de l'État vient d'annoncer un nouveau texte dans ce domaine.

Deuxièmement, je ne méconnais pas que, pour beaucoup de nos compatriotes, les salaires demeurent insuffisants. Il faut que certains d'entre eux augmentent davantage encore. Cependant, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) atteste qu'entre 2021 et 2023, le salaire mensuel de base a progressé de plus de 9 % pour les ouvriers et de plus de 6 % pour les cadres. On observe ainsi que, contrairement aux idées reçues, les salaires des premiers augmentent davantage que ceux des seconds.

Au niveau international, en raison de l'inflation très forte des derniers mois, les salaires réels ont, certes, légèrement reflué, mais beaucoup moins en France que dans d'autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous nous en tirons donc beaucoup mieux.

Troisièmement, le salaire ne se résume pas au salaire de base, mais inclut primes et compléments : autant d'argent qui va directement dans la poche des Français. En la matière, nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait, qu'il s'agisse de la prime dite Macron, de la monétisation des RTT ou de la défiscalisation des heures supplémentaires.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Merci pour votre présentation non exhaustive mais juste des résultats de notre politique en faveur du travail. Nous continuerons dans cette voie !

Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard (NI)
Ceux qui nourrissent la France veulent pouvoir vivre décemment de leur travail sans être assommés par les normes ou menacés par les importations. Vous l'avez compris, c'est des agriculteurs et de leurs salaires que je veux vous parler, en particulier des salaires de certains de nos viticulteurs.

Chaque année, le bilan des négociations commerciales est le même : une guerre des prix sans merci et une relation toujours tendue entre producteurs et distributeurs qui place les exploitations agricoles dans une situation très difficile.

Le 23 décembre, une situation dramatique a amené une cinquantaine de viticulteurs à organiser une opération "caddie gratuit" dans deux hypermarchés de Béziers. La semaine dernière, la mairie a donc organisé une rencontre entre viticulteurs, grande distribution et négociants afin de trouver des solutions pour que les premiers puissent vivre dignement de leur travail, sans attendre subventions, aides et autres indemnités de la part des pouvoirs publics.

En cause, les dérogations dont bénéficient certains pays, comme l'Espagne, qui sont source d'une concurrence déloyale évidente. En effet, ces pays sont soumis à moins de contraintes, notamment en matière d'utilisation des produits phytosanitaires, ce qui leur permet de produire à un prix plus compétitif. La mode des cépages accentue le phénomène puisque l'Espagne commercialise, en France, des bag in box (BIB) difficilement identifiables comme vins espagnols.

Par ailleurs, l'inflation et la lutte pour la préservation du pouvoir d'achat impliquent que la grande distribution pratique des marges réduites sur certains produits dits essentiels, si bien que, pour certaines enseignes, la tentation est grande de se rattraper sur d'autres produits, comme le vin.

Vous l'avez compris, ce que souhaitent les viticulteurs, c'est de vivre dignement de leur travail et de ne pas dépendre des aides versées par l'État, lesquelles ne peuvent pas constituer une solution durable. Ma question, très simple, est donc la suivante : qu'envisagez-vous pour que les viticulteurs puissent être payés au juste prix et se verser un véritable salaire ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Avant d'évoquer quelques-unes des mesures que nous avons prises au cours des sept dernières années, je vous dirai que nous pouvons tous nous accorder sur le fait que l'on peut être à la fois citoyen et consommateur et ainsi contribuer à la reconnaissance du travail de nos agriculteurs. Chacun doit avoir en tête, lorsqu'il fait ses courses, que le prix le plus bas n'est pas forcément le juste prix, celui qui correspond au travail et à la valeur produits par nos agriculteurs. Nous devons considérer leur rémunération comme le résultat des efforts fournis pour produire notre alimentation.

Celle-ci est par ailleurs un enjeu de souveraineté nationale. Nous devons donc nous battre pour préserver notre capacité à produire dans notre pays, non seulement en faisant face à la concurrence internationale mais aussi en suscitant des vocations pour les carrières de l'agriculture.

Tel est le sens de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim 1, et de celle visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2, qui permettent de rééquilibrer les rapports entre la grande distribution et les agriculteurs. C'est également l'objet du pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture, présenté en décembre 2023.

S'agissant des viticulteurs, sur la situation desquels vous m'avez plus particulièrement interrogée, je rappelle que le fonds d'urgence de 20 millions d'euros adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 sera déployé en faveur de ceux qui rencontrent les difficultés de trésorerie les plus importantes.

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 janvier 2024