Déclaration de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, sur l'état de la psychiatrie en France, à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2024.

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Circonstance : Questions posées au Gouvernement sur l'état de la psychiatrie en France, à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2024

Texte intégral

Mme la présidente
Mes chers collèges, je vous souhaite tout d'abord à toutes et à tous une belle et heureuse année.
(« Bonne année, madame la présidente ! » sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

L'ordre du jour appelle les questions sur l'état de la psychiatrie en France. La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR)
Les praticiens et plusieurs rapports parlementaires témoignent d'une situation de la santé mentale particulièrement dégradée en France. Alors que les besoins de prise en charge ont considérablement augmenté ces dernières années, les moyens manquent cruellement : les praticiens sont trop peu nombreux pour assurer une bonne prise en charge des patients face à l'afflux des demandes, les centres médico-psychologiques (CMP) et les hôpitaux psychiatriques sont saturés, et les lits manquent.
En septembre 2023, une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF) a révélé la gravité de la situation. Les délais moyens d'accès à des soins psychiatriques sont particulièrement longs, allant de un à quatre mois dans la majorité des cas pour les consultations en psychiatrie adulte, et de cinq à douze mois pour l'accès à un suivi psychiatrique en ambulatoire pour l'enfant et l'adolescent. Il convient d'observer avec vigilance l'évolution de la prévalence des troubles mentaux au sein de la population juvénile, car les besoins en psychiatrie des enfants, adolescents et jeunes adultes sont en nette augmentation. Une attention toute particulière devrait être apportée à la prévention de ces troubles, qui pourraient notamment découler de facteurs environnementaux et addictifs. En outre, le déficit de moyens ne permet pas de répondre aux besoins d'accompagnement urgent consécutifs à des événements traumatiques, comme j'ai encore pu le constater à la suite de l'attaque de Crépol, le 19 novembre.
L'accès aux soins psychiatriques présente également une dimension économique. Il conviendrait de renforcer leur prise en charge par l'assurance maladie : seuls un à deux tiers du coût des consultations en faisant actuellement l'objet, il en résulte un reste à charge important, prohibitif pour nombre de nos concitoyens, donc dommageable à la bonne couverture en soins de la population.
Quels moyens supplémentaires le Gouvernement entend-il consacrer à la psychiatrie en France, afin de permettre aux praticiens d'exercer dans de bonnes conditions et der répondre à l'ensemble des besoins de la population ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités
Vous avez pu le constater, et le Président de la République l'a rappelé encore hier soir : dans notre pays, la psychiatrie est incontestablement une préoccupation majeure, notamment s'agissant de nos jeunes. Cette situation résulte notamment de la pandémie de covid-19, trouble le plus grave qu'aient connu l'Europe et le monde depuis la seconde guerre mondiale et dont nombre de nos concitoyens portent encore les séquelles. Nous partageons donc votre constat : les troubles psychiatriques sont effectivement multifactoriels.
La psychiatrie, discipline d'écoute, s'inscrit dans le temps long et touche aussi à l'intimité des familles. Nous devons donc mobiliser des moyens financiers, mais aussi humains. À ce titre, je tiens à saluer l'engagement de tous les soignants, qu'ils interviennent dans les hôpitaux privés, publics ou dans les établissements médico-sociaux, et à souligner le rôle tout à fait important des aidants familiaux.
Passées de 9 milliards d'euros en 2020 à plus de 12 milliards en 2023, les dépenses d'assurance maladie finançant les activités de psychiatrie ont augmenté de près de 32 %. Les appels à projets lancés dans le cadre du fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie (Fiop), créé en 2019, ont permis de financer 238 projets – accès aux soins somatiques pour les patients souffrant de troubles psychiatriques ou régulation téléphonique, par exemple – pour un montant de 216 millions d'euros entre 2019 et 2022.
En outre, la loi de finances pour 2020 prévoyait une réforme du financement de la psychiatrie en établissement de santé qui s'étendra jusqu'en 2026. Nous sommes donc en pleine phase de transition. Cette réforme vise à atteindre une juste rémunération des professionnels et à mieux répartir l'offre, actuellement très inégale, dans tout le territoire – j'insiste sur ce deuxième point, car cette hétérogénéité est l'un des plus grands problèmes que nous rencontrons aujourd'hui. Le modèle en cours de déploiement permettra de mieux répondre aux besoins de la population.

Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Pradié.

M. Aurélien Pradié (LR)
L'histoire de la psychiatrie dans notre pays est celle d'un immense abandon et d'un naufrage sans précédent.

M. Maxime Minot
C'est vrai !

M. Aurélien Pradié
Vous n'êtes pas la première ministre de la santé à exercer sous la présidence d'Emmanuel Macron : avant vous, il y a notamment eu Agnès Buzyn qui, avec des trémolos dans la voix, avait publiquement déclaré qu'elle ne connaissait pas plus grand naufrage que celui de la psychiatrie et de la santé mentale dans notre pays.
Madame la ministre, vos réponses techniques assurées, pleines de certitudes, à base de plans, de bidules et autres machins, sont absolument dérisoires au regard de la situation de la psychiatrie dans notre pays. Le suicide est aujourd'hui la première cause de mortalité chez les moins de 35 ans – la première ! Et alors que la bonne santé mentale des jeunes enfants est fondamentale, il faut en moyenne un an et demi non pour avoir accès à un psychiatre, mais simplement pour bénéficier d'une première assistance et de premiers soins psychologiques – un an et demi à deux ans !

M. Maxime Minot
C'est un scandale !

M. Aurélien Pradié
Comment pouvez-vous répondre de manière aussi peu engagée sur des sujets aussi fondamentaux ?
Qu'ils s'intéressent à l'école, aux prisons ou à la santé mentale des adultes et des travailleurs, tous les professionnels de la psychiatrie nous disent que nous sommes assis sur des bombes à retardement.

Mme Karen Erodi
Merci Sarkozy !

M. Aurélien Pradié
L'état de nos prisons et les conditions d'enfermement des victimes de troubles psychiatriques profonds doivent constituer pour nous une cote d'alerte.
Tous les gouvernements qui se sont succédé ont contribué à ce naufrage. Aujourd'hui, il n'existe plus qu'une seule réponse possible : une véritable révolution en matière de soins psychiatriques. Voilà ce que nous attendons de vous, madame la ministre, et du Président de la République : pas des « chèques psy », pas des plans comme pourrait en annoncer une directrice générale d'agence régionale de santé (ARS), mais un engagement politique en faveur d'une véritable révolution pour la santé mentale et la psychiatrie, qui sont aujourd'hui les parents les plus pauvres de la santé dans notre pays.

M. Maxime Minot
Très bien !

M. Jean-François Rousset
Et que fait-on, alors ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'il est un sujet qui nécessite l'humilité, c'est bien la psychiatrie.

Mme Ségolène Amiot
Ce n'est pas une question d'humilité, mais une question de moyens !

Mme Catherine Vautrin, ministre
En la matière, ni vous ni moi ne détenons la vérité.
Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, monsieur Pradié, je souhaite que nous menions avec nuance et calme une réflexion au service d'un sujet très important pour notre pays.

M. Maxime Minot
C'est ce qu'il a fait !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Le Conseil national de la refondation (CNR) dédié à la santé mentale annoncé par le Président de la République aura bien lieu.

M. Aurélien Pradié
C'est du pipeau !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Non, ce n'est pas du pipeau !
(Exclamations sur les bancs des groupes LR et LFI-NUPES.)

M. Aurélien Pradié
Vous avez la naïveté des nouvelles troupes !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je ne suis pas plus naïve que vous, monsieur Pradié. La santé mentale est un sujet qui nécessite de rassembler les femmes et hommes de notre pays, les soignants, les familles, tous ceux qui connaissent le sujet, afin d'établir une feuille de route claire : tel est notre objectif.

M. Aurélien Pradié
Il faut agir ! Depuis Buzyn, qu'avez-vous fait ?

Mme Catherine Vautrin, ministre
Les moyens alloués à la psychiatrie sont beaucoup plus importants aujourd'hui qu'ils ne l'ont jamais été sous d'autres majorités,…

M. Laurent Leclercq
Très bien ! Il faut rappeler la vérité !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…alors arrêtons de nous invectiver sur les moyens, et agissons concrètement !

Mme Karen Erodi
La réponse n'est vraiment pas à la hauteur !

Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Minot.

M. Maxime Minot (LR)
Plus d'un Français sur cinq est touché par des troubles psychiatriques, qui apparaissent en majorité à l'adolescence, entre 15 ans et 25 ans, et dont les premiers symptômes sont souvent ignorés de la population. Pourtant, mal diagnostiqués ou mal pris en charge, ils altèrent considérablement la qualité de vie des malades, engendrant entre autres souffrances psychologiques et maladies cardiovasculaires.
Alors que les troubles psychiatriques sont la première cause d'arrêt maladie en France, la psychiatrie est une question cruciale pour la société de demain. Selon les données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la France comptait, au 1er janvier 2022, un peu plus de 15 500 médecins psychiatres, dont près de la moitié sont des salariés hospitaliers et un tiers exercent exclusivement en libéral.
Comme le relève mon collègue Yannick Neuder dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution appelant le Gouvernement à répondre aux besoins urgents de recherche, de prévention, de diagnostic et de prise en charge des troubles psychiatriques et pédopsychiatriques en France, la psychiatrie et la pédopsychiatrie publiques manquent d'argent et d'effectifs : pas moins de 30 % des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants et le nombre de postes d'infirmiers non pourvus a doublé entre 2019 et 2022.

Mme Emmanuelle Anthoine
Eh oui !

M. Maxime Minot
L'important manque de moyens alloués à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie affecte considérablement la prise en charge des patients.
Dans ma circonscription, nous avons pourtant la chance de bénéficier de la présence d'un des plus gros hôpitaux psychiatriques de France, le site Fitz-James centre hospitalier isarien. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail accompli chaque jour par le personnel médical de ce centre, qui souffre d'un manque de moyens autant que d'un manque de considération.
Face à tous ces constats, et pour faire suite à l'intervention de mon collègue Aurélien Pradié, quelles mesures concrètes entendez-vous prendre, madame la ministre, pour favoriser l'attractivité des métiers relatifs au diagnostic et à la prise en charge des patients victimes de troubles psychiatriques et pédopsychiatriques ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme Emmanuelle Anthoine
Très bien !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Depuis 2012, la formation des infirmiers dans le champ de la psychiatrie a été renforcée de deux unités d'enseignement ciblant les processus psychopathologiques, deux autres étant consacrées aux soins relationnels. Renforcer la formation initiale en psychiatrie et santé mentale des professionnels de santé, comme vous l'avez suggéré, s'inscrit d'ailleurs pleinement dans les objectifs d'adaptation des formations initiales des professionnels de santé aux enjeux du système de santé fixés par la loi de 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.
Repenser l'organisation permettra de développer la prise en charge des patients souffrant de troubles psychiatriques, enjeu déterminant si l'on veut qu'elle soit de qualité.
Cette priorité sera confortée par la refonte du référentiel infirmier, qui devrait être opérationnelle en 2024 et permettra d'actualiser le cadre de formation des infirmiers en soins généraux mais aussi d'accompagner le développement de la pratique avancée pour les infirmiers exerçant dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale.

M. Aurélien Pradié
Les infirmiers en pratique avancée pour répondre au défi psychiatrique ! C'est une plaisanterie ?

Mme Catherine Vautrin, ministre
Absolument pas ! La création d'un diplôme d'État d'infirmier en pratique avancée (IPA) est l'un des éléments de réponse. À ce jour, nous comptons très précisément 1637 diplômés, dont 318 en psychiatrie et santé mentale.

M. Aurélien Pradié
Des bricoles ! C'est complètement décalé !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous pouvez continuer à clamer que cela ne sert à rien,…

M. Aurélien Pradié
C'est dérisoire ! Grotesque !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…mais les IPA sont des professionnels de proximité, et c'est aujourd'hui l'un des facteurs d'attractivité de ce métier dans lequel les étudiants s'engagent précisément parce que, grâce à leur expertise, ils sont considérés comme une véritable ressource, un appui pour les équipes soignantes qui prennent en charge ces patients.

Mme la présidente
La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon (LR)
Chaque année, treize millions de Français sont touchés par un trouble psychique et le taux de suicide en France est l'un des plus élevés parmi les pays européens. La dégradation de la santé mentale de nos compatriotes est préoccupante et celle des plus jeunes est alarmante. En effet, selon un récent rapport de la Cour des comptes qui, lui, a été publié en 2023, on estime qu'environ 1 600 000 enfants et adolescents souffrent d'un trouble psychique et que 600 000 à 800 000 d'entre eux présentent des troubles importants.
Pourtant, malgré les moyens mobilisés, notamment lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, nous assistons à une véritable désertification psychiatrique : près de 30 % des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants et le nombre de postes d'infirmiers non pourvus a doublé entre 2019 et 2022. Entre 2010 et 2022, le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 %. Ils sont à peine plus de 2 000 aujourd'hui, à tel point que le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie qualifie la pédopsychiatrie de « spécialité sinistrée ».
Alors que les besoins n'ont jamais été aussi importants, un grand nombre de nos concitoyens n'arrivent pas à consulter car les services sont débordés, notamment dans les CMP, où le temps d'attente avant consultation peut atteindre un an en pédopsychiatrie. C'est d'autant plus inquiétant que l'état de santé psychique des enfants et des adolescents est l'un des principaux déterminants de leur santé future. En effet, 35 % des pathologies psychiatriques adultes débuteraient avant 14 ans, 48 % avant 18 ans, 62,5 % avant 25 ans. Madame la ministre, face à cette situation alarmante, quelles nouvelles mesures d'urgence comptez-vous prendre sans délai pour améliorer l'attractivité des métiers de la psychiatrie, et ainsi répondre aux besoins des Français et des soignants qui travaillent dans des situations difficiles ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous sommes d'accord sur le constat et les chiffres que vous avez rappelés. Intéressons-nous à la manière de faire progresser l'attractivité de la discipline psychiatrique. La situation est d'autant plus inquiétante que les conséquences sont immédiates, je pense en particulier aux fermetures de lits et aux files d'attente qui s'allongent, notamment dans les CMP. La stratégie du ministère de la santé est très claire et repose sur deux points. Le premier, c'est la hausse des postes aux épreuves classantes nationales (ECN) : pour la rentrée universitaire 2023-2024, au niveau national, 572 postes ont été ouverts. Le deuxième point concerne le troisième cycle des études de médecine, et là encore, mes chers collègues,…

M. Maxime Minot
Nous ne sommes pas collègues !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…il faut faire preuve de lucidité : ce qui n'a pas été fait dans notre pays pendant trente ans ne peut pas se rattraper d'un coup de baguette magique. La vérité que nous devons aux Français, c'est que la formation en médecine prend du temps, notamment lorsqu'il s'agit d'atteindre un troisième cycle. Depuis 2017, nous avons créé les options psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, et psychiatrie de la personne âgée. Le nombre d'étudiants réalisant ces options a augmenté, mais les chiffres sont encore insuffisants. Je le reconnais bien volontiers, mais c'est, à cinq ans, la seule maquette qui permette d'apporter des réponses concrètes et durables. On peut toujours aboyer avec les loups, mais la question est de savoir comment avancer concrètement ensemble.

M. Aurélien Pradié
J'en connais une qui aboie !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Elle n'est pas la seule !

M. Aurélien Pradié
Vous êtes ici pour rendre des comptes aux députés, et je répète que nous ne sommes pas collègues !

Mme Élise Leboucher
On n'entend rien d'ici, est-ce qu'on peut participer ?

M. Aurélien Pradié
Je rappelais à Mme la ministre qu'elle n'est pas députée et qu'elle doit rendre des comptes à la représentation nationale !

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Jacques Gaultier.

M. Jean-Jacques Gaultier (LR)
Les troubles psychiques ne sont ni honteux ni incurables.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez raison !

M. Jean-Jacques Gaultier
Ils touchent chaque année une personne sur cinq, soit douze millions de Français, dont la moitié ne sont pas pris en charge. Retards dans le dépistage des troubles bipolaires, dans le diagnostic des troubles autistiques, syndromes dépressifs dont le nombre explose, notamment chez les jeunes : cette vague psychiatrique arrive, alors que notre système de soins est exsangue. Premier poste de dépenses de l'assurance maladie, la santé mentale apparaît pourtant comme un parent pauvre. Même si le médecin traitant repère les troubles et envoie le patient chez un psychologue, la consultation d'un psychologue n'est pas remboursée par l'assurance maladie, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni. Comptez-vous labelliser la formation des psychologues et ouvrir la voie à un remboursement ?
Enfin, comment comptez-vous soutenir nos hôpitaux psychiatriques ? Le centre hospitalier psychiatrique départemental de Ravenel, dans les Vosges, manque de capacité d'investissement, de psychiatres et d'infirmiers, ce qui est préjudiciable à la fois pour les patients et pour le personnel. Le manque de pédopsychiatres s'y fait cruellement sentir – il y a deux à trois pédopsychiatres et sept places d'hospitalisation pour les jeunes adolescents dans tout le département ! Je souhaite que vous donniez au centre hospitalier psychiatrique de Ravenel les moyens de poursuivre ses investissements trop longtemps reportés. Quelles sont vos intentions à ce sujet ?
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Le dispositif Mon soutien psy, créé l'an dernier, prévoit la prise en charge de huit consultations. Cette nouveauté constitue une première réponse.

M. Jérôme Guedj
C'est un échec.

Mme Élise Leboucher
Combien de personnes sont concernées ?

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'agissant des mesures issues des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, trois éléments en particulier permettent d'apporter des réponses. Le premier est le renforcement des maisons des adolescents : 10,5 millions d'euros ont été annoncés pour la période 2022-2023. Le deuxième point concerne les CMP pour adultes et les CMP pour adolescents : 8 millions par an pour les adultes, 8 millions par an pour les enfants et les adolescents pendant trois ans, soit 48 millions pour la période 2022-2024. Il nous faut donc débattre des actions à lancer à partir de 2024. Troisième point : le renforcement du nombre d'équipes mobiles psychiatriques intervenant auprès des personnes âgées, notamment dans les Ehpad et les établissements médico-sociaux. Vous le voyez : on voit apparaître les premières réponses. Je vous propose que nous travaillions ensemble pour aller plus loin.

Mme la présidente
La parole est à Mme Maud Petit.

Mme Maud Petit (Dem)
« L'aile A abrite des cannibales, des tueurs d'enfants, des pyromanes. » Ces mots sont extraits de l'ouvrage à paraître d'Alexandre Kauffmann,
Un homme dangereux
: une plongée dans les unités d'hospitalisation pour malades difficiles, ces services psychiatriques où sont suivis les patients jugés irresponsables de leurs actes ou présentant un danger pour eux-mêmes. J'aimerais mettre en lumière un service particulier de la psychiatrie dont on parle peu mais qui oeuvre à protéger la société d'individus particulièrement violents. Il existe actuellement une dizaine d'unités pour malades difficiles (UMD) en France. Ces services sont eux aussi sous tension en raison de l'explosion des pathologies mentales mais aussi du profil des patients qui y sont suivis. Il m'en a été fait état lors de mes visites à l'hôpital psychiatrique Les Murets dans ma circonscription. Quels moyens sont mis en oeuvre pour développer ces unités ?
Je souhaite aussi appeler votre attention, madame la ministre, sur un sujet connexe. Même si les personnels de santé de psychiatrie sont formés à la gestion des situations de violence, ils ne sont pas à l'abri d'en être les victimes. L'observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) fait état, pour l'année 2021, de plus de 19 000 signalements et 84 % des victimes déclarées étaient des soignants. Avec plus de 22 % des signalements effectués cette année-là, la psychiatrie était le secteur le plus touché. Dans une époque où notre société est frappée par l'agressivité et la violence sous toutes ses formes, les soignants y sont particulièrement exposés.
La branche psychiatrique peut faire face à des patients capables d'atrocités. Guidés par le serment d'Hippocrate, les soignants continuent cependant de prodiguer des soins indispensables, en mettant parfois leur intégrité physique en péril, comme en témoigne l'agression d'une infirmière dans un hôpital psychiatrique du Morbihan en septembre 2023. Madame la ministre, face à la situation alarmante de recrudescence d'actes de violence, quels moyens sont déployés pour protéger les soignants de la branche psychiatrique ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez raison, madame la députée : les soignants des unités psychiatriques sont particulièrement concernés par la problématique des violences contre les professionnels de santé. D'ailleurs, les chiffres sont là : la psychiatrie constitue près d'un quart des signalements. Pour assurer la sécurité des soignants, il faut des équipes en nombre, je vous l'accorde. C'est le fondement des mesures prises pour assurer l'attractivité des métiers de la santé dans le cadre du Ségur de la santé. La revalorisation du travail de nuit au 1er janvier dernier en constitue un élément de réponse.
Sur le sujet spécifique de la violence, un plan de protection des personnels a été annoncé autour de trois axes : sensibiliser le public et former les soignants, prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels, déclarer les agressions et accompagner les victimes. Il s'agit de mesures très concrètes. Comme pour beaucoup d'entre vous, ce débat est pour moi l'occasion de rendre hommage à celles et ceux qui sont exposés à cette violence. Je suis élue d'un territoire qui a été particulièrement concerné et, en vous répondant, je pense à Carène Mézino, infirmière du centre hospitalier de Reims, qui malheureusement est morte au mois de mai 2023.
S'agissant des UMD, au nombre de dix aujourd'hui, elles permettent une prise en charge spécifique et plus proche – les deux dimensions sont importantes. En 2024, le projet consiste en un abondement budgétaire plus important, la première réalisation concrète étant l'ouverture d'une nouvelle UMD dans les Hauts-de-France.

M. Maxime Minot
La plus belle région de France !

Mme la présidente
La parole est à M. Joël Aviragnet.

M. Joël Aviragnet (SOC)
Entre deux et trois millions de nos concitoyens de moins de 19 ans souffrent de troubles mentaux. Or, seulement 700 pédopsychiatres exercent sur le territoire, ce qui crée d'importantes disparités d'accès aux soins et des délais pouvant aller jusqu'à deux ans pour une consultation. Face à cette situation dramatique, nous députés socialistes, après avoir réalisé une trentaine d'auditions et des visites de terrain, proposons dix mesures pour faire de la santé mentale une grande cause nationale qui ne peut être réduite à deux heures de débat lors d'une semaine de contrôle.

M. Philippe Gosselin
C'est vrai, mais c'est mieux que rien. C'est un droit d'alerte !

M. Joël Aviragnet
Il s'agit avant tout de construire des parcours de prise en charge qui associent des équipes pluriprofessionnelles et s'appuient en priorité sur le secteur ambulatoire. Il s'agit aussi de faire participer les usagers et leurs proches au traitement de la maladie en les rendant réellement acteurs du processus de prise en charge. Mais la priorité, l'urgence absolue reste la revalorisation des rémunérations des professionnels de la santé mentale et la création de postes supplémentaires afin de redonner de l'attractivité à ces métiers.
Concernant la pédopsychiatrie, il est urgent de former davantage de professionnels et de renforcer la coopération entre les acteurs concernés. Ne nous trompons pas : la pandémie et les crises successives ont abîmé durablement la santé mentale des jeunes.

M. Michel Herbillon
Absolument !

M. Joël Aviragnet
Face à ce constat très inquiétant car il concerne des jeunes, le Gouvernement est inexistant. Alors, madame la ministre, comptez-vous prendre des mesures d'urgence pour répondre à la hausse constante des troubles mentaux de nos jeunes ? Allez-vous enfin réinvestir dans la pédopsychiatrie, perçue unanimement par tous les professionnels comme le parent pauvre de notre système de santé déjà mis à mal ?

M. Philippe Gosselin
C'est même le mendiant !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'agissant de votre remarque concernant le temps consacré à ce débat, vous me permettrez de rappeler qu'il revient à l'Assemblée nationale d'organiser ce type de discussion, le Gouvernement étant à sa disposition pour y répondre. C'est d'ailleurs le sens de ma présence aujourd'hui.
Je partage bien sûr votre constat sur la santé mentale des jeunes. S'il reste encore beaucoup de choses à faire en la matière – je vous l'accorde bien volontiers –, permettez-moi de revenir sur quatre éléments. Premièrement, la création du dispositif Mon soutien psy, que j'évoquais il y a un instant, et qui prévoit le remboursement par l'assurance maladie, dès l'âge de 3 ans, d'une prestation d'accompagnement psychologique pour des troubles d'intensité légère à modérée, comprenant jusqu'à huit séances par an réalisées par un psychologue.

Mme Ségolène Amiot
Ça ne sert à rien !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Deuxièmement, le renforcement du réseau des maisons des adolescents qui apportent incontestablement des réponses plus longues et davantage construites. Troisièmement, l'augmentation des effectifs des centres médico-psychologiques pour les enfants et les adolescents et, quatrièmement, le renforcement du nombre de psychologues dans les maisons de santé et les centres de santé, avec une extension du dispositif aux enfants et aux adolescents dès l'âge de 3 ans, puisque l'ensemble de la jeunesse est concerné par ce sujet.

M. Michel Herbillon
C'est prioritaire de s'occuper des jeunes !

Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj (SOC)
Si je peux me permettre, nous vivons un moment plutôt paradoxal : hier, dans son intervention, le Président de la République a balayé de nombreux sujets, mais celui que nous évoquons aujourd'hui, à l'initiative du Parlement, demeure sous les radars de toutes les prises de position, y compris au sein de votre ministère depuis des années – sauf, comme l'a rappelé Aurélien Pradié, pour se lamenter sur le caractère sinistré de la politique de psychiatrie publique en France.
Il y a vingt-cinq ans, j'étais président de l'hôpital psychiatrique Barthélemy Durand, dans l'Essonne, établissement dans lequel est née la psychiatrie de secteur en France. Depuis, nous constatons la fragilisation constante du secteur de la psychiatrie, des centres médico-psychologiques, des centres d'accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), des hôpitaux de jour et de toutes les structures de psychiatrie de secteur qui lui sont adossées, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. À cet égard, j'aimerais que vous nous répondiez sur un paradoxe absolu : lors de la réunion du comité interministériel des villes (CIV) présidé par Élisabeth Borne peu avant les fêtes de Noël, pas une mesure n'a été envisagée pour favoriser l'accès aux soins en santé mentale et à la psychiatrie de secteur dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Nous sommes tous convaincus, dans cet hémicycle, qu'il convient de changer de braquet sur ce sujet. Étant d'un naturel optimiste, je vois un avantage à ce que vous soyez, madame la ministre, à la tête d'un mastodonte social transversal : dans les trois secteurs dont vous avez la charge, à savoir la santé, le travail et la solidarité – je pense à l'aide sociale à l'enfance, à la gérontopsychiatrie pour les personnes âgées ou au problème de santé publique que constitue le suicide des personnes âgées –, bref, dans tous les couloirs de votre département ministériel gigantesque, il y a des enjeux de santé mentale – nous pourrions également évoquer le burn-out en milieu professionnel.
Au moment où votre feuille de route est encore en construction – nous comprenons bien que vous prenez le relais de dispositions que vous n'avez pas décidées –, pouvez-vous nous indiquer si le Premier ministre annoncera, dans son discours de politique générale non soumis à un vote de confiance, qu'il donnera la priorité aux politiques publiques de santé mentale et aux enjeux que nous venons de mentionner ?

M. Philippe Gosselin
Ce serait bien !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez pu remarquer, monsieur le député, que le Président de la République a évoqué ce sujet hier soir, mettant en avant les difficultés que nous rencontrons et le constat qui est dressé.

Mme Ségolène Amiot
Cela fait six ans qu'il est au pouvoir !

M. Aurélien Pradié
Mettre en avant un constat, c'est facile !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Encore faut-il dresser un constat pour apporter ensuite les réponses appropriées.

M. Aurélien Pradié
Mais s'il faut six ans pour constater !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez eu la gentillesse de rappeler, monsieur Guedj, que vous aviez vous-même dirigé un établissement et que, depuis vingt-cinq ans, des difficultés étaient apparues. Vous avez cité votre collègue Pradié : vous m'accorderez qu'au cours de cette période de vingt-cinq ans, aussi bien la formation à laquelle vous appartenez que celle à laquelle appartient ce dernier ont été aux responsabilités.

M. Aurélien Pradié
Il me semble que vous y étiez vous-même, madame la ministre, ce qui n'est pas mon cas !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Nul n'est parfait et chacun à encore un chemin à parcourir.

M. Aurélien Pradié
Vous avez un problème de mémoire ! Vous semblez avoir effacé une partie de votre vie ; c'est une mémoire de poisson rouge !

Mme Catherine Vautrin, ministre
C'est vrai, nous avons besoin de réponses. C'est pourquoi, de façon très constructive, je propose que nous puissions parcourir ce chemin : cela passe par une réflexion avec Mme Agresti-Roubache sur le CIV, puisque je partage votre constat s'agissant des quartiers prioritaires. Toutefois, les problèmes psychiatriques ne sont pas concentrés dans un seul endroit mais concernent l'ensemble du territoire ; notre mobilisation doit donc être généralisée partout dans le pays. Tel est, très concrètement, le sens de mon engagement. Je vous remercie par ailleurs d'avoir noté qu'au bout de cinq jours, il serait un peu présomptueux de ma part d'imaginer avoir réponse à tout.

Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Cécile Violland.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR)
Les Français subissent une vague inédite de dépression. La crise du covid-19 a enregistré une hausse sans précédent des épisodes dépressifs chez les jeunes, comme le souligne une étude de l'agence Santé publique France, en date de février 2023. Chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans, la proportion des épisodes dépressifs a quasiment doublé entre 2017 et 2021, et davantage encore chez les jeunes femmes, comme le souligne le rapport que j'ai publié avec ma collègue Pascale Martin sur la santé mentale des femmes.
En France, le secteur médical est en crise. La situation de la psychiatrie est dramatiquement alarmante. La prévalence des troubles mentaux augmente dans toute la population : 13 millions de Français sont touchés chaque année par des troubles psychiques, soit une personne sur cinq. Le secteur de la pédopsychiatrie, cela a été rappelé, est particulièrement en souffrance. En mars 2023, la Cour des comptes a publié un rapport qui s'inquiète de l'offre de soins en pédopsychiatrie. En effet, le nombre de spécialistes dans ce domaine est en très forte diminution.
Les problèmes de santé mentale constituent le premier poste de dépense de l'assurance maladie, avec un coût annuel de 23 milliards d'euros. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le coût économique et social est estimé en France à 109 milliards d'euros par an. Ces chiffres sont alarmants et je suis convaincue qu'une prise en charge précoce ne pourra être que bénéfique pour les Français et pour le pays. La prévention doit être au c?ur de nos préoccupations et la prise en charge psychothérapeutique est l'une des réponses.
C'est pourquoi je souhaite saluer l'instauration du dispositif Mon soutien psy par le Gouvernement. C'est la première fois qu'un gouvernement se saisit de la prise en charge des consultations psychothérapeutiques. J'ai également connaissance du programme pluriannuel psychiatrie et santé mentale 2018-2023. Toutefois, il faut aller plus loin encore pour répondre aux besoins grandissants de la population.
Ainsi, madame la ministre, compte tenu du besoin urgent des Français de prendre soin de leur santé mentale, pensez-vous envisageable de développer le dispositif Mon soutien psy et de l'adapter, en vue d'une meilleure adhésion des professionnels, notamment sur le plan du montant des remboursements des séances et des modalités d'indication ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez raison, la santé mentale représente le premier poste de dépense. Nous devons élaborer une stratégie reposant sur deux aspects : la prévention et, bien sûr, le traitement. C'est tellement vrai que nous étions, avec M. le Premier ministre, à Dijon samedi après-midi, où nous avons rencontré le responsable des urgences psychiatriques. La première chose qu'il a mise en avant, ce sont les cas très particuliers auxquels nous devons répondre : certains jeunes, par exemple, ont besoin d'être accompagnés simplement pendant quelques heures ou quelques jours tandis que d'autres auront besoin d'un accompagnement beaucoup plus long. Il faut pouvoir répondre aux différentes pathologies et aux différents besoins, ce qui suppose beaucoup de souplesse.
Vous avez évoqué le dispositif Mon soutien psy, qui a été introduit par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022…

Mme Élise Leboucher
C'est un échec !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…et qui vise à mobiliser des psychologues volontaires sur des activités de premières lignes, du dépistage ou du repérage, avec une prise en charge initiale et éventuellement une orientation vers des soins spécialisés, en lien avec les autres acteurs du parcours de soins.
Permettez-moi de vous donner en deux mots quelques éléments de bilan chiffré : au 8 janvier 2024, 2 500 psychologues volontaires participent au dispositif et, en moyenne, un psychologue a reçu quatre-vingt-huit patients. Fin novembre 2023, 228 181 patients avaient déjà eu recours à ce dispositif et 71 %, comme vous le souligniez, sont des femmes ; 11 % des personnes prises en charge sont bénéficiaires de la protection maladie universelle. Dans la mesure où l'on compte, en moyenne, cinq séances par patient, 1 100 000 séances au total ont donc été réalisées, pour un montant de remboursements de 22 millions d'euros. Il s'agit déjà un élément important et je crois que nous devons tirer les éléments de ce bilan pour aller plus loin.

Mme la présidente
La parole est de nouveau à Mme Anne-Cécile Violland.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR)
Pour ma seconde question, permettez-moi d'illustrer la situation de la psychiatrie en évoquant la réalité de ce qui se passe dans l'établissement public de santé mentale (EPSM) de mon département, la Haute-Savoie. Le constat est formel : la ressource médicale manque cruellement. La conséquence de ce manque de personnel est simple : l'EPSM 74 ferme des lits – 27 % le sont pour cette raison. Pourtant, le besoin de soins augmente, mais les effectifs ne suivent pas. Il y a des départs massifs dus à des démissions, à des disponibilités, à des suspensions, à des mutations, mais également à un turn-over médical de 60 % en 2022 et à une fragilité de la santé des psychiatres vieillissants. Évidemment, cette situation n'est pas propre au territoire haut-savoyard. Elle est représentative de l'état de la psychiatrie partout en France. Je ne souhaite en aucun cas accabler les psychiatres ni leurs équipes, mais plutôt saluer leur engagement et leur implication dans ce contexte contraint.
Outre le désintérêt des jeunes médecins pour la discipline, les problèmes de recrutement s'expliquent par différentes raisons : d'une part, cet EPSM est rattaché à l'université de Grenoble, qui est éloignée, et il ne reçoit malheureusement pas d'internes ; d'autre part, on connaît l'attractivité de la Suisse voisine.
De plus, les patients les plus lourds, c'est-à-dire tous les patients en soins sans consentement ou hospitalisés d'office génèrent des contraintes administratives majeures pour la communauté médicale. Comment alléger et simplifier ces démarches administratives ?
La fermeture des lits d'unité d'hospitalisation dans ma ville-centre de Thonon-les-Bains réduit l'offre de soins à une seule structure, à près de cinquante kilomètres et plus d'une heure de route. Comment assurer une continuité de soutien familial dans de telles conditions ? À l'heure où nous avons plus que jamais besoin de psychiatres, comment restaurer l'attractivité de cette discipline et permettre, enfin, le retour à une offre de soins de proximité pour le bien-être des patients ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
J'ai effectivement pris connaissance de la situation que vous venez d'évoquer dans votre département de la Haute-Savoie. Je ne vais pas me réfugier derrière une réponse facile qui consisterait à justifier la situation par le fait que votre département est voisin de la Suisse : cela n'aiderait pas.

M. Aurélien Pradié
Vous le dites quand même !

Mme Élise Leboucher
Les départements éloignés de la Suisse connaissent les mêmes problèmes !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je sais que l'agence régionale de santé connaît cette situation et a essayé d'instaurer un suivi rapproché. Très concrètement, des recours à la réquisition ont été engagés, mais il est toujours très compliqué de mobiliser d'autres établissements publics et privés. Cette situation mérite d'être étudiée avec l'ensemble des acteurs locaux, pour que nous puissions, dans le cadre d'une politique d'attractivité plus globale des établissements et de renforcement des équipes médicales et paramédicales, répondre à la situation que vous venez de décrire.

M. Aurélien Pradié
C'est très convaincant !

Mme la présidente
Mes chers collègues, je vous ai souhaité tout à l'heure une bonne année. Permettez-moi de vous adresser mes voeux de bonne santé. Et pour éviter tous troubles musculo-squelettiques, je rappelle qu'entre les accoudoirs vous disposez d'un siège plus ou moins agréable, sur lequel je vous invite à vous asseoir. Je dis cela pour votre santé en 2024 !

M. Philippe Gosselin
Merci, madame la présidente. Nous y sommes sensibles !

Mme la présidente
De rien !
La parole est à M. Jean-Claude Raux.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
Vous êtes chargée d'un super portefeuille regroupant travail, santé et solidarité. Il ne faudrait pas toutefois que cela s'apparente à un sous-ministère de la santé, ce qui nous fait craindre le pire, en particulier pour la psychiatrie, secteur dans lequel les futurs internes ne veulent plus aller et où les psychiatres et les paramédicaux épuisés désertent l'hôpital public. Je dis craindre le pire mais, pour de trop nombreux patients et leurs proches ainsi que pour certains professionnels, on pourrait difficilement faire pire.
Il n'y a rien de pire, en effet, pour le personnel médical que de savoir qu'il se situe à la limite de l'éthique. Pourtant, les professionnels sentent qu'ils et elles peuvent être responsables de maltraitance à l'encontre de leurs patients, tant ils manquent de lits, de temps et de moyens. C'est d'une violence inouïe pour eux et leurs patients.
Imaginez-vous devoir faire le tri entre des personnes qui ont besoin d'aide. La réalité de la psychiatrie est souvent devenue celle du tri quotidien. Voilà ce que j'ai entendu dans un hôpital psychiatrique, la semaine dernière : « On trie la souffrance, la douleur ; il faut que les ministres sachent ». Alors, si vous ne le savez pas encore, sachez-le, madame la ministre. Dans l'hôpital que je viens d'évoquer, il faudrait vingt psychiatres, alors qu'ils ne sont plus que dix. La semaine dernière, cet établissement a reçu huit demandes d'admission pour une seule place disponible. Où vont les sept autres ? En outre, lorsqu'un patient est admis, son temps d'hospitalisation est raccourci et, à sa sortie, il n'y a plus forcément d'aval ni de réponse médico-sociale ; il n'y a pas d'ailleurs. Je le répète : laisser dépérir la psychiatrie, c'est accroître la violence dans notre société.
Entendez-vous vous battre, madame la ministre, pour que la psychiatrie devienne une véritable grande cause nationale et pour nous faire sortir de cette situation catastrophique, intenable et délirante ? J'avais invité l'ex-ministre Aurélien Rousseau à nous rendre visite afin de constater que je ne noircis pas le tableau ; je vous propose donc de venir en Loire-Atlantique, afin de voir et d'entendre la réalité vécue par les équipes.

Mme Ségolène Amiot
Il a tellement raison !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
J'entends bien votre constat et je le partage. Il y a effectivement des difficultés importantes. Toutefois, laisser croire que nous allons résoudre le problème en trois jours serait un mensonge. C'est la raison pour laquelle il me semble très important que nous puissions continuer à travailler sur l'attractivité.

M. Aurélien Pradié
Cela fait sept ans déjà !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Qu'est-ce que l'attractivité ? C'est la capacité de former et de rémunérer des personnels et dans un second temps de rouvrir des lits. C'est ce dont il est question. Comme vous avez pu le remarquer, M. le Premier ministre et moi-même avons souhaité précisément nous rendre aux urgences psychiatriques samedi, pour montrer l'importance que le Gouvernement porte à cette question. L'enjeu nécessite une mobilisation et des réponses. C'est le sens que je vais donner à mon action. L'intérêt de ce ministère est qu'il pourra travailler sur l'ensemble des champs : non seulement la santé, mais aussi l'ensemble des publics, que ce soient les plus jeunes ou nos aînés.

Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES)
Chacun fait ici le même constat alarmant : les troubles psychiatriques et les affections psychologiques augmentent, en particulier dans les deux classes d'âge extrêmes : nos aînés et les plus jeunes. Dans le même temps, la communauté médicale dans sa globalité diminue, les places diminuent et les lits diminuent. La situation, de plus en plus préoccupante, provoque déjà partout sur le territoire – en particulier en Loire-Atlantique, qui était sous-dotée en moyens –, des drames humains. Les conséquences incluent bien évidemment l'épuisement des soignants et la perte de sens. En outre, la crise du covid a fortement affecté la société dans son ensemble – les professionnels en témoignent. Face à la chute des effectifs qui crée un véritable goulot d'étrangement, un cercle vicieux s'est enclenché, conduisant à l'épuisement des professionnels du secteur et mettant véritablement en péril la bonne prise en charge des personnes qui ont besoin de soins psychiatriques.
J'insisterai particulièrement sur la situation encore plus préoccupante de la pédopsychiatrie. Une hausse des tentatives de suicide est observée chez des enfants de plus en plus jeunes. Les avis sont unanimes : le tri des patients se situe parfois à la limite de l'éthique professionnelle et du professionnalisme. À cela s'ajoute un autre drame : faute de structures adaptées, des lits ferment dans les unités de soins pédopsychiatriques et des enfants – souvent ceux qui présentent les pathologies les plus lourdes – sont enfermés dans des unités adultes. Les soignants sont littéralement obligés de monter la garde devant les chambres des enfants pour assurer leur sécurité. Ce n'est pas leur métier et cela a pu mener à des situations absolument dramatiques – y compris dans ma circonscription. Loin de rejeter la faute sur les établissements – dont les soignants tentent tant bien que mal de faire face à cette crise au moyen de solutions de fortune, souvent aux dépens de leur propre santé mentale –, ce que je veux dénoncer ici, c'est l'absence criante de volonté d'enrayer cette crise. Il est donc nécessaire de redonner de l'attractivité à ces professions et d'allumer une lumière au bout du tunnel.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous avez évoqué dans la première partie de votre question l'évolution de la communauté médicale. Si celle-ci diminue, c'est pour deux raisons. Premièrement, du fait du numerus clausus, nous partons avec un retard très important en ce qui concerne le nombre de médecins : 30 % d'entre eux ont plus de soixante ans, ce qui signifie que nous verrons partir un certain nombre de médecins au cours des mois et des années qui viennent. Dans le même temps, celles et ceux qui sont encore en formation ne peuvent pas répondre aux besoins. Deuxièmement, nous devons envisager avec lucidité l'évolution des pratiques : une partie des professionnels fait le choix par exemple de l'activité à temps partiel – nous nous devons de respecter leur décision.

M. Aurélien Pradié
Ne vous inquiétez pas ! Nous avons les IPA !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je rappelle que les externes et les internes – qui sont au quotidien à l'hôpital – font des choix, que je respecte. Derrière, c'est à nous d'en gérer les conséquences, grâce au lien ville-hôpital et au lien entre l'hôpital et le secteur médico-social. Dans le domaine de la pédopsychiatrie sur lequel vous avez particulièrement insisté, c'est la pédiatrie qui est concernée : or, dans ce domaine, nous rencontrons un problème pour accompagner les jeunes enfants. Lors des assises de la pédiatrie, nous devrons réfléchir au moyen de prendre en compte toutes les pathologies, notamment celles qui connaissent une forte augmentation, par exemple les troubles pédopsychiatriques des jeunes enfants, qui appellent des réponses très concrètes.

M. Aurélien Pradié
C'était très concret, peut-être même trop !

Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES)
Fin 2022, un quart des établissements psychiatriques ont dû réduire entre 10 et 30 % de leur capacité d'accueil. Ces fermetures sont dues principalement au manque de personnels médicaux et paramédicaux. Le manque de moyens couplé à la crise de recrutement des professionnels aggrave le non-respect des droits et des libertés fondamentales des patients. La maltraitance des professionnels engendre inévitablement celle des patients. Les alertes lancées par les professionnels sur les conditions indignes d'accueil et de soin des usagers, confirmés par les constats des rapports de la CGLPL – Contrôleure générale des lieux de privation de liberté –, sont ignorées, voire désavouées. Une omerta sur les pratiques demeure. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) signale que quarante-deux personnes sont décédées des suites directes de pratiques de contention ayant fait l'objet d'un signalement aux autorités entre 2011 et 2019. Or ces pratiques – de contrainte médicamenteuse, légale, physique et chimique – augmentent constamment. Aucune réponse politique n'a pourtant été donnée à cet usage en tout point contraire aux droits et aux libertés fondamentales des patients.
Les agents publics, surtout en psychiatrie, se saisissent rarement de l'article 40 du code de procédure pénale, parfois par méconnaissance mais souvent par peur de l'institution. Les quelques alertes lancées se retournent contre les professionnels et contre les usagers, renforçant une forme d'omerta en psychiatrie. La pénurie du service public hospitalier se fait donc sur le dos et sur le corps des personnes malades, qui sont de plus en plus contentionnées ou isolées, ce qui génère des drames évitables, beaucoup plus nombreux que les tragédies médiatisées. Madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour protéger les droits et libertés des patients et ceux des soignants lanceurs d'alerte qui souhaitent dénoncer certaines pratiques dégradantes et indignes en psychiatrie ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Les soins sans consentement sont une exception à un principe fondamental du droit de la santé : le consentement aux soins. Cette exception, propre au périmètre de la psychiatrie, nécessite – je partage votre opinion – une attention constante aux conditions dans lesquelles sa mise en oeuvre est autorisée. Hors mesure de justice, un patient psychiatrique peut être pris en charge dans le cadre d'un dispositif de soins sans consentement, soit à la demande du représentant de l'État, soit sur décision du directeur de l'établissement. Au-delà de ce cadrage législatif et réglementaire strict, plusieurs autorités ont un rôle à jouer pour veiller à l'équilibre tellement important entre le droit des patients et la préservation de leur état de santé. Le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD) et de la CGLPL est tout à fait important. La commission départementale des soins psychiatriques a pour mission de garantir le respect des droits fondamentaux des usagers ayant recours aux soins psychiatriques et dispose de prérogatives telles que la saisine du JLD.
Je confirme devant vous la volonté du Gouvernement d'encadrer le recours aux soins sans consentement, à l'isolement et à la contention. Cette démarche s'inscrit dans le cadre d'une politique déterminée de prévention, de réduction et de contrôle des pratiques d'isolement et de contention, politique partagée au niveau européen. Le plan d'action validé par le comité de pilotage de la psychiatrie comprend quatre axes : l'amélioration de la qualité des données qualitatives et quantitatives, l'identification et la diffusion de bonnes pratiques de prévention et de gestion de crise, l'encouragement et la connaissance des mesures améliorant le respect des droits des patients, le développement de la capacité à observer les droits des patients. Cette réforme des autorisations est essentielle : il y va de la liberté des patients.

Mme la présidente
La parole est à M. Marcellin Nadeau.

M. Marcellin Nadeau (GDR-NUPES)
Le rapport de la Cour des comptes de mars 2023 a émis de fortes inquiétudes sur l'offre de soins en pédopsychiatrie. Le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % entre 2010 et 2022. Le problème est encore plus grave dans les dits outre-mer où l'on compte moins de cinq praticiens pour 100 000 habitants de moins de 16 ans. Par exemple, à La Réunion – où nos collègues sont retenus par les conséquences du cyclone Belal et je leur renouvelle mon soutien –, la situation de la pédopsychiatrie nécessite des mesures urgentes afin d'assurer un accès précoce aux soins. En effet, dans les dits outre-mer, 30 % de la population de moins de vingt ans est confrontée à de graves addictions, à des violences, ou à une détresse psychique. La Cour des comptes indique d'ailleurs dans la conclusion de son rapport que l'offre de soins psychique est « inadaptée aux besoins de la jeunesse ».
L'absence de suivi psychiatrique dans les prisons constitue un autre impensé de la psychiatrie française. En France, et surtout dans les dits outre-mer, les structures manquent. Il s'agit d'une discrimination structurelle entre l'Hexagone et les dits outre-mer. L'offre de soins est non pas inadaptée, mais quasiment absente, en milieu pénitentiaire comme en milieu hospitalier, dans les dits outre-mer. Il n'existe dans ces territoires – notamment en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane – ni unité d'hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) ni UMD. Or seuls de tels établissements peuvent répondre aux besoins des patients, des familles et de la société, qui est devenue fortement anxiogène. Nous réclamons donc, avec le personnel pénitentiaire et les responsables du secteur psychiatrique aux Antilles-Guyane, la création d'une UMD interrégionale en Martinique, à laquelle serait adossée une UHSA. Madame la ministre, quand une véritable politique psychiatrique dans les dits outre-mer, en particulier dans le domaine de la pédopsychiatrie, des malades difficiles et des patients psychiatriques en milieu carcéral, verra-t-elle le jour ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES. – Mme Anne Stambach-Terrenoir applaudit également.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Ma réponse sera très rapide, monsieur le député. En effet, votre description reflète strictement la réalité. Alors que je prends mes fonctions de ministre, il me semble effectivement indispensable que nous évaluions à l'échelle des outre-mer les réponses possibles notamment sur la question des UMD. Je vais étudier ce problème avec l'ensemble de mes équipes et revenir vers vous afin d'apporter des réponses concrètes pour les outre-mer.

Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Panifous.

M. Laurent Panifous (LIOT)
Un Français sur cinq – soit 13 millions de personnes – est touché chaque année par un trouble psychique. La santé mentale est le premier poste des prises en charge par l'assurance maladie, devant les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Souvent considéré comme un sujet tabou, cet enjeu de santé publique majeur a pris une résonance particulière dans le contexte de la crise sanitaire, qui a donné une visibilité aux problèmes de santé mentale mettant en lumière les difficultés bien connues de notre modèle de prise en charge. En outre, les difficultés économiques et sociales ont contribué à l'augmentation au sein de la population française des symptômes dépressifs et anxieux, et des addictions, induisant de nouveaux besoins.
Au regard de ces situations dégradées, la santé mentale et la psychiatrie se révèlent être des enjeux majeurs de notre système de santé. La tenue des premières assises de la santé mentale et de la psychiatrie en 2021 a certes marqué une prise de conscience des pouvoirs publics. Deux ans plus tard, les résultats se font toujours attendre. Elles n'ont pas permis de trouver une solution aux défis majeurs et les annonces faites à cette occasion n'ont pas répondu à l'ensemble des attentes. Les mêmes constats perdurent : disparités territoriales et inégalités d'accès aux soins, déficit de financement, suroccupation constante des services psychiatriques, suppressions de lits, manque de personnel et délais de prise en charge allongés. Quant à la discipline elle-même, il est peu dire qu'elle traverse une crise profonde d'attractivité. La situation de la psychiatrie ne cesse de se dégrader au point de laisser professionnels, patients et familles dans le plus grand désarroi.
Quelles pistes comptez-vous explorer, madame la ministre, pour répondre aux besoins urgents de nos concitoyens qui ne peuvent bénéficier de traitements faute de rendez-vous ou de prises en charge adaptées ? Comment allez-vous rendre de l'attractivité à cette discipline afin de former une nouvelle génération de psychiatres, préalable indispensable pour préparer l'avenir ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Les assises de la psychiatrie se sont effet tenues il y a deux ans. Elles ont abouti à une série de préconisations que j'ai déjà eu l'occasion de mentionner, notamment le renforcement des maisons des adolescents et des centres médico-psychologiques. Au cours de l'année de 2024, nous reviendrons sur les financements nécessaires puisqu'une enveloppe de 48 millions d'euros a été prévue pour les années 2021 à 2024, à laquelle s'ajoutent des moyens dédiés au traitement des psychotraumatismes et à la prise en charge psychologique des personnes accueillies dans des centres d'hébergement. Nous le savons tous, s'il s'agit d'une première avancée, elle n'est pas suffisante.
Un des axes sur lesquels nous devons insister, au-delà des moyens et des structures d'accueil, est la recherche et l'innovation, compte tenu du nombre croissant des personnes concernées. Il importe de progresser dans la qualité des soins dispensés aux patients. Je citerai l'appel à projet lancé en mars 2023, portant sur le soutien de la structuration de l'animation territoriale de la recherche en psychiatrie et santé mentale. Il a, entre autres, pour objet de fédérer les centres hospitaliers universitaires et les centres hospitaliers autour de projets de recherche.

Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Descamps.

Mme Béatrice Descamps (LIOT)
Le 11 mars dernier, le psychanalyste Harold Hauzy publiait dans
Le Monde
une tribune dans laquelle il revenait sur le succès du documentaire de Nicolas Philibert
Sur L'Adamant
, consacré à la souffrance psychique dans un hôpital parisien. Il s'interrogeait sur ce qui allait suivre : « Allons-nous encore une fois zapper ? Revenir au seul pouvoir de l'image et fermer cette parenthèse éphémère accordée à l'écoute ? C'est le plus probable, car il faut être lucide, la souffrance psychique, hormis cette pépite cinématographique, fait peur. Elle nous renvoie à notre vision manichéenne d'un ''fou'' étranger à nous. Un fou qui nous menace, nous rappelle que la mort, l'absurde, la souffrance, la solitude sont à chaque coin de rue. Un fou surtout qui passe parfois à l'acte lorsqu'il n'y a plus de suivi psychiatrique et psychothérapeutique. ». Il mettait là l'accent sur un aspect particulièrement important : les effets du regard des autres sur les personnes malades.
Mais que se passe-t-il pour leurs proches ? S'ils n'ont jamais été confrontés à des cas de détresse psychique, et même s'ils veulent bien faire, il se peut que leur comportement ne soit pas adéquat et contribue même à l'isolement voire à la dégradation de l'état de santé de la personne malade qu'ils accompagnent, si celle-ci se sent incomprise. Eux-mêmes sont susceptibles de ressentir un sentiment d'inutilité voire de la détresse, faute de pouvoir agir correctement. Ils doivent être dotés des outils nécessaires pour aider au mieux ceux qu'ils aiment. Le Gouvernement a-t-il des pistes ? C'est une question d'importance à l'heure où beaucoup d'établissements spécialisés manquent de personnel.

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous remercie d'avoir mis en lumière la situation des proches, qui sont souvent désemparés. Ils jouent pourtant un rôle essentiel, notamment en faisant les premières démarches nécessaires, auprès des urgences entre autres.
La déstigmatisation est un élément clef. Ayant déjà abordé la question des moyens, je n'y reviendrai pas, préférant insister sur la nécessité d'entretenir une communication régulière sur la santé mentale, enjeu dont il n'est pas souvent question au sein de notre société. Il faut distinguer les opérations ciblant toute la population de celles qui visent un public particulier comme celui des jeunes. En 2023, Santé publique France a lancé un dispositif baptisé « le Fil good ». Orienté vers la prévention, il consiste en cinq courtes vidéos destinées à inciter les 11-24 ans à adopter des comportements bénéfiques pour leur santé mentale.
De manière plus générale, le Fil santé jeunes délivre diverses informations sur la santé, notamment sur la santé mentale, propose un forum, un chat et un numéro d'appel anonyme et gratuit. Donner la possibilité à un jeune d'avoir immédiatement accès à un interlocuteur lorsqu'il se sent mal, c'est une réponse très concrète, comme l'est l'amplification du déploiement du secourisme en santé mentale dans tous les milieux, en particulier auprès des étudiants. À cela s'ajoute une stratégie nationale multisectorielle de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes, qui concerne toute la société.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions du groupe Renaissance. La parole est à M. Anthony Brosse.

M. Anthony Brosse (RE)
La situation de la psychiatrie devrait s'améliorer dans les prochaines années grâce à l'action du Gouvernement.
(Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme Élise Leboucher
Ça fait près de sept ans qu'on attend !

Mme Ségolène Amiot
Et ça ne risque pas de s'améliorer !

M. Anthony Brosse
Toutefois, le secteur de la psychiatrie se voit confronté à des difficultés plus spécifiques. Dans le département du Loiret, près de 17 500 patients dont 2 700 mineurs sont pris en charge en continu. Ce qui préoccupe les professionnels du secteur n'est pas tant la qualité des soins et la nécessité d'avoir une organisation mettant en avant la prévention que la vacance des postes médicaux et non médicaux due à la pénurie de personnel.
Prenons un exemple : en région parisienne, à une heure de Fleury-les-Aubrais, le nombre de psychiatres pour 100 000 habitants est de 34 alors que, dans le Loiret, il n'est que de 12, près de trois fois moins. Cela ne permet pas d'assurer un suivi de qualité à nos concitoyens loirétains. Cette vacance est jugée d'autant plus compliquée à combler que l'établissement public de santé mentale du Loiret doit accroître son activité compte tenu des nombreux défis liés à la transformation du centre hospitalier régional en centre hospitalier universitaire dans le département.
Par ailleurs, le Loiret reste le département dont la dotation financière en psychiatrie est la plus faible de tous les départements de la région Centre-Val de Loire, alors qu'il a le plus faible taux d'équipement, en nombre de lits, et le taux d'occupation moyen régional le plus élevé. Dès lors, même si l'établissement public de santé mentale du Loiret était susceptible de voir l'ensemble de ses postes pourvus, il ne serait pas en mesure de financer les salaires. Cette situation paradoxale suscite de vives inquiétudes parmi les acteurs locaux.
Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer les moyens qui seront dévolus au Loiret et aux départements les plus faiblement dotés et en sous-effectif afin de permettre à nos concitoyens de bénéficier du même niveau de prise en charge où qu'ils se trouvent sur le territoire français ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
La situation du Loiret que vous venez d'exposer est représentative de ce qu'on observe dans notre pays, à savoir une hétérogénéité territoriale, certains départements étant mieux dotés que d'autres. Quelle réponse sommes-nous capables d'apporter à l'ensemble de nos concitoyens ? Telle est bien la question qui se pose à nous.

Mme Élise Leboucher
Depuis 2017 !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Le Président de la République a eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises,…

Mme Ségolène Amiot
S'il avait eu l'occasion d'agir, cela aurait été mieux !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…les bassins de vie constituent un échelon essentiel au niveau duquel le Gouvernement organise de multiples actions. Il est important que nos concitoyens puissent trouver des réponses de proximité.
Vous avez souligné le travail mené au sein des centres hospitaliers universitaires. Je citerai les consultations avancées organisées par les centres hospitaliers à l'échelle des groupements hospitaliers territoriaux.
S'agissant des moyens, je voudrais une fois encore revenir sur les deux volets du Ségur. Pour ce qui est du fonctionnement, il a abouti à une augmentation des rémunérations des professionnels de santé, particulièrement attendue. Pour ce qui est de l'investissement, les crédits sont là mais ils n'ont pas été déployés partout. Une accélération s'impose afin d'apporter des réponses plus rapidement.
S'agissant de l'organisation de l'offre de soins, il est évident que nous devons travailler à accroître l'attractivité de la psychiatrie pour que davantage d'internes choisissent cette spécialité et que davantage d'IPA soient formés dans ce domaine. Il importe de disposer d'un nombre suffisant de professionnels à même de prendre en charge les pathologies psychiques.

Mme Ségolène Amiot
À condition qu'ils soient formés !

Mme la présidente
La parole est à M. Fabrice Le Vigoureux.

M. Fabrice Le Vigoureux (RE)
Notre jeunesse est abîmée. De nombreux d'indicateurs montrent un accroissement très important des symptômes anxio-dépressifs et des pensées suicidaires chez les jeunes. La situation est extrêmement préoccupante. La crise sanitaire a amplifié le mal-être de beaucoup d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes en perte de repères, de règles, de sens, surexposés qu'ils sont à des réseaux sociaux anxiogènes, catalyseurs d'émotions négatives, canaux de diffusion d'un culte de la performance et de pressions liées à l'image, et vecteurs de cyberharcèlement.
Nous devons prendre la mesure du malaise de la jeunesse et doter nos enfants, dès leur plus jeune âge, de compétences psychosociales, dont la confiance en soi et l'empathie, comme le font avec succès certains pays du Nord.
La question de la prise en charge rapide demeure bien l'enjeu principal si nous voulons répondre à ce mal-être. Les services de pédopsychiatrie sont saturés et pour y accéder, il est nécessaire de s'inscrire sur des listes d'attente, ce qui est indigne de notre pays.

Mme Élise Leboucher
Vous êtes au pouvoir depuis 2017 !

M. Fabrice Le Vigoureux
Cela conduit parfois à devoir recourir aux urgences, alors que quelques consultations peuvent parfois suffire si le jeune est traité dès l'apparition des premiers symptômes.
Il y a en France de nombreux dispositifs à valoriser et dont s'inspirer. Dans mon département, le Calvados, l'équipe mobile de soins intensifs du centre Esquirol du CHU – centre hospitalier universitaire – de Caen intervient auprès des jeunes dès 16 ans afin de leur proposer un diagnostic et une intervention précoces, de nature pluridisciplinaire, avec des soins extrahospitaliers qui donnent des résultats très encourageants. À Caen toujours, le service de santé étudiante permet d'accompagner de nombreux étudiants au coeur même du campus, qu'il s'agisse de prévention ou désormais de soins. Je tiens à saluer l'engagement remarquable de tous ces professionnels qui accompagnent les jeunes et vous invite, madame la ministre, à venir les rencontrer.
Nous devons entendre les appels au secours que lance notre jeunesse. Pouvez-vous, madame la ministre, prendre l'engagement devant la représentation nationale de tout mettre en oeuvre pour lutter contre cette crise parfois si silencieuse de l'enfance et de l'adolescence ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE.– Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme Karen Erodi
Un engagement sans calendrier, c'est du flan !

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous partageons tous le constat que vous venez de dresser. Nous pouvons tous dire les uns et les autres que le cocktail écran, addictions, covid …

Mme Karen Erodi
Et macronisme !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…a eu des conséquences dramatiques pour l'ensemble de notre jeunesse.
Et nous pouvons nous accorder aussi sur la nécessité d'apporter des réponses rapides. Je vous remercie d'avoir cité les actions engagées dans votre région, notamment en matière de diagnostic précoce, qui peut presque être assimilé à de la prévention. Un autre élément fait consensus : la nécessité de lutter contre la solitude des étudiants.
Je tiens à vous préciser que je recevrai la semaine prochaine Michaël Delafosse, maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, qui vient d'effectuer un travail sur la santé des étudiants au sein de l'Association des villes universitaires de France (AVUF).
Il s'agit d'aller plus loin et c'est précisément le sens de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République. Vous pouvez compter, monsieur le député, non seulement sur mon engagement mais aussi sur ma présence à Caen quand vous le souhaiterez.

M. Fabrice Le Vigoureux
Merci, madame la ministre.

Mme la présidente
La parole est à Mme Alexandra Martin (Gironde).

Mme Alexandra Martin (Gironde) (RE)
La crise sanitaire ainsi que les confinements successifs ont eu des effets négatifs sur la santé mentale des Français. Dans un rapport, Santé publique France note que le recours aux soins psychiatriques d'urgence a continué d'augmenter en 2023. Les Français sont près de 13 millions à souffrir de troubles psychologiques et leur santé mentale continue de se dégrader, en particulier parmi les 18-24 ans, chez qui les cas de dépression ont quasiment doublé entre 2017 et 2021. Sont en cause l'isolement, les addictions ou le rapport aux écrans, qui change le rapport aux autres, mais aussi la stigmatisation des problèmes de santé mentale.
Le coût pour nos finances publiques est élevé. Les troubles psychiques représentent en effet le premier poste de dépenses en matière de santé : 14,5 % de la facture, 23,4 milliards d'euros pour l'assurance maladie, auxquels s'ajoutent 30 milliards d'aides indirectes, comme les indemnités journalières pour arrêt maladie, selon les chiffres du ministère de la santé.
Je pourrais vous interroger sur de nombreux autres sujets : les étudiants, les seniors, les soignants, les agriculteurs, les policiers, les professeurs ; l'addiction, l'isolement ; les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes ; les prisons, les hôpitaux psychiatriques. Je ne retiens qu'une chose : nous pouvons encore faire mieux.
Parmi tous les sujets qui méritent d'être abordés, je souhaite vous interroger sur un point qui me tient à coeur : les quartiers les plus pauvres de France. Disons-le simplement, on y trouve les mêmes problèmes que partout, mais en pire. La psychiatrie, vous vous en doutez, n'échappe pas à cette réalité. Si les Français souffrent d'inégalités territoriales en matière d'accès aux soins, les habitants des quartiers prioritaires sont ceux qui en souffrent le plus. Malgré les 15 500 psychiatres recensés en France en 2022, des disparités territoriales perdurent. Que fait l'État pour remédier aux difficultés particulières des quartiers prioritaires en matière d'accès aux soins de psychiatrie ?
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Si vous me le permettez, je ne reviendrai pas sur le constat, que j'ai déjà évoqué plusieurs fois. En revanche, je vais vous répondre sur le point particulier que vous soulevez : les quartiers prioritaires.

M. Jérôme Guedj
Oui !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Pour avoir présidé, jusqu'à il y a quelques jours, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), je sais combien « l'humain dans l'urbain » est un enjeu majeur pour les quartiers concernés. Être capable d'apporter des solutions en matière d'accès aux soins, notamment dans le domaine de la psychiatrie, c'est incontestablement l'une des clés du changement dans ces quartiers.
Il me semble indispensable qu'un soin tout particulier soit apporté à notre action en la matière, avec des réponses concrètes. Bien évidemment, renforcer l'offre de soins, c'est permettre à chacun de bénéficier d'une prévention qui participe du mieux vivre. Il convient de mettre en avant les initiatives remarquables prises dans certains départements, notamment en matière d'accueil des jeunes ou des femmes. Je souhaite que nous recensions ces expérimentations et que nous réfléchissions à la manière de les déployer. Apporter des solutions dans les quartiers, c'est incontestablement agir en faveur de la jeunesse. Je n'oublie jamais que ces quartiers concentrent la plus grande part de la population jeune de notre pays.

Mme la présidente
La parole est à M. Benoit Mournet.

M. Benoit Mournet (RE)
Je ne reviens pas sur l'ensemble des constats rappelés cet après-midi – nous les partageons –, ni sur les pistes que vous avez évoquées, madame la ministre. Je souhaite appeler votre attention sur une possible solution : les centres experts en psychiatrie. Plébiscités par les usagers et par l'Association des établissements du service public de santé mentale (ADESM), copiés à l'étranger, ils sont de nature à renforcer l'attractivité de l'hôpital public pour les psychiatres.
Ces centres sont victimes de leur succès : ils ont des rendez-vous pour plus de deux ans. Il s'agit d'hôpitaux de jour diagnostic, qui permettent d'établir un diagnostic et de proposer un plan de soins, bien évidemment en complément de ce que font les structures de secteur. D'après l'évaluation qui en a été réalisée, ils permettent d'éviter une moitié des réhospitalisations au cours de l'année suivante.
Ce dispositif efficient et peu coûteux est pourtant resté au stade expérimental. Sur les 53 centres experts existants, une trentaine sont financés. Les autres sont autofinancés par les établissements sur leur dotation annuelle de financement. Puisque nous sommes en période de voeux, je formule celui que l'on intègre ce dispositif dans l'offre de soins de notre pays, que l'on reconnaisse son rôle en matière de prévention et de recours. Nous réaffirmerions de la sorte notre double ambition : prévenir et soigner.
Le 28 janvier prochain, nous visiterons l'hôpital Albert-Chenevier de Créteil, établissement où ces centres experts sont nés. Si vous pouviez vous associer à cette visite, madame la ministre, ce serait formidable !
La psychiatrie de secteur – disons les choses – traite un grand nombre de maladies chroniques diagnostiquées bien tard. Les centres experts en psychiatrie seraient une solution tout à fait complémentaire.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Les activités de psychiatrie demeurent organisées selon une logique de secteurs : les établissements se répartissent la prise en charge des patients en fonction de leur lieu de résidence, chacun d'entre eux étant capable de prendre en charge l'intégralité des pathologies psychiatriques. S'y ajoutent des centres de recours en psychiatrie tels que les centres de soins de réhabilitation psychosociale, les centres de recours pour les troubles du comportement alimentaire ou encore les centres experts organisés et déployés par la fondation FondaMental, que vous venez d'évoquer.
La fondation FondaMental s'est engagée dans un rôle d'animation et de structuration de ces centres experts. Incontestablement, cela contribue à la structuration de l'offre de soins, dans le cadre d'une politique publique où les enjeux financiers sont importants.
J'échangerai bien évidemment avec l'ensemble des membres de la fondation FondaMental, notamment avec sa directrice générale, la professeure Marion Leboyer. Les solutions qui fonctionnent méritent toujours d'être examinées et analysées. Ensuite, nous pourrons avancer. Je n'ai d'
a priori
ni de réponses toutes faites sur aucun sujet.

M. Benoit Mournet
Merci !

Mme la présidente
La parole est à Mme Huguette Tiegna.

Mme Huguette Tiegna (RE)
J'adresse tout d'abord mes meilleurs voeux à tous les acteurs de la psychiatrie, notamment aux agents de l'institut Camille-Miret, dans ma circonscription. Ce début d'année 2024 est l'occasion de revenir sur des sujets essentiels, notamment de mettre en lumière les difficultés du secteur de la psychiatrie des enfants et des adolescents, qui revêt une importance cruciale pour la santé de nos concitoyens. D'après les chiffres de Santé publique France, un jeune Français sur cinq souffre de troubles dépressifs ; cette proportion est en forte augmentation depuis la crise liée au covid-19.
La pédopsychiatrie devrait permettre de venir en aide à ces populations. Pourtant, beaucoup l'ont dit, la situation du secteur est particulièrement préoccupante : seulement 700 pédopsychiatres exercent en France, et certains départements en sont totalement dépourvus. Les carrières pâtissent d'un déficit d'attractivité, qui menace la démographie de la profession. L'appel de Toulouse, lancé en juin 2023 par les professionnels, nous a alertés sur cette pénurie de soignants et sur les difficultés de financement, qui rendent les parcours de soins difficiles pour les familles et qui empêchent souvent une prise en charge précoce des troubles.
Face à cette urgence, j'ai déposé en janvier 2023 une proposition de loi transpartisane qui vise notamment à refonder le cadre de la politique dédiée à la santé mentale des enfants et des adolescents, et à sécuriser une programmation financière ambitieuse.
Au-delà des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, que vous avez évoquées, et du Conseil national de la refondation, qui apportera des réponses, nous souhaitons coconstruire rapidement des solutions avec le Gouvernement. Pouvez-vous nous exposer les priorités du Gouvernement pour les années à venir en matière de santé psychiatrique des enfants et des adolescents, et nous donner des précisions quant à la remise des conclusions des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant ?
(Applaudissements les bancs du groupe RE.)

Mme la présidente
J'ai laissé un peu de temps supplémentaire à Mme Tiegna car elle a adressé ses voeux à tous les soignants. Malgré toute l'objectivité que vous me connaissez, je lui ai accordé vingt secondes.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Christophe Plassard applaudit également.)

M. Jérôme Guedj
On s'en souviendra pour les prochaines fois !
(Sourires.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous présente à mon tour mes meilleurs voeux, madame Tiegna, ainsi qu'aux habitants de votre circonscription et à tous les Français, notamment aux soignants et aux patients dont nous parlons.
Je ne reviens pas sur le constat, que j'ai évoqué à plusieurs reprises. Je tiens en revanche à rappeler que notre priorité est de protéger les jeunes, en particulier contre les addictions. Nous appliquerons des programmes de prévention destinés aux jeunes, qui visent notamment à renforcer leurs compétences psychosociales. C'est grâce à la stratégie nationale que nous avons lancée en la matière que nous pourrons accompagner ces publics.
Je l'ai dit tout à l'heure, je partage votre volonté d'avancer, à la suite des assises et dans le cadre du CNR. Eu égard au constat que nous faisons depuis le début de cette séquence de questions,…

Mme Élise Leboucher
Nous le faisons déjà depuis quelques années !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…il me semble essentiel que nous nous mettions tous autour d'une table, dans le cadre du CNR, avec la volonté constructive d'avancer.

Mme Élise Leboucher
Il y a besoin d'un réarmement psychiatrique !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je suis parfaitement consciente que se pose la question des moyens et, derrière celle-ci, celle de la manière dont nous allons équiper notre pays. Un grand nombre de sujets que nous avons évoqués au cours de l'après-midi s'y rapportent : les centres médico-psychologiques, le nombre de praticiens ou encore les infirmiers en pratique avancée.
À ce stade, je l'avoue, je ne connais pas le contenu de votre proposition de loi. En tout cas, il appartient au bureau de l'Assemblée – je me tourne vers vous, madame la présidente – d'inscrire les propositions de loi à l'ordre du jour.

M. Benjamin Lucas
Le bureau est trop occupé à prononcer des sanctions !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous laisse donc travailler sur le sujet.

Mme la présidente
Pour que vous ne tentiez pas de m'arnaquer, mes chers collègues, je précise que le coup des voeux aux soignants ne fonctionnera pas une seconde fois. Vous pouvez adresser des voeux, mais vous n'en gagnerez pas pour autant vingt secondes de temps de parole.

M. Benjamin Lucas
Sévère mais juste !

Mme la présidente
Nous passons aux questions du groupe Rassemblement national. La parole est à Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN)
Je vous souhaite à tous une excellente année, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues.

M. Maxime Minot
Allez, une minute supplémentaire !

Mme Caroline Colombier
Plus de deux ans après les assises de la santé mentale et de la psychiatrie, qui se sont tenues en septembre 2021, la psychiatrie en France demeure en crise. La mort tragique d'une infirmière en mai 2023 et le viol d'une aide-soignante en novembre 2022 à l'hôpital psychiatrique Camille-Claudel, dans ma circonscription de Charente, rappellent qu'il est urgent d'intervenir. Les professionnels de la santé mentale dénoncent depuis longtemps la dégradation des conditions de travail, les problèmes d'attractivité du secteur et une perte de sens. La psychiatrie est souvent négligée dans les politiques publiques de santé. Faute de prise en charge adéquate, des individus dangereux sont laissés en liberté. Les derniers chiffres indiquent qu'une personne sur quatre serait touchée par des troubles psychiatriques – il en a été question tout à l'heure.
En 2022, la France comptait 15 000 psychiatres, mais 30 % des postes en psychiatrie dans les hôpitaux publics n'étaient pas pourvus. Cette situation souligne les profondes lacunes financières et structurelles dans la prise en charge de la santé mentale en France, malgré les récentes interventions, les déploiements financiers, les assises et la mise en oeuvre, depuis 2013, de programmes pluriannuels.
La crise urgente de la fermeture des lits s'impose à notre attention. La demande de soins psychiatriques augmente mais la fermeture structurelle de lits s'intensifie. De nombreux hôpitaux – à Nantes, au Mans, à Cholet, à Caen, et je pourrais en citer d'autres – sont contraints de fermer massivement les lits psychiatriques. Les personnels sont désabusés. À terme, ce sont la prise en charge et la santé des patients qui en pâtissent. Cette situation révèle les défis profonds et persistants auxquels est confrontée la psychiatrie française. Comment envisagez-vous d'endiguer la crise actuelle des fermetures de lits ? Il s'agit de garantir un service et une prise en charge cohérents et efficaces.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous pouvons travailler sur un point essentiel : les recrutements. Si des lits sont fermés, c'est parce qu'il manque des soignants pour s'occuper de celles et ceux auxquels ces lits sont destinés. Depuis septembre 2023, nous assistons à une reprise des recrutements. Néanmoins, nous le savons tous, les résultats en la matière passent par un renforcement de l'attractivité de ces métiers, donc par une reconnaissance. Je rappelle qu'en matière de fonctionnement, le Ségur de la santé a débouché sur la prise en charge des gardes de nuit et de week-end ; c'est une mesure financière importante. Les résultats passent aussi par l'amélioration des conditions de travail et par la fidélisation. Tels sont les éléments qui nous permettront d'avancer.
Le plan d'action relatif à l'attractivité est un texte réglementaire qui relève directement de ma responsabilité. Cela fait évidemment partie des sujets sur lesquels je souhaite avancer très rapidement.

Mme la présidente
La parole est à Mme Géraldine Grangier.

Mme Géraldine Grangier (RN)
En France, environ 13 millions de personnes sont victimes d'une pathologie mentale. Dépression, trouble bipolaire, autisme, schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs sont des pathologies répandues dans toute la société. Les chiffres montrent que la santé mentale des Français s'est particulièrement dégradée depuis la crise du covid-19. Nous avons constaté une hausse de 30 % des consultations psychologiques, et les demandes d'hospitalisation en service psychiatrique se multiplient. Or, selon les chiffres de décembre 2022, 58 % des établissements psychiatriques ont été contraints de fermer des lits, faute de moyens suffisants ; 30 % des postes de médecins psychiatres sont vacants.
Le système des soins psychiatriques craque de toutes parts, ce qui cause de la souffrance pour les malades, pour leurs proches et pour les équipes médicales. Bien souvent, du diagnostic au protocole de soins, le parcours est fait d'errance et de solitude, face à une maladie qui inquiète, stigmatise et, fréquemment, exclut – déscolarisation, marginalisation, perte d'emploi et, parfois, délinquance.
Du fait des carences des services de soins et faute d'un accompagnement social global, pratiquement inexistant en psychiatrie, seuls les services sociaux départementaux et communaux prennent en charge les malades psychiatriques. Démunis, ces travailleurs sociaux non formés à l'accueil en psychiatrie sont régulièrement confrontés à la violence et aux excès de colère provoqués par les ruptures de soins.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'il est urgent d'agir et de décréter un plan Marshall de la psychiatrie ? Il faut en faire une grande cause nationale. Nous devons rendre cette spécialité médicale plus attractive auprès des internes en proposant une meilleure rémunération à l'ensemble du personnel en recrutant des travailleurs sociaux dédiés au suivi social global des patients.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je ne reviendrai pas sur votre constat, qui a été partagé par les orateurs précédents, mais je veux répondre à quelques-uns des éléments que vous avez évoqués.
Premièrement, j'ai rencontré ce matin le conseil d'administration de la Fédération hospitalière de France, qui propose un plan d'urgence pluriannuel pour la psychiatrie. J'aurai à coeur de travailler avec la FHF pour déterminer quels éléments présentés dans ce plan nous pouvons reprendre, et dans quels délais les appliquer.
Deuxièmement, vous devez reconnaître que des choses ont été faites. Le recrutement des internes est en progression. Je vous accorde que les chiffres sont faibles, mais c'est tout de même un signal positif. Surtout, le nombre de professeurs d'université-praticiens hospitaliers a augmenté en psychiatrie, et vous savez combien une telle augmentation est rare. Elle signe la reconnaissance de la nécessité de mieux équiper notre pays.
Voilà quelques éléments qui montrent que le travail a démarré ; à nous d'aller plus loin.

Mme la présidente
La parole est à M. Serge Muller.

M. Serge Muller (RN)
La santé mentale est souvent décrite comme le parent pauvre de notre système de santé. Ce système craque de toutes parts, engendrant de la souffrance pour les malades, pour les proches et pour les équipes médicales. Les deux tiers des adultes ne reçoivent pas de soins appropriés. Pour les enfants, c'est encore pire : dans ma circonscription de Dordogne, seuls six lits de pédopsychiatrie sont disponibles.
Je pense avoir la légitimité de parler de ce sujet ici, puisque j'ai été aide-soignant en psychiatrie pendant environ dix ans. Je vous confirme qu'il y a un manque criant de personnel et que 30 % des postes ne sont pas pourvus. Je vous confirme que cela conduit à des délais d'attente inacceptables dans la prise en charge des malades, tout en créant une surcharge de travail colossale pour les soignants, dont je tiens à saluer l'implication exemplaire.
Que faites-vous pour les soignants ? Ils sont épuisés. Ils portent sur leurs épaules le poids de vos échecs. Sept ans que vous êtes là, sept ans que vous ne faites rien. Encore une fois, que font nos ministres ? Il est temps de préférer l'action à la communication et l'empathie à l'antipathie.
Vous me direz : « Il n'y a pas d'argent. » Allez le chercher : supprimez l'AME – aide médicale de l'État –, arrêtez d'accueillir le monde entier aux frais des Français
(Exclamations sur les bancs des groupes RE, LFI-NUPES et Écolo-NUPES)
et au détriment des services publics, notamment du service public hospitalier.

Mme Élise Leboucher
Laissez-les tranquilles !

M. Benjamin Lucas et Mme Sandrine Rousseau
C'est un trouble obsessionnel compulsif !

M. Serge Muller
L'heure est venue de placer la santé mentale au coeur de notre politique de santé publique.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je vous remercie d'avoir témoigné de votre vécu.

M. Benjamin Lucas
Remercier le RN, une habitude !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je crois que personne ici n'est antipathique ni empathique. Nous sommes ici pour réfléchir ensemble et trouver des solutions.

M. Benjamin Lucas
La coconstruction avec le RN continue !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Toutefois, ne nous trompons pas de débat. Les solutions ne seront pas uniquement financières ; vous le savez mieux que moi, puisque vous avez été infirmier en psychiatrie. Il s'agit avant tout de restaurer l'attractivité de ces métiers pour que les professionnels fassent le choix de s'orienter vers la psychiatrie et d'y rester. J'ajoute que nous touchons là à des métiers de proximité, à des métiers du présentiel. À l'heure où nous parlons de plus en plus de la différence entre le distanciel et le présentiel, cela constitue un enjeu d'attractivité. À nous de relever le défi.

Mme la présidente
La parole est à M. Thierry Frappé.

M. Thierry Frappé (RN)
Le débat sur l'état de la psychiatrie dans notre pays est trop peu fréquent. Pourtant, les professionnels de santé sont unanimes, le secteur de la santé mentale est le parent pauvre de la médecine en France. Diminution constante du nombre de lits pour les hospitalisations complètes, diminution du nombre de médecins… Selon certains psychiatres, près d'un établissement sur quatre a fermé plus de 10 % de ses capacités d'accueil.
Une enquête de la Fédération hospitalière de France a mis en exergue ces défaillances. Elle estime entre un et trois quarts le taux de vacance des postes de médecin dans 40 % des établissements psychiatriques. La diminution du nombre de médecins et de lits engendre deux phénomènes : d'une part, une augmentation du délai d'accès à la consultation, lequel est compris entre cinq mois et plus d'un an pour 45 % des établissements accueillant les jeunes ; d'autre part, une augmentation considérable du travail des infirmiers et soignants quand les patients sont en crise.
La psychiatrie ne doit plus être l'enfant malade de notre système de soins. Cette spécialité médicale doit être un dispositif central de notre politique de santé publique. Je rappelle que la première cause de mortalité entre 15 et 35 ans est le suicide et que la maladie mentale et les troubles psychiatriques touchent des millions de Français.
Pire encore, la Cour des comptes a mis en exergue l'état déplorable de la pédopsychiatrie. Si le nombre de psychiatres est déjà faible dans notre pays, celui des pédopsychiatres l'est plus encore : on recense cinq pédopsychiatres pour 100 000 habitants de moins de 16 ans dans certains départements. Avec l'augmentation des troubles dépressifs chez les jeunes, le nombre de pédopsychiatres doit augmenter sur le territoire.
Madame la ministre, comment aider concrètement la spécialité psychiatrique à recruter des médecins et des professionnels de santé afin de garantir l'accès à des soins spécialisés de qualité pour les patients ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
La psychiatrie est en effet un sujet majeur ; c'est la raison pour laquelle nous sommes ici cet après-midi. Elle représente le premier budget des dépenses de santé, preuve de son importance pour notre nation.
Il faut effectivement aller plus loin. Aller plus loin, cela signifie recruter des professeurs d'université-praticiens hospitaliers, mais aussi des internes, car il est essentiel que les jeunes internes voient l'intérêt de cette spécialité pour s'y engager et créer le réseau qui assurera l'avenir de la discipline. Cela fait partie des sujets que nous traiterons dans le cadre de notre campagne d'attractivité.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale. La parole est à Mme Élise Leboucher.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES)
Permettez-moi d'apporter mon soutien à mes anciens collègues de l'EPSM de la Sarthe, qui sont en grève aujourd'hui.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

Nous aurions dû avoir ce débat lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous aurions pu, alors, formuler des propositions et voter des décisions fortes pour la psychiatrie publique, mais la frénésie de 49.3 nous en a empêchés.

M. Benjamin Lucas
Eh oui !

Mme Élise Leboucher
Personne n'attend rien de ce débat, pas plus les soignants que les patients ou leurs proches. À défaut d'être utile, ce temps nous permettra au moins d'illustrer le cynisme du Gouvernement.

Mme Karen Erodi
Eh oui !

Mme Élise Leboucher
Petit à petit, ces dernières années, vous avez fait glisser la psychiatrie du soin vers la surveillance, avec l'installation de caméras et l'embauche de vigiles plutôt que l'investissement dans les moyens humains de la prévention et de la formation, et avec la création de Hopsyweb, qui permet le croisement des fichiers des hospitalisations sans consentement et de la radicalisation, alors qu'aujourd'hui, dans certains établissements, il faut passer par l'hospitalisation sans consentement pour avoir accès à un lit en psychiatrie.
Les professionnels pourraient vous rappeler, à juste titre, que les patients en psychiatrie sont plus souvent victimes qu'auteurs d'agressions. Vous ne les écouterez pas, pas plus que les autres fonctionnaires. Après tout, pour quoi faire ? La santé ne vous intéresse pas, comme l'illustre la disparition récente de son ministère.
Soyons clairs : il n'y a pas de menace psychiatrique. Ou, plutôt, vous êtes la menace qui pèse sur l'état de la psychiatrie publique.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
La dernière note hebdomadaire de Santé publique France le démontre. L'écouterez-vous, lorsque cet organisme, associé à la caisse primaire d'assurance maladie, vous dit que les enfants vivant sous le seuil de pauvreté sont trois fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques que les autres ? L'écouterez-vous lorsqu'il vous dit que l'écart de santé continue de se creuser et qu'il vous intime d'agir rapidement sur le niveau de vie des ménages ? Quand on met cette note en relation avec la dernière étude de l'Observatoire des inégalités, tout semble cyniquement plus clair : la précarité renforce la prévalence des pathologies psychiatriques et l'hôpital public, auquel vous avez retiré des moyens, n'est plus en mesure de soigner dignement. Tout cela illustre vos échecs.
Face à un bilan si médiocre, quand assumerez-vous l'échec de votre idéologie ? Quand ferez-vous le choix de rompre avec la logique néolibérale hostile à l'intérêt général ? Une autre option est possible : celle d'une psychiatrie humaine, digne et accueillante.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Madame la députée, je voudrais faire plusieurs remarques.
Tout d'abord, le ministère de la santé ne disparaît pas. Il est au contraire devenu un vaste ministère qui place la santé au coeur de ses préoccupations et fait de celle-ci un fil rouge qui relie le travail, le domaine médico-social et la solidarité.

Mme Élise Leboucher
Vous êtes bien occupée, quand même !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Deuxièmement, il m'est difficile de vous laisser dire qu'il n'y a pas de moyens pour l'hôpital, quand le Ségur de la santé a constitué un engagement important en ce sens.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme Danièle Obono
Vous avez retiré des moyens à l'hôpital !

Mme Élise Leboucher
Écoutez les soignants !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Sur un tel sujet, il me semble important de nous écouter les uns les autres.

Mme Ségolène Amiot
Arrêtez la langue de bois !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Le Ségur de la santé a permis de revaloriser concrètement les salaires, et la stratégie d'investissement de 19 milliards d'euros nous permettra incontestablement d'apporter des réponses dans un deuxième temps.
Enfin, l'établissement public de santé mentale de la Sarthe est en difficulté depuis plusieurs années. Tous les acteurs sont mobilisés pour trouver des solutions pour prendre en charge les patients et pour apporter un soutien à la communauté soignante en aidant l'établissement à pourvoir les postes vacants. Nous suivons la situation avec une attention particulière.

Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Stambach-Terrenoir.

Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES)
Hier, le personnel de l'hôpital de psychiatrie de Purpan, à Toulouse, était en grève. Voici ce que ses membres nous disent : « Les CMP sont complètement saturés. Il y a parfois 150 patients qui attendent leur tour. Si elle doit attendre six mois pour un premier rendez-vous, une personne en détresse psychique a largement le temps de voir son état se dégrader, de décompenser ou de faire une crise suicidaire, et elle arrive aux urgences, qui sont saturées aussi. » Un autre témoignage : « Après toutes les suppressions de lits ces dernières années, qui entraînent une embolie des urgences psychiatriques, on a commencé à faire dormir des patients sur des brancards, dans des pièces sans fenêtre. Maintenant, on utilise les chambres d'isolement comme des chambres ordinaires. Alors, quand un soin nécessite un isolement temporaire, ces chambres ne sont plus disponibles et on a recours à la contention. » Un troisième encore : « On fonctionne tout le temps à flux tendu, avec le minimum de personnel. Avant, on organisait des sorties pour les patients. Maintenant, on ne peut plus, alors les tensions augmentent : la violence, la consommation de drogue… Il y a même du crack qui circule. »
Je me réjouis qu'un débat soit organisé sur la psychiatrie, mais je déplore que certains se soucient seulement de ce secteur après un drame.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Pourtant, comme vous avez pu l'entendre, madame la ministre, c'est le manque de moyens et la dégradation des conditions d'accueil qui en découlent qui sont une source de violence : violence envers les patients, avec un recours exorbitant à la contention et à l'isolement ; violence envers les soignants, pour qui, je cite, « la dimension humaine du soin est oubliée ». Or, des moyens, il y en a ; ils vont vers les cliniques privées, qui trient les patients et refusent ceux qui n'ont pas de mutuelle, qui sont en grande précarité ou qui présentent des pathologies complexes. Dans le secteur public, pour espérer obtenir des moyens, il faut répondre à des appels à projets. Ces moyens ne sont pas pérennes et ils sont utilisés pour la création de nouveaux services alors que les services existants en manquent cruellement.
La dernière réforme du financement de la psychiatrie publique, avec sa logique proche de la tarification à l'acte, risque d'aggraver cette mise en concurrence déloyale avec le secteur privé et la pression au rendement pour les hôpitaux. Nous avons des soignants compétents, engagés, attachés au service public, mais ils sont de plus en plus nombreux à le quitter parce qu'ils sont essorés – ce sont leurs mots.
Madame la ministre, il y a urgence. Allez-vous stopper la privatisation rampante de l'offre de soins et du fonctionnement même du secteur public ? Allez-vous, surtout, accorder enfin des moyens pérennes pour renforcer la politique de ce secteur ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs du groupe GDR-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises mais j'y reviens une fois encore : la question des lits renvoie à celle du personnel – vous le savez puisque vous connaissez fort bien ce sujet. Ce qui est en jeu, c'est notre capacité à rendre attractives ces activités, afin que certains s'y engagent.

Mme Danièle Obono
Après six ans au pouvoir…

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'agissant de la T2A, vous savez comme moi qu'en psychiatrie, il n'y a pas de tarification à l'activité.

Mme Anne Stambach-Terrenoir
Si, ça arrive ! C'est pourquoi c'est paradoxal !

Mme Catherine Vautrin, ministre
D'ailleurs, la T2A qui prévaut dans d'autres secteurs fera prochainement l'objet d'une réforme fondée sur deux idées : d'abord la prise en compte du nombre d'habitants vivant sur le territoire concerné, et ensuite l'amélioration de la qualité des soins.
Vous le voyez, nous allons faire évoluer les choses. C'est indispensable car c'est l'une des réponses concrètes que nous pouvons apporter.

Mme Anne Stambach-Terrenoir
Et les moyens ?

Mme la présidente
La parole est à Mme Ségolène Amiot.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES)
En France, l'état de la psychiatrie est tout simplement catastrophique. La dépression touche près d'une personne sur dix et nous détenons un triste record : notre pays est celui qui consomme le plus de psychotropes dans le monde.
Selon votre propre ministère, en mars 2023, 3 millions de personnes souffraient de troubles psychiques sévères, alors que l'on ne recensait – en 2022 – que 15 516 psychiatres sur le territoire. Au 1er décembre 2023, 75 677 personnes étaient incarcérées en France ; à leur sortie de prison, les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes détenus en maison d'arrêt présentent des troubles psychiatriques ou liés à une addiction. Les juges donnent l'alerte : on incarcère parce qu'on a failli en matière de soins, voire en lieu et place d'une prise en soins.
Tout cela devrait vous alarmer et vous inciter à réfléchir aux causes d'une présence aussi importante de personnes atteintes de troubles psychiques ou psychiatriques en milieu carcéral – avant et après incarcération. Mais non, rien ! Encéphalogramme plat, au ministère de la santé comme au ministère de la justice.
Madame la ministre, qu'attendez-vous pour lancer un grand plan d'urgence en faveur de la psychiatrie, et ce dès le plus jeune âge ? Nous vous alertons depuis des mois et des années à propos de cette bombe à retardement. Au lieu de construire toujours plus de places en prison, comme le fait votre collègue chargé de la justice, il est grand temps d'investir pour créer plus de places à l'hôpital et de lancer un vaste plan de recrutement et de formation des personnels médicaux, afin de garantir un ratio minimal de soignants par lit, mais aussi de revaloriser les salaires, de reconnaître la pénibilité du travail, notamment de nuit et le week-end, bien mieux que ce qui vient d'être fait, et de promouvoir un grand plan de prévention des maladies et troubles psychiques dans nos établissements scolaires.
Que comptez-vous faire pour mettre fin à l'incarcération des personnes atteintes de troubles psychiatriques et comment comptez-vous améliorer la prise en charge psychiatrique des personnes détenues ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Vous êtes revenue, madame la députée, sur la démographie préoccupante des professionnels médicaux. Au 1er janvier 2022, 15 500 psychiatres étaient en exercice, dont 4 500 exclusivement en libéral. Au 1er janvier 2023, c'est vrai, la diminution est importante, et on observe en particulier, en ce qui concerne l'âge de ces professionnels, que 22 % d'entre eux ont 65 ans et plus, et 12 % entre 55 et 59 ans. Je reviens donc à ce que je disais tout à l'heure : il importe de rendre ce domaine attractif auprès des internes, sachant qu'en 2023, seuls 12 % d'entre eux ont fait le choix de la psychiatrie.
Quant aux unités de psychiatres en prison, elles existent bel et bien. Il est vrai que la santé en prison est un sujet important dans notre pays, mais nous devons nous atteler à considérer la psychiatrie à l'échelle de tout le territoire et pour l'ensemble des publics.

Mme Ségolène Amiot
Vraiment, rien de plus ? L'ensemble des publics, sauf ceux qui sont en prison !

Mme la présidente
Nous conclurons par une question de la part d'une députée non inscrite. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard (NI)
La psychiatrie publique n'a jamais été autant au coeur de l'actualité. Elle l'est le plus souvent, malheureusement, à la suite de faits de violences dont on s'aperçoit après coup que leur auteur est atteint de troubles mentaux ; mais elle fait aussi l'objet d'alertes de plus en plus fréquentes quant à la dégradation de son offre de soins. La discipline connaît une crise des vocations sans précédent – cela a été mentionné, on estime à 30 % le nombre de postes de psychiatre vacants.
Les pratiques d'isolement et de contention, qui constituent d'importantes privations de liberté, sont régulièrement pointées du doigt. Tantôt encouragées, tantôt dénoncées, elles suscitent des débats de plus en plus fréquents, qui impliquent différents acteurs du soin ainsi que des usagers. D'ailleurs, ces dernières années, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a eu l'occasion de dénoncer certains abus dans l'utilisation de l'isolement et de la contention, même si ces pratiques demeurent très hétérogènes en France.
Pour être tout à fait honnête, les moyens administratifs et humains – le nombre de soignants – octroyés aux établissements sont loin d'être à la hauteur de l'enjeu : ils ne permettent pas de mettre un terme à ces pratiques ou de les réduire. Comment déployer des solutions alternatives si les services concernés ne se voient pas attribuer suffisamment de temps pour que les soignants procèdent correctement à la désescalade des tensions psychiques, soient disponibles auprès des patients et réalisent des activités thérapeutiques tout en s'efforçant de rassurer, de sécuriser et d'accompagner les malades ?
De même, un investissement important est nécessaire pour améliorer les espaces de soins et les rendre accueillants et sécurisés, mais aussi pour mettre en conformité les chambres d'isolement, afin de protéger les patients et d'éviter de les attacher. Il faut aussi renforcer la formation des soignants – particulièrement celle des nouveaux infirmiers, qui ont une formation généraliste et peu de cours et de stages en psychiatrie – et soutenir le tutorat.
Il importe aussi de soutenir la recherche en psychiatrie sur ces sujets. En Occitanie, il existe la Ferrepsy, la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale, mais qu'en est-il ailleurs ?
Madame la ministre – je termine –, quels moyens le Gouvernement est-il prêt à engager sur ces différents points ? En particulier, êtes-vous prête à simplifier les procédures…

Mme la présidente
Merci, madame la députée.

Mme Emmanuelle Ménard
…et à instaurer un référent soignant « isolement et contention » qui aurait pour rôle…
(Mme la présidente coupe le micro de l'oratrice, dont le temps de parole est écoulé.)

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je veux d'ores et déjà vous dire, madame Ménard, que les services du ministère dialoguent de manière régulière, pour ne pas dire constante, avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
S'agissant de la contention, je rappelle que depuis 2021, 50 millions d'euros ont été mobilisés pour former les personnels en la matière, mettre en avant les bonnes pratiques et aménager les locaux, afin d'éviter le recours à cette démarche. Mon ministère diffuse régulièrement des instructions relatives à la politique de réduction des pratiques d'isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés à exercer des soins de psychiatrie. En mars 2021, la Haute Autorité de santé a, de son côté, publié un guide des bonnes pratiques comportant des préconisations très concrètes. Enfin, dans le cadre de la réforme des autorisations, une mention « soins sans consentement » a été créée. Les établissements devront remplir certaines conditions techniques d'implantation et de fonctionnement afin d'être autorisés à dispenser des soins sans consentement en leur sein. C'est une mesure préventive qui va, me semble-t-il, tout à fait dans le bon sens.

Mme la présidente
La séance de questions est terminée.


Source https://www.assemblee-natinoale.fr, le 19 janvier 2024