Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème suivant : le sans-abrisme est-il le réceptacle des échecs des politiques publiques ? Ce débat, inscrit à l'ordre du jour à l'initiative du groupe Écolo-NUPES, se tient en salle Lamartine, afin qu'une personnalité extérieure, que je vous présenterai dans un instant, puisse être entendue. La conférence des présidents a décidé d'organiser la séance en deux parties d'une heure chacune. Dans un premier temps, nous entendrons la personnalité invitée, que vous pourrez ensuite interroger. Dans un second temps, nous entendrons l'intervention liminaire de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, avant de procéder à une nouvelle séquence de questions et réponses. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Enfin, je vous présente à tous mes voeux de belle et heureuse année. Prenez soin de vous et continuons à faire vivre ensemble notre belle démocratie.
(…)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Avant de commencer mon intervention, je veux dire mon émotion alors que plusieurs personnes sont décédées ces derniers jours du fait de la vague de froid – bilan qui vient de s'alourdir avec un nouveau mort à Marseille ce soir. Ces drames humains nous obligent à encore plus de réactivité et encore plus de vigilance. Au-delà des chiffres, ils nous rappellent la réalité et nous incitent à faire plus d'efforts pour éviter ces situations et mettre à l'abri ceux qui veulent l'être. Ils nous invitent à réfléchir à la façon dont nous pouvons resserrer les mailles du filet de la solidarité.
Le sans-abrisme constitue l'une des formes les plus extrêmes de la grande exclusion en France, comme partout en Europe. Face à des situations dramatiques qui diffèrent chacune l'une de l'autre, l'État est garant de la solidarité nationale. Même si rien n'est jamais parfait, nous prenons nos responsabilités et nous nous mobilisons pleinement pour assurer une réponse à deux étages : une réponse à l'urgence sociale et une action structurelle de plus long terme pour favoriser l'accès au logement, car personne ne considère que l'hébergement d'urgence constitue la meilleure solution.
Permettez-moi, à titre introductif, de rappeler trois éléments concernant l'action générale des pouvoirs publics en matière de lutte contre le sans-abrisme.
Premièrement, la France consacre des moyens d'ampleur à la lutte contre le sans-abrisme avec un budget de 3 milliards d'euros par an. Jamais la mobilisation publique en faveur des personnes sans domicile n'a été aussi importante qu'aujourd'hui, preuve du caractère particulièrement volontariste de la politique que nous menons par comparaison avec certains pays voisins.
Deuxièmement, depuis 2021, l'État a repris en main le pilotage de cette politique publique afin de renforcer et fluidifier notre capacité d'action. Désormais, une administration centrale, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, se consacre entièrement aux personnes sans domicile. Son périmètre d'action couvre tous les champs contribuant à la lutte contre le sans-abrisme qui vont de l'intervention auprès des personnes à la rue jusqu'au développement d'une offre de logements accessibles, en passant par l'hébergement, le logement accompagné, la prévention des ruptures, en particulier celle des expulsions.
Troisièmement, nous ne rappellerons jamais assez à quel point la coordination avec les associations, les services déconcentrés et les collectivités est essentielle. Je le disais il y a quelques instants, la lutte contre le sans-abrisme nécessite la mobilisation de tous. C'est pour cela que l'État s'appuie sur un vaste réseau de services déconcentrés, d'associations, de collectivités territoriales et, plus globalement, sur l'ensemble des acteurs impliqués dans les politiques de lutte contre la précarité et en faveur de l'inclusion sociale.
J'insiste tout particulièrement sur la responsabilité des départements, véritables courroies de transmission des politiques publiques en matière de protection des populations les plus vulnérables. Il nous serait impossible sans leur concours et leur mobilisation active au quotidien de déployer les moyens actuellement mis en oeuvre, quel que soit le montant des budgets engagés.
J'en viens à l'action que le Gouvernement mène pour répondre à une l'urgence humaine et sociale qui concerne des femmes, des hommes et des enfants. Cette action repose sur deux piliers : assumer la montée en puissance de la politique d'hébergement d'urgence et de mise à l'abri immédiate des personnes vulnérables, d'une part ; accélérer les efforts de l'État en matière d'accès à un logement pérenne des personnes sans domicile, d'autre part.
Concernant d'abord la politique d'hébergement d'urgence, le Gouvernement, en 2023, finance 203 000 places, un nombre qui a plus que doublé en dix ans. Le maintien du parc d'hébergement à un niveau historique garantit davantage de sécurité pour la prise en charge des personnes. Pour aller plus loin, le 8 janvier dernier, le Gouvernement, par la voix de Patrice Vergriete, alors ministre délégué chargé du logement, a annoncé une enveloppe de 120 millions d'euros permettant d'ouvrir 10 000 places d'accueil supplémentaires pour les publics les plus vulnérables. Cette politique d'hébergement d'urgence est une politique de gestion de crise, une politique de l'instant, j'en ai parfaitement conscience, mais il s'agit du dernier filet de sécurité mobilisable pour absorber la croissance des publics précarisés, notamment ceux qui ne sont pas éligibles à des formes de logement plus durables.
C'est pour cela que notre politique en matière de sans-abrisme a deux jambes : nous répondons aux situations d'urgence mais, comme une telle politique ne serait pas viable si elle était considérée isolément, nous accélérons les efforts de l'État en matière d'accès des personnes sans domicile au logement dans la durée. Dans le projet de loi de finances pour 2024, les crédits ouverts pour le programme 177 s'élèvent à 2,9 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une hausse de 75 millions d'euros par rapport à l'année précédente.
Au titre de cette politique, le Gouvernement avance avec deux grands objectifs : stimuler la production de logement social, notamment par son financement, et poursuivre les efforts que nous avons commencé à fournir en 2017 avec le plan « logement d'abord ».
Concernant le financement de la production de logement social en 2024, nous avons d'abord mis sur pied un fonds de rénovation de 400 millions d'euros destiné à offrir ou à remettre sur le marché des logements de qualité aux locataires, à améliorer le confort thermique et à contribuer à baisser les charges. Nous avons ensuite dégagé 8 milliards d'euros de prêts bonifiés, qui équivalent à un montant de 650 millions d'euros de subventions. Cela constitue une ressource supplémentaire pour les bailleurs sociaux, après le plafonnement à 3% du taux d'intérêt du livret A, dont les variations à la hausse pèsent, nous le savons, sur leur financement.
Nous avons enfin créé un dispositif fiscal de " seconde vie " pour les logements nécessitant les rénovations les plus lourdes en partant du principe que les avantages dont ils peuvent bénéficier doivent être comparables à ceux attribués pour les logements neufs, tout cela bien sûr en vue d'encourager la transition écologique.
Toujours dans le cadre de notre action destinée à stimuler la production de logement social nous avons cherché à renforcer les innovations sociales et financières, dans le contexte économique que vous connaissez. Je pense, par exemple, aux sociétés de copromotion qui permettent aux bailleurs sociaux de récupérer une partie des bénéfices de la promotion privée.
Par ailleurs, nous voulons appliquer plus fermement la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU. En 2023, les décisions prises à la suite des constats de carence témoignent de la volonté de l'État de ne pas fermer les yeux devant la volonté de certaines collectivités de se dérober à la solidarité nationale en ne se conformant pas à l'objectif d'un taux de 25 % de logements sociaux.
Enfin, nous continuons à viser un calibrage ambitieux en matière de production de logements sociaux. Nous en attendons un peu moins de 100 000 en 2024 auxquels viennent s'ajouter une vingtaine de milliers au titre de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
J'en viens à la politique menée dans le cadre du plan quinquennal " logement d'abord ". Je veux insister sur l'efficacité démontrée du premier plan. Cinq ans après son lancement, 550 000 personnes sans domicile ont été relogées, dans un contexte pourtant particulièrement tendu. Parmi elles, 60% ont accédé au logement social, et 40% ont été logées dans un logement adapté par l'intermédiaire d'une pension de famille ou dans le parc privé à vocation sociale. Ces efforts engagés depuis 2017 ont permis à des personnes ayant connu un long parcours de rue de bénéficier d'un logement individuel, sans limite de temps. C'est la raison pour laquelle nous avons déployé un deuxième plan « logement d'abord » pour une période couvrant les années 2023 à 2027.
Nos ambitions en ce début d'année consistent, d'une part, à produire et mobiliser des solutions de logement adaptées et abordables pour les ménages en grande précarité et, d'autre part, à investir plus fortement sur le volet préventif.
C'est ainsi que nous travaillons à la croissance du parc privé à vocation sociale. Pour cela, nous avons fixé des objectifs territorialisés pour créer 30 000 nouvelles places d'intermédiation locative dans le parc privé. Nous accélérons également l'ouverture de nouvelles places de pensions de famille avec des objectifs eux aussi territorialisés visant 10 000 nouvelles places.
Pour ce qui est du volet préventif, nous allons monter en puissance en matière de politique de prévention des expulsions locatives. Nous comptons également développer des solutions en faveur de l'accès au logement des jeunes en situation de vulnérabilité.
Ce panorama de l'action engagée par l'État en matière de lutte contre le sans-abrisme illustre l'action forte et déterminée qu'il mène, une action qui se dote de moyens à la hauteur de la gravité de la situation.
Je souhaiterais conclure en vous indiquant qu'en ce moment même, mon ministère planche sur plusieurs dossiers afin de compléter les politiques publiques que je vous ai présentées. Nous lancerons très prochainement une mission centrée sur la situation des enfants à la rue. Nous préparons également une nouvelle instruction à destination des préfets pour améliorer la fluidité du dispositif hébergement. Enfin, nous travaillons sur une réforme plus structurelle de l'hébergement qui passe par la définition d'une feuille de route concertée avec toutes les parties prenantes.
M. le président
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à Mme Eva Sas.
Mme Eva Sas (Écolo-NUPES)
Merci, monsieur le ministre, pour votre intervention. Je vous le dis clairement, nous ne comprenons pas qu'il n'y ait pas en face de nous un ministre du logement, alors que notre pays est en pleine vague de froid et que quatre personnes sont décédées depuis le début du mois de janvier. Le souci du Gouvernement a l'air d'être la maîtrise du temps de la communication ; le nôtre, c'est la nécessité de venir en aide, dès à présent, à des hommes et des femmes qui sont dans une situation désespérée.
Pour préparer ce débat, nous vous avons fait parvenir une lettre dans laquelle nous posions des questions appelant des réponses précises. À ce stade, vous n'y avez pas répondu. Je vais donc vous les rappeler.
D'abord, il y a l'urgence. Le plan Grand froid a été déclenché, mais les moyens sont notoirement insuffisants, notamment en Île-de-France, où le nombre de places reste limité à 274, alors qu'il y a, rien qu'à Paris, plus de 3 000 sans-abri. Quelles seront les mesures prises, dès ce soir peut-être, pour mettre à l'abri les personnes qui en ont besoin ?
Ensuite, nous vous interrogions sur les causes plus structurelles de la situation, en particulier sur la politique du logement. Nous assistons à une chute de la création de logements sociaux : en 2023, 95 000 nouveaux logements sociaux ont été livrés, alors qu'il en faudrait 198 000 pour résorber le mal-logement. Quant au plan " logement d'abord " il n'est doté de 44 millions d'euros par an. D'après le Gouvernement, 2 milliards d'euros ont été économisés avec la fin du dispositif Pinel et le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ). Pourquoi ne pas réallouer ces sommes à la politique du logement social, notamment au plan " logement d'abord " ?
Enfin, nous évoquions trois causes structurelles du sans-abrisme. Premièrement, il y a la question des jeunes confiés à la protection de l'enfance qui deviennent majeurs : un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d'anciens enfants de l'ASE. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait généraliser les contrats jeune majeur ? Deuxièmement, nous attendons des réponses en ce qui concerne la prise en charge de la santé mentale, sachant que les neuf dixièmes des personnes vivant dans la rue souffrent de troubles psychiatriques ou psychologiques. Troisièmement, l'accueil des migrants est d'ores et déjà insuffisant. Or les mesures prises dans le cadre de la loi " immigration " risquent d'aggraver le problème, puisque l'on refusera les prestations sociales aux migrants qui ne travaillent pas.
Nous souhaiterions obtenir des réponses précises sur tous ces points, que nous avons évoqués dans la lettre que nous vous avons adressée la semaine dernière.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Dans le temps qui m'est imparti, madame Sas, je ne répondrai pas à toutes ces questions, non pas par manque de respect, mais parce qu'il convient d'être le plus complet possible.
Commençons par la forme. Je ne m'élève pas au-dessus de ma condition : il ne m'appartient pas de nommer un ministre délégué chargé du logement. Ma présence ici ce soir, du fait de la tutelle que j'exerce sur ce domaine, est la meilleure preuve que la responsabilité en la matière est effectivement assumée.
Vous évoquez une multitude de sujets. Il existe une forme de consensus sur le fait qu'il y aurait environ 330 000 sans-domicile fixe dans notre pays. Toutefois, le sans-abrisme ne concerne pas ces 330 000 personnes. Les dispositifs de soutien relèvent de deux grandes catégories : l'hébergement d'urgence, qui correspond aux 203 000 places que j'ai évoquées précédemment, et le dispositif national d'accueil (DNA), qui en compte 114 000. On peut déduire de ces chiffres que le nombre de sans-abri est de l'ordre d'une dizaine de milliers de personnes.
Il existe ensuite de nombreuses zones grises. Le fait de vivre dans un bidonville ou dans un autre type d'habitat précaire n'est pas une forme de sans-abrisme, même si de telles conditions de logement ne conviennent évidemment pas. En tout cas, la volonté de l'État est d'apporter, là aussi, des réponses durables.
La création de 10 000 places supplémentaires ciblées sur les familles, les femmes et les enfants vise précisément à résorber le reliquat que j'ai mentionné. Nous y allouons une somme de 120 millions d'euros, qui correspond à peu près à la moyenne des moyens supplémentaires réclamés par les amendements déposés par certains groupes politiques au Sénat ou à l'Assemblée.
Mme Eva Sas
Alors pourquoi ne les avez-vous pas acceptés ?
M. Christophe Béchu, ministre
Au Sénat, Ian Brossat avait demandé 85 millions d'euros. À l'Assemblée, c'est une somme de 160 millions qui avait été sollicitée. Le Gouvernement vient de débloquer 120 millions. Cela montre bien que nous apportons une réponse à la hauteur.
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES)
La loi « immigration » tend à restreindre les conditions d'accès à l'hébergement d'urgence : aux termes de son article 67, un étranger en situation irrégulière faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne peut bénéficier de l'hébergement d'urgence " que dans l'attente de son éloignement ". Cette mesure a été votée au mépris des principes constitutionnels de fraternité, d'égalité et de dignité de la personne humaine. Elle constitue une forme abjecte de tri des personnes hébergées. Nous espérons bien évidemment que le Conseil constitutionnel va la censurer. Si tel n'était pas le cas, elle pousserait, je crois, de nombreux acteurs de la solidarité à la désobéissance. Au-delà de cet article, d'autres dispositions sont susceptibles de créer une trappe à pauvreté. Le risque est donc grand de créer de nouveaux sans-abri. Avez-vous anticipé les conséquences de ce texte ?
Dans mon département, les Hauts-de-Seine, nous avons été confrontés il y a quelques années à la sortie d'un nombre important de personnes de l'hébergement d'urgence, en particulier dans les hôtels, du fait de l'application de critères de vulnérabilité. Il y a en la matière un manque de transparence : il semble que ces critères ont été modifiés depuis 2018 et qu'ils varient d'un département à l'autre ; il est difficile de savoir à quel moment leur application est déclenchée. En tant que parlementaires et élus de la République, nous avons besoin de connaître la liste des critères de vulnérabilité, ainsi que la manière dont ils sont fixés et appliqués. Que pouvez-vous nous en dire ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je ne vais évidemment pas préjuger de la décision du Conseil constitutionnel. Vous considérez que des dispositions de la loi devraient être censurées, et vous êtes évidemment libres de vos propos. Nous le saurons dans quelques jours, puisque le 25 janvier approche.
Je souhaite revenir sur certaines imprécisions. Le traitement différencié des personnes en fonction de leur nationalité ou du caractère régulier de leur séjour n'est pas une nouveauté législative introduite par ce texte. Le gouvernement Rocard avait soumis le bénéfice du revenu minimum d'insertion (RMI) à une condition de résidence régulière de trois ans sur le territoire national. Il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier si, s'agissant de ce type de prestations, une condition de résidence régulière de cinq ans est proportionnée ou non.
D'autre part, il n'y a pas de remise en cause de l'hébergement d'urgence : le code de l'action sociale et des familles continue de prévoir un accueil sans condition. Le texte issu de la commission mixte paritaire n'a pas modifié le code sur ce point ; il a simplement précisé que l'étranger faisant l'objet d'une OQTF serait hébergé " dans l'attente de son éloignement ".
M. Charles Fournier
Sans obligation de résultat !
M. Christophe Béchu, ministre
Telle est la réalité juridique. Vous la contestez, mais cela revient à considérer qu'une OQTF est en soi une atteinte à l'inconditionnalité de l'accueil. Je ne peux évidemment pas vous suivre à ce sujet, car cela voudrait dire que la représentation nationale n'a plus aucun choix lorsqu'elle se prononce sur les règles migratoires. Dès lors que les étrangers déboutés de leur demande doivent quitter le pays, contester le principe selon lequel l'hébergement d'urgence prendra fin à un moment donné ne me semble pas relever d'une appréciation juridique pertinente. Quelque 60% des personnes accueillies dans le parc d'hébergement d'urgence sont des étrangers qui ne sont ni régularisés ni expulsés.
M. le président
La parole est à M. David Taupiac.
M. David Taupiac (LIOT)
L'augmentation de la précarité résulte manifestement d'une insuffisance de moyens et de coordination des politiques publiques de lutte contre la pauvreté, de protection de l'enfance, de logement, de santé et d'accompagnement social. Surtout, les impacts contre-productifs de réformes comme celle de l'assurance chômage, et l'absence de revalorisation de certains minima sociaux face à la crise inflationniste fragilisent le maintien des personnes dans leur logement.
Quelle sera votre feuille de route en matière de renforcement de l'accès au logement ? Comptez-vous enfin mettre un terme à la gestion au thermomètre, puisque l'on sait que la rue tue parfois davantage l'été que l'hiver ? Entendez-vous demander une application plus stricte, y compris pour les ménages prioritaires Dalo, de l'instruction du 3 avril 2023 enjoignant aux préfets de reloger ou d'héberger les locataires avant leur expulsion ? Produirez-vous davantage de logements sociaux, sachant que 2,4 millions de personnes attendent d'en bénéficier ? Prévoyez-vous de revaloriser les aides personnelles au logement (APL) ?
Si l'actualité hivernale met en lumière les difficultés majeures rencontrées dans les zones denses et urbaines, les territoires ruraux ne sont pas épargnés. Dans mon département, le Gers, 80 % des personnes accueillies dans les structures d'hébergement d'urgence souffrent de graves problèmes d'addiction et relèvent d'un accompagnement psychique. Or celui-ci est défaillant ; nous manquons terriblement d'appartements de coordination thérapeutique et de familles d'accueil thérapeutique. Quelles mesures sont envisagées pour remédier aux insuffisances en matière d'accès aux soins psychiques et pour répondre aux besoins grandissants d'accompagnement social et éducatif ?
(Mme Eva Sas applaudit.)
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Vous avez pris l'exemple du Gers. En la matière, les disparités territoriales sont extrêmes. Dans certains endroits, les difficultés sont aggravées par la baisse drastique, plus forte que la moyenne nationale, des mises en chantier et des signatures de permis de construire qui rendent ces opérations possibles. Les réalités sont très diverses : certains territoires gagnent de la population, ce qui accroît les tensions, tandis que d'autres en perdent de manière régulière. Parfois, les maires sont sensibles à la pression de collectifs citoyens qui refusent de nouvelles constructions. Ailleurs, le nombre de logements vacants augmente. Malheureusement, pour régler les problèmes, il ne suffit pas de constater que, dans un endroit donné, une offre de logements existe et que, dans un autre, des personnes sont en attente de logement.
Vous avez évoqué une partie des accompagnements sociaux qui sont nécessaires. notamment les soins psychiques. Or le niveau de vie des personnes en grande précarité dépend pour partie des dispositifs proposés par les centres communaux d'action sociale (CCAS), lesquelles varient de manière substantielle. Cela peut conduire les intéressés à préférer tel territoire plutôt que tel autre, car elles pourront y être mieux accompagnées, par des mesures sociales qui ne sont pas des prestations nationales. Cela appelle donc une coordination très étroite, à tous les niveaux, avec les collectivités locales.
Mme Sas a évoqué à juste titre la question très sensible des jeunes majeurs et de la proportion des enfants sortis de l'ASE parmi les sans-abri. S'agissant des contrats jeune majeur, la politique varie très sensiblement en fonction des territoires.
M. Dominique Potier
C'est vrai !
M. Christophe Béchu, ministre
J'ai eu l'honneur de présider pendant dix ans un département qui a systématisé ces contrats. J'ai pu constater que des départements voisins, où la majorité était parfois d'une autre couleur politique, choisissaient des dispositifs très différents. Cela créait des phénomènes de flux : ces départements étaient heureux d'orienter les intéressées vers un autre département, se défaussant ainsi d'une partie de leurs responsabilités. Au-delà du débat au niveau national, il existe toute une strate de dispositifs locaux avec laquelle il faut composer.
M. le président
La parole est à M. Lionel Causse.
M. Lionel Causse (RE)
À l'automne dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances, l'Assemblée nationale avait adopté des amendements prévoyant la création de 10 000 places d'hébergement d'urgence supplémentaires. Il y a dix jours, le Gouvernement a annoncé qu'il consacrerait 120 millions d'euros à l'ouverture de 10 000 places de cette nature. Nous nous en réjouissons tous ; c'était ce que nous attendions. Vous avez de nouveau évoqué cette somme hier matin lors des voeux d'Action logement. Je pense que nous pouvons vous en remercier.
Néanmoins, je souhaiterais obtenir davantage de précisions : quand ces moyens seront-ils déployés ? Faudra-t-il passer par un projet de loi de finances rectificative ? Quel budget sera octroyé à l'accompagnement des personnes qui ont besoin d'accéder au logement et, à cette fin, d'entrer dans un parcours résidentiel ?
Par ailleurs, je tiens à vous alerter sur un phénomène qui progresse de façon inquiétante, voire alarmante, dans de nombreux départements, dont le mien. Chaque semaine, je suis interpellé par des chefs d'entreprise dont les employés ne parviennent pas à obtenir un renouvellement de titre de séjour dans les délais. Ils sont donc obligés de les licencier. Résultat : ces personnes sont plongées dans la précarité, sans emploi, sans salaire et donc sans logement. Il est urgent que les préfectures cessent de placer cette population dans des situations plus difficiles que celles qu'elle connaît déjà.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
J'entends vos propos, monsieur le député. Il ne vous a pas échappé que ce sujet ne relève pas vraiment directement de mon domaine de responsabilité ; cela étant, je suis preneur d'un témoignage plus précis qui me permettrait de me tourner vers Beauvau.
M. Arthur Delaporte
j'en ai des dizaines !
M. Christophe Béchu, ministre
J'ai plusieurs éléments de réponse à vous apporter. Tout d'abord, l'année dernière, à la même époque, le budget consacré à l'hébergement d'urgence était de 2,83 milliards d'euros. Il a été porté à 2,9 milliards au 1er janvier, avec 75 millions d'euros de crédits supplémentaires permettant la création de 500 places de travailleurs sociaux et d'accompagnateurs de terrain. Nous savons que l'enjeu n'est pas seulement de créer des places, mais aussi d'aller vers, c'est-à-dire de convaincre ces gens, à l'occasion des maraudes, de rejoindre les dispositifs d'hébergement. Ce n'est pas devant les députés qui, à cette heure, ont décidé de consacrer du temps à ce débat que j'expliquerai la pluralité des formes que peut revêtir le sans-abrisme.
Deuxièmement, les 120 millions d'euros supplémentaires seront évidemment inscrits dans un projet de loi de finances rectificative. Toutefois, en indiquant dès maintenant que le budget dépassera les 3 milliards d'euros, nous savons par avance que nous pourrons disposer de crédits au-delà de ceux votés dans le projet de loi de finances initiale.
Certaines villes ont interpellé le Gouvernement en annonçant qu'elles étaient prêtes à faire davantage si des partenariats se nouaient. Ces 120 millions d'euros, il va maintenant falloir les territorialiser. Ils permettront de financer, dans les territoires qui le souhaiteront et dans d'autres territoires que nous solliciterons pour une répartition géographique optimale, la création de places d'hébergement d'urgence sous diverses formes, l'accès au logement dans les cas qui le nécessitent ou encore des dispositifs d'intermédiation locative, dont nous savons l'efficacité. Tout cela se fera en ciblant spécifiquement les familles et les enfants, puisqu'il ressort de nos discussions avec les associations qu'il y a là des poches de pauvreté et de sans-abrisme particulièrement difficiles à résorber. Cela nécessite le concours des collectivités de proximité, avec des travailleurs sociaux qui sont capables d'assurer ce travail, et des lieux physiques pour les mises à l'abri.
M. le président
La parole est à M. Lionel Tivoli.
M. Lionel Tivoli (RN)
Ce débat sur le sans-abrisme trouve une résonance particulière alors que la France est exposée à une crise du logement inédite dans son histoire. En dix ans, le nombre de sans-domicile fixe a plus que doublé alors qu'Emmanuel Macron s'était engagé en 2017 à ce que plus aucun Français ne dorme dans la rue.
Derrière cette déclaration démagogique professée en pleine campagne électorale, le Rassemblement national tient à pointer la responsabilité des gouvernements qui se sont succédé au cours de la décennie Hollande-Macron, gouvernements auxquels ont participé toutes les autres formations politiques représentées ici.
Rappelons que les écologistes, qui sont à l'origine de ce débat, ont été aux responsabilités. Les passages de Cécile Duflot puis d'Emmanuelle Cosse au ministère du logement ont amorcé un virage idéologique de la politique du logement, lequel s'est traduit par le renforcement de normes énergétiques absurdes, une complexification administrative, des rabots sévères dans les dispositifs d'investissement destinés à soutenir la production de logements neufs ou encore un renforcement de la fiscalité immobilière qui décourage la mise en location de logements. Amplifiée par Emmanuel Macron, qui témoigne d'une absence totale de vision en la matière, cette politique d'hostilité à l'égard des bailleurs et des petits propriétaires a pour conséquence un retrait massif de logements du marché locatif.
La France compte plus de 3 millions de logements vacants, soit dix fois la capacité de loger le nombre de sans-abri estimé. Les Français, fragilisés par l'inflation, font face à des difficultés croissantes pour se loger, et le Gouvernement se trouve incapable de réagir. La situation des jeunes est la plus dramatique : on sait qu'à Lyon, 80 % des places de camping sont occupées par des étudiants en plein hiver. Les Français qui travaillent n'arrivent plus à se loger. La pénurie de logements dans les métropoles est aggravée par l'absorption d'un flux migratoire de 500 000 nouveaux arrivants par an qu'il faut absorber, de clandestins ou de mineurs non accompagnés qui encombrent les structures d'accueil d'urgence.
Nous souhaitons limiter l'immigration et repenser la politique du logement, grande sacrifiée de la décennie Hollande-Macron, par un choc de l'offre, en encourageant la location de logements vacants et en relançant la construction de logements neufs aujourd'hui à l'arrêt. Un dispositif de garantie des locataires qui peinent à accéder à la location doit être élaboré afin de préserver l'égalité d'accès au logement, qui demeure un droit universel. Monsieur le ministre, quand prendrez-vous enfin des mesures structurelles et pérennes ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Monsieur Tivoli, je ne sais pas si c'est vous qui avez choisi cette place à l'extérieur du cercle de ceux avec qui le débat s'organise, mais j'ai bien l'impression que vous souhaitez faire un pas de côté, tant par vos propos, qui me sidèrent compte tenu du chiffre que vous indiquez, que par une facilité de parole qui tranche nettement avec la réalité de ce qui se vit sur le terrain.
Si tout était aussi simple, comment se fait-il que des pays dans lesquels le gouvernement compte des membres de partis nationalistes ou d'extrême droite, qui partagent vos vues sur la pression migratoire, ne réussissent pas mieux à endiguer les difficultés liées au logement que ceux où la gauche, y compris radicale, est aux responsabilités ? La situation est évidemment plus complexe que vous le prétendez.
En outre, 500 000 arrivées irrégulières sur le territoire pour seulement 300 000 personnes sans domicile fixe à l'arrivée, ce serait la preuve d'un dynamisme qui nous permettrait d'absorber chaque année l'équivalent de plus de 500 000 arrivées dans le parc de logements. Je me permets de vous dire que ces chiffres ne correspondent pas à la réalité.
Vous mélangez beaucoup de choses. Tout d'abord, les difficultés dans la construction neuve peuvent difficilement être imputées à la seule responsabilité gouvernementale quand, partout en Europe, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, la hausse des taux d'intérêt et l'augmentation du coût des matériaux liée à l'inflation, qui est la conséquence de la guerre en Ukraine, provoquent une baisse du pouvoir d'achat immobilier.
Ensuite, le parallèle entre des logements vacants qui, pour beaucoup d'entre eux, se situent dans une diagonale du vide en déprise démographique, et les secteurs en tension dans lesquels se concentrent des populations précarisées n'est pas pertinent, à moins de mener une politique extraordinairement dirigiste et autoritaire par laquelle le Gouvernement déciderait de l'endroit où chacun doit habiter ; c'est peut-être votre souhait, voire votre rêve, mais cela ne fonctionne pas. La réalité, c'est que nous parlons de femmes et d'hommes qui ont la liberté de choisir où ils veulent habiter. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire des basses mathématiques sur le sujet. Le débat mérite mieux, par respect pour tous ceux qui sont, au quotidien, les visages de cette solidarité.
M. le président
La parole est à M. Sylvain Carrière.
M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES)
" La première bataille, c'est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des femmes et des hommes dans les rues. C'est une question de dignité et d'humanité. " Ces mots ne sont pas les miens, ce sont ceux d'Emmanuel Macron. Ils pourraient être porteurs d'espoir s'ils n'avaient pas été prononcés il y a sept ans. Aujourd'hui, la France compte 330 000 personnes sans domicile fixe, dont 3 000 enfants, un nombre qui a doublé en dix ans. À cela s'ajoutent les 4 millions de personnes mal logées. L'explosion des demandes d'hébergement d'urgence en est la résultante.
Les associations sont débordées. Le 115 est au bord de l'implosion. Des infirmiers, des médecins qui se sont engagés par conviction et qui ont juré, en prêtant le serment d'Hippocrate, de donner leurs " soins à l'indigent et à quiconque […] les demandera " sont obligés de faillir. Le 2 janvier dernier, 5 300 personnes à la rue ont appelé le 115, dont 1 600 enfants, dans l'espoir d'un toit pour la nuit, afin de se protéger des températures négatives. Ils ont été refoulés et ils continueront à l'être à cause de vous, vous qui avez songé à supprimer 14 000 places d'hébergement d'urgence dans le dernier projet de loi de finances, vous qui refusez 60 000 places d'hébergement d'urgence, vous qui refusez de donner à l'hôpital les moyens de soigner les gens, vous qui permettez la spéculation immobilière. Comme toujours avec vous, c'est beaucoup de communication pour très peu d'actions. Quelque 330 000 personnes à la rue, 10 millions de pauvres : voilà le bilan de la politique que vous menez depuis sept ans.
Monsieur le ministre, vous l'avez dit, il y a urgence. Qu'attendez-vous pour nommer enfin un ministre du logement ? Quels moyens comptez-vous débloquer pour faire face à la situation ? Il est vital d'agir.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
C'est avec beaucoup d'humilité que je vous entends me dire que nous faisons de la communication sans agir, tant La France insoumise nous est supérieure en ce domaine.
M. Arthur Delaporte
Ils ne sont pas au Gouvernement !
M. Christophe Béchu, ministre
Vous avez rappelé les déclarations du Président de la République. Personne ne peut, de bonne foi – c'est peut-être cette condition qui vous dépasse –, remettre en cause le volontarisme de l'action entreprise depuis 2017. Cela a été dit par les autres orateurs : avant Emmanuel Macron, il y a eu d'autres majorités, d'autres couleurs politiques,…
Mme Marie-Charlotte Garin
C'est bien de citer le RN !
M. Christophe Béchu, ministre
…dont aucune n'a fait autant pour lutter contre le sans-abrisme, qu'il s'agisse des moyens budgétaires ou du nombre de places. Là encore, la critique, l'anathème, les excès, la démagogie prennent le dessus. Avec vous, ce serait tellement simple ! Je le répète : Podemos, votre parti frère en Espagne, n'a pas réussi à résoudre ces difficultés, pas plus que ceux qui ont été au pouvoir en Grèce ou dans d'autres pays. Celles-ci sont exactement corrélées à la situation de pays ayant une politique d'accueil qui enregistrent des flux entrants au moment d'une crise de la construction car la stabilité des moyens ne permet pas de faire face à l'augmentation des arrivées. Toutefois, en France, nous ne menons pas un politique de stabilité des moyens puisque nous venons d'annoncer 120 millions d'euros supplémentaires. De plus, le covid a marqué la fin de la gestion au thermomètre : les places ne sont désormais plus proposées pour une période donnée, mais pour toute l'année.
Personne ne peut remettre en question le volontarisme qui est depuis le début la marque de fabrique du Président de la République et que mettent en évidence les 203 000 places d'hébergement d'urgence, les décisions prises sur le sujet et les moyens humains qui y sont consacrés. Est-ce suffisant ? Non. Suis-je venu devant vous ce soir pour un exercice d'autosatisfaction ? Non.
Mme Eva Sas
Un peu, quand même…
M. Christophe Béchu, ministre
Je suis venu, avec humilité, vous expliquer que nous sommes en train de continuer le combat et que nous allons renforcer les dispositifs. Néanmoins, penser que l'État seul, que le Gouvernement seul pourra régler les problèmes, c'est une forme d'escroquerie intellectuelle.
M. le président
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte (SOC)
Monsieur le ministre, nous n'avons décidément pas la même vision du monde. La différence, c'est que vous êtes aux responsabilités.
Vous êtes dans le gouvernement qui a ponctionné plus de 11 milliards d'euros sur la politique du logement avec les 5 euros de baisse des APL, avec l'absence de revalorisation des allocations et avec tout ce que vous avez pris aux bailleurs sociaux. Je suis désolé, mais c'est la réalité du chiffrage : je peux vous transmettre les éléments en question.
Vous êtes aussi dans le gouvernement qui a fait entrer en vigueur la loi Kasbarian-Bergé, dont nous avons parlé tout à l'heure. Il aurait été souhaitable que vous entendiez le représentant de la Fondation Abbé Pierre, qui porte un regard extrêmement critique sur l'application de ce texte, qui ne pourra que conduire davantage de personnes à la rue. Il y a évidemment la loi " immigration ". Il y a aussi les consignes passées après les émeutes, lesquelles ont conduit certains préfets à se gargariser d'avoir remis à la rue des familles avec enfants. C'est cela, votre politique, et je suis assez surpris de vous entendre parler comme vous le faites.
Permettez-moi, dans la minute qui me reste, de vous faire une remarque sur l'inconditionnalité théorique de l'accueil, qui n'est pas assurée dans certains endroits et varie selon les départements. Je prendrai l'exemple des femmes victimes de violences : dans certains départements, elles ont le droit à un hébergement, mais pas forcément leur enfant, ce qui fait que des femmes qui voudraient quitter le domicile conjugal avec leur enfant ne le font pas. Dans d'autres départements, les femmes victimes de violences ne sont pas considérées comme prioritaires, ou bien elles ne trouvent pas d'hébergement d'urgence. J'aimerais vous entendre sur cette situation hautement problématique qui nous est remontée par des acteurs de terrain.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
N'ayant pas été convié à la première partie du débat, j'estime qu'on peut difficilement me reprocher de ne pas y être venu. Ensuite, monsieur Delaporte, l'aplomb avec lequel vous dites les choses tend à laisser croire que le Parti socialiste n'a jamais été aux responsabilités dans ce pays.
M. Arthur Delaporte
Nous avons eu une politique du logement !
M. Christophe Béchu, ministre
Je suis d'autant plus surpris de vous entendre parler ainsi qu'il faut beaucoup de mauvaise foi pour considérer que les problèmes de sans-abrisme ont commencé au milieu de l'année 2017.
M. Arthur Delaporte
Je n'ai jamais dit cela !
M. Christophe Béchu, ministre
Enfin, j'ai toujours considéré que, quand on interrompt celui à qui on a pourtant demandé de répondre, c'est sans doute qu'on est gêné de la manière dont on a posé sa question, et la façon dont vous continuez de le faire me laisse penser que c'est bien le cas.
(Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme Marie-Charlotte Garin
Que de mépris pour les parlementaires !
M. Christophe Béchu, ministre
Je viens participer à un débat pour répondre de la manière la plus claire qui soit aux questions que vous me posez.
Mme Elsa Faucillon
Vous ne répondez pas aux questions depuis tout à l'heure !
M. Christophe Béchu, ministre
Au lieu de le faire dans le respect, vous avez décidé d'une autre approche. La manière dont vous posez les questions vous appartient, mais ne vous plaignez pas ensuite que je prenne un minimum de liberté dans la façon de vous répondre.
Vous dressez le procès de lois qui ont été votées par un Parlement où des expressions populaires se sont exprimées, sans 49.3, avec des majorités qui représentent la majorité des Français. Si vous ne vouliez pas que ce type de souveraineté populaire s'applique, peut-être aurait-il fallu vous y prendre autrement. Dans le même temps, vous mettez sur le même plan des choses qui n'ont rien à voir.
La façon dont certains squats perduraient dans notre pays pouvait-elle remettre en cause la volonté de certains propriétaires de mettre des biens en location ? Ne risquait-on pas de voir un déséquilibre profitant au squatteur, aggraver les problèmes d'offre locative ? Je pense très sincèrement que c'est le cas, et je ne crois donc absolument pas que la loi Kasbarian-Bergé aggrave la difficulté. Je pense au contraire qu'elle conforte la possibilité, pour les propriétaires, de se dire que mettre des biens sur le marché locatif, c'est aussi une façon de contribuer à résoudre la crise du logement.
M. le président
La parole est à Mme la présidente Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES)
Je voudrais d'abord revenir sur le passage de Cécile Duflot au ministère du logement, puisqu'il a été évoqué. Pour ma part, j'en suis très fière et si nous avions pu appliquer l'ensemble de la politique en question, l'introduction de l'encadrement des loyers aurait limité la spéculation sur les logements et réduit l'augmentation des loyers, notamment pour les petites surfaces – cela aurait été un grand soulagement pour nombre d'étudiants. La garantie universelle des loyers (GUL) aurait également été instaurée, sachant qu'elle permet, en période d'inflation, de protéger les locataires tout en sécurisant les propriétaires.
Je voudrais ensuite vous poser trois questions assez précises, monsieur le ministre. J'ai conscience que vous n'êtes pas ministre du logement, mais puisque nous n'en avons pas à l'heure actuelle, c'est à vous que revient la responsabilité de me répondre – avec précision, s'il vous plaît, et sans attaques politiciennes.
La première est la même que celles posées par mes collègues Elsa Faucillon et Arthur Delaporte à propos des critères de vulnérabilité. On a l'impression que s'agissant notamment des femmes enceintes ou des enfants de moins de 3 ans, ces critères ne sont pas appliqués dans tous les départements de la même manière. Par exemple, le fait qu'un enfant appartienne ou non à une fratrie a des conséquences très concrètes sur la vie des personnes concernées. Pouvez-vous préciser quels sont ces critères de vulnérabilité et nous dire s'ils s'appliquent de manière identique sur tout le territoire ?
En deuxième lieu, il est vrai que le Conseil constitutionnel n'a pas rendu sa décision à ce sujet mais il n'empêche que vous devez être en mesure de nous livrer votre lecture de l'article 19 ter A de la loi « immigration », concernant l'hébergement d'urgence. Cet article, devenu l'article 67 du texte adopté définitivement, spécifie qu'une personne ayant fait l'objet d'une OQTF ne peut être hébergée au sein des dispositifs d'hébergement d'urgence que dans l'attente de son éloignement. Pouvez-vous préciser ce que signifie une telle rédaction ? Y a-t-il un délai maximal au-delà duquel les personnes concernées seront expulsées ? Au sein des hébergements d'urgence, les associations devront-elles procéder à des contrôles d'identité lorsqu'il fera – 5 degrés dehors ? J'aimerais vraiment savoir comment va être appliqué cet article, s'il n'est pas censuré.
Enfin, je reviens à mon tour sur la loi Kasbarian-Bergé car elle fragilise ceux qui sont locataires en vertu d'un accord tacite. Malgré son entrée en vigueur, veillerez-vous à ce que les locataires soient protégés ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je ne suis pas venu pour polémiquer : je réponds simplement en m'adaptant à la tonalité utilisée par chaque orateur pour me poser sa question. Vous m'avez posé trois questions précises et je vais vous répondre de manière précise, en ayant un peu plus de temps que tout à l'heure pour le faire.
Concernant l'inconditionnalité de l'accueil, d'abord, je m'excuse auprès d'Elsa Faucillon, mais la longueur de ma réponse, tout à l'heure, ne m'avait pas permis d'arriver jusque-là. Il n'existe pas, en la matière, d'harmonisation nationale. Elles peuvent toutefois exister à l'échelle territoriale, comme en Île-de-France où l'harmonisation est complète ; ailleurs, ce sont les travailleurs sociaux qui apprécient la manière dont cette inconditionnalité doit s'appliquer. Faut-il aller plus loin ? C'est pour nous un sujet de réflexion.
Vous m'interrogez ensuite sur la loi " immigration " et sur la manière dont elle définit l'accueil jusqu'à la mise en oeuvre de l'OQTF. En réalité, le texte correspond très exactement au droit applicable aujourd'hui. En hébergement d'urgence, la personne concernée est en attente de la mise en oeuvre de son OQTF, et celle-ci n'est pas encore appliquée. Du strict point de vue juridique, la formulation retenue ne modifie pas la pratique applicable. Par définition, quand vous êtes sous la menace d'une obligation de quitter le territoire français, cela marquera la fin du placement en hébergement d'urgence. C'est la façon dont les OQTF seront mises en oeuvre qui modifiera la pratique en matière d'hébergement d'urgence, et non la rédaction que vous évoquez.
Mme Cyrielle Chatelain
Ce n'est pas très clair !
Mme Elsa Faucillon
On ne comprend rien !
M. Christophe Béchu, ministre
Enfin, votre dernière question a trait à la protection des locataires dans le cadre de la loi Kasbarian-Bergé,…
Mme Cyrielle Chatelain
Tout à fait !
M. Christophe Béchu, ministre
…tout particulièrement en ce qui concerne les contrats tacites. Pour être honnête, nous avons peu de recul sur les effets de cette loi – et nous n'en avons aucun sur ceux de la loi " immigration " –, puisqu'elle a été votée il y a seulement quelques mois. Nous n'avons pas connaissance de difficultés tenant au non-respect d'accords tacites ; en revanche, les dispositions de la loi, telles que le Parlement les a votées, ont bien fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel et n'ont pas été remises en cause par celui-ci, puisqu'il a considéré que l'équilibre préexistant entre les droits du propriétaire et ceux du locataire était respecté.
M. le président
La parole est à Mme Martine Etienne.
Mme Martine Etienne (LFI-NUPES)
Je voudrais revenir rapidement sur notre mobilisation d'hier, au métro Solférino, aux côtés des militants de l'association Droit au logement (DAL). Plusieurs députés ont participé à une " nuit de la colère " pour soutenir les sans-abri et les mal-logés, et pour demander la réquisition des logements vacants.
En effet, en cette période de grand froid, face à la détresse de familles entières et d'enfants à la rue, face à la saturation des centres d'hébergement et aux expulsions d'étudiants de leurs logements Crous – centre régional des œuvres universitaires et scolaires –, le Président a choisi de ne pas nommer de ministre du logement – enfin, pour l'instant. Merci, monsieur Béchu, d'être ici, mais nous aurions préféré parler à un ministre de plein exercice.
Le Gouvernement propose des miettes et gouverne au gré de coups de communication sans jamais réellement agir ni se mobiliser pour le droit au logement. Quant à nous, sachez-le, nous continuerons à nous battre aux côtés des associations.
Je voulais aussi profiter de ce débat pour évoquer un autre sujet, qui concerne le droit à l'occupation de l'espace public. Les préfets de police multiplient les arrêtés visant à empêcher les sans-abri de s'installer – sans jamais, bien évidemment, le présenter ainsi – ou à empêcher les associations d'organiser des distributions alimentaires. De tels arrêtés sont presque toujours censurés par le Conseil d'État, parce qu'ils sont disproportionnés, mais, ils entravent le travail des associations, contredisant le principe de fraternité pourtant reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle par la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018.
Certaines communes multiplient également les dispositifs anti-SDF, pour empêcher les sans-abri de se reposer, de s'asseoir ou de s'allonger, contrevenant – encore ! – au principe de la dignité humaine, pourtant composante de l'ordre public depuis 1995.
Monsieur le ministre, ce dont il est question ici, c'est tout simplement du respect des droits et principes fondamentaux que sont le logement, la dignité humaine et la fraternité. Quand allez-vous enfin les respecter et les faire respecter ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je veux d'abord vous dire que j'ai le plus grand respect pour les associations et les militants. Je n'ai pas été médiatisé – je ne me suis pas fait accompagner par des équipes de médias – quand j'ai participé à des maraudes, mais j'en ai effectué beaucoup dans ma vie, quand j'étais maire ou président de département, et aussi depuis que je suis ministre parce que c'est selon moi un moyen de soutenir les travailleurs sociaux. Dans ce domaine, il peut arriver que le bien se fasse sans bruit.
Vous évoquez des situations très disparates. Il arrive en effet que des mobiliers urbains soient conçus pour qu'il ne soit même pas possible de s'y reposer ou de s'y allonger dans la journée. Mais à côté de cela, il y a des collectivités dont on tait le nom et qui ouvrent des accueils de jour alors qu'elles n'y sont pas obligées, qui donnent accès à des douches, qui favorisent l'accès à des soins dentaires ou qui prennent en charge des dispositifs complémentaires sans y être tenues !
Mme Martine Etienne
Ce devrait être le cas partout !
M. Christophe Béchu, ministre
Cela s'observe partout sur le territoire, dans des collectivités de tailles variables.
Pour ce qui est des dispositifs que vous évoquez, on se heurte, au moins pour le moment, à la liberté locale s'agissant de leur mise en œuvre, même si – vous l'avez dit – un contrôle systématique du juge permet de vérifier qu'ils ne portent pas atteinte à ce principe de fraternité qui ne doit pas être seulement une inscription sur le fronton de nos mairies. Une part relève de la loi, certes, mais une autre relève de décisions et d'engagements pris en particulier au niveau des collectivités territoriales ! En effet, nous sommes dans une République décentralisée où les pouvoirs sont partagés, ainsi que les compétences de proximité. Ce que vous appelez de vos vœux passe d'abord par le respect de la loi SRU, ce qui signifie qu'il faut veiller à construire suffisamment de logements sociaux mais aussi de logements intermédiaires tels que les PLAI. Cela nécessite aussi de se préoccuper concrètement des niveaux de loyer existant sur tel ou tel territoire.
Pour rendre possible l'intégration dont vous parlez, il existe un continuum de solidarités qui va au-delà de nos querelles de chiffres et qui s'inscrit, c'est vrai, dans un devoir d'humanité. Cependant, regarder les choses en face, c'est mesurer qu'il ne s'agit ni seulement d'une question d'argent ni seulement d'une question de gouvernement. C'est bien cette chaîne de femmes, d'hommes, d'associations, de collectivités territoriales et de moyens budgétaires et humains qui permet de faire face à la situation. Il faut aussi affronter la réalité : cela suppose que les arrivées sur notre territoire se fassent à un rythme permettant d'accueillir et d'intégrer les personnes en question.
M. le président
La parole est à M. Dominique Potier.
M. Dominique Potier (SOC)
Je voudrais d'abord remercier le groupe Écologiste d'avoir été à l'initiative de ce débat de très grande qualité qui nous réunit ce soir.
Monsieur le ministre, je vous recommande de visionner le reportage diffusé dimanche soir, sur France 5, dans l'émission " En société " – peut-être avez-vous pu le voir en direct. On y suit Véronique Boulinguez, une sage-femme à la retraite qui parcourt Paris à la rencontre des femmes enceintes et des bébés vivant dans la rue, pour les prendre en charge et leur dispenser des soins de périnatalité. Ce reportage est bouleversant d'humanité : par son engagement et par son courage, cette figure de Marianne peut tous nous rassembler et nous oblige.
Cela me fait dire que je suis heureux de vivre dans un pays où les mamans qui attendent un bébé et les enfants qui naissent n'ont pas à se poser la question du droit du sol ; j'espère que cela durera et que ce droit restera inconditionnel dans notre pays.
J'ai trois questions à vous poser. D'abord, le directeur de la Fondation Abbé Pierre nous a rappelé que le sujet en amont de tous les autres, était bien celui du budget du logement, car il provoque des effets en cascade sur les plus fragiles, notamment s'agissant du sans-abrisme. Je n'ai pas bien retenu les dates et je ne veux pas m'abaisser à des accusations politiciennes en pointant telle ou telle période, mais il a indiqué que la part du PIB consacrée au logement serait passée de 2% à 1,5% et que, dans ces conditions, il est impossible de résoudre les problèmes liés à l'hébergement d'urgence. Qu'avez-vous à nous dire sur ce sujet ?
Ensuite, je voudrais évoquer la limite d'âge de 3 ans. Dans votre département, vous avez expérimenté un report au-delà de 18 ans afin que les jeunes majeurs exclus du bénéfice de l'ASE ne tombent pas dans la misère. À 3 ans, le changement n'est-il pas un peu brutal pour les enfants qui sont hébergés de manière prioritaire jusqu'à cet âge ? Ne serait-il pas possible d'introduire une transition ou un délai, par humanité ou simplement par réalisme, dans le souci de faire société ?
Enfin, j'ai assisté cette semaine aux débats de la commission des affaires économiques sur la question des habitats collectifs dégradés, et j'ai découvert ce chemin de crête qui existe entre le respect de la propriété, qui est un droit sacré de notre Constitution, et l'accès à un logement digne pour tous, qui est tout aussi sacré. Les réquisitions et la capacité à y procéder ont fait l'objet de discussions très vives et il me semble que, pour faire face au sans-abrisme, le curseur doit être revu en la matière, afin d'affronter les situations d'urgence. J'aimerais que vous ne vous contentiez pas de m'opposer le risque que de telles mesures feraient peser sur les logeurs et sur l'accès à la propriété.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je ne m'en contenterai pas, monsieur le député. Vous examinerez à partir de lundi prochain en séance publique un texte sur les copropriétés dégradées,…
M. Dominique Potier
Un texte très intéressant ! C'est du beau travail !
M. Christophe Béchu, ministre
…et j'aurai l'honneur d'être à nouveau votre interlocuteur à ce sujet, dans l'hémicycle.
On rencontre parfois des difficultés, notamment dans le cas de propriétaires impécunieux, pour que soient entrepris les travaux nécessaires à l'amélioration de la qualité des logements ainsi qu'à la rénovation énergétique, qui conditionne la transition écologique. Un des freins à cette rénovation et à la résorption d'une partie des passoires thermiques dans de grandes copropriétés, ce sont les règles qui régissent la prise de décision, car l'exigence d'unanimité peut conduire à bloquer toute initiative alors que certains aimeraient, de bonne foi, améliorer la qualité de leur logement pour faire baisser les charges énergétiques des locataires.
Certaines précarités ne sont pas seulement liées à l'absence de toit mais sont dues au niveau atteint par les charges. On ne va pas lancer ce débat ce soir, mais si je suis attaché au calendrier d'élimination des passoires, c'est aussi, indépendamment des difficultés que peuvent éprouver certains propriétaires pour mener à bien de tels travaux, parce que je voudrais que l'on n'oublie pas les locataires pour lesquels deux classes d'écart en matière de DPE – diagnostic de performance énergétique – correspondent à un doublement des charges.
S'agissant des dépenses, je ne pense pas que l'approche en points de PIB soit la meilleure. Elle a une valeur, certes, mais qui pense que la suppression du dispositif Pinel a aggravé la situation en matière de logement à tel ou tel endroit ? Quand un dispositif fiscal – et j'assume mes propos – peut conduire à ce que Saint-Gilles-Croix-de-Vie soit mieux coté, pour l'achat potentiel d'un bien qui sera loué pour servir ensuite de résidence secondaire, qu'une ville étudiante en tension mais ne bénéficiant pas du même zonage, l'efficacité sociale de la dépense fiscale peut être à tout le moins questionnée. Ce n'est donc pas qu'une question d'effort : il faut aussi considérer l'offre et ceux vers qui elle est dirigée.
Des réflexions sont en cours autour du statut du bailleur privé et des dispositifs permettant de redonner du pouvoir d'achat immobilier, dans un contexte où celui-ci est en berne. Je pense au prêt in fine ou au crédit hypothécaire, qui existent dans d'autres pays ; certains dispositifs permettent de ne pas acheter d'emblée la totalité d'un bien dont une partie fait l'objet d'une garantie. Cela permet de soulager les familles, en particulier celles issues des classes moyennes, qui ont de plus en plus de mal à accéder au logement. C'est une des façons de résoudre ce problème.
De la même manière, derrière les sigles ou les logos, il y a des réalités : j'ai parlé de HLM ou de logements sociaux mais construire un PLAI, ce n'est pas du tout la même chose que de construire un logement financé par un Plus – prêt locatif à usage social ! Il est possible de satisfaire à ses obligations en menant à bien un projet dont l'ambition sociale est moindre.
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)
Monsieur le ministre, vous avez rappelé la volonté politique de votre gouvernement ; je vous rappellerai, à mon tour, que nous avons dû nous battre, l'année dernière, pour éviter la suppression de 14 000 places d'hébergement d'urgence. Pour refaire le film des derniers mois, j'ajoute qu'au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 et à la demande des associations et des travailleurs sociaux, nous vous avions proposé, de manière transpartisane, en associant également des députés issus de vos rangs, de créer 10 000 places d'hébergement d'urgence – en acceptant, dans un amendement de repli, de réduire ce chiffre à 6 000 places, s'il le fallait, pour mettre au moins à l'abri les familles et les enfants.
Nous avons ensuite écrit à la Première ministre pour lui demander de conserver ces amendements, qui ont été adoptés au Sénat – vous connaissez le film – dans la version finale du texte. Ils n'ont pas été retenus. Nous avons lancé des pétitions, nous nous sommes engagés localement auprès des collectifs qui mettent les enfants à l'abri dans les écoles, mon collègue Charles Fournier a ouvert sa permanence à Tours pour accueillir des familles et des enfants ; nous n'avons pas obtenu de réponse.
Nous sommes donc très fortement mobilisés, et ce depuis des semaines, monsieur le ministre. Les associations continuent d'expliquer que la gestion au thermomètre n'est pas la bonne. Tout récemment, vous avez enfin quitté votre posture de refus de création de nouvelles places d'hébergement d'urgence, en annonçant le déblocage de 120 millions d'euros. On peut se réjouir de cette évolution, même s'il s'agit là d'une annonce en demi-teinte, même si nous attendons toujours d'avoir de la visibilité sur ces places nouvellement créées et d'en connaître la ventilation, et même si nous n'avons toujours pas de ministre du logement, ce qui ne donne pas le sentiment que votre gouvernement fait de cette question une priorité.
Ce constat, d'ailleurs, nous inquiète, car, comme vous l'avez souligné, des personnes sont mortes de froid dans nos rues depuis le début de l'année. Très sincèrement, en tant que jeune parlementaire, je ne comprends pas l'absurdité de notre système et de notre manière de conduire des politiques publiques. Je ne comprends que nous en soyons arrivés là et que vous, avec toutes les cartes en main – jusqu'aux dispositions législatives qui vous étaient proposées –, n'ayez pas été capables d'anticiper et de créer ces places d'hébergement à temps.
Je vous le demande très sincèrement : reconnaissez-vous la responsabilité de votre gouvernement dans la mort des personnes qui dorment dehors et qui en sont mortes, faute de places d'hébergement d'urgence ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Il est parfois facile d'énoncer les choses et autrement plus difficile de les mettre en œuvre. Encore une fois, le fait d'adopter ou de retenir un amendement, ou de décider de l'adoption d'un budget, ne résout pas du jour au lendemain les difficultés rencontrées sur le terrain.
J'ai dit – avec précaution, me semble-t-il – que la répartition des responsabilités dans la difficulté à venir à bout de la situation des personnes sans domicile fixe ou du phénomène de sans-abrisme ne relève pas uniquement d'une question de budget, mais aussi d'une question de mise à disposition effective des lieux d'abri. Or il arrive que des collectivités – quelle que soit d'ailleurs leur couleur politique – soient prêtes à signer des pétitions, mais se montrent moins allantes ou pratiquent des politiques allant à l'encontre de ce qu'elles professent lorsqu'il s'agit de mettre effectivement des logements à disposition et de dégager des lieux.
M. Charles Fournier
Ce ne sont pas elles qui peuvent réquisitionner, c'est le préfet !
M. Christophe Béchu, ministre
Comment se fait-il qu'on ait parfois plus de difficulté à trouver des logements dans des villes qui perdent des habitants que dans des villes qui en gagnent ? Il existe, sur le terrain, des disparités territoriales liées au fait que l'État n'a pas la maîtrise de l'urbanisme et de la construction, mais agit à travers des dispositifs de soutien.
Vous insistez sur vos combats politiques. Ils sont la raison pour laquelle vous vous êtes engagée et pour laquelle vous avez été élue, que ce soit en vue de déposer des amendements ou pour obtenir des votes qui vous conviennent.
Mme Marie-Charlotte Garin
Pour servir l'intérêt général, surtout !
M. Christophe Béchu, ministre
D'autres combats ont été menés, par des tenants d'autres lignes politiques. Au bout du compte, les 10 000 places que vous avez appelées de vos vœux, au lieu d'avoir été annoncées et créées au 31 décembre, l'ont été le 8 janvier. Des débats, des luttes d'influence, des combats se sont poursuivis pour faire en sorte que ces créations de place, dont la nécessité était pointée par beaucoup – pas seulement dans l'hémicycle –, deviennent une réalité. Nous sommes en train de le faire. Au lieu de procéder de manière verticale, en prétendant décider nous-mêmes des endroits où ces places seront ouvertes, nous tendons la main aux collectivités, en les invitant à proposer rapidement les dispositifs de partenariat qui permettront d'assurer ces intermédiations locatives, ces accès aux logements et ces hébergements d'urgence, et en faisant en sorte que la localisation des places ainsi créées soit adaptée aux réalités territoriales, qui ne sont pas les mêmes partout.
M. le président
La parole est à M. William Martinet.
M. William Martinet (LFI-NUPES)
Je vais tenter de profiter de ce moment d'échange pour vous poser des questions précises, auxquelles j'espère obtenir des réponses qui le seront tout autant.
La première concerne le déblocage de 120 millions d'euros pour créer, entre autres, des places d'hébergement d'urgence : cette annonce signifie-t-elle que le verrou qui limitait jusqu'à présent à 203 000 le nombre de places disponibles, et sur lequel la précédente Première ministre, Élisabeth Borne, s'était arc-boutée, a sauté ? Pouvez-vous nous confirmer que le déblocage de moyens supplémentaires permettra de dépasser le plafond de 203 000 places d'hébergement d'urgence en France ?
Deuxième question, toujours en lien avec le déblocage de nouveaux moyens : vous venez de faire une description très intéressante de la situation, évoquant des collectivités qui disposeraient de bâtiments susceptibles d'être utilisés pour créer des centres d'hébergement mais qui, pour certaines, refuseraient de mettre ces lieux à disposition. Comptez-vous utiliser le pouvoir que vous confère la loi pour réquisitionner ces bâtiments et, avec l'argent que vous avez déjà mobilisé, produire de nouveaux centres d'hébergement pour mettre des gens à l'abri ?
Ma troisième question, très précise, concerne l'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence. Si je comprends bien votre propos, l'article 19 ter A texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à immigration ne changera rien, dans les faits, à la situation des personnes mises à l'abri après avoir composé le 115 : quelle que soit leur situation administrative, même si elles font l'objet d'une OQTF, elles pourront, si elles ont en besoin et sont en situation de détresse, être mises à l'abri. Cela signifierait qu'aucune consigne ne sera passée, nulle part dans le pays, pour dire aux SIAO que les personnes qui les sollicitent alors qu'elles sont en situation irrégulière ou font l'objet d'une OQTF ne doivent pas être mises à l'abri : ces situations ne se présenteront pas. Pouvez-vous me confirmer que tels sont bien votre lecture et l'engagement que vous prenez ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
La réponse à votre première question est clairement "oui " : la décision prise par Élisabeth Borne – car c'est à elle que je veux rendre hommage, la mesure annoncée par Patrice Vergriete étant bien une des dernières décisions du gouvernement Borne – consiste bien à aller au-delà des 203 000 places d'hébergement existantes, puisque les 120 millions d'euros débloqués permettront de créer des places supplémentaires.
S'agissant de l'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence, l'article 19 ter A peut être sujet à interprétation, mais, quand je le lis et que je le compare avec la pratique déjà en vigueur, je constate que les événements susceptibles de mettre un terme à l'hébergement d'urgence sont soit l'accès à un logement – selon la logique du plan " logement d'abord " –, soit la mise en œuvre effective d'une expulsion liée à une OQTF. Que change l'article 19 ter A ? À mon sens, rien : il prévoit l'inconditionnalité de l'hébergement jusqu'à la mise en œuvre de l'OQTF. L'article est rédigé ainsi. Ma réponse, là aussi, va donc dans le sens que vous venez de décrire.
Vous avez enfin demandé pourquoi nous n'avions pas recours aux réquisitions. Notre choix est double : il consiste, d'une part, à mobiliser une capacité exceptionnelle d'accueil, de l'ordre de 4 000 places à l'heure où nous parlons – une fois prises en compte les places supplémentaires ouvertes à la suite de décisions prises par les préfets en accord avec les élus locaux, qui ne sont pas incluses dans les chiffres du dispositif national d'accueil et de l'hébergement d'urgence que nous avons évoqués ce soir –, et, d'autre part, à investir de manière durable dans une offre d'accès au logement en considérant que l'hébergement d'urgence n'est pas une fin en soi, mais un sas dans lequel on doit rester le moins longtemps possible, d'où la priorité que nous donnons à la démarche « logement d'abord ».
M. le président
Monsieur le ministre, chers collègues, je vous remercie. Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 19 janvier 2024