Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur la politique pénitentiaire et les conditions de détention, à l'Assemblée nationale le 19 janvier 2024.

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Circonstance : Questions à l'Assemblée nationale sur la politique pénitentiaire et les conditions de détention

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle les questions sur la politique pénitentiaire et les conditions de détention. La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

La parole est à Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT)
Je souhaite tout d'abord présenter mes voeux de prompt rétablissement aux deux magistrates agressées à Mayotte ce week-end. Elles ont demandé leur mutation, ce qui provoque une vive émotion sur l'île. Je veux vous lire certains messages des électeurs qui m'ont interpellée à ce sujet : " Madame la députée, il faut s'opposer aux demandes de mutation " ; " Beaucoup ont estimé que nos plaintes étaient "fleur bleue" " ; " La justice à deux vitesses. Il faut assumer. Pas de mutation. On règle le problème ensemble " ; " Qu'elles restent avec nous dans le même bateau. Ça va leur remettre les idées en place pour mieux apprécier la loi et l'esprit de la loi " ; " Pourquoi demander la mutation puisque c'est ce que vit la population mahoraise tous les jours ? Donc nous souffrons ensemble " ; " Nous avons besoin de magistrats qui ont subi ce que la population subit chaque jour pour qu'ils apportent leur expérience de la violence d'une agression physique, psychologique et matérielle et qu'ils aient le recul nécessaire pour juger en connaissance de cause. Et là je pense que leur jugement vis-à-vis des délinquants sera rendu avec moins de clémence et plus de sévérité " ; " Il faut mettre fin aux jugements Bisounours ".

À travers ces mots des Mahoraises et des Mahorais, vous l'entendez, monsieur le garde des sceaux : Mayotte ne comprend pas la mansuétude des juges face à la violence hors norme que subit le territoire. L'ancien procureur nous avait expliqué qu'il fallait alléger les peines parce que notre unique prison manquait de places – le taux d'occupation atteint 250% à Majicavo…

Depuis votre visite à Mayotte, en mars 2022, pour annoncer la création d'un deuxième centre pénitentiaire et d'un centre pour les mineurs, rien n'a avancé, alors que l'État dispose d'un terrain adéquat à Mayotte. Le conseil départemental n'a pas reçu de demande formelle sur ce dossier. Où en sommes-nous aujourd'hui, monsieur le ministre ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Votre question comporte deux volets. Le premier est judiciaire et vous comprendrez que je ne puisse pas, en ma qualité de garde des sceaux, intervenir dans le débat et commenter les témoignages des Mahorais. Nous apportons cependant une réponse en envoyant à Mayotte des brigades que nous avons créées spécialement à cet effet. J'ai constaté, lors de mon déplacement sur l'île, les difficultés rencontrées sur place.

S'agissant du volet pénitentiaire, vous l'avez rappelé, je me suis rendu au centre pénitentiaire de Majicavo, qui connaît en effet un taux d'occupation préoccupant : il était de 234% le 10 janvier 2024, soit 653 détenus pour 278 places. Des opérations de désencombrement ont lieu régulièrement puisqu'un transfèrement hebdomadaire de détenus vers les établissements réunionnais ou vers des structures métropolitaines est organisé. Ces opérations ont été multipliées par deux au cours de l'année 2023.

Compte tenu de cette situation carcérale préoccupante, j'ai annoncé – vous l'avez dit – la construction d'un second centre pénitentiaire à Mayotte, pourvu de 400 places, et d'un centre de semi-liberté d'une vingtaine de places. Nous en avons sécurisé le financement de plusieurs centaines de milliers d'euros. Des recherches foncières préliminaires ont été conduites par l'établissement public foncier (EPF) et par l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (Epfam) en mars 2023. Des sites potentiels ont été identifiés. Je vous annonce que des représentants de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij),…

Mme la présidente
Merci, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
…qui pilote désormais le projet, se rendront sur place début février.

Mme la présidente
La parole est à Mme Estelle Youssouffa pour une seconde question.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT)
Je vous remercie pour cette bonne nouvelle, monsieur le garde des sceaux. Mayotte attend avec impatience l'ouverture du nouveau centre pénitentiaire et une réponse efficace en matière d'incarcération des mineurs, ces derniers imposant au territoire une violence hors du commun. Il y a urgence, d'autant que l'ouverture de ce centre permettrait le retour au pays de nombreux gardiens pénitentiaires mahorais qui souhaitent participer aux efforts déployés pour renforcer la sécurité de Mayotte.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Absolument !

Mme Estelle Youssouffa
Les gardiens mahorais qui travaillent dans l'Hexagone font l'objet de racisme de la part de certains de leurs collègues. Vous avez été alerté à ce sujet, monsieur le ministre. Je pense aux ignobles inscriptions sur les murs des vestiaires des prisons de Fleury-Mérogis et de Bois-d'Arcy. Les tensions communautaires entre les gardiens pénitentiaires sont une triste réalité. Les Mahorais sont victimes d'intimidations et d'insultes. Ils s'estiment discriminés dans leur progression de carrière.
Quand diligenterez-vous une inspection générale sur le respect des règles, des valeurs et des principes de la fonction publique pénitentiaire envers les agents mahorais ? Où en sont les enquêtes après les plaintes déposées au sujet des inscriptions racistes que je viens d'évoquer ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Votre légitime indignation est aussi la mienne, madame la députée. Les faits que vous avez rappelés sont indignes. La discrimination et le racisme à l'intérieur et à l'extérieur de la prison, partout sur le territoire de la République, sont insupportables et je ne laisserai rien passer.

À la suite des signalements par les personnels d'actes qui revêtent un caractère stigmatisant et raciste, les services de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) ont immédiatement porté plainte auprès des procureurs de la République compétents afin de rechercher leurs auteurs et de les sanctionner. Sachez que des enquêtes administratives et des poursuites disciplinaires sont systématiquement engagées lorsque les agents sont identifiés. Des actions spécifiques ont donc immédiatement été conduites en interne pour restaurer l'indispensable climat de respect et de dignité. Aucune transaction n'est possible sur ce sujet.

La présentation de ces agissements au collège de déontologie de la DAP et plusieurs sessions de sensibilisation à la lutte contre les discriminations ont également été organisées, ainsi que des prestations de serment, pour rappeler les devoirs et les règles déontologiques qui s'appliquent à tout fonctionnaire. L'administration pénitentiaire s'est engagée à promouvoir le respect du bien vivre ensemble par la constitution d'un réseau de onze référents égalité diversité.

Enfin, afin d'accompagner les agents et de leur permettre de s'exprimer, un dispositif externalisé, Allodiscrim, est proposé à l'ensemble des directions du ministère de la justice.

Je vous remercie pour votre investissement et pour votre engagement, madame la députée : ce sont aussi les miens ! Les expressions racistes que vous avez dénoncées sont insupportables dans notre République.

Mme la présidente
La parole est à M. Max Mathiasin.

M. Max Mathiasin (LIOT)
Les deux établissements pénitentiaires de Guadeloupe sont surpeuplés. Vous l'avez constaté vous-même lors de votre récent voyage dans le département, monsieur le garde des sceaux. La situation de la prison de Baie-Mahault n'est pas plus enviable que celle de la maison d'arrêt de Basse-Terre, déplorable et indigne de la République. Les surveillants de l'administration pénitentiaire sont bien souvent victimes de violences. Or nous n'avons ni unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI), ni unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), ni équipe régionale d'intervention et de sécurité (Eris), ni unité cynotechnique. Il n'y a pas non plus, dans les établissements, de filets de protection permettant d'éviter les projections de drogues et d'armes à l'intérieur de la prison.

Soigner les détenus est indispensable, tout comme lutter contre les trafics d'armes et de stupéfiants. C'est le minimum pour limiter la violence entre les détenus et envers les surveillants, et améliorer les conditions de détention et de travail. On nous explique que les soins, les filets antiprojections, le renforcement des effectifs et le recours aux chiens coûtent cher. Peut-être, mais ils sont tout de même nécessaires ! Il faut investir. Alors que 300 places supplémentaires seront bientôt créées à Baie-Mahault et qu'un nouveau centre hospitalier universitaire (CHU) est en cours de construction, personne n'a trouvé pertinent de prévoir de nouvelles places pour les détenus qui devront se faire soigner. Ce n'est pourtant pas faute de vous avoir alerté sur le sujet, monsieur le ministre, tout comme vos prédécesseurs et le Gouvernement.

Étant donné le nombre de détenus dans les prisons de Guadeloupe et les problèmes de santé mentale et la violence qui les touchent, la situation ne peut que s'aggraver. Monsieur le garde des sceaux, allez-vous enfin mettre un terme à cette discrimination structurelle et doter la Guadeloupe d'une UHSI, d'une UHSA et d'une Eris ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Vous posez une question très légitime, monsieur le député. Le ministère de la justice la prend particulièrement au sérieux. Les services de l'administration pénitentiaire, avec ceux de l'hôpital, travaillent à améliorer concrètement la prise en charge des détenus qui ont besoin de soins.

En ce qui concerne les UHSI et les UHSA, un rapport interinspections de 2018, rédigé conjointement par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et par l'Inspection générale de la justice (IGJ), a conclu que la création, l'organisation et le fonctionnement de telles unités hospitalières nécessitaient une certaine taille critique. Si je ne peux pas vous annoncer la création d'une UHSI et d'une UHSA, je rappelle que la prise en charge sanitaire des personnes détenues à Baie-Mahault est assurée par une unité sanitaire du CHU de Pointe-à-Pitre pour les soins somatiques. Les hospitalisations somatiques sont quant à elles organisées au sein des deux chambres sécurisées aménagées pour recevoir les détenus. Un service médico-psychologique régional (SMPR) d'une capacité de huit lits est par ailleurs implanté au coeur même du centre pénitentiaire de Baie-Mahault. La feuille de route 2023-2027 relative à la santé des personnes placées sous main de justice, qui comprend trente-quatre actions, a également été élaborée avec le ministère de la santé et de la prévention pour améliorer l'ensemble des dispositifs dédiés à la prise en charge sanitaire des détenus.

Vous le savez, la sécurité pénitentiaire est l'une de mes préoccupations majeures. Les Eris, elles aussi, nécessitent une organisation spécifique pour être créées, mais le centre pénitentiaire de Baie-Mahault bénéficie depuis le 15 janvier d'une équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP) qui assure les missions d'extraction médicale, de sécurité intérieure et de transfert administratif.

Mme la présidente
Merci, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Monsieur le député, la prison de Baie-Mahault est éloignée géographiquement de l'Hexagone, mais je m'y suis rendu en mai dernier et ce centre pénitentiaire est très présent dans l'action du ministère.

Mme la présidente
La parole est à M. Max Mathiasin pour une seconde question.

M. Max Mathiasin (LIOT)
Cette question émane de ma collègue Martine Froger, retenue dans sa circonscription.

Depuis plus de vingt ans, la population incarcérée augmente de façon continue. Fin 2023, elle a atteint le niveau inégalé de 75 000 détenus environ. Sans occulter les mesures prises pour remédier au surpeuplement des prisons – plan immobilier, aménagements de peine, solutions alternatives à la prison –, force est de constater que le bilan est mitigé. Malgré différentes propositions législatives pour offrir d'autres possibilités que l'incarcération, la situation reste insatisfaisante. Les peines alternatives obtiennent pourtant des résultats positifs chez nos voisins européens, où elles sont plus développées, notamment pour la prévention du risque de récidive.

Monsieur le garde des sceaux, comment comptez-vous encourager concrètement le recours aux mesures alternatives à la détention, qui sont une solution à la surpopulation carcérale ? Une attention particulière doit être réservée aux conditions de préparation des libérations, grâce au maintien des liens familiaux, à l'ouverture ou au rétablissement des droits en matière de logement, de formation et de réinsertion professionnelle, mais aussi grâce à l'accès aux soins et à la prise en charge des situations sanitaires dégradées, souvent marquées par des addictions. Mieux préparer les libérations, c'est mieux lutter contre les récidives et cela nécessite de recruter des professionnels spécialisés et des assistants de service social. Quelle est votre feuille de route en la matière ?

Ma collègue souhaite également appeler votre attention sur l'expérimentation du dispositif de régulation carcérale, qui repose sur le partage de l'information entre l'autorité judiciaire et l'administration pénitentiaire et dépend du taux d'occupation des établissements. Faute de moyens coordonnés, cette expérimentation ne s'est pas traduite par une baisse des taux d'occupation. Monsieur le ministre, allez-vous encourager et développer les expérimentations permettant une régulation carcérale au plan local ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Monsieur le député, j'irai à l'essentiel sur cette question essentielle. Le recours aux peines de travail d'intérêt général, prononcées par les tribunaux correctionnels, est en augmentation depuis 2023. Le nombre de places a quasiment doublé entre 2018 et 2024 pour atteindre 38 000 et la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, votée à la fin de l'année dernière, a ouvert la possibilité pour les sociétés de l'économie sociale et solidaire d'accueillir des TIG (travaux d'intérêt général). En outre, une plateforme dédiée, TIG 360o, a été mise en place pour faciliter le prononcé de cette peine. D'autres évolutions sont envisagées.

En outre, la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) connaît une forte progression – de 13 % depuis 2022. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), qui ont suivi en milieu ouvert plus de 198 000 personnes en 2023, ont vu leurs moyens renforcés : entre 2018 et 2022, 1 600 emplois ont été créés – 970 conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), 175 directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP), 144 personnels administratifs, 135 assistants de service social, 106 surveillants chargés de la surveillance électronique, 40 coordonnateurs culturels, 30 psychologues – et en 2024, 133 recrutements de CPIP sont prévus.

La politique pénale et pénitentiaire, vous l'aurez compris, ne saurait répondre aux exigences qu'imposent la prévention de la récidive, la réinsertion et le respect de la dignité humaine sans un dialogue constant entre autorité judiciaire et administration pénitentiaire. Ce dialogue est effectif, je peux vous l'assurer, grâce aux instances opérationnelles que sont les commissions d'exécution et d'application des peines (Comex). L'Observatoire des peines d'emprisonnement ferme est d'ailleurs mis à leur disposition pour éclairer les décisions prises.

Mme la présidente
La parole est à Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie (RE)
Lorsqu'il est question de politique pénitentiaire, je pense d'abord aux 43 000 agents de l'administration pénitentiaire et de l'approbation dont je salue ici le dévouement et l'engagement constant. Leurs conditions de travail sont souvent compromises par une surpopulation carcérale chronique, nous le savons. Ce phénomène est ancien et après des années d'immobilisme, nous devons constater que jamais le ministère de la justice n'a consacré autant de moyens aux prisons. Regardons un instant dans le rétroviseur : lancement du plan " 15 000 places de prison " dès 2017 – le programme immobilier le plus ambitieux depuis trente ans –, rénovation de nos prisons vétustes, fin du partenariat public-privé. Ce sont des choix cruciaux que nous avons faits pour engager la transformation de nos prisons.

La mission de réinsertion est au moins aussi importante, avec le travail comme fer de lance. La création du statut de travailleur détenu, le développement des TIG et la mise en place du label Peps – produit en prison.s – sont autant de progrès que nous vous devons, monsieur le garde des sceaux.

Récemment, pour mieux prendre en charge les nombreux détenus souffrant de troubles psychologiques, nous avons autorisé l'implantation d'entreprises adaptées et des établissements et service d'aide par le travail (Esat) en milieu carcéral. Pourriez-vous dresser un état des lieux ? Puisqu'il me reste du temps, vous en aurez aussi, je suppose, monsieur le garde des sceaux, pour faire un bilan des effectifs des surveillants et des Spip ainsi que de tous les plans de revalorisation que nous avons mis en place depuis plusieurs années.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je vous remercie, madame la députée, pour l'hommage que vous avez rendu au personnel pénitentiaire, hommage auquel je me joins. Ces hommes et ces femmes qui forment la troisième force de sécurité de notre pays le méritent, eux qui font un métier difficile et qui sont pleinement investis dans leur tâche. Permettez-moi également de vous remercier pour votre propre engagement sur cette question si importante.

Beaucoup de choses ont été faites pour favoriser l'insertion professionnelle des personnes détenues, qui constitue un outil essentiel dans la lutte contre la récidive. Le contrat d'emploi pénitentiaire, qui crée des conditions d'exercice proche de celles du droit commun, l'ouverture de droits sociaux, la prospection systématique d'entreprises en vue de les inciter à s'implanter dans nos établissements pénitentiaires sont autant d'éléments d'une politique dynamique destinée à accroître le travail parmi les détenus, qui sont près de 38% actuellement à exercer ces activités. Ce sont des gages qui permettent d'envisager une diminution des récidives.

Au-delà de ces évolutions normatives et organisationnelles, j'ai à coeur de diversifier les modalités d'accès à l'emploi en détention pour favoriser une adaptation à tous les publics, même les plus éloignés de l'emploi. Nous avons ainsi permis l'installation de structures d'insertion par l'activité économique en détention et nous avons organisé leur essaimage. Quarante de ces structures sont en cours de production et leur nombre atteindra soixante d'ici à la fin de cette année. Une phase pilote pour l'implantation d'entreprises adaptées destinées à accueillir des personnes présentant un handicap, notamment cognitif, s'achève. Six expérimentations sont en cours et nous en tirons les enseignements. Pour les personnes plus lourdement handicapées, j'ai souhaité qu'il soit possible d'ouvrir des Esat en détention. Le décret pris en Conseil d'État publié en décembre pérennise les deux établissements expérimentaux établis sur le modèle des Esat…

Mme la présidente
Je vous remercie, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
…qui existent déjà, l'un au centre de détention de Val-de-Reuil, l'autre à la maison d'arrêt d'Ensisheim.

Mme la présidente
La parole est à Mme Caroline Abadie, pour une deuxième question.

Mme Caroline Abadie (RE)
Ce qui compte, c'est ce qui se passe en détention, nous le voyons bien. Avec 75% de détenus ayant au mieux un certificat d'aptitude professionnelle (CAP), l'éducation et la formation professionnelle s'avèrent essentielles. En 2020, je m'étais alarmée du taux très faible de la formation professionnelle en milieu carcéral, particulièrement dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Avez-vous obtenu des régions une progression en la matière ?

Je tiens par ailleurs à mettre en lumière les structures de contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) que vous avez créées ainsi que les trente centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) dont j'avais appelé la création de mes voeux lors du Grenelle des violences conjugales. Ces deux structures ont pour point commun d'aboutir à des taux de récidive très faibles et de redonner plus de sens à la peine.

La Cour des comptes a elle-même souligné l'efficacité de ces dispositifs dans son récent rapport consacré à la politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État et j'aimerais savoir, monsieur le ministre, si vous prévoyez d'en créer d'autres et si vous envisagez d'appliquer le modèle des CJPP à de nouvelles infractions – je pense en particulier aux délits routiers qui se prêteraient à ce type de prise en charge.

L'accompagnement est décisif et vous avez mis en oeuvre la libération sous contrainte pour éviter les sorties sèches. Disposez-vous d'un état des lieux de la mise en oeuvre de cette procédure ? Permet-elle de réduire durablement la surpopulation pénitentiaire ? Dans le cadre de notre rapport d'information sur les alternatives à la détention et l'éventuelle création d'un mécanisme de régulation carcérale, Elsa Faucillon et moi-même avons proposé d'élargir cette mesure aux maisons d'arrêt, qui sont en souffrance.

Vous connaissez mes convictions à ce sujet : je crois qu'il nous faudra, en nous appuyant bien sûr sur le plan « 15 000 places de prison », planifier une réduction durable de la surpopulation carcérale, comme le demandent les professionnels de la chaîne pénale et comme le préconisaient les états généraux de la justice.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Le contrôle judiciaire avec placement probatoire permet non seulement une prise en charge globale, notamment psychologique, de l'auteur de violences conjugales, mais également son éviction du domicile familial. Ce contrôle social impliquant une prise en charge complète est extrêmement intéressant et nous réfléchissons activement à son élargissement à d'autres infractions tout en prenant en compte les contraintes liées à l'hébergement dans un contexte de tensions sur le parc immobilier. Je ne suis toutefois pas convaincu de la pertinence de son application aux infractions ne nécessitant pas d'évincer leurs auteurs du domicile, comme c'est le cas pour les violences intrafamiliales. Je précise que depuis le début de l'expérimentation, à la fin de l'année 2020, 270 personnes placées sous main de justice ont été prises en charge dans le cadre du CJPP et qu'une évaluation est en cours.

Quant à la libération sous contrainte de plein droit, dispositif entré en vigueur depuis le 1er janvier 2023, je suis pleinement favorable à son développement. Cette mesure salutaire renforce le sens de la peine d'emprisonnement, évite les sorties sèches, facteur de récidive, et constitue un levier de régulation carcérale. Près de 11 000 détenus en ont déjà bénéficié et je demeure mobilisé avec tous les acteurs pour renforcer cette mesure dont l'utilité a été rappelée aux procureurs de la République et aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires par une dépêche du 8 novembre 2023. Le 15 janvier, j'ai également demandé le lancement d'une enquête nationale afin d'identifier des pistes d'amélioration.

Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Dragon.

M. Nicolas Dragon (RN)
Au début des années 2000, les Néerlandais ont modifié leur politique pénale en recourant massivement aux courtes peines, mesure qui a eu des conséquences bénéfiques :…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ce n'est pas vrai !

M. Nicolas Dragon
…baisse de la délinquance, surcapacité pénitentiaire ayant conduit à fermer plusieurs prisons devenues inutiles, réduction de la dépense publique consacrée à la sécurité. Aux Pays-Bas, les courtes peines prononcées contre des primo-délinquants sont exécutées au sein d'établissements pénitentiaires spécifiques. Le groupe Rassemblement national pense que ceux-ci présentent des avantages évidents. Ils peuvent être construits rapidement dans la mesure où ils nécessitent des dispositifs de sécurité allégés et coûtent également moins cher en fonctionnement dès lors que les besoins de surveillance sont plus restreints. Par ailleurs, comme les chiffres de la délinquance aux Pays-Bas le montrent, ce dispositif favorise la réinsertion des prisonniers qui purgent leur peine à l'abri de tout contact avec la grande délinquance.

Le parc immobilier de l'État fait actuellement l'objet de nombreuses cessions. Un grand nombre de bâtiments pourraient donc être transformés à peu de frais en établissements pénitentiaires de ce type. Ceux-ci conviendraient à des primo-délinquants ne manifestant pas une forte dangerosité : ils purgeraient leur peine dans un cadre qui, tout en les privant totalement de liberté, serait moins dur que l'environnement carcéral actuel. Cela permettrait également de les séparer des détenus dangereux qui transforment parfois la prison en centre de formation pour criminels. À cet égard, je pense aux difficultés du centre pénitentiaire de Laon, dans ma circonscription, et je rends hommage à ses surveillants comme à tous ceux de France.

Monsieur le garde des sceaux, pensez-vous expérimenter ce type de dispositif en France, comme le proposait Marine Le Pen durant la dernière campagne présidentielle ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je vous dirai sans ambages, monsieur le député, que ce que vous dites est faux. Selon une étude présentée au début du mois de juillet 2023 devant le Parlement néerlandais, " l'idée selon laquelle la baisse de la délinquance aux Pays-Bas est liée à un recours massif aux courtes peines est absolument fausse ". Fermez le ban ! Autrement dit, c'est un mensonge de plus : mensonge quand vous dites cela, mensonge quand vous dites que la justice est laxiste, mensonge quand vous dites que les peines ne sont pas exécutées, mensonge quand vous dites que nous n'avons pas de perpétuité réelle ! Dans son programme, Mme Le Pen demandait 9 000 magistrats, alors que ce chiffre était déjà atteint, et quand je lui ai dit publiquement que ce cap était franchi, elle a purement et simplement doublé l'objectif pour le porter à 18 000, faisant fi de l'impossibilité d'en recruter et d'en loger autant. Votre programme est très clair, c'est la trique et le mensonge, et la conjugaison des deux ne va pas dans le sens de la justice.

Je veux bien que vous m'interpelliez, mais je tiens à vous rappeler que nous sommes un des pays les plus sévères : le taux de surpopulation carcérale est très préoccupant, comme la Cour des comptes le souligne, et le nombre de peines correctionnelles et criminelles prononcées n'a cessé d'augmenter dans notre pays. Vous préférez faire votre miel de ce supposé laxisme de la justice. Vous proposez la lune aux Français avec votre programme pour la justice en leur faisant croire qu'en doublant ou en triplant tout, vous allez régler la question de la délinquance. Vous allez même jusqu'à flirter, comme l'a montré M. Bardella, avec la peine de mort – vous le faites sans le faire tout en le faisant, en recourant à la prétérition.

Posez-moi une question fondée sur du vrai et je vous répondrai. Là, vous partez d'un mensonge pour tenter de mettre à mal la politique pénale ferme que je conduis depuis que je suis à la tête de ce ministère.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
Monsieur le ministre, essayons tous de retrouver notre calme.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je suis très calme.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
La réponse que vous venez de donner à M. Dragon ne correspondait ni au fond, ni au ton de sa question.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Si, monsieur !

M. Jean-Philippe Tanguy
C'est là votre liberté, mais permettez-moi de dire que je l'ai trouvée bien éloignée des enjeux soulevés et des propositions formulées par mon collègue.

Je souhaite vous interroger au sujet d'un problème dont je sais – car je ne suis pas là, moi, pour polémiquer – qu'il vous tient à coeur : les conditions de travail difficiles des agents pénitentiaires. Je n'affirme pas que vous n'avez rien fait en la matière, encore moins que cette question ne vous préoccupe pas ; mais la situation est grave, vous le savez.

Les agents pénitentiaires de la maison d'arrêt d'Amiens font face à la surpopulation carcérale alors que 20 % des postes ne sont pas encore pourvus. Après en avoir été alerté par les syndicats, je vous avais saisi pour obtenir plus d'informations, et vous m'aviez répondu, par un courrier d'ailleurs très républicain, en m'informant de l'arrivée de quatorze agents, prévue le 1er juillet. Je vous en remercie, mais les syndicats m'ont fait savoir que dix agents auront quitté leur poste d'ici à cette date et que les équipes seront donc toujours en sous-effectif. Comme vous le savez, plus il manque d'agents, plus les conditions de travail se dégradent, ce qui accroît la souffrance des agents en poste et diminue l'attractivité du métier, rendant les postes d'autant plus difficiles à pourvoir.

Quel plan d'urgence avez-vous prévu, non seulement pour améliorer les conditions de travail des agents, mais aussi pour rendre le métier plus attractif, de manière à pourvoir tous les postes vacants et à soulager les agents ?

Par ailleurs, dans mon courrier, je vous avais également interrogé quant au nombre exorbitant d'heures supplémentaires non payées aux agents et transformées en congés qu'ils ne peuvent pas prendre en raison du manque d'effectifs. Quand paierez-vous ces heures supplémentaires, étant donné qu'elles ne peuvent donner lieu à des congés effectivement pris ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Merci pour cette question républicaine. Elle n'est pas fondée sur un mensonge, c'est pourquoi je vous réponds avec le plus grand calme. Je me permets d'ailleurs de rappeler que vous avez parfois eu vous-même des poussées de décibels bien supérieures aux miennes.

Voici les chiffres, qui sont incontestables. Depuis 2018, 5 102 emplois ont été créés, dont plus de 2 660 emplois de surveillants. Cet effort ne faiblira pas en 2024, puisque nous créerons 599 emplois, dont 512 emplois de surveillants, quantum qui intègre 149 emplois destinés à rattraper une sous-exécution antérieure.

Il est difficile de traiter le sujet pénitentiaire en deux minutes, mais je rappellerai que nous avons renforcé la sécurité et signé avec les personnels pénitentiaires le passage de métiers de catégorie C à la catégorie B, et de la catégorie B à la catégorie A, réclamé depuis plus de vingt ans. Nous avons fait beaucoup ; nous le devons d'ailleurs aux personnels pénitentiaires, dont je n'ai de cesse de dire qu'ils accomplissent un travail exemplaire dans des conditions très difficiles.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES)
Le 28 juin 2023, l'Observatoire international des prisons (OIP) a rapporté que 47 prisons françaises sur 187 ont été condamnées pour conditions de détention indignes. Cela fait référence, par exemple, à l'insalubrité, qui entraîne de nombreux problèmes de santé pour les détenus et pour les prévenus, et qui est caractérisée par la présence massive de rats et d'insectes dans les prisons françaises.

La prison de Fresnes s'illustre en la matière : plusieurs cas graves de leptospirose y ont été diagnostiqués, nécessitant une hospitalisation d'urgence en service de soins spécialisés. Cette maladie est véhiculée par l'urine de rat et transmise par contact direct cutané ou muqueux ou par contamination des eaux. Saisi en 2016 par l'OIP à la suite de la contraction de la leptospirose par deux détenus, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a imposé à l'administration pénitentiaire de Fresnes la mise en oeuvre de plusieurs mesures destinées à lutter contre la présence massive de rats et d'insectes dans la prison. Le ministre de la justice de l'époque a alors annoncé un plan de lutte contre ces rongeurs. Or en 2017, l'OIP a de nouveau assigné l'État en justice, constatant l'absence de mesures prises et la prolifération continue des rats. Le tribunal administratif a alors estimé que le nombre de nuisibles devait être très substantiellement diminué dans un délai de trois mois.

Pourtant, quatre ans plus tard, en décembre 2021, le Conseil d'État a condamné une nouvelle fois l'État français pour les manquements notoires liés à l'hygiène dans le centre pénitentiaire de Fresnes. Après un an de signalements concernant la présence de rats dans les cellules, qui n'ont donné lieu à aucune prise en charge par le personnel de la prison, un détenu a contracté la leptospirose et a souffert d'une atteinte hépatique ; reins et foie touchés, il a passé plus d'un mois à l'hôpital, où il a subi un traitement intensif. Plus de 25% des établissements pénitentiaires français, tout simplement inaptes à accueillir du public, sont dangereux pour la santé. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour éviter que des détenus soient contaminés par des rats dans les prisons de la septième puissance économique mondiale ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Il est beaucoup plus confortable d'être dans l'opposition que d'agir.

M. Jean-François Coulomme
Ah !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Vous parlez ; moi, je travaille. Je vous répondrai tout de même, pour vous montrer que le " y a qu'à, faut qu'on, faudrait " a des limites. Premièrement, vous qui êtes contre la construction d'établissements pénitentiaires,…

M. Jean-François Coulomme
C'est vrai !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
…dites-moi comment vous pensez améliorer les conditions de détention indignes.

M. Jean-François Coulomme
Par la réduction de la population carcérale !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Comment lutter contre les conditions indignes, si ce n'est en construisant des établissements pénitentiaires dignes ?

Deuxièmement, nous avons doublé le budget dédié à la rénovation d'établissements pénitentiaires. Vous parlez de ceux qui n'ont pas encore été rénovés, mais il faut aussi parler de ceux qui l'ont été. Je pense aux Baumettes, à Fleury-Mérogis, ou encore à d'autres établissements que j'inaugurerai bientôt et dont certains sont récemment construits – neufs, sains, propres ! Nous pensons au personnel pénitentiaire et bien sûr aux détenus.

Pensons également à la loi du jeudi 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, dont Mme Abadie était la rapporteure ; nous avons bien vu comme vous l'avez critiquée et ce que vous en avez dit. D'ailleurs, vous n'avez voté aucun budget du ministère de la justice. Pourtant, c'est avec de l'argent qu'on rénovera la maison d'arrêt de Fresnes, pour laquelle de grands travaux sont prévus.

" Y a qu'à, faut qu'on, faudrait ". Contrairement à vous, monsieur le député, je n'ai pas de baguette magique. Cette situation me préoccupe. Pour reprendre une citation bien connue, vous n'avez pas le monopole du coeur. J'ai été avocat pendant trente-six ans ; je connais les conditions de détention indignes.

Nous avons instauré le contrat d'emploi pénitentiaire, dont vous ne vouliez pas non plus, alors qu'il permet à des gens de reprendre pied dans la vie civile ordinaire qu'ils seront amenés à réintégrer après leur libération. Nous avons tout fait pour faire venir les patrons dans les établissements pénitentiaires. Désormais, un nombre considérable de détenus travaillent en prison.

Nous avons fait beaucoup de choses. Vous, non, mais la critique est toujours au rendez-vous. Vous vous en nourrissez ; c'est dommage, lorsqu'il s'agit de sujets si importants.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour une deuxième question.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES)
Ne vous en déplaise, monsieur le ministre, il y en aura trois, toutes semblables.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je vous en prie ! Vous aurez trois réponses !

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES)
En 2023, l'établissement pénitentiaire d'Aiton, en Savoie, a connu deux meurtres, le 10 février puis le 13 décembre, chacun perpétré dans les mêmes effroyables circonstances par le codétenu de la victime, mis en examen pour homicide. Entre les quatre murs d'une cellule exiguë où deux personnes purgeaient leur peine dans quelques mètres carrés âprement partagés, malgré les différentes alertes relatives aux troubles psychiatriques des codétenus et malgré les signalements de leur mésentente, la codétention fut maintenue.

Ces deux drames auraient pu être évités, comme la majorité de ceux qui surviennent dans un établissement pénitentiaire, si l'encellulement individuel était respecté et que l'indigne moratoire permettant de passer outre n'avait pas été prolongé. Il ne s'agit pas de drames propres à l'établissement d'Aiton, mais de dysfonctionnements structurels graves que tous les professionnels s'accordent à dénoncer. Les conditions de détention dramatiques et insalubres, la surpopulation qui justifie de déroger à l'encellulement individuel, sont les conséquences directes de votre frénésie carcérale.
(M. le garde des sceaux soupire.)

Le personnel pénitentiaire, en plus d'être choqué, est démuni face à cette situation insupportable dans laquelle la meilleure volonté du monde ne permet pas d'éviter de tels drames. La prise en charge psychiatrique est insuffisante en raison du manque de personnel, car le nombre d'équivalents temps plein (ETP) dépend de la capacité théorique de la structure et non du surnombre effectif des détenus, qui peut varier du simple au double.

Les deux codétenus accusés dans ces affaires avaient une santé psychique fragile. L'un d'eux venait d'ailleurs de passer plusieurs semaines en UHSA, structure spécialisée pour les détenus souffrant de troubles psychiatriques. Dans de nombreuses affaires similaires, les témoins soulignent la détresse et l'état de santé mentale altéré des mis en cause. Selon l'OIP, cela dénote une fois de plus la catastrophique prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiatriques lourds en détention et soulève la question de leur présence même en prison.

Monsieur le ministre, combien de morts encore faudra-t-il pour vous décider à appliquer l'encellulement individuel et pourquoi ne respectez-vous pas les trois premiers articles du code de déontologie pénitentiaire ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je reste calme, mais à vous entendre, me voilà complice de ces meurtres… Vous êtes toujours dans la caricature.

Nous savons bien qu'il y a un problème de surpopulation carcérale ; cela ne date pas d'aujourd'hui. Je vous ai expliqué comment nous essayons de le régler. La construction de centres pénitentiaires constitue un des leviers à cette fin. Nous avons également développé les TIG et l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse). J'ai systématisé la libération sous contrainte et développé le travail pénitentiaire. Nous avons engagé des travaux de rénovation et de construction d'une ampleur inédite. Avez-vous visité une prison neuve ?

(M. Jean-François Coulomme acquiesce.)

Peut-être trouvez-vous plus intéressant de polémiquer.

Nous savons de longue date qu'il existe des agressions dans les établissements pénitentiaires. Le milieu pénitentiaire est très difficile ; il se caractérise par la promiscuité et par la violence. Je tiens d'ailleurs à rendre une nouvelle fois hommage au personnel pénitentiaire, trop souvent victime de ces violences. Que feriez-vous à ma place, monsieur le député ? Construiriez-vous une prison sans aucune violence, agiriez-vous comme le promet l'autre extrême ? Le risque zéro n'existe pas, vous le savez.

Vous vous arrêtez toujours sur ce qui ne marche pas, jamais sur ce que nous avons fait. Nous avons pourtant fait beaucoup. Nous avons construit trois UHSA, mais vous ne l'avez pas dit, car vous n'êtes pas objectif. De plus, ce n'est pas avec les moyens que vous nous avez consentis que nous pourrions améliorer la situation : vous n'avez voté aucun des budgets dédiés à la justice. " Y a qu'à, faut qu'on, faudrait ", et bla bla bla, et bla bla bla…

Posez votre troisième question, vous aurez une troisième réponse.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES)
Cette troisième question me permet d'aborder la question du recrutement. Le 21 février 2023, vous êtes allé à Agen rendre hommage à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), " cette si belle école qui forme aux métiers de l'administration pénitentiaire, si essentiels pour la sécurité de notre pays ". En cela, nous souscrivons sans réserve à vos propos.

Toutefois, le 16 novembre 2023, le directeur de l'établissement a réuni les 800 élèves de la promotion 216 pour les admonester en raison des incidents, des incivilités, voire des délits commis. Chaque jour et chaque nuit, ce sont des retards, des absences, des cris, de la musique trop forte, du manque de respect, des dégradations, des vols, des attitudes indécentes – y compris des scènes de fellation dans la laverie de l'établissement, filmées et partagées sur les réseaux sociaux –, de la consommation d'alcool et de drogue, des femmes sifflées, des portiques forcés, des insultes ou encore des bagarres en ville, dont se sont d'ailleurs plaints les commerçants d'Agen.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour que les agents pénitentiaires en poste n'aient pas à subir l'arrivée de nouvelles recrues plus proches de la délinquance que des vertus requises par leur fonction ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Le directeur a fait ce qu'il fallait faire, voilà ma réponse. Existe-t-il un milieu, un seul, qui soit complètement préservé des dérives, y compris d'ordre sexuel ? Le directeur a pris la mesure des faits en question et a rectifié la situation, comme il sied à un directeur d'école. C'est aussi simple que cela.

Parmi ces élèves qui deviendront des surveillants pénitentiaires, il y a aussi des gens très motivés. Pour ma part, c'est eux que je regarde. J'aime cette école et je m'y rends régulièrement. J'y vois des jeunes dont beaucoup, d'ailleurs, viennent des territoires ultramarins et acceptent ce déracinement par désir de faire ce métier.

Je vous accorde qu'il existe quelques dérives, mais, là encore, vous soulignez ce qui ne va pas en passant sous silence ce qui va bien. Je note que vous avez commencé votre propos par un hommage aux personnels pénitentiaires ; c'est une manière bien singulière de leur rendre hommage. Il y a des dérives partout. Aucun milieu culturel, sociologique ou professionnel n'y échappe. En tant qu'avocat, pendant trente-six ans, j'ai défendu des gens issus de tous les milieux, qui avaient commis une infraction. En l'occurrence, les infractions des élèves – certes insupportables, indignes – ont été repérées, et le directeur a parfaitement rempli son rôle.

Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Juvin.

M. Philippe Juvin (LR)
Tout d'abord, je remercie l'Assemblée d'organiser ce débat sur les conditions de détention pénitentiaire. En réalité, monsieur le garde des sceaux, nous n'avons jamais eu de débat de fond sur ce que la société attend de la prison, et c'est cela qui nous manque.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je suis bien d'accord.

M. Philippe Juvin
Nous ne parlons des prisons – et les torts sont partagés par toute la classe politique – que quand survient un fait qui suscite de l'émotion.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
C'est vrai.

M. Philippe Juvin
Or la seule réponse que des gens très intelligents avancent alors consiste à dire : il faut augmenter le quantum de la peine. Mais le quantum de la peine ne peut pas être l'alpha et l'oméga de la politique pénale et carcérale
(Mme Caroline Abadie applaudit.)

En quoi consiste au fond ce grand débat sur ce que la société attend de la prison ? Qu'attendons-nous des prisons ? Qui y place-t-on ? Pendant combien de temps ?

Nous, députés du groupe Les Républicains, pensons que des peines très courtes pourraient être utiles. Nous pensons qu'il faut créer des prisons d'un type nouveau, plus petites, dont certaines pourraient être moins coûteuses car elles demanderaient moins de gardiens dès lors qu'on dispose d'autres moyens de s'assurer que les détenus ne s'évaderont pas. Il faut également envisager la probation plutôt que l'emprisonnement et accorder une place plus importante au travail, pour que les détenus payent leur cellule et l'amende versée aux parties civiles. Ensuite, nous sommes favorables à l'exécution de leur peine par les étrangers dans leur pays d'origine.

Monsieur le garde des sceaux, si la société n'a pas ce débat de fond, qui a déjà eu lieu parmi les professionnels, celui-ci sera confisqué par l'émotion, par ceux qui considèrent que la prison, c'est le Club Med, ou par ceux qui jugent qu'elle est inhumaine et qu'il faut la supprimer.

Monsieur le garde des sceaux, êtes-vous prêt, comme cela a été fait dans d'autres domaines de la vie politique, à lancer un grand débat, non pas avec les professionnels, mais avec tous les citoyens, pour que nous déterminions, hors des excitations de l'actualité, ce que la société attend de sa prison ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Le discours que vous tenez est assez rare ; en général, les députés de votre famille politique me demandent au contraire d'être plus ferme encore. J'essaye de tenir une position d'équilibre entre une fermeté que j'assume et un certain humanisme, sans démagogie ni angélisme.

Vous avez raison sur un point : on ne parle de la prison, comme de la justice, que quand il y a des difficultés, à l'occasion d'un fait divers, de sorte que nos compatriotes ont à l'évidence une vision erronée de la détention et de la justice.

Actuellement, 39 % des personnes écrouées sont des prévenus, tandis qu'en 2021, cette proportion était de 31,1 %. La durée moyenne de la détention provisoire est en légère baisse : elle est passée de 5,2 mois en 2020 à 4,9 mois en 2022. La circulaire de politique pénale que j'ai signée en septembre 2022 appelle à une action volontaire de tous les acteurs judiciaires et pénitentiaires afin de limiter strictement le recours à la détention provisoire. Il est ainsi préconisé de privilégier les mesures d'assignation à résidence ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique. Avec la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, j'ai souhaité limiter encore le recours à la détention provisoire. C'est ainsi qu'on a créé l'assignation à résidence sous surveillance électronique sous condition suspensive de faisabilité.

Mme la présidente
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
La porte de la Chancellerie vous êtes ouverte si vous voulez évoquer avec moi ces questions, car je vois, monsieur le député, que vous avez des idées.

Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Juvin.

M. Philippe Juvin (LR)
La tentative d'analyser sereinement un problème n'exclut pas la rigueur qui est parfois nécessaire dans l'application des peines.

Je souhaite vous poser deux questions sur la liberté envisagée sous deux aspects très différents. D'abord, le droit d'être jugé : dans certains ressorts, 20% des extractions judiciaires sont impossibles parce que l'administration pénitentiaire ne parvient pas à les réaliser. Cela crée évidemment des dysfonctionnements majeurs dans la chaîne judiciaire, car les audiences sont annulées. En outre, c'est un problème du point de vue des libertés, dès lors que les prévenus ne sont pas jugés, ce qui n'est pas satisfaisant. Êtes-vous prêt à prévoir, pour améliorer les extractions, soit des moyens supplémentaires pour l'administration pénitentiaire, soit des interventions de la police ou de la gendarmerie ?

Ensuite, vous avez parlé de la préventive. Tant qu'on n'est pas condamné définitivement, on est présumé innocent, c'est-à-dire qu'on est innocent. Monsieur le garde des sceaux, je ne vous cache pas que je ne sais pas comment on peut préparer sa défense quand on est enfermé vingt-deux heures sur vingt-quatre à deux ou trois dans 9 mètres carrés, où il fait 19 degrés, sans pouvoir se laver ni dormir, sans accès à internet ou à la documentation nécessaire, et quand on a le spectacle sonore et visuel des chiottes de son codétenu. Personne ici n'aurait préparé son intervention dans de telles conditions.

La question demeure : comment, en 2024, en France, peut-on considérer qu'un présumé innocent, c'est-à-dire un innocent, puisse être ainsi privé de liberté ? La liberté individuelle n'est-elle pas une question fondamentale ? Accessoirement, pour ceux qui ne s'émeuvent pas des questions de liberté, je peux parler d'argent : une journée de probation coûte 15 euros, tandis qu'une journée de prison coûte 110 euros. Monsieur le garde des sceaux, êtes-vous prêt à faire cette révolution, en matière délictuelle évidemment, à l'exclusion sans doute des violences volontaires et des récidives ? Faire de la probation l'outil privilégié en matière de préventive et faire de l'incarcération une exception constituerait en effet une vraie révolution.
(Mme Caroline Abadie applaudit.)

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Pardon, je ne veux pas être répétitif, mais je souligne à quel point votre discours s'éloigne de celui habituellement tenu par votre famille politique, qui demande toujours plus de répression et toujours plus de prison. Vous savez qu'un amendement visant à créer 3 000 places de prison supplémentaires, défendu par votre famille politique, a été adopté dans la loi de programmation pour la justice.

Plus de 370 ETP seront consacrés aux extractions judiciaires.

Voulez-vous supprimer l'incarcération en matière de préventive ? Rappelons qu'il y a des conditions légales qui permettent l'incarcération. Vous soutenez que dans ces conditions on ne peut pas préparer sa défense. Vous avez raison, il y a des conditions qui sont totalement indignes. En ce sens, Caroline Abadie et moi avons suivi l'initiative du président de la commission des lois du Sénat qui a défendu la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

Toutefois, reconnaissons que les établissements que nous avons rénovés sont bien rénovés. Je vous invite à venir avec moi visiter un établissement pénitentiaire rénové, comme Fleury-Mérogis ou les Baumettes. Il y a une douche individuelle dans chaque cellule, tandis que j'ai connu l'époque où les détenus prenaient une douche par semaine dans des douches collectives, qui étaient un des lieux les plus dangereux pour le personnel pénitentiaire.

Nous avons essayé de régler ces problèmes, mais – vous le savez parce que vous êtes engagé en politique de longue date et que vous avez connaissance de la réalité – on ne règle pas ces questions d'un coup de baguette magique. J'aimerais disposer de la baguette magique du Rassemblement national ou de La France insoumise ; je la cherche, mais je ne la trouve pas.

Nous progressons donc sur ces questions. Enfin, 198 000 personnes placées sous main de justice sont en milieu ouvert ; c'est un chiffre énorme.

Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Juvin.

M. Philippe Juvin (LR)
Monsieur le garde des sceaux, je vous confirme que nous voulons plus de places de prison.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ah bon, j'ai eu peur !

M. Philippe Juvin
En effet, c'est en ayant plus de places de prison qu'on incarcérera mieux.

Je sais que vous n'avez pas de baguette magique, que nous n'avons pas d'argent, dès lors que la dette s'élève à 3 000 milliards d'euros, que nous n'avons pas le temps, car les problèmes se posent maintenant.

Je ne veux ni galvauder le sujet majeur que constituent les conditions d'incarcération ni faire la liste de tout ce qui ne va pas, car je sais aussi ce qui s'est amélioré depuis trente ans.

Quelles sont vos marges de manoeuvre à budget constant ? Il faut observer ce qui marche et qu'on pourrait appliquer dès à présent.

Les parloirs en visioconférence, par exemple, sont un dispositif formidable pour qu'une personne détenue puisse voir ses enfants, sans que ceux-ci aillent en prison, car la famille du détenu n'est pas détenue, et certains ne veulent pas que leurs enfants sachent qu'ils sont en prison.

Avez-vous observé quel est le coût des conversations téléphoniques depuis les cabines en prison ? Cela coûte une fortune ; cette situation doit changer.

Par ailleurs, là où existent des quartiers " Respecto ", ils fonctionnent bien, et leur création n'entraîne pas de coût supplémentaire.

Quant à la probation, elle est moins onéreuse que l'incarcération. Si 75 000 personnes sont incarcérées en France, plus de 160 000 font l'objet de mesures de probation : l'administration pénitentiaire, en réalité, c'est d'abord la probation – je sais que vous ne l'ignorez pas.

À Paris, il y a 1 000 détenus à la Santé, tandis que 300 personnes portent un bracelet électronique dehors. Si vous augmentez de 100 le nombre de bracelets électroniques, vous libérez autant de places que si vous construisiez 10 % de places de maison d'arrêt supplémentaires.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Ce n'est pas comme cela que ça se passe.

M. Philippe Juvin
Nous avons donc les moyens d'agir vite. Il faut construire des prisons, mais nous pouvons aller plus vite en construisant des prisons d'un type nouveau, que j'ai évoqué précédemment.

Il faut profiter de ces moyens et de ces marges de manoeuvre.

Les Français veulent probablement qu'on incarcère, mais ils veulent surtout que les personnes qui ont commis des infractions ne recommencent pas. Or je crois que quand les détenus dorment par terre, sur un matelas crasseux, dans 9 mètres carrés avec vue sur les chiottes, les conditions pour atteindre cet objectif ne sont pas réunies.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je partage votre constat concernant les conditions indignes en prison. Qui, en France, considérerait qu'on peut s'en satisfaire ? Dans une grande démocratie, cela ne devrait pas exister ; pourtant cela existe depuis des temps immémoriaux et nous essayons bien sûr d'y remédier.

Beaucoup de choses ont été faites. Vous avez abordé la question des moyens. Depuis qu'Emmanuel Macron a été élu Président de la République, le budget de la justice est en constante augmentation : celle-ci atteindra 11 milliards d'euros en 2027, soit une augmentation de 60% sur dix ans. Vous connaissez aussi bien que moi la part de ce budget qui est consacrée à la rénovation, à la création d'établissements pénitentiaires ou à la valorisation des métiers de surveillants.

Les structures d'accompagnement vers la sortie, le développement de la semi-liberté et le travail en prison vont dans le sens que vous indiquez : il faut à la fois assurer fermement la réponse pénale et envisager la réinsertion après la sortie. Il est indispensable de prévoir la réinsertion, car la prison est un tout : punir et réinsérer ; l'un ne va pas sans l'autre.

Je suis en phase avec ce que vous dites et je n'ai rien d'autre à ajouter. Accordez-moi, monsieur le député, si j'ai encore un peu de temps…

Mme la présidente
Dix secondes !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
…que c'est très compliqué en trois fois deux minutes d'évoquer ces questions. Venez donc me voir avec Mme Abadie : nous aurons davantage de temps et nous pourrons développer différentes idées. Vous savez, je suis favorable à la coconstruction, et je suis évidemment preneur de vos idées. Cependant, je ne suis pas sûr que tous les élus de votre groupe soient d'accord avec vous.
(Sourires.)

Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer.

M. Elie Califer (SOC)
Dans les outre-mer, les problématiques liées à la politique pénitentiaire et aux conditions de détention se posent avec une particulière acuité. Elles sont souvent insoutenables et parfois scandaleusement inhumaines, comme c'est le cas en Guyane. Comment améliorer cette situation ? J'ai visité la semaine dernière une maison d'arrêt en Guadeloupe, où le taux de surpopulation s'élève à 235%. Ce chiffre ahurissant traduit des conditions de détention effroyables dépourvues de toute humanité. Ces chiffres interpellent, mais surtout ils traduisent des conditions de détention et de travail des personnels dramatiques, entraînant de l'usure professionnelle et de la souffrance au travail. Il faut définir un seuil de criticité.

La situation que je décris est alarmante, mais il y a pire encore : de nombreux professionnels sont agressés. La majorité des agressions à l'encontre des personnels sont perpétrées par des détenus souffrant de troubles psychiatriques, soumis de ce fait à de lourds traitements, et qui n'ont pas leur place en détention.

Avec l'ensemble des personnels, nous réclamons avec force la création de structures spécialisées sur notre territoire : des structures interrégionales, des unités hospitalières sécurisées, des UHSA. Ces outils existent dans l'Hexagone ; pourquoi pas chez nous ? Monsieur le ministre, je vous pose donc une question circonstanciée.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
C'est une vraie question, qui a déjà été évoquée et à laquelle j'ai répondu – madame la présidente, je n'empiéterai donc pas sur mon temps de parole. En 2018, le rapport sur l'évaluation des UHSA pour les personnes détenues, écrit par l'Igas et l'inspection générale de la justice, conditionnait la création d'UHSI et d'UHSA à une certaine taille. C'est pourquoi il n'en a pas été créé. En revanche, il y a désormais en Guadeloupe quatre chambres sécurisées, dédiées aux hospitalisations somatiques de personnes détenues.

Nous sommes vigilants sur les conditions particulières que connaissent nos outre-mer. Après être allé en Martinique et en Guadeloupe, je me rendrai très prochainement en Nouvelle-Calédonie. En Guyane, nous nous trouvons dans une situation de surpopulation pénale en raison de la présence de détenus brésiliens et surinamiens ; nous sommes en train de négocier des accords avec le Brésil afin qu'ils récupèrent leurs détenus – c'est une demande du personnel pénitentiaire. Nous faisons donc des efforts portant sur plusieurs points, et je peux vous dire que nous sommes particulièrement vigilants face à la situation difficile et délicate des outre-mer sur le plan pénitentiaire.

Mme la présidente
La parole est à M. Christian Baptiste.

M. Christian Baptiste (SOC)
Avec mon collègue Elie Califer, nous avons visité le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, le 5 janvier dernier. Ce fut pour nous l'occasion de découvrir à la fois les conditions de travail du personnel et les conditions de détention, en particulier celles qui devraient être garanties aux détenus par les exigences réglementaires. Je dois vous avouer que cette visite ne nous a pas laissés indifférents – c'est le moins qu'on puisse dire.

Au gré des échanges avec le personnel et les détenus, plusieurs faits alarmants ont été portés à notre connaissance. Je pense notamment à l'absence d'UHSA et d'UHSI dont nous avons parlé tout à l'heure ; on n'en créera peut-être pas pour la seule Guadeloupe, mais on pourrait envisager une ouverture d'UHSA pour l'ensemble des outre-mer, ou au moins un rattachement à un établissement.

Je pense aussi au manque de moyens et de matériel qui empêche d'assurer des fouilles efficaces à l'entrée du centre pénitentiaire, ou encore à la surpopulation carcérale. Je voudrais attirer votre attention sur ce dernier point : le centre pénitentiaire de Baie-Mahault a une capacité d'accueil de 491 détenus ; aujourd'hui, il en compte 695, soit une surpopulation carcérale de 141%.

Il est vrai que le Gouvernement n'est pas resté silencieux face à ce problème ; il a envisagé une extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault. C'est une avancée louable, qui doit cependant être nuancée, et pour cause : l'extension est grevée par l'omission cruciale de l'expansion concomitante de ses infrastructures essentielles. En effet, sans être exhaustif, comment expliquez-vous qu'il soit prévu d'augmenter la capacité d'accueil du centre sans agrandir la cuisine et la cour de promenade ? Sans prévoir une zone de stockage des affaires des détenus adaptée à la nouvelle capacité d'accueil ? Sans agrandir le greffe ?

Ma question est la suivante : au regard des éléments exposés, quelles sont les mesures concrètes envisagées par le Gouvernement afin d'intégrer l'évolution nécessaire des structures annexes au projet d'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault ? Eu égard à l'urgence de la situation, pouvez-vous nous indiquer dans quel délai vous pensez pouvoir remédier à la situation ? C'est le moment d'agir de manière décisive.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Messieurs les députés, je sais que vous avez visité Baie-Mahault. Vous me posez une question précise et je vous répondrai précisément. Le projet d'extension du centre pénitentiaire prévoit la création de 300 nouvelles places, qui sera suivie de la réhabilitation des fonctions support de l'établissement déjà existantes. Cette mise en service du dispositif d'accroissement des capacités est bien prévue en 2026.

Je précise que 12,48 millions d'euros ont été engagés au titre des études ou des travaux de maintenance des ouvrages sur ce seul site, depuis 2013. Des travaux d'étanchéité des toitures et des terrasses se sont poursuivis en 2023, ainsi que les opérations de rénovation et d'extension de ce qu'on appelle la buanderie ; ils sont toujours en cours. En 2024, il est prévu de poursuivre cet effort en avançant dans la rénovation et l'extension du quartier arrivant, ainsi que dans l'installation de chambres froides positives et négatives.

Comme je savais que ces questions me seraient posées au sujet de Mayotte et d'autres territoires ultramarins, je suis venu en compagnie du directeur de l'Apij. Bien entendu, nous tiendrons nos engagements sur ces sujets comme sur les autres.

Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES)
" La privation ne doit pas être – ne peut pas être – une privation de dignité ". Ce sont vos mots, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
En effet.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES)
Pourtant, la dignité semble avoir en partie disparu de notre univers carcéral. Dans nos prisons, la surpopulation atteint des sommets qui rendent la situation explosive : sur les 73 700 personnes détenues au 1er septembre 2023, près de 50 000 étaient entassées dans des prisons où le taux moyen d'occupation était de 145% ; 2 300 dormaient sur des matelas à même le sol, comme l'a dit notre collègue Philippe Juvin.

Les situations de violence augmentent à mesure que la dignité humaine disparaît. Trente-quatre associations, des syndicats, des parlementaires et des institutions comme le Conseil économique, social et environnemental (Cese) ou la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) demandent au Gouvernement de mettre en place un mécanisme qui contraigne les acteurs judiciaires et pénitentiaires à réguler la population carcérale. Ils le réclament eux-mêmes, aux côtés de tous les acteurs de terrain.

En France, on enferme trop. Selon l'Observatoire international des prisons, la régulation carcérale d'urgence n'empêcherait pas les magistrats de continuer à rendre leurs décisions au cas par cas. D'autre part, l'expérience du covid a montré que la libération de détenus pouvait produire des effets rapides, à la mesure de l'urgence.

Monsieur le ministre, en France, en 2024, il n'est plus possible d'accepter que des personnes condamnées soient détenues dans des conditions inhumaines.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je suis d'accord avec vous.

Mme Sandrine Rousseau
Allez-vous répondre favorablement aux acteurs de terrain qui demandent une régulation carcérale d'urgence ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Si je devais vous répondre rapidement, je dirais que je partage ce que vous dites au sujet des conditions indignes de détention. Il est assez rare que je partage vos positions, je le souligne pour l'occasion.
(Mme Sandrine Rousseau sourit.)

On ne peut qu'être d'accord avec cette position. Cela nous oblige, et cela explique que nous rénovions à tour de bras et que nous construisons comme jamais auparavant.

Au fond, vous souhaiteriez que demain on annonce sortir 2 000 détenus de prison. Ce n'est pas si simple. La comparaison avec le covid n'est pas pertinente ; je rappelle que la situation était marquée par des risques réels, et qu'il y a eu des morts dans l'administration pénitentiaire, dans ce milieu de promiscuité. Mme Nicole Belloubet a fait ce qu'elle devait faire, et elle l'a bien fait.

Aujourd'hui, si vous annoncez sortir tant ou tant de détenus, vous portez atteinte à l'autorité de la chose jugée et à l'indépendance de la justice. La situation est donc complexe. Je mets en place et j'essaye de promouvoir le travail pénitentiaire : des grâces liées à l'effort, les TIG, l'Arse et la libération sous contrainte. Je reconnais des insuffisances dans la mise en oeuvre et j'ai alerté les procureurs sur cette question. Voilà des dispositifs qui me semblent plus conformes à nos principes. Pardon de m'exprimer avec familiarité, mais l'indépendance de la justice, je ne peux pas m'asseoir dessus. Elle existe, elle empêche que le garde des sceaux défasse ce que le juge a fait.

Pour le reste, je ne doute pas de votre sincérité et suis comme vous sensible aux conditions indignes d'incarcération.

Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES)
Je précise que tous les détenus ne sont pas soumis à l'autorité de la chose jugée : il y a des détenus qui ne sont pas encore jugés.

En France, 31% des personnes qui sortent de prison récidivent dans les douze mois, et nous n'avons jamais connu autant de surpopulation carcérale. Notre politique de plus en plus répressive, qui peine à mettre en oeuvre des aménagements de peine, est manifestement inefficace. C'est pour interroger cette politique répressive inefficace et soumettre une piste de réflexion que je souhaite vous poser cette question : la justice restaurative propose un espace de parole aux victimes qui souhaitent trouver des réponses à leurs questions et se reconstruire, ainsi qu'aux auteurs d'agression qui peuvent entendre des paroles d'humain à humain.

Elle ne vient pas en remplacement de la justice pénale – car la reconnaissance des faits est un prérequis –, mais en complément. En effet, si la justice pénale permet d'enquêter et de sanctionner, elle n'offre pas de cadre aux victimes. Elle se concentre sur la peine, alors que la justice restaurative se concentre sur les besoins. Les avantages sont nombreux : désengorgement des prisons, car cela limite les récidives ; aide aux victimes, pour comprendre et s'impliquer davantage dans le processus ; apaisement de la société, en favorisant le dialogue et la réinsertion sociale.

La justice restaurative peine à se développer en France. La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales a fixé un cadre légal, reconnu par le pénal. Toutefois, le programme reste peu développé : seulement cinquante-quatre personnes en ont bénéficié en 2021.

À l'inverse, le Canada fait figure de pionnier en la matière. La justice restaurative s'y développe depuis trente ans, et elle est possible dans tout type de procédure. Les résultats sont impressionnants : on constate entre 25 et 35 % de récidives en moins si les personnes ont participé à la justice restaurative. La situation est similaire en Belgique et aux Pays-Bas.

Avocats, magistrats comme victimes demandent plus de justice restaurative dans notre système. C'est un enjeu majeur pour la future aide aux victimes. Le changement culturel est en cours ; un film qui aborde le sujet est sorti en 2023. Êtes-vous prêt à accompagner ce changement ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Madame la députée, cela va devenir suspect, mais je suis encore d'accord avec vous – en partie, du moins
(Mme Sandrine Rousseau sourit.)

Lorsque j'ai parlé de l'autorité de la chose jugée, vous avez eu une réponse curieuse en me parlant des détentions provisoires. Pardon, mais on n'enferme pas les gens en détention provisoire par lettre de cachet ; c'est une décision qui relève du juge d'instruction. Si j'annonce libérer les personnes placées sous mandat de dépôt par un juge des libertés et de la détention, alors là ce sera la révolution – peut-être l'appelez-vous de vos voeux.

Mme Sandrine Rousseau
Ça, c'est un autre sujet…
(Mme Sandrine Rousseau sourit.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je suis très favorable à la justice restaurative. Je connais bien les expériences conduites au Canada et en Belgique et je tiens à vous dire que nous avons déjà mis en place des dispositifs. Dans la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, que j'ai portée, il y a des dispositions visant à étendre la justice restaurative. Vous ne les avez pas votées.

Mme Sandrine Rousseau
Si, nous avons voté les dispositions portant sur la justice restaurative.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Vous me dites " y a qu'à, faut qu'on, faudrait ". Moi, je vous dis qu'on a proposé d'étendre la justice restaurative. J'y crois profondément et je n'ai pas fini de travailler sur le sujet. Je pense que c'est une façon d'apporter de l'apaisement aux victimes qui consentent à la justice restaurative – elle ne peut pas être obligatoire. C'est aussi une façon de lutter sur la récidive, je partage votre avis sur ce sujet. Vous n'avez pas été au rendez-vous des avancées que nous proposions.

Mme Sandrine Rousseau
Nous avons voté les avancées, monsieur le ministre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Chacun assume ses responsabilités, madame Rousseau.

Mme la présidente
La parole est à M. Marcellin Nadeau.

M. Marcellin Nadeau (GDR)
Permettez-moi d'enfoncer le clou après ce qu'ont dit mes collègues de Guadeloupe. Cette semaine, lors du débat sur l'état de la psychiatrie en France, Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités a reconnu que la situation en outre-mer était marquée par la persistance des problèmes d'accès aux soins en milieu carcéral. Les UHSA et les UHSI y font cruellement défaut.

Les responsables des soins psychiatriques du CHU de Fort-de-France et les représentants syndicaux du personnel pénitentiaire de Martinique relèvent une discrimination structurelle entre la France hexagonale et les outre-mer ; ils réclament qu'on la comble. Ils ont eu l'occasion d'exprimer leur inquiétude face à l'évolution exponentielle des jeunes en situation psychologique critique au sein de leur établissement, notant une augmentation de seize à soixante-trois patients, avant et après la crise du covid. Or, ils ne disposent que de quinze lits d'accueil.

Vous connaissez les causes de cette explosion : le trafic de stupéfiants, les effets de la crise de covid-19, la misère et la pauvreté inhérentes à nos territoires. Mais le plus grave, c'est que la demande des milieux pénitentiaires rejoint des personnels de santé, des magistrats et des avocats, qui tous réclament une prise en charge digne de ces patients – une demande restée sans réponse à ce jour. Pour répondre à ce besoin, nous demandons la création en Martinique, comme dans les autres territoires ultramarins, d'une UHSI et d'une UHSA qui seraient, en l'espèce, adossées à l'unité pour malades difficiles (UMD) interrégionale, compétente à la fois pour la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.

De même, pour la sécurité de nos centres pénitentiaires, nous pensons nécessaire d'implanter dans nos territoires une Eris, ainsi qu'un pôle de rattachement des extractions judiciaires (Prej) pour les transferts sanitaires ou judiciaires, autant de structures réclamées avec insistance par les professionnels.

À l'instar de Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités, pouvez-vous, monsieur le ministre, vous engager, pour ce qui vous concerne, à mobiliser les voies et moyens de telles structures ?

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Prétendre que tout a déjà été fait serait d'une insupportable prétention – si tel était le cas, nous n'aurions plus besoin de ministres –, mais nous ne sommes pas restés inactifs. Après avoir évoqué les avancées en Guadeloupe, à Mayotte et en Guyane, laissez-moi vous présenter celles intervenues en Martinique. Tout d'abord, j'ai posé la première pierre du futur centre pénitentiaire de Ducos. Pour les raisons que j'évoquais précédemment, et qui tiennent aux conclusions d'un rapport conjoint de l'Igas et de l'IGJ sur la nécessité d'atteindre une taille critique pour les instaurer, je ne peux hélas vous annoncer la création d'UHSI ou d'UHSA. Néanmoins, huit chambres sécurisées permettent désormais la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques.

S'agissant de la délinquance, j'ai renforcé la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Fort-de-France lors d'un récent déplacement, et un poste de magistrat de liaison a été créé, qui sera basé à Sainte-Lucie. Pour faire face au trafic d'armes et de stupéfiants, nous avons créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), dont les missions sont de saisir puis confisquer les avoirs criminels, qui peuvent ensuite parfois être distribués. Comme vous le savez, cette structure dispose en Martinique d'une antenne qui fonctionne parfaitement.

Enfin, s'agissant de l'aide à la justice, j'ai annoncé fin août la création de vingt-six postes d'ici à 2027 – onze postes de magistrat, six de greffiers et neuf d'attaché de justice.

Mme la présidente
La parole est à M. Tematai Le Gayic.

M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES)
Disposant de seulement deux minutes pour un sujet aussi important, je vais tenter d'être à la fois concis et précis.

Pour avoir visité la plupart des prisons de Polynésie, qui se situent sur trois îles différentes, je tiens tout d'abord à remercier tout le personnel pénitentiaire – personnels administratifs comme gardiens de prison –, mais aussi tous les jeunes d'outre-mer qui s'engagent dans ces métiers.

Vous avez assuré à tous les députés, monsieur le ministre, être sensible à la question des conditions de détention. Avez-vous une feuille de route s'agissant de la prison de Faa'a Nuutania ?

Par ailleurs, je ne peux que rendre hommage au travail mené à l'intérieur des prisons en faveur de la réinsertion professionnelle, qui présente une spécificité en Polynésie, puisque plusieurs prisons proposent la pratique de l'agriculture – un élément important lorsque l'on sait le lien viscéral des Océaniens, Kanaks et Polynésiens, à la terre. Mais les dispositifs de réinsertion y présentent des limites. En effet, certains détenus disposant d'une réduction de peine, par exemple, ne peuvent rentrer dans leur île, car, faute de moyens – je pense notamment à l'absence de gendarmerie –, l'administration pénitentiaire ne peut y assurer de suivi de leur réinsertion. C'est un sujet sur lequel nous aimerions travailler.

Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux
Je vous le concède, il est très compliqué d'être concis s'agissant de questions aussi complexes ; à quelques secondes près, vous y êtes parvenu, et je vais également m'y employer.

La Polynésie, qui n'est pas concernée par le plan " 15 000 places de prison ", dispose de quatre établissements : deux de taille réduite – un aux Marquises et un dans les îles Sous-le-Vent –, le centre Tatutu de Papeari et celui de Faa'a Nuutania.

S'agissant de la santé – une compétence qui, comme vous le savez, relève aussi des " lois du pays " –, la convention d'organisation concernant l'accès aux soins des détenus de Papeari, signée en 2017, a permis une amélioration des soins, et une unité de lutte contre la toxicomanie a été ouverte en 2020. En outre, des médecins interviennent évidemment régulièrement à Faa'a.

Pour mieux lutter contre la délinquance, la Polynésie a enfin été reliée au casier judiciaire national (CJN) en 2022, ce qui représente une avancée majeure. Par ailleurs, outre les quatre magistrats supplémentaires arrivés en septembre et les seize postes créés au greffe depuis 2018, j'ai annoncé fin août 2023 qu'au moins vingt-quatre postes seraient créés d'ici à 2027 – quatre postes de magistrat, treize de greffier et sept d'attaché de justice. Par ailleurs, plus de 500 mineurs délinquants sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Enfin, le Conseil de l'accès au droit de la Polynésie française (CADPF), créé en 2022, facilite l'accès des citoyens polynésiens aux informations utiles sur leurs droits.

Mme la présidente
La séance de questions est terminée. Merci à tous d'avoir respecté les temps de parole décidés en conférence des présidents. Après une suspension d'environ quinze minutes, la séance sera reprise en salle Lamartine pour le débat sur le thème : « Essais nucléaires en Polynésie française : indemnisation des victimes directes, indirectes et transgénérationnelles et réparations environnementales ».


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 22 janvier 2024