Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé de l'Europe, à France Info le 23 février 2024, sur le mouvement écologiste "Les Soulèvements de la terre", la politique agricole au niveau européen, les accords de libre échange, un Egalim européen, le soutien de l'Union européenne à l'Ukraine et les élections européennes.

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Média : France Info

Texte intégral

JULES DE KISS
Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour.

JULES DE KISS
Le président de la République, Emmanuel MACRON, veut un grand débat au Salon de l'agriculture demain pour tenter de sortir par le haut de la crise agricole que connaît notre pays, les syndicats agricoles, les agro-industriels, des associations écologistes autour de la table, et l'invitation au collectif  "Les Soulèvements de la Terre" a froissé notamment la FNSEA qui l'a vu comme une provocation inacceptable, qui affirme, toujours encore ce matin, qu'il ne se rendra pas, ce syndicat, à ce débat à cause de cette invitation. C'est la FNSEA qui décide de qui peut débattre ou pas autour du président ?

JEAN-NOËL BARROT
Dans les grandes crises qui ont traversé le pays ces dernières années, le président a inventé une méthode nouvelle, à laquelle aucun de ses prédécesseurs ne s'était risqué, plutôt que de rester retranché à l'Elysée, de regarder tout cela depuis sa fenêtre, il est allé au contact en invitant tous les protagonistes, toutes les parties prenantes de cette crise, à échanger et à dialoguer, c'est la méthode du grand débat, c'est ce qu'il a souhaité organiser au Salon de l'agriculture en conviant, effectivement, toutes les parties prenantes, les agriculteurs, les agro-industriels, la grande distribution, et les associations environnementales. "Les Soulèvements de la Terre" ne sont plus invités à ce débat et donc les conditions sont réunies pour qu'il puisse se tenir dans les meilleures conditions.

HADRIEN BECT
Sauf que la FNSEA, c'est son secrétaire général, ce matin, qui l'a dit sur France Info, refuse pour l'instant de venir à ce débat, est-ce que vous les appelez à revoir leur position ?

JEAN-NOËL BARROT
Dans la mesure où "Les Soulèvements de la Terre" ne sont plus invités, je crois qu'il serait souhaitable que la FNSEA, même si je comprends sa réaction, puisse participer, aux côtés de tous les autres acteurs, à ce débat, qui a le mérite de confronter les points de vue, de permettre à chacun de mesurer les contraintes qui s'exercent au quotidien sur les agriculteurs et d'éviter de s'invectiver par médias interposés, ou de se retrancher dans des comportements d'affrontement.

JULES DE KISS
C'était vraiment une erreur de les inviter "Les Soulèvements de la Terre" ?

JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, " Les Soulèvements de la Terre " nous les combattons sur le plan idéologique, nous dénonçons leurs méthodes d'intervention…

JULES DE KISS
Juridique aussi puisqu'il était question de les dissoudre.

JEAN-NOËL BARROT
Nous avons souhaité les dissoudre, la justice en a décidé autrement, on ne peut pas être d'accord avec la justice quand elle est d'accord avec nous et en désaccord quand c'est l'inverse, et donc l'invitation large qui a été faite…

JULES DE KISS
On peut dire qu'on s'y perd en fait, parce que si vous avez voulu dissoudre ce collectif, et qu'il est ensuite invité à la table d'un grand débat, certains ont du mal à vous suivre.

JEAN-NOËL BARROT
Nous avons voulu le dissoudre, la justice en a décidé autrement, le principe d'un grand débat c'est qu'on invite tout le monde, je le répète, " Les Soulèvements de la Terre " ne sont plus invités, les conditions sont donc réunies pour un débat apaisé.

HADRIEN BECT
Mais quand même, Jean-Noël BARROT, vous parliez, Gérald DARMANIN parlait d'écoterrorisme, on aurait donc pu imaginer le président débattre avec ceux que son ministre de l'Intérieur nomme "écoterroristes". 

JEAN-NOËL BARROT
"Les Soulèvements de la Terre", je l'ai dit, nous dénonçons leur idéologie et nous condamnons leurs méthodes. Comment peut-on faire, dans un pays qui se fracture sur un sujet comme celui de l'agriculture, comme sur d'autres, pour restaurer l'unité dont le président de la République est garant ? eh bien c'est en mettant ces messieurs et ces dames des "Soulèvements de la Terre" face aux agriculteurs, qui sont leurs compatriotes, qui sont des Français qui chaque jour se battent pour faire leur métier et résister à tout un tas de contraintes qui s'exercent sur eux, c'est en confrontant les positions clivées qu'on arrive, par le dialogue, à trouver l'apaisement, et donc l'intention qui était celle du président de la République est évidemment une intention tout à fait louable.

JULES DE KISS
Et une dernière question sur ce grand débat demain, est-ce que vous pensez que les agriculteurs ont des choses à dire à Emmanuel MACRON, qu'ils n'ont pas encore dites, et inversement, est-ce qu'Emmanuel MACRON a des choses à dire qu'il n'a pas encore dites ?

JEAN-NOËL BARROT
Le président de la République il aura l'occasion de s'exprimer demain, je ne vais pas le faire avant lui, les agriculteurs…

JULES DE KISS
On peut s'attendre à des annonces ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que je constate c'est le Premier ministre, le ministre de l'Agriculture, ont présenté ces dernières semaines un ensemble de mesures totalement inédites pour le monde agricole, avec la protection du revenu et des retraites, avec la simplification, avec l'abandon de la hausse du GNR, avec le travail saisonnier, jamais un gouvernement n'avait fait autant en si peu de temps. Il faut désormais que toutes ces mesures se mettent en œuvre, un grand nombre d'entre elles ont d'ores et déjà été engagées, le Premier ministre l'a rappelé, ce grand débat sera l'occasion de revenir sur l'ensemble de ces annonces.

HADRIEN BECT
Donc les agriculteurs n'ont aucune raison de mal accueillir Emmanuel MACRON potentiellement ?

JEAN-NOËL BARROT
En tout cas de refuser une invitation au dialogue, je trouve que ce serait dommage.

JULES DE KISS
Après la dérogation des jachères, qui s'est passée au niveau européen notamment, parce que c'est là que ça se passe et que c'est votre portefeuille de ministre chargé de l'Europe, il y a eu des annonces hier par Bruxelles, notamment sur la simplification, Marc FESNEAU, le ministre de l'Agriculture, va s'y rendre à nouveau la semaine prochaine, est-ce que vous dites aux agriculteurs Bruxelles va être au rendez-vous, on va obtenir ce qu'on espère ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr.

JULES DE KISS
Vous êtes sûr ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce dont je suis sûr c'est que nous avons, depuis cinq ans, fait changer l'Europe, nous lui avons fait prendre un certain nombre de virages et en particulier celui de l'écologie avec ce Pacte vert, dont on parle beaucoup ces derniers temps, qui va nous permettre, à travers un certain nombre de règlements et de directives, d'atteindre l'objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050. Ceci étant dit, aucune transition ne peut se faire contre les peuples, une transition ne peut être réussie que si elle repose sur la justice, et c'est la raison pour laquelle la France, le Premier ministre, le ministre de l'Agriculture, ont exigé de la part de l'Europe, et de Bruxelles, de prendre des mesures en réponse au cri de détresse des agriculteurs auquel nous ne pouvions rester sourds. Il y a la question des jachères, il y a la question des mesures de sauvegarde contre l'arrivée massive, et parfois désordonnée, de produits ukrainiens qui menaçaient de déstabiliser l'agriculture française, et puis ces mesures de simplification…

JULES DE KISS
Qui ont été elles aussi présentées cette semaine.

JEAN-NOËL BARROT
Ces mesures de simplification qui ont été annoncées hier par la Commission européenne, qui vont permettre, notamment face à des catastrophes agricoles, ou face à des catastrophes naturelles, comme des séismes ou des inondations, de débloquer beaucoup plus rapidement les aides européennes.

HADRIEN BECT
Mais justement, à l'aune de ce que vous venez de dire, de ce que vous venez d'énumérer, est-ce que vous considérez que, dans cette crise, jusqu'ici l'Europe a fait le job, est-ce que la France considère que l'Europe a fait le job ?

JEAN-NOËL BARROT
L'Europe, pour l'agriculture, fait évidemment le job. L'agriculture c'est le premier budget…

HADRIEN BECT
Mais sur ces annonces-là ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est le premier budget européen, et la France en est le premier bénéficiaire. C'est 9 milliards d'euros pour 450 000 agriculteurs en France. est-ce que l'Europe fait tout parfaitement ? non, personne n'est parfait, et lorsqu'il y a des problèmes la France sait se faire entendre, en tout cas la France du président de la république et la majorité présidentielle, c'est ainsi qu'en quelques semaines nous avons obtenu des inflexions majeures sur des mesures de politique agricole.

HADRIEN BECT
Jules parlait de ce que va demander et négocier encore le ministre de l'Agriculture lundi à Bruxelles, est-ce qu'il y a d'autres points, encore, sur lesquels, peut-être des points de simplification, sur lesquels vous voulez, la France, voudrait aller un petit peu plus loin, voudrait que l'Europe aille plus loin ?

JEAN-NOËL BARROT
Bien sûr, il y a la question de l'accueil, si l'on peut dire, sur les marchés européens des produits ukrainiens, qui est légitime parce que cela fait partie du soutien que nous devons au peuple ukrainien…

JULES DE KISS
C'est légitime, mais vous voulez durcir la vis, qu'il y en ait moins qui arrivent sur le marché français ?

JEAN-NOËL BARROT
Pas de manière générale, mais en regardant point par point. On ne peut pas déstabiliser ou menacer certains pans de l'agriculture française, il faut le faire de manière ordonnée…

JULES DE KISS
Le symbole n'est pas important, deux ans de guerre en Ukraine, on entre dans la troisième année demain, vous en tant que ministre chargé de l'Europe vous ne dites pas qu'il y a un peu de symbole aussi là-dedans, de demander ça en ce moment ?

JEAN-NOËL BARROT
Je pense qu'on y reviendra, le soutien de la France, et de l'Europe, est massif et va continuer à l'être, dans la durée, pour l'Ukraine, mais pour que ce soutien reste massif, et dans la durée, il faut évidemment qu'il soit compatible avec l'exercice de l'agriculture dans certains domaines qui ont pu être perturbés, puisque l'Ukraine est une grande puissance agricole. Et puis ensuite, évidemment, sur la mise en œuvre d'un certain nombre d'obligations, à l'horizon, celles qui sont issues du Pacte vert, eh bien il y a sans doute des ajustements à faire. Comme je le disais, personne n'est parfait, nous avons été extrêmement ambitieux sur un certain nombre de sujets, mais il faut que tout cela reste acceptable, qu'il y ait une forme de justice, et c'est ce à quoi le ministre de l'Agriculture va veiller.

JULES DE KISS
On va continuer à détailler cela, notamment les accords de libre-échange internationaux et interrégionaux, ce sera juste après le Fil info.

(…)

HADRIEN BECT
Et Jean-Noël BARROT, le ministre délégué chargé de l'Europe, parmi les inquiétudes des agriculteurs, il y a notamment les traités de libre-échange, et singulièrement celui avec les pays du Mercosur. Alors, on rappelle que dans les pays du Mercosur, il y a deux grosses puissances agricoles, le Brésil et l'Argentine. Emmanuel MACRON a confirmé l'arrêt des négociations, l'arrêt donc en raison de l'opposition de la France. Est-ce que cet accord, il est enterré ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce qui est clair, le président de la République l'a rappelé, vous l'avez dit, c'est que le traité avec les pays du Mercosur, ne peut pas être signé en l'état. Est-ce que nous sommes opposés à tous les accords de commerce, par principe ? Evidemment que non. Prenez le traité d'échange avec le Canada, le CETA ; ce que nous constatons, c'est qu'à la suite de son adoption, les exportations agricoles de la France vers le Canada, ont augmenté de 50%. Donc, évidemment que le commerce est une chance pour l'agriculture française. En revanche, s'agissant du traité du Mercosur qui a été négocié il y a 20 ans, il n'est pas acceptable en l'état.

HADRIEN BECT
Mais qu'est-ce que vous demandez, qu'est-ce que la France demande pour que cet accord puisse un jour être signé ? On ne va peut-être pas attendre que le Brésil et l'Argentine aient exactement les mêmes normes que nous ou c'est ça l'idée ?

JEAN-NOËL BARROT
Le président de la République, lorsqu'il est arrivé en 2017, a insufflé une idée nouvelle en Europe, qui consiste à dire que la force de notre marché intérieur, de nos 450 millions de consommateurs, doit être mise au service d'une nouvelle génération d'accords commerciaux, qui incluent les objectifs climatiques qui sont les nôtres, ceux de l'Accord de Paris, qui incluent des mesures miroirs, qui incluent aussi une dimension politique et stratégique. Cela faisait défaut à l'accord négocié il y a 20 ans avec les pays du Mercosur, et c'est cela qui devra être pris en compte, lorsque les…

HADRIEN BECT
Donc des mesures, miroir, c'est-à-dire avoir des mesures, une forme de réciprocité…

JEAN-NOËL BARROT
De réciprocité, absolument. Fin de la naïveté.

JULES DE KISS
Et où est ce que nous en sommes, Jean-Noël BARROT, de cette idée d'une force européenne de contrôle sur les produits importés. C'est évidemment très important aux yeux des agriculteurs français, idée lancée par Gabriel ATTAL, le Premier ministre. Où on en est ?

JEAN-NOËL BARROT
Je vous remercie de poser la question, parce que j'entends beaucoup d'observateurs et de commentateurs nous dire ces derniers temps : " Oh, vous avez attendu les manifestations agricoles pour agir ". Et je veux rappeler que six mois après la première élection d'Emmanuel MACRON en 2017, le gouvernement déposait un projet de loi pour protéger la rémunération des agriculteurs. C'est ce qu'on appelle Egalim, pour leur donner du poids dans les négociations, avec des contrôles…

JULES DE KISS
Ça n'a pas empêché la crise, en l'occurrence.

JEAN-NOËL BARROT
Ça n'a pas empêché la crise. Mais essayez d'imaginer dans quelle situation nous nous trouverions aujourd'hui si nous n'avions pas adopté cette première loi dès 2018, suivie d'une deuxième loi en 2021.

HADRIEN BECT
Elle est contournée, cette fois, Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Alors, est-ce qu'elle est parfaite, cette loi ? Effectivement non. Pourquoi ? Parce que…

HADRIEN BECT
Les négociations se font ailleurs en Europe.

JEAN-NOËL BARROT
Parce qu'elle n'est pas tout à fait bien appliquée, parce qu'elle est contournée, puisque les centrales d'achat vont s'installer ailleurs qu'en France. La réponse...

HADRIEN BECT
Alors, cette force de contrôle ?

JEAN-NOËL BARROT
La réponse, qu'est-ce que c'est ? Eh bien, c'est d'abord la multiplication des contrôles, Bruno LE MAIRE l'a rappelé la semaine dernière. C'est ensuite une mission d'information qui vient d'être lancée et qui va nous permettre d'inventorier justement les faiblesses de cette loi. Et puis ensuite, c'est l'Européi... enfin bref, l'extension au niveau européen de ce principe d'Egalim, c'est-à-dire le poids donné aux agriculteurs dans la négociation du prix pour protéger leur rémunération, et les contrôles, par une force…

JULES DE KISS
Mais vous avez l'assurance ?

JEAN-NOËL BARROT
Par une force d'intervention sanitaire, qui pourra être mise en Europe.

HADRIEN BECT
L'Egalim européen, vous avez l'assurance que les autres pays sont partants ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui. Je regarde ce qui s'est passé en 2019…

HADRIEN BECT
Qui aujourd'hui soutient ça ?

JEAN-NOËL BARROT
Je regarde ce qui s'est passé en 2019. Nous avions un programme très ambitieux pour faire sortir l'Europe de la naïveté et de l'impuissance. Nous avons tenu nos engagements. Nous allons nous présenter dans quelques semaines devant les électeurs pour la campagne des élections européennes. Nous ferons cette proposition. Et j'ai très bon espoir que, de la même manière que nous avons su faire bouger les lignes ces cinq dernières années, nous réussirons à le faire sur Egalim.

JULES DE KISS
Et un Egalim européen des négociations commerciales, peut être à l'échelle du continent, Cela ne va pas tirer les prix vers le bas, notamment pour les agriculteurs français, s'ils doivent s'aligner sur des coûts de production moindre ailleurs ? Ce n'est pas l'idée ?

JEAN-NOËL BARROT
Non, je ne pense pas que ce sera l'idée d'avoir un prix unique. L'idée, c'est d'avoir un poids plus important pour l'agriculteur face à ses interlocuteurs. Ses interlocuteurs, c'est qui ? C'est l'industrie agroalimentaire. Ce sont des géants de l'agroalimentaire. Et puis ensuite c'est la grande distribution, les géants de la grande distribution. Dans une situation comme celle-ci, c'est la loi qui doit aider l'agriculteur à défendre son prix juste.

HADRIEN BECT
L'autre grand sujet qui vous intéresse aussi comme ministre de l'Europe, c'est bien sûr l'Ukraine. Demain, cela fera deux ans que l'invasion russe de l'Ukraine a commencé. L'Europe, désormais semble plus que jamais en première ligne. On l'a appris hier soir d'ailleurs, Emmanuel MACRON organise lundi une réunion de soutien à l'Ukraine en présence de plusieurs chefs d'Etat étrangers. Est-ce que l'objectif, c'est d'inciter nos partenaires, nos alliés, à aller plus loin dans leur aide militaire à l'Ukraine ?

JEAN-NOËL BARROT
Aller plus loin, approfondir notre soutien, parce que deux ans après le début de cette guerre d'agression contre le peuple ukrainien, nous ne pouvons détourner le regard. Parce que le combat des Ukrainiens, c'est notre combat. En résistant contre l'envahisseur russe, les Ukrainiens se battent pour l'intégrité de l'Ukraine, mais ils se battent aussi pour la sécurité de l'Union européenne et pour la sécurité de la France. Parce que tout le monde sait parfaitement que si l'Ukraine venait à tomber, et nous ferons tout pour que ça ne soit pas le cas, la Russie de Vladimir POUTINE déplacera la ligne de front vers l'Ouest. Parce que, comme l'a dit Volodymyr ZELENSKY la semaine dernière, les dictateurs ne prennent pas de vacances. Et nous sommes déjà, nous France, la cible d'une volonté d'agression délibérée de Vladimir POUTINE sur le champ cyber et sur le champ informationnel.

HADRIEN BECT
On va y revenir.

JEAN-NOËL BARROT
Et donc nous devons rester pleinement mobilisés. D'où la réunion de lundi soir autour du président de la République.

HADRIEN BECT
On va y revenir, mais est-ce que cela veut dire, quand on voit aussi les efforts qui sont faits sur l'industrie de défense, est-ce qu'il faut comprendre aujourd'hui, que les Français comprennent que l'Europe doit passer dans une forme d'économie de guerre ?

JEAN-NOËL BARROT
Je veux saluer le travail qui a été réalisé depuis un an. Il y a un an, l'Europe avait pris un engagement : passer ses livraisons de munitions, d'obus de 155 et 152 mm, à 1 million de pièces par an. En un an, nous avons doublé notre capacité de production de ces obus sur le sol européen, et nous avons, si l'on tient compte à la fois de ce qui a été donné à l'Ukraine et de ce que l'Ukraine a acheté à l'Europe, franchi le seuil…

HADRIEN BECT
L'objectif ne sera pas forcément tenu pour…

JEAN-NOËL BARROT
Il sera tenu, il est tenu déjà.

HADRIEN BECT
D'accord.

JEAN-NOËL BARROT
Il est tenu. Si l'on tient compte à la fois des livraisons qui ont été faites sous la forme de dons et des livraisons qui ont été faites sous la forme de ventes par des pays européens à l'Ukraine. Nous avons franchi le seuil d'un million, et il faut bien se dire que cela veut dire que nous avons doublé notre capacité en Europe à fabriquer des obus de 155 mm.

HADRIEN BECT
Est-ce que, dans ce contexte-là, il faudrait un commissaire européen à la Défense ? C'est ce que suggère Ursula VON DER LEYEN.

JEAN-NOËL BARROT
Nous en avons déjà un, il s'appelle Thierry BRETON et il a depuis 5 ans beaucoup travaillé pour qu'au moment des vaccins…

HADRIEN BECT
Il est Commissaire au marché intérieur.

JULES DE KISS
Il a un vaste portefeuille…

JEAN-NOËL BARROT
Il a un vaste portefeuille, mais c'est notamment lui qui a coordonné ce doublement de notre capacité de production d'obus depuis un an, avec une méthode qu'il avait déjà éprouvée, puisque c'est sous son impulsion que nous avons aussi fait croître considérablement notre capacité de production de vaccins pendant la crise sanitaire.

JULES DE KISS
Jean-Noël BARROT, ministre délégué en charge de l'Europe. On se retrouve dans un très court instant pour suivre cette discussion autour de l'Union européenne et de la guerre en Ukraine, juste après le Fil Info à 08h50.

(…)

JULES DE KISS
Notre invité ce matin est Jean-Noël BARROT, ministre délégué en charge de l'Europe. Emmanuel MACRON a annoncé à Volodymyr ZELENSKY quand celui-ci est venu il y a quelques jours à l'Élysée, que la France s'engageait à verser 3 milliards d'euros d'aide supplémentaire à l'Ukraine. Est-ce qu'on peut faire plus ? Est-ce qu'on en a les moyens quand on demande dans le même temps 10 milliards d'euros d'économies sur notre budget ?

JEAN-NOËL BARROT
Notre soutien, il est continu, il est constant et il est en progression. 1,7 milliard il y a deux ans, 2,1 milliards l'année dernière, 3 milliards cette année, un engagement de sécurité sur dix ans et puis il y a tout ce qu'on va faire au niveau européen, à la fois en matière humanitaire, en matière d'aide économique et d'aide militaire.

JULES DE KISS
Et donc d'un mot, c'est clair, c'est net, les Français doivent accepter peut-être de payer des impôts ou qu'il y ait des économies faites ailleurs pour des mesures franco-françaises pour soutenir l'Ukraine.

JEAN-NOËL BARROT
Le combat des Ukrainiens, c'est le nôtre.

HADRIEN BECT
Jean-Noël BARROT, vous l'avez évoqué juste avant le fil info, la Russie qui nous vise aussi par le biais d'attaques cyber, le ministère des Armées a appelé ces jours-ci à renforcer la sécurité des activités françaises. Le chef de l'Etat lui-même parle de volonté d'agression. Vous qui avez été très récemment ministre en charge du Numérique, est-ce que la France, est-ce que l'Europe peuvent se prémunir contre ces attaques et comment ?

JEAN-NOËL BARROT
Qu'est-ce que veut faire Vladimir POUTINE ? Avec des manœuvres informationnelles, la diffusion de fake news, il veut d'une part affaiblir le soutien dans l'opinion publique à l'Ukraine, en faisant croire par exemple que la Russie a déjà gagné la guerre ou en faisant croire que la guerre en Ukraine coûte plus au peuple français, par exemple, que ça ne lui rapporte. Ensuite ce qu'il veut faire, c'est affaiblir la démocratie elle-même. Et comme il l'a fait par le passé, on peut craindre que dans la période électorale qui s'ouvre, il vienne par des manœuvres informationnelles tenter de fausser la sincérité du scrutin.

HADRIEN BECT
Vous avez déjà des éléments qui vous permettent de l'affirmer ?

JEAN-NOËL BARROT
Mais on en a plein. La semaine dernière, les ministres des Affaires étrangères français, Stéphane SEJOURNE, allemand…

HADRIEN BECT
Je parle spécifiquement des élections européennes.

JEAN-NOËL BARROT
On l'a vu au mois de septembre dernier en Slovaquie, lorsque pendant la période de silence électoral, c'est-à-dire pendant les 48 heures qui précédaient le scrutin, une deepfake audio a été diffusée qui impliquait un des candidats à l'élection nationale slovaque, candidat qui a d'ailleurs perdu les élections. Donc moi je souhaite qu'on érige un bouclier démocratique pour protéger le scrutin. J'ai demandé cette semaine à Bruxelles, à la Commission européenne, d'obtenir un engagement ferme de la part des plateformes pour faire en sorte que si une situation comme celle-ci devait se reproduire, eh bien que ces plateformes fassent en sorte de dévitaliser, de neutraliser un contenu qui serait diffusé pendant la période de silence électoral.

HADRIEN BECT
Vous savez combien c'est difficile, je ne vous l'apprends pas, mais c'est quand même quelque chose qui n'est pas simple, notamment quand on pense à des plateformes comme X, Twitter, ex-Twitter.

JEAN-NOËL BARROT
C'est un moment clé. Nous avons, avec un règlement européen qui a été adopté pendant la présidence française de l'Union européenne, donné des pouvoirs considérables à la Commission. Elle doit s'en servir désormais parce que c'est l'avenir de la démocratie qui est en jeu.

JULES DE KISS
Jean-Noël BARROT, on va parler des voitures électriques. C'est un peu comme le bio, c'est bon pour la planète mais ça coûte plus cher, et dans le contexte économique actuel, les ventes diminuent. Au mois de janvier par exemple, 11% des véhicules vendus étaient électriques ; c'était 15 % l'année précédente. Est-ce que dans ce contexte-là, ce n'était pas une erreur ? Ou plutôt est-ce que l'objectif de passer au tout électrique d'ici 2035 est toujours réaliste ?

JEAN-NOËL BARROT
Mais on ne se donne pas juste des objectifs dans le vent. On s'est donné des objectifs ambitieux pour sortir, ou en tout cas pour atteindre la neutralité carbone. Mais qu'est-ce qu'on a fait en même temps ? Eh bien, on a créé une filière des batteries électriques. Quatre gigafactories à Douai, à Douvrain, à Dunkerque, dans des bassins industriels qui, au passage, avaient été totalement laminés par la désindustrialisation. On a commencé à conditionner le bonus écologique, le fameux leasing de 100 euros par mois…

JULES DE KISS
Oui, leasing social.

JEAN-NOËL BARROT
À l'empreinte carbone, ce qui a pour effet d'avantager les constructeurs européens. Et enfin, on a déclenché des sanctions - ou en tout cas une enquête, pardon - sur l'industrie automobile électrique chinoise. S'il s'avère à l'issue de cette enquête que les subventions ont été excessives, alors des droits de douane pourront être imposés sur les véhicules chinois.

HADRIEN BECT
On l'a évoqué Jean-Noël BARROT, et vous l'avez évoqué juste avant sur le sujet des ingérences, la majorité lancera sa campagne pour les élections européennes le 9 mars à Lille. Un meeting mais pour l'instant pas de tête de liste. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que vous attendez ?

JEAN-NOËL BARROT
Rien ne sert de courir, il faut partir à point. La majorité présidentielle, vous savez, elle a beaucoup travaillé au Parlement européen ces cinq dernières années et elle aborde cette campagne électorale avec calme, sérénité et détermination. Quand d'autres formations politiques, et je pense à celle de Jordan BARDELLA, n'a rien fait pendant cinq ans, mais rien. Et depuis un an, à l'approche des élections, s'agitent. Et vous savez, les faits et les chiffres ne mentent pas. Jordan BARDELLA…

HADRIEN BECT
Vous parlez des sondages ? Parce qu'ils sont plutôt favorables à Jordan BARDELLA qu'à votre liste pour l'instant.

JEAN-NOËL BARROT
Jordan BARDELLA a déposé 21 amendements pendant les cinq dernières années. Un amendement, c'est une tentative pour modifier, améliorer un texte. 21. Stéphane SEJOURNE, qui était le président du groupe de la majorité présidentielle au Parlement, en a déposé 1 300. Stéphane SEJOURNE a déposé 600 fois plus d'amendements que Jordan BARDELLA. Les chiffres sont têtus, il a travaillé 660 fois plus… En tout cas, il s'intéressait plus à sa campagne qu'à son travail et qu'au mandat que lui avaient confié les électeurs.

HADRIEN BECT
Malgré tout, vous n'avez toujours pas de tête de liste quoi que vous sen disiez. Dans Le Parisien-Aujourd'hui en France, l'ex-Premier ministre Edouard PHILIPPE juge intéressante l'idée de proposer cette tête de liste à votre prédécesseur, Clément BEAUNE, ex-ministre des Affaires européennes, ex-conseiller du président de la République. Qu'est-ce que vous en pensez ?

JEAN-NOËL BARROT
Il a beaucoup de qualités, Clément BEAUNE, mais cette décision elle revient au Président de la République, en lien avec les chefs des partis de la majorité. Ce que je sais, c'est que quel que soit le choix qui sera retenu, nous entrerons dans cette campagne avec la détermination de défendre notre bilan. Et notre bilan, c'est quoi ? C'est d'avoir fait sortir l'Europe de la naïveté sur le travail détaché, sur la domination des géants du numérique, sur l'immigration irrégulière, et de l'avoir fait sortir de l'impuissance en démontrant qu'elle était capable de fabriquer des vaccins, en démontrant qu'elle était capable de fabriquer des munitions et que notre projet, eh bien c'est de tirer dans le même sens et de conquérir notre autonomie dans le numérique, dans le militaire, etc.

HADRIEN BECT
D'un mot, Jean-Noël BARROT, il y a aussi la cheffe de l'exécutif européen, Ursula VON DER LEYEN, qui est elle-même en campagne. Elle a affirmé sa volonté d'avoir un nouveau mandat à la tête de la Commission européenne. Est-ce que la France la soutiendra ?

JEAN-NOËL BARROT
Chaque chose en son temps. Il y a d'abord les élections européennes.

HADRIEN BECT
N'empêche qu'elle est déjà en campagne.

JEAN-NOËL BARROT
Mais tout le monde est en campagne ou tout le monde va l'être prochainement. C'est une fois que les élections européennes auront constitué le Parlement…

HADRIEN BECT
Elle a un bon bilan ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous avons participé pleinement à ce bilan, donc je ne vais pas commencer à vous dire qu'il est mauvais, alors que je viens de vous dire que nous avons réussi à faire changer l'Europe.

JULES DE KISS
Elle pourrait avoir un concurrent français ou une concurrente française ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous verrons, il est encore un peu tôt pour le dire.

JULES DE KISS
On aura l'occasion de vous reposer la question alors s'il n'est pas encore temps.

JEAN-NOËL BARROT
Avec plaisir.

JULES DE KISS
Merci beaucoup Jean-Noël BARROT, ministre délégué chargé de l'Europe, invité du 8.30 Franceinfo ce matin


source : Service d'information du Gouvernement, le 26 février 2024