Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur les prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires, à l'Assemblée nationale le 27 février 2024.

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Intervenant(s) : 
  • Agnès Pannier-Runacher - Ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le thème : " Prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires. "

Texte intégral

Mme la présidente

L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires. "
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Mesdames et messieurs les députés, je veux tout d'abord vous remercier pour l'organisation de ce débat.
Depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de la protection de la rémunération des agriculteurs. Cette question est plus que jamais au coeur de l'actualité, en raison de la crise agricole multiforme que nous traversons – amplifiée par l'impact du dérèglement climatique –, de l'inflation des prix – liée notamment à la désorganisation des marchés agricoles voulue par Vladimir Poutine – et de la juxtaposition de normes qui ne sont pas toujours cohérentes.

Les revendications des agriculteurs sont légitimes : ils souhaitent tout simplement vivre de leur travail. Cela nécessite de les payer au prix juste. Le prix juste est celui qui rémunère correctement le producteur et chacun des acteurs de la chaîne de valeur agroalimentaire et qui permet à nos concitoyens d'avoir accès à une alimentation durable et de qualité.
Permettez-moi de revenir quelques années en arrière. En 2017 se sont tenus les états généraux de l'alimentation, qui ont réuni l'ensemble des acteurs du secteur agricole et agroalimentaire : producteurs, transformateurs et distributeurs. Cette concertation approfondie a débouché sur l'adoption de la loi Egalim 1, puis de la loi Egalim 2. Le cadre juridique ainsi établi, qui n'a pas d'équivalent en Europe, est revenu sur des dispositions mises en oeuvre par le président Sarkozy dans le cadre de la loi 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME).
Quel est son objectif ? Remettre les agriculteurs au coeur de la construction du prix pour protéger la valeur de ce qu'ils produisent, grâce à un ensemble de dispositions applicables à l'amont agricole : inversion de la contractualisation – c'est le producteur qui propose le contrat et qui est à l'origine de la proposition de prix ; prise en compte des coûts de production par un jeu d'indicateurs de référence produits par la filière ; contractualisation pluriannuelle visant à donner de la visibilité et à sécuriser les agriculteurs dans leurs investissements ;…

Mme Sophia Chikirou

La contractualisation se fait toujours sur le dos des plus faibles !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…clauses de révision automatique pour faire face aux évolutions et aux aléas pendant la vie du contrat.

Mme Aurélie Trouvé

Ça, c'est sur le papier !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Tel est bien le contenu des lois Egalim 1 et 2 et, si j'en crois vos interventions successives, nous nous accordons sur la pertinence de ces principes. J'en déduis donc que ces textes ont bien marqué un progrès.

Mme Aurélie Trouvé

Mais rien n'est appliqué !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ces lois contiennent également – et là encore, vous y êtes sensibles – des dispositions qui interdisent la négociation de la matière première agricole lors des négociations commerciales et prohibent des pratiques commerciales déloyales. Complétées par la loi pour l'équilibre dans les relations commerciales, adoptée en mars 2023, elles ont déjà donné des résultats, notamment en ce qui concerne la protection de la matière première agricole. Elles ont ainsi permis d'améliorer la situation, voire de sauver des milliers d'exploitations agricoles.
Toutefois, force est de constater qu'elles n'ont pas produit tous leurs effets : beaucoup reste à faire. Ainsi que le Président de la République l'a annoncé, samedi, au Salon de l'agriculture, il faut établir des prix fondés sur les indicateurs de référence des filières, dans l'esprit des états généraux de l'alimentation. Pour que ce dispositif soit effectif, il faut que la contractualisation, qui a fait ses preuves, se développe dans l'ensemble des filières.
En amont, l'un des piliers essentiels de la loi est la contractualisation écrite pluriannuelle entre l'agriculteur et le premier acheteur. Cette contractualisation offre une sécurisation économique aux agriculteurs, en leur permettant de planifier leur production en fonction des besoins du marché et des attentes des consommateurs. Or le déploiement de la contractualisation demeure inégal.
Les freins sont bien identifiés. Premier frein : la réticence des acteurs économiques dans les filières, qui s'explique par le rôle joué par certains intermédiaires et par le fait que la contractualisation à moyen terme limite la capacité à faire des arbitrages sur les cours à moyen terme. C'est une réalité dont témoignent ces filières. C'est également la situation de certaines productions très saisonnières, commercialisées de manière directe.
Second frein : les pratiques de contournement de certains acteurs, transformateurs comme distributeurs.
La question qui se pose désormais est donc celle de savoir quels sont les leviers à actionner pour que la dynamique de contractualisation se déploie dans toutes les filières et pour tous les acteurs qui en ont besoin – car tous ne demandent pas à bénéficier de la contractualisation.
Une première réponse réside dans l'accompagnement des acteurs de bonne volonté, et je compte bien aller à la rencontre de ceux, de l'amont et de l'aval, qui ont à leur actif des réalisations en la matière. Je pense notamment aux accords tripartites conclus par certains distributeurs. Vous avez été prompts à dénoncer la grande distribution. Des améliorations doivent certainement être apportées en la matière – j'ai été, du reste, l'une des premières à prononcer des sanctions administratives importantes, notamment une amende de 117 millions d'euros, évoquée par M. Benoit. Mais nous devons également souligner les actions positives de certains distributeurs en matière de contractualisation tripartite.
La seconde réponse réside dans l'application du volet Egalim dans la restauration collective. J'invite, à cet égard, les collectivités locales – et, pourquoi pas, l'Assemblée nationale et le Sénat – à s'y impliquer en commençant par s'inscrire sur le site ma-cantine.agriculture.gouv.fr.
Mais si nous devons accentuer la dynamique contractuelle, il faut également que ceux qui ne respecteraient pas la loi soient sanctionnés. C'est pourquoi nous avons renforcé les contrôles effectués par la DGCCRF, y compris en amont.
En aval, la protection de la matière première agricole est, le plus souvent, assurée. Mais des difficultés ont été constatées lors des dernières négociations. Par ailleurs, les clauses de révision automatique des prix et les clauses de renégociation n'ont pas toujours été bien rédigées. Là aussi, des progrès sont possibles.

À très court terme, la priorité du Gouvernement est de garantir que le cadre issu des lois Egalim soit pleinement respecté. Cela passe par l'action renforcée des services de contrôle. Je ne vais pas dresser la liste de l'ensemble des contrôles, mais je rappelle qu'en un mois, près de 1 700 d'entre eux portant sur l'origine des produits ont été réalisés dans plus de 1 500 établissements ; ils ont conduit à adresser 337 avertissements et 107 injonctions, à dresser 116 procès-verbaux pénaux et à infliger deux amendes administratives. Les contrôles se poursuivent.
Deux pré-amendes ont d'ores et déjà été envoyées à des centrales d'achat européennes. Je veux saluer, ici, le formidable travail réalisé par les services de contrôle.
Après trois et demi de procédures et de manières dilatoires, la centrale d'achat qui a été soumise à une amende de 117 millions d'euros a enfin dû constater que c'est bien le droit européen qui s'applique au contentieux concernant les centrales d'achat européennes. Néanmoins, le droit nous permettre, là encore, d'éviter une concurrence déloyale entre centrales d'achat françaises et européennes.
Le cadre fixé par les lois Egalim conserve donc toute sa pertinence. Ces outils de régulation économique doivent permettre les bons ajustements de prix, à la hausse comme à la baisse, en fonction des fondamentaux économiques. Mais il doit être renforcé pour que l'esprit d'Egalim soit pleinement respecté. C'est l'objet de l'annonce faite par le Président de la République samedi.

Je précise d'emblée, car certains alimentent la confusion et voudraient nous faire accroire qu'ils avaient raison avant tout le monde,…

M. Manuel Bompard

Eh oui !

Mme Sophia Chikirou

Ça, c'est vrai !

M. Manuel Bompard

Écoutez ce que nous disons !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…que nous ne proposons pas des prix administrés par l'État qui s'imposeraient à l'agriculteur, à l'industriel ou au consommateur. Les prix administrés, c'est ce qu'a proposé La France insoumise et c'est ce dont nous ne voulons pas car cela détruirait notre souveraineté en augmentant le volume des importations de produits moins chers issus d'une agriculture qui ne respecte pas les mêmes standards que la nôtre – vous l'avez d'ailleurs indiqué.
Vous recommandez de lutter contre de tels effets en fermant nos frontières. (Protestations sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES.)

M. André Chassaigne

Non !

Mme Aurélie Trouvé

Nous n'avons jamais dit cela !

Mme Sophia Chikirou

Il faut travailler avant de dire n'importe quoi !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Mais comment faire lorsque deux tiers des calories produites sur le territoire français sont exportées ? Cela reviendrait pratiquement à provoquer l'effondrement de l'agriculture française.

M. Grégoire de Fournas

N'importe quoi ! Quelle indigence !

M. Manuel Bompard

Travaillez votre sujet !

Mme Sophia Chikirou

Oui, travaillez avant de venir devant les députés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Nous avons rejeté votre proposition de loi pour une raison très simple : le système proposé ne fonctionnerait pas. En effet, des prix administrés, au niveau national, même filière par filière, ne permettent pas de tenir compte de la diversité des produits, notamment des prix des produits sous signe officiel d'identification de la qualité et de l'origine (Siqo) et des systèmes de production.

M. Manuel Bompard

N'importe quoi !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont demandé à être exclus d'Egalim.

M. Jean-Philippe Tanguy

Vous êtes contre Egalim, alors !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Un tel système ne fonctionnerait pas non plus, car il ne tient pas compte de la réalité des marchés ou des bouleversements géopolitiques qui peuvent intervenir et avoir des conséquences sur les prix.

Mme Sophia Chikirou

Ce n'est jamais la faute de Macron ! Ça fait sept ans que ça ne va pas !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Si l'on fixe un prix en début d'année et qu'un choc inflationniste affecte fortement les prix d'achat à l'agriculteur, ou les prix de vente au consommateur,…

M. Jean-Philippe Tanguy

On change les prix !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…on se retrouve avec des prix totalement déconnectés de la réalité. Je suis désolée, mais j'essaie de m'en tenir le plus possible aux faits.

M. Grégoire de Fournas

Vous êtes complètement contradictoire !

M. Manuel Bompard

Vous n'êtes pas factuelle, mais complètement à côté de la plaque !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce qui compte, et c'est le sens des annonces du Président de la République,…

M. Jean-Philippe Tanguy

Cela n'a aucun sens !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…c'est que les agriculteurs reçoivent une rémunération correcte de leur travail, qui tienne compte de leurs coûts de production. Nous souhaitons ainsi travailler en lien étroit avec les filières afin de définir au mieux des indicateurs de coût de production et la façon de les prendre en compte dans les contrats.

M. Grégoire de Fournas

C'est déjà dans Egalim 2 !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce sera un des enjeux dont se saisira la mission parlementaire confiée aux députés Izard et Babault.

M. Manuel Bompard

C'est McKinsey qui a écrit ce discours ?

Mme Sophia Chikirou

On dirait plutôt du ChatGPT…

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Enfin, au niveau européen, nous souhaitons faire évoluer le cadre réglementaire pour empêcher que des centrales d'achat européennes échappent à l'application de la loi française…

M. Damien Maudet

Ça marche vraiment bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…lorsqu'elle porte sur des denrées produites, transformées et commercialisées en France.

M. Grégoire de Fournas

Et ça, c'est dans Egalim 3. Super !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

J'ai réussi à le faire en France dans le cadre d'un contentieux.

M. Manuel Bompard

Quelle réussite !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je souhaiterais que cela soit pérennisé dans le cadre d'une loi. C'est le sens d'un EgaIim européen voulu par le Président de la République.
Les agriculteurs français peuvent compter sur mon engagement total…

Mme Danielle Brulebois

Eh oui !

M. Manuel Bompard

Ils sont rassurés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…et celui du ministre Marc Fesneau pour faire aboutir ces mesures rapidement. J'étais avec eux aujourd'hui, à leur écoute, comme je le suis depuis l'ouverture du Salon de l'agriculture. Je veux les saluer ici et leur dire que nous sommes fiers de leur travail…

M. Manuel Bompard

Génial ! Il y aura des feux d'artifice ?

M. Grégoire de Fournas

Cela leur fait une belle jambe !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…et que nous ferons en sorte que chacun d'entre eux soit payé pour le fruit de son travail.

Mme Sophia Chikirou

Les soignants aussi, les profs aussi, vous êtes fiers de leur travail, mais nous, nous ne sommes pas fiers du vôtre ! Le problème, c'est vous, pas les gens !

Mme la présidente

Madame Chikirou, s'il vous plaît !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je comprends leur colère, j'entends leur désarroi. Nous travaillons à leur apporter des solutions concrètes et rapides.

M. Grégoire de Fournas

Sept ans !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Nous savons que ces solutions ne seront pas toutes immédiates, mais je travaillerai d'arrache-pied avec mes collègues du Gouvernement et tous les parlementaires de bonne volonté pour construire ensemble un avenir serein pour celles et ceux qui nous nourrissent.

Mme Sophia Chikirou

Avant ou après la guerre avec la Russie ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Nous le leur devons – et nous nous devons aussi, je crois, le respect lorsque l'un d'entre nous s'exprime. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – Mme Sophia Chikirou s'exclame.)

Mme la présidente

Madame Chikirou, s'il vous plaît.
Nous en venons aux questions – dans le calme. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Manon Meunier.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES)

Emmanuel Macron annonce : « Nous allons fixer des prix planchers pour les agriculteurs. » Excellent ! Petit récapitulatif : novembre 2023, La France insoumise défend une proposition de loi à l'Assemblée nationale pour fixer des prix planchers rémunérateurs pour les agriculteurs. Novembre 2023 toujours : Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qualifie cette proposition de loi de démagogique et invite son groupe à rejeter les prix planchers. Janvier 2024 : mouvement social agricole d'ampleur, une grande partie des agriculteurs réclament des prix planchers rémunérateurs. Février 2024 : Emmanuel Macron annonce finalement qu'il y aura des prix planchers. Février 2024 plus un jour : Marc Fesneau rejette les prix planchers, qu'il qualifie de soviétiques. Février 2024 plus deux jours : Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, annonce une loi Egalim 4 avec, peut-être des prix planchers. Comprenez que nous ayons des questions à vous poser, madame la ministre ! Votre gouvernement n'est pas clair, et le monde agricole est pressé de pouvoir vivre dignement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Dominique Potier et Mme Marie Pochon applaudissent également.)
Puisque nous n'avons guère l'habitude de vous voir négocier avec la grande distribution et les industries agroalimentaires, nous veillons au grain. Voici donc quatre questions simples. Pouvez-vous nous confirmer que vous allez effectivement fixer des prix planchers ? Engloberont-ils non seulement le coût de production, mais aussi la rémunération des agriculteurs ? (Mme Aurélie Trouvé applaudit.) Avez-vous commencé à prévenir l'agro-industrie et la grande distribution qu'elles devront encadrer leurs marges, et que les superprofits, c'est fini ? Avez-vous amorcé une sortie des traités de libre-échange, pour engager une politique protectionniste solidaire envers l'agriculture française ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

M. Pascal Lecamp

Une politique protectionniste ! C'est l'Union soviétique !

Mme Manon Meunier

Des prix planchers, c'est bien, des prix planchers rémunérateurs, c'est mieux. Sans ces quatre conditions, les annonces présidentielles seront une fois de plus des salades. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Manifestement, madame la députée, vous savez mieux que les agriculteurs ce qu'ils attendent.

Mme Aurélie Trouvé

Elle est agronome, quand même !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Si j'en crois les états généraux de l'alimentation, les interprofessions et les représentants des agriculteurs attendent qu'on élabore une contractualisation, par une marche en avant, en partant d'indicateurs de référence qu'ils auront eux-mêmes définis. C'est précisément ce que nous organisons.
Quant aux traités de libre-échange, vos propos dénotent une confusion assez profonde.

Mme Sophia Chikirou

Ben voyons !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Le libre-échange n'a pas besoin de traités.

Mme Sophia Chikirou

Ah d'accord !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Mais oui, madame la députée. Le libre-échange n'ayant pas besoin de traités, nous n'avons aucun traité de la sorte avec la Chine.

Mme Sophia Chikirou

C'est donc la Chine, le problème ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Néanmoins, nous ne régulons pas…

Mme Aurélie Trouvé

On arrête, alors !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Puis-je aller au bout de mon explication ? Quand vous désignez ces traités comme des ennemis, vous oubliez de dire qu'ils visent précisément à introduire des clauses de régulation du libre-échange. Vous jouez sur les mots.

M. Manuel Bompard

Ne nous prenez pas pour des imbéciles !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je le répète, les traités de libre-échange imposent des clauses de régulation des échanges.

M. Pascal Lecamp

Eh oui !

Mme Aurélie Trouvé

Mais non ! Regardez donc la définition qui figure sur la page d'accueil du site de l'OMC !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ils traduisent des mots que vous avez à la bouche, mais que vous n'assumez pas dans vos propositions : introduire l'accord de Paris et des conditions environnementales plus exigeantes dans le libre-échange ; s'assurer que les produits que nous importons respectent nos exigences environnementales, sanitaires et de protection des consommateurs. Cela a bien plus de poids que de fermer les frontières…

Mme Sophia Chikirou

Arrêtez de raconter n'importe quoi !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…d'un pays qui exporte deux tiers des calories qu'il produit (M. Grégoire de Fournas s'exclame), et qui en tire un revenu qui revient directement dans la cour des fermes. Le revenu que les agriculteurs tirent des exportations, voilà ce dont vous avez peur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)

Mme Danielle Brulebois

Exactement ! Bravo !

Mme la présidente

La parole est à M. Damien Maudet.

M. Damien Maudet (LFI-NUPES)

« Qu'est-ce qu'ils attendent de nous, là-haut ? Ça fait des années qu'on nous pousse à faire mieux, toujours la meilleure qualité, et on le fait ; mais finalement, on nous achète nos produits à des prix qui ne couvrent même pas nos charges. Les ventes à perte, c'est notre quotidien. » C'est ce que m'a confié le premier agriculteur que j'ai rencontré sur un point de blocage près de Limoges, le soir du 25 janvier.
" Là-haut, qu'est-ce qu'ils attendent de nous ? " : c'est une bonne question. Quel cap voulez-vous pour l'agriculture ? À voir les chiffres, les agriculteurs ont raison de s'interroger. De Nedde à Saint-Amand-le-Petit, de Saint-Laurent-les-Églises à Champnétery, dans nos départements, dans nos communes et dans nos prairies, c'est un véritable plan social : des milliers d'emplois et de villages sont détruits. Le nombre d'exploitations agricoles a été divisé par quatre en cinquante ans. Entre 2010 et 2020, la Haute-Vienne a perdu un quart de ses fermes bovines. L'une des principales causes, vous venez d'en parler : c'est le libre-échange. Canada, Chili, Mexique, Mercosur, Nouvelle-Zélande… Vous êtes en train de faire avec l'alimentation ce que vos prédécesseurs ont fait avec les médicaments ou les vêtements : vous délocalisez et vous sabrez notre souveraineté.
Les agriculteurs, mais aussi l'ensemble des Français, vous demandent l'inverse : nous ne voulons pas perdre notre souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Il faut, d'une part, sortir de l'agriculture du libre-échange ; d'autre part, il faut que l'agriculture paye. Ceux qui nous nourrissent doivent pouvoir vivre, plutôt que survivre. Or un quart des éleveurs vivent sous le seuil de pauvreté. Dans le même temps, les marges de l'industrie agroalimentaire continuent de grimper, avec une augmentation de 70%. Nos fermes ferment ; les agriculteurs s'appauvrissent tandis que l'agro-industrie s'enrichit.
Depuis 2018, vous avez bricolé dans tous les sens. Nous avons proposé de créer des prix planchers, mais vous l'avez refusé, et les agriculteurs ont continué de s'appauvrir. En 2023, nous avons reproposé des prix planchers ; vous les avez rejetés à six voix près, et les agriculteurs se sont révoltés.
Ma question est simple : puisque vous annoncez être prête, à nouveau, à bricoler, jusqu'où les agriculteurs doivent-ils aller pour que vous les respectiez enfin ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES. __ Mme Marie Pochon applaudit également.)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Face à la colère et à la crise agricole, le Président de la République et le Premier ministre n'ont pas attendu pour agir. Les trois principales revendications des agriculteurs font l'objet d'un plan d'action précis. Son premier volet porte sur le revenu agricole – je l'ai longuement détaillé dans mon intervention liminaire et dans mes réponses. Son deuxième volet a trait à la diminution et à la simplification des normes. Encore une fois, il ne s'agit pas de revenir en arrière en matière de droit environnemental,…

Mme Sophia Chikirou

Dites carrément que c'est un grand bond en avant !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…mais de simplifier les formulaires et les mesures d'urgence ouvertes aux agriculteurs. Le troisième volet du plan d'action réside dans les crédits que nous avons débloqués pour accompagner immédiatement les agriculteurs – je pense aux plans destinés aux viticulteurs et aux éleveurs de bovins atteints par la maladie hémorragique épizootique (MHE), ou encore aux facilités de trésorerie accordées en accompagnement du remboursement partiel des taxes sur le gazole non routier (GNR).

Mme Danielle Brulebois

Eh oui !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce sont autant de mesures concrètes. Ainsi, 400 millions d'euros ont été débloqués et arrivent directement dans la cour des fermes.

M. Damien Maudet

Les 99 000 tonnes de viande bovine importées du Mexique, c'est aussi du concret !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

S'y ajoutent des mesures structurelles pour accompagner l'adaptation des agriculteurs au changement climatique, et encore les 150 millions d'euros débloqués pour la viticulture.
Je fais deux constats. Tout d'abord, lorsque nous formulons les principes de la loi Egalim – marche en avant, prise en compte du coût de revient, contractualisation tripartite –,…

Mme Aurélie Trouvé

Rien de tout cela n'existe en pratique !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…vous êtes tous d'accord, même si vous l'exprimez avec vos propres mots. Nous parlons bien de la même chose et de la même loi, et nous constatons que celle-ci a permis de sauver des milliers d'agriculteurs.

M. Grégoire de Fournas

C'est faux !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Non.

Mme Aurélie Trouvé

La loi n'est pas appliquée, madame la ministre !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ensuite, pour prendre des mesures, nous n'attendons pas d'écrire des lois dont nous sommes sûrs qu'elles ne fonctionneront pas et qu'elles feront s'effondrer notre agriculture.

Mme Aurélie Trouvé

Les lois Egalim ne fonctionnent pas !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Nous sommes présents sur le terrain et nous déployons des mesures de soutien pour accompagner les agriculteurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. Pascal Lecamp applaudit également.)

Mme la présidente

La parole est à M. Jean-Yves Bony.

M. Jean-Yves Bony (LR)

En pleine crise agricole, en plein Salon de l'agriculture, ce débat est fort à propos. Le Président de la République a inauguré le soixantième Salon de l'agriculture, accueilli par des sifflets, des quolibets et des bousculades. Un tel accueil est inédit, mais en agriculture, nous le savons mieux que quiconque, on récolte ce qu'on sème. Le Président a pu découvrir et mesurer le désarroi et l'angoisse du monde paysan.
L'heure est grave, madame la ministre : nos campagnes ne mourront pas sans lutter. Il faut réagir, et vite. Les promesses, les beaux discours et les coups de com' n'ont plus d'effet sur les paysans. Il ne suffit pas de lancer la grande idée des prix planchers pour apaiser les esprits ; il faut savoir comment les appliquer, sur quelles bases et selon quels critères. Après l'échec des lois Egalim et l'ouverture des marchés de libre-échange, face à une inflation qui touche les plus fragiles, où en êtes-vous ? Le constat est dramatique. Le nombre d'agriculteurs ne cesse de diminuer : le nombre d'exploitations s'est réduit de moitié en trente ans. La France est désormais le seul grand pays agricole où les parts de marché reculent ; elle est le sixième exportateur mondial, alors qu'elle était le deuxième il y a moins de vingt ans. Près de 18 % des agriculteurs et des éleveurs vivent sous le seuil de pauvreté. Alors qu'ils sont assommés par une concurrence déloyale, les charges sociales, les charges de production et les charges réglementaires acculent les paysans à la faillite.
Les agriculteurs veulent vivre de leur travail ; ils ne demandent pas l'aumône. Entendez-vous faire respecter les lois Egalim ? Veut-on mettre fin à l'élevage à l'herbe et à tous les modèles respectueux et durables ? Veut-on privilégier la compétitivité, diviser encore par trois le nombre de paysans et choisir le modèle américain, avec des parcs d'engraissement et des activateurs de croissance ? Cessez les belles promesses, multipliez les contrôles auprès des industriels et des acteurs de la grande distribution, prononcez des sanctions et appliquez la loi afin de protéger le revenu des paysans.

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

J'ai déjà répondu en partie à votre question concernant les contrôles : la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en a effectué 10 000, notamment en ce qui concerne la francisation des marchandises. Vous m'avez d'ailleurs fait part d'une infraction caractérisée en la matière, commise par une centrale d'achat connue, qui fait cohabiter les mentions " viande bovine française " et " animal élevé et abattu en Irlande ".

M. Jean-Yves Bony

Eh oui !

M. Fabrice Brun

S'il y en a un qui connaît le sujet de l'agriculture, c'est M. Bony !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce genre de situation fait l'objet de sanctions. Plus de 1 700 contrôles ont été effectués, donnant lieu à quelque 350 rappels à l'ordre ; des procès-verbaux ont été établis, assortis de sanctions. Mercredi dernier, j'ai accompagné une brigade de la DGCCRF dans un hypermarché lors d'un de ces contrôles.
Nous luttons également contre les systèmes de fraude en profondeur, qui vont au-delà de la transformation de l'étiquetage et qui font passer pour françaises des marchandises produites à l'étranger. Nous avons ainsi démantelé un réseau de francisation des kiwis il y a quatre ans, et nous luttons contre la francisation du miel ou encore du vin.

M. Fabrice Brun

Il faut mettre fin au " francolavage " !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je remercie les services de la DGCCRF qui diligentent et poursuivent ces contrôles. Nous voulons aller plus loin. Le Président de la République milite pour la création, au niveau européen, d'une brigade semblable à celle de la DGCCRF qui intervienne dans l'ensemble des États membres. En effet, nous constatons souvent que pour faire respecter des lois comparables, le niveau d'exigence et de contrôle de la France est supérieur à celui d'autres pays. Cela mérite une vigilance accrue. Nous défendons ce principe à l'échelle communautaire, et j'espère que nous aurons votre soutien au Parlement européen. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. Pascal Lecamp applaudit également.)

M. Fabrice Brun

Comptez sur notre soutien pour mettre le drapeau français sur les produits !

Mme la présidente

La parole est à M. Éric Martineau.

M. Éric Martineau (Dem)

Notre souveraineté alimentaire passera forcément par une souveraineté agricole. Madame la ministre, je connais votre attachement, avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, à la défense des agriculteurs. Défendre nos agricultures, c'est protéger le revenu des agriculteurs et la rémunération de leur production. Je salue les avancées que la majorité a obtenues grâce aux lois Egalim. Il suffit d'interroger les agriculteurs pour constater qu'ils ne souhaitent pas un retour en arrière. Je regrette que ces lois ne s'appliquent pas encore à toutes les filières, mais nous respectons la demande des intéressés.
Le non-respect de la loi et la contractualisation entre l'agriculteur et son premier acheteur mettent en difficulté de nombreux exploitants. À l'instar d'autres pays européens, ne faudrait-il pas envisager des négociations tripartites autour d'une même table ? Avez-vous l'intention de renforcer les contrôles afin de garantir le respect des lois Egalim, essentielles pour les agriculteurs, y compris par certaines enseignes de la grande distribution dotées de centrales d'achat internationales ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Mme Eléonore Caroit applaudit également.)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

J'ai en partie répondu à votre question, monsieur le député, dans les explications que j'ai données à M. Bony. Je me concentrerai plutôt sur les trois principales formes de contournement que nous avons décelées dans la grande distribution.
La première réside dans la domiciliation des achats à l'étranger. Vous le savez, il a fallu trois ans et demi pour confirmer que le premier contentieux en la matière, au sujet d'une amende réclamée en 2019 par le ministère de l'économie, pouvait être jugé en France, dans la mesure où la marchandise concernée était produite, transformée, transportée et vendue en France à un consommateur habitant la France ; nous allons donc enfin pouvoir en venir au fond. En revanche, un autre contentieux touchant la logistique n'a pas fait l'objet de la même appréciation. Il nous faut donc solidifier le contenu juridique sur ce point et faire en sorte que les centrales d'achats européennes ne puissent plus servir à contourner la loi française : c'est ce que nous souhaitons en Européens. Marc Fesneau et moi avons reçu la semaine dernière le commissaire Thierry Breton afin d'en parler.
La deuxième consiste à ne pas respecter la sanctuarisation de la matière première agricole, ce qui va à l'encontre du principe de la négociation par marche en avant.

M. Jean-Yves Bony et M. Fabrice Brun

Ça, c'est un vrai sujet !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Il conviendrait – ce peut être une perspective d'évolution, les députés Babault et Izard nous le diront – que la contractualisation entre le transformateur et le distributeur ne soit autorisée que s'il y a eu contrat entre le producteur et le transformateur ; sans quoi nous assistons à une marche en arrière,…

M. Pascal Lecamp

Tout à fait !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…c'est-à-dire que, le prix résultant d'une négociation souvent quelque peu tendue entre distributeur et transformateur, ce dernier se retourne contre le producteur et lui fait revoir ses propres prix à la baisse.

M. Fabrice Brun

Ce que dit Mme la ministre est très important !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

La troisième est le fait, là encore de la part de la distribution – tel est d'ailleurs le motif du gros de l'amende exigée par le ministère depuis 2019 et que j'ai déjà évoquée –, de vendre très cher aux entreprises de transformation, y compris de taille intermédiaire, des services plus ou moins fictifs, plus ou moins dénués de contenu : données, mise en avant dans les gondoles, accompagnement de la vente des produits. Il s'agit là d'une manière de récupérer toute la marge accordée au transformateur.

Mme la présidente

Merci, madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

S'agissant de ces trois procédés, je le répète, nous devons renforcer nos contrôles et aller de l'avant.

M. Jean-Yves Bony et M. Fabrice Brun

Si on y arrive, c'est très bien ! Nous voulons du concret !

Mme la présidente

La parole est à Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC)

Alors qu'un agriculteur sur quatre vit au-dessous du seuil de pauvreté, on peut saluer, de prime abord, l'initiative du Président de la République consistant à recourir aux prix planchers afin de répondre à une revendication essentielle : la protection de leur revenu. Il est d'ailleurs regrettable qu'au Parlement, la majorité présidentielle se soit jusque-là opposée à la proposition de la gauche d'instaurer des prix planchers pour les matières premières agricoles.
Cependant, le dialogue avec les producteurs locaux laisse entrevoir que cette mesure ne serait pas dénuée d'effets pervers. S'il y a prix plancher en France, il y aura tentation, pour le transformateur et le distributeur, de se fournir à l'étranger ; vous avez donc tout intérêt à consolider le dispositif annoncé. Prenons l'exemple d'une filière d'excellence, celle du lait dans le Finistère : dans son rapport au Parlement de 2023, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) précise que lorsque le consommateur achète 250 grammes de beurre – un produit pourtant simple – dans une grande ou moyenne surface, 53% seulement de ce qu'il a payé revient au producteur de la matière première. Pour la juste rémunération de ce dernier, nous voulons moins d'opacité, plus de transparence ! On le sait, distributeurs et transformateurs ne font guère d'efforts en vue de valoriser notre production, surtout s'agissant des marques de distributeur ; pour fabriquer le beurre Président, par exemple, on préfère le lait irlandais au lait normand ou breton. Consommer français serait pourtant le meilleur moyen de consommer local !
Madame la ministre, comment entendez-vous faire face à cette concurrence déloyale ? Comment contraindre transformateurs et distributeurs à favoriser la production laitière nationale ? Produire un lait bas-carbone est possible, à condition de revoir nos choix stratégiques en matière de souveraineté alimentaire ; il y a là une question d'autorité politique, de respect des producteurs et des emplois locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Si je comprends bien, vous demandez en substance comment garantir une plus grande commercialisation en France des produits français, sachant que les distributeurs maîtrisent une partie de la marge et, en tout état de cause, peuvent choisir de proposer des produits un peu plus chers, mais de meilleure qualité.
Votre question ouvre plusieurs pistes de réponse. La première consiste à valoriser ces produits ; c'est à cette fin qu'existent les signes individuels de qualité. Cependant, cette solution n'est pas toujours pertinente, comme en témoigne le bio : il ne trouve plus de débouchés, si bien que ses prix reviennent quasiment au niveau de ceux des aliments conventionnels et que, le coût de production étant plus élevé, la marge diminue d'autant. Il convient donc de travailler les débouchés, d'où plusieurs options.
En matière de restauration collective, tout d'abord, nous conviendrons tous qu'un gros effort reste à faire,…

Mme Danielle Brulebois

Eh oui !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

…lequel dépend bien entendu des administrations d'État – qui doivent prendre leur part – mais aussi des collectivités locales et, depuis le 1er janvier, du privé. La réunion des parties prenantes au sein d'une conférence des solutions, qui mettra en avant les bonnes pratiques développées par des collectivités – il y en a d'ailleurs en Bretagne – plutôt en avance sur ce point, devrait permettre de mobiliser la restauration collective publique et privée en vue d'y accroître la part du bio et des produits de qualité, suivant des cahiers des charges auxquels nos agriculteurs sauront se conformer.
Cette montée en gamme n'est toutefois pas la seule réponse possible ; il importe de tenir compte du pouvoir d'achat des Français, de gagner en compétitivité, de rendre des produits accessibles à tous les porte-monnaie, ne serait-ce qu'en réduisant le poids de l'administration, comme le réclament nombre d'agriculteurs.

Mme la présidente

Je vous remercie, madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Une manière assez facile de réduire leurs charges consisterait à diminuer le poids des normes, à simplifier leur quotidien. Nous devons oeuvrer en ce sens, mais cela prendra plus d'un mois.

Mme la présidente

La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit (HOR)

En 2019, nous avons enquêté sur les centrales d'achats et constaté l'existence de mauvaises pratiques – la vente de services purement virtuels, mais aussi le fait que certaines de ces centrales étaient hébergées hors de France,…

Mme Danielle Brulebois

Eh oui !

M. Thierry Benoit

…en Irlande, en Belgique, en Suisse, en Espagne, sans doute par amour des voyages de la part des distributeurs, peut-être bien également pour des raisons liées au droit des affaires et au droit fiscal. L'entité européenne chargée de la concurrence n'y voyait rien à redire, Bercy s'était littéralement fichu de nous ; vous aviez été, madame la ministre, la seule membre du Gouvernement à l'écoute (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem), attentive et chez qui, en tant que président de la commission d'enquête, j'avais perçu la volonté de rétablir un peu d'ordre. Seriez-vous prête à soutenir le principe d'une enquête de l'Union européenne sur le fonctionnement des centrales hébergées hors de France, avec pour but l'harmonisation du droit fiscal et du droit des affaires, que l'on soit en Espagne, en Belgique, en France, en Allemagne ou en Pologne ?

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

En effet, à l'époque où j'étais chargée du droit de la consommation, je m'étais intéressée à la manière dont certains acteurs utilisaient des centrales d'achats européennes afin de se soustraire au droit français, notamment en facturant d'autorité des services à faible valeur ajoutée, ce qui, je le répète, permet au distributeur de reprendre au transformateur la marge qu'il lui a concédée lors de la passation du contrat. Ces pratiques ont fait l'objet d'une enquête approfondie de la DGCCRF – elle avait duré plus de dix-huit mois, je crois, et entraîné la saisie de contrats, de mails, permettant de reconstituer les négociations – débouchant sur une amende de 117 millions d'euros.
S'agissant du droit, le premier principe sur lequel nous pourrions nous mettre d'accord consisterait à ce que, dès lors que la production, la transformation, la logistique sont réalisées en France, l'achat effectué dans un magasin situé en France par un consommateur résidant en France, il ne serait pas illégitime que la législation française s'applique. Il est dommage que nous ayons dû attendre trois ans et demi et l'épuisement des manoeuvres dilatoires de la partie adverse pour que la juridiction versaillaise parvienne à cette conclusion ; reste désormais à la sécuriser. Quant aux centrales européennes, nous devons nous demander si de tels acteurs, structurant les marchés de plusieurs pays, ne sont pas porteurs d'un risque systémique. C'est une vision similaire qui a conduit l'Union européenne à adopter le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) : l'idée que les acteurs qui pèsent plus lourd que les autres doivent assumer davantage de responsabilités, qu'une régulation peut être opérée en ce sens.

Mme la présidente

Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Permettez-moi encore un mot, madame la présidente : la convergence en matière fiscale, enfin, est un sujet qui requiert l'unanimité des États membres et demande donc une action de plus longue haleine.

Mme la présidente

La parole est à Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES)

Nous débattons ce soir des prix rémunérateurs, qui doivent intégrer de plus en plus les enjeux liés au salariat. La main d'oeuvre salariée est devenue indispensable à l'agriculture française ; ces dix dernières années, tandis que le nombre d'exploitants diminuait de 18%, celui des salariés permanents non familiaux a augmenté de 10% – ils sont à présent 800 000 et réalisent près du tiers du volume du travail agricole français. Alors que la colère des agriculteurs exprime le malaise de toute une profession, force est de constater que les salariés et ouvriers agricoles n'ont pas voix au chapitre. Il est à craindre que la simplification lancée à fond la caisse par le Président de la République ne s'opère à leurs dépens. Déjà l'exonération, jusqu'à 1,25 Smic, des charges liées à ces emplois peut inciter les exploitants, pour en bénéficier, à maintenir bas les salaires ; mesure suivante, l'assouplissement des règles relatives aux produits phytosanitaires, dont ces travailleurs seront les premiers à subir les conséquences en matière de santé.

M. Dominique Potier

Très bien !

Mme Aurélie Trouvé

Exactement !

Mme Marie Pochon

Ce qui inquiète désormais, c'est l'annonce par le Premier ministre de la facilitation, pour eux, des dérogations concernant le temps de travail, qui pourrait aboutir à légaliser des semaines de 60 ou 70 heures, sans plus de protection. Le monde agricole est multiple : les petits exploitants y côtoient les grands patrons, les capitaines d'industrie, les chefs d'entreprise, les paysans – et beaucoup de salariés qui ne demandent qu'à travailler dur afin de nous nourrir, mais réclament que leur droit du travail soit préservé lors de cette chasse aux normes, aux charges, censées entraver la compétitivité. Certaines de ces dispositions sont de nature sociale ; elles concernent des gens qui ont également droit à ce que leur labeur soit considéré, à ce que la République les protège. Que prévoyez-vous donc en faveur de ces salariés qui font tourner l'agriculture française ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.)

M. André Chassaigne

Très bien !

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Merci, madame la députée, de souligner l'importance des salariés agricoles ; nombre d'exploitants en recherchent, d'ailleurs, d'autant que l'agroécologie demande davantage de main d'oeuvre, en tout cas à titre occasionnel.
Les exploitants agricoles eux-mêmes aspirent à une vie familiale normale, oserais-je dire, c'est-à-dire à prendre des vacances ou à s'accorder de temps en temps des week-ends, ce qui, convenez-en, n'est pas illégitime, même lorsqu'on est éleveur laitier et qu'on doit s'occuper de son exploitation 365 jours par an – au besoin en s'assurant d'être remplacé. Les salariés agricoles jouent donc un rôle essentiel pour accomplir ces missions.
Permettez-moi par ailleurs de vous rassurer : les mesures de simplification que nous proposons respectent toute une ligne rouge en matière de produits phytosanitaires, à savoir la santé des agriculteurs. La France est le pays qui applique, sur ces sujets, l'une des législations les plus exigeantes. Elle a également diminué de 93% l'utilisation des produits classés en CMR1 – substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction –, c'est-à-dire ceux qui sont les plus dangereux pour la santé humaine. Nous avons particulièrement réfléchi, en matière de risques au travail, à la manière de les administrer, afin de protéger les agriculteurs. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu des dérives par le passé – nous pensons tous au chlordécone. Toutefois, ce qui a été fait pendant des années par négligence, par manque de connaissances ou pour d'autres raisons, est désormais, avec l'appui de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), clairement sous contrôle, et d'ailleurs bien plus que dans d'autres pays. De ce fait, nos productions doivent être appréhendées au regard de la concurrence d'autres pays où les exigences environnementales diffèrent.
S'agissant enfin des dérogations au temps de travail… (Mme la présidente coupe le micro de la ministre, dont le temps de parole est écoulé.)

Mme la présidente

Je suis désolée mais le temps imparti est de deux minutes par question et par réponse. Or, depuis tout à l'heure, on déborde allègrement.

Mme Marie Pochon

C'est dommage, c'était une question importante !

Mme la présidente

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES)

Pourquoi reprendre aujourd'hui, madame la ministre, une proposition défendue depuis tant d'années par les députés communistes, et ce, non pas une seule fois, mais au cours de trois niches parlementaires en 2009, 2011 et 2016 ? Trois propositions de loi ont été déposées, examinées, argumentées puis rejetées. Désormais, le Président de la République parle clairement de prix planchers. Je réponds : chiche ! Pourquoi alors, selon vous, cette proposition avait-elle fait l'objet de rejets réitérés, sous le prétexte de bolchevisme (M. Thierry Benoit sourit), d'agriculture administrée ou encore de contradiction avec les règles de la concurrence – vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ?
En 2009, on m'objectait les règles de la concurrence. Je cite mon rapport de l'époque : " Dans son avis du 2 octobre 2009 sur le secteur laitier, l'Autorité de la concurrence estime que sans préjuger de ce que l'examen d'une saisine contentieuse révélerait, l'émission de recommandations de prix au niveau national, voire au niveau régional, par l'interprofession présente un réel risque juridique au regard des règles de la concurrence. " Cet argument est-il toujours valable ?
En 2016 m'était rétorqué l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui interdit de " fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ". Est-ce toujours valable ?
En 2011, je demandais, dans ma proposition de loi visant à encadrer les prix des produits alimentaires, que la France promeuve, au niveau communautaire, la mise en oeuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, l'instauration d'un prix minimum indicatif européen pour chaque production prenant en compte les spécificités des différentes zones de production,…

M. Thierry Benoit

Très bien !

M. André Chassaigne

…l'activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire et la création de clauses de sauvegarde ou de tout autre mécanisme concourant à cet objectif.
Avez-vous conscience, madame la ministre, que la proposition du Président de la République – la décision devrais-je dire – ne peut pas être appliquée sans un bouleversement profond, voire une révolution copernicienne, sur le plan européen ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

M. Thierry Benoit

Totalement !

Mme Aurélie Trouvé

Nous sommes d'accord !

M. Thierry Benoit

Nous sommes souvent d'accord !

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous faites référence à plusieurs propositions que vous avez défendues dans le passé ; vous me pardonnerez de ne pas toutes les connaître.

M. André Chassaigne

C'est dommage ! C'est historique !

M. Thierry Benoit

C'est parce que c'est ancien ! C'est daté !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je m'y plongerai néanmoins très rapidement, notamment s'agissant de celles qui sont antérieures à 2017. Toutefois, notre vision, qui consiste à fonder la contractualisation sur des indicateurs de référence définis par l'interprofession, à se doter d'un médiateur des relations commerciales agricoles (MRCA) et d'un comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), qui disposeront de davantage de pouvoirs, et à faire en sorte que cette approche " en marche avant " s'effectue dans le bon sens – et non pas du distributeur vers l'exploitant –, représente autant de mesures qui vont dans le sens que vous souhaitez et qui sont compatibles, me semble-t-il, avec le droit européen.
Vous pointez cependant un élément très juste, qui constitue l'une de nos orientations : nous avons intérêt à défendre une vision européenne de ces sujets, puisque le contournement opéré par certains acteurs de la grande distribution a été rendu possible par le droit européen, en échappant au territoire français. Ce qui explique le choix du Président de la République de porter ce combat à l'échelle européenne, que ce soit dans la législation ombrelle pour les pays de l'Union ou dans le fait d'exercer des contrôles qui soient, eux aussi, de nature européenne, au moyen d'une instance de contrôle dédiée, à même de protéger non seulement le consommateur, mais aussi l'agriculteur.
Un renforcement de ces contrôles serait bénéfique eu égard à la concurrence déloyale, que vous êtes nombreux à dénoncer ici, exercée par des pays situés en dehors de l'Union européenne, en particulier s'agissant de l'emploi d'hormones ou d'antibiotiques dans l'élevage ou de produits phytosanitaires dans l'agriculture.

M. André Chassaigne

Seuls 3% de produits contrôlés !

Mme la présidente

La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac (LIOT)

Nous en arrivons, en définitive, à la fin d'un système en vertu duquel, depuis les années soixante, les prix agricoles n'ont cessé de baisser : ils ont été, en monnaie constante, à peu près divisés par quatre. Ces baisses ont profité, en grande partie, aux consommateurs, d'une part, et à la grande distribution, d'autre part, tandis que l'agriculteur a compensé en produisant toujours davantage. Ce système, qui a permis de nourrir à l'époque l'Europe entière, est désormais parvenu à son terme.
J'ai cru comprendre que la décartellisation des grandes surfaces, en particulier des centrales d'achat, n'était pas pour demain – même si, en bon libéral, à l'instar de notre ami Charles de Courson, cela me paraîtrait être une réponse libérale à un problème ; mais je ne pense pas que le Gouvernement veuille aller dans ce sens.
Ma question sera donc simple et portera sur la prochaine loi Egalim. Nous avions déposé plusieurs amendements afin que les prix fixés par les interprofessions soient, à un moment donné, validés par la puissance publique, ce qui nous a été refusé. Or, si nous n'abordons pas cette question dans la prochaine loi Egalim, rien n'obligera les interprofessions à se mettre d'accord. Par ailleurs, quel serait le rôle du politique ? Il ne peut se contenter de dire aux interprofessions : " Le prix, c'est tant, et débrouillez-vous ! "
Ensuite, on nous a refusé également les contrats tripartites entre le producteur, le transformateur et le distributeur. Nous savons bien que, dans ce jeu à trois – j'allais dire dans ce mauvais vaudeville –, soit c'est le producteur qui trinque, soit c'est le transformateur. Certes, cela dépend de la taille de ce dernier : je ne me fais pas trop de soucis dans le cas de Nestlé ; mais s'il s'agit de la petite coopérative du coin, c'est une autre affaire.

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

S'agissant des contrats tripartites, je suis un peu surprise parce que nous les favorisons, au contraire ! C'est d'ailleurs l'une des pratiques que je mettrais en avant au Salon de l'agriculture, avec l'un des acteurs qui regroupe 5 000 exploitants en contrat tripartite – il pourrait en avoir davantage, mais c'est déjà un bon début, qui prouve que c'est possible. En outre, les contrats tripartites ont un mérite : la transparence de la valeur de la matière première agricole et l'assurance que le coût de cette valeur se retrouve bien dans la cour de ferme, en bout de chaîne – c'est une question que nous pose, légitimement, la grande distribution. Il faut garantir cette transparence. Il s'agit d'une piste qui mérite d'être approfondie et c'est ce que nous souhaitons faire.
En ce qui concerne la construction des prix, certaines filières sont plus ou moins matures. Il faut aussi accepter que certaines d'entre elles souhaitent échapper aux lois Egalim si c'est le souhait des agriculteurs. Faire le bonheur des gens malgré eux, c'est dangereux. Et parmi les filières qui souhaitent s'inscrire dans cette approche de « marche en avant », certaines ne sont pas encore très bien structurées. Je pense notamment à la filière bovine, qui atteint 25% de contractualisation, alors qu'on est à 90% de volumes contractualisés dans la filière de l'élevage laitier, avec plus de 70% des exploitations. Il semblerait donc que cela fonctionne mieux dans le secteur laitier, même si tout n'est pas parfait, même si certains acteurs suscitent la colère et même si plusieurs dossiers sont dans les mains du médiateur et seront peut-être, demain, transmis au comité de règlement des différends commerciaux agricoles – celui-ci pourra s'appuyer sur l'indicateur de référence pour arrêter une décision de prix, qui s'appliquera aux acteurs.
Je ne peux pas préjuger de ce qui se passera dans les semaines à venir, mais je pense que les outils dont nous nous sommes dotés grâce aux lois Egalim ont permis des avancées et qu'il faut aller jusqu'au bout. C'est d'ailleurs ce que nous ont demandé les acteurs réunis autour de la table lors du dernier comité des négociations commerciales, lorsqu'ils nous ont dit qu'il fallait encore faire évoluer certains points par rapport à la loi LME, afin d'obtenir une clarification juridique, même si on reste dans l'épure de la loi Egalim. Notre boussole, c'est de réorienter le revenu vers les cours de ferme.

Mme la présidente

La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois (RE)

Depuis la loi de modernisation de l'économie votée en 2008, la course aux prix toujours plus bas, sous la pression de quatre centrales d'achat, a réduit comme peau de chagrin le revenu des agriculteurs. Sensible à leur détresse, le Président de la République a proposé de créer des prix planchers, filière par filière. Ces prix seraient fondés sur des indicateurs de coûts de productions agricoles, sur lesquels chaque filière se mettrait d'accord. Cette proposition d'un prix minimum est au coeur des revendications des professionnels depuis plusieurs semaines et les syndicats ont salué la mesure.
Cependant, n'y a-t-il pas un risque que les industries agroalimentaires et les distributeurs se mettent à payer au prix plancher, et pas au-delà, ce qui serait légal ? Il ne faudrait pas que le prix plancher devienne un prix plafond. Que comptez-vous faire pour préserver de ce risque les filières qui ont déjà mis en place une contractualisation tripartite exemplaire, qui rémunère les producteurs au juste prix ?
Par ailleurs, si ce prix plancher est fixé à un niveau trop élevé, les produits français ne risquent-ils pas de perdre des parts de marché à l'étranger, n'étant plus compétitifs ? Comme l'ont souligné plusieurs collègues, il faut agir sur le droit européen – je sais que nous pouvons compter sur vous sur ce plan, madame la ministre, puisque vous avez obtenu la désindexation du prix de l'électricité nucléaire de celui des énergies fossiles.

M. Grégoire de Fournas

C'est faux !

Mme Danielle Brulebois

Pouvez-vous nous rassurer sur cette politique à décliner au niveau de l'Union européenne ?

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Vous vous faites l'écho des préoccupations d'acteurs des filières agricoles sur ce que pourraient être les prix planchers si la formule retenue n'était pas adaptée. J'ai entendu, et je vous rejoins sur ce point, qu'ils craignent une économie administrée, la remise en cause de mécanismes contractuels éprouvés qui donnent satisfaction dans certaines filières, la perte de compétitivité par rapport à des pays tiers, qu'ils soient ou non membres de l'Union européenne – il sera toutefois plus difficile d'intervenir en dehors de l'Union européenne – ou encore cet effet pervers mis en avant par les producteurs privilégiant certains signes de qualité, d'obtenir un prix plancher qui devienne, en définitive, un prix plafond.
Le problème est complexe et nous avons mesuré lors de l'application des deux premières lois Egalim et de la loi Descrozaille combien certains réglages étaient fins. Ainsi, nous avons demandé aux députés Babault et Izard de conduire une mission de quatre mois, qui se nourrira des nombreux travaux menés ces dernières années par le Parlement ainsi que des discussions avec les interprofessions et la longue chaîne des acteurs du secteur. Elle débouchera sur des propositions pour trouver le juste équilibre que vous appelez de vos voeux et nous présenterons d'ici l'été un projet de loi.

Mme la présidente

La parole est à Mme Eléonore Caroit.

Mme Eléonore Caroit (RE)

Je vous remercie d'avoir rappelé les régulations nationales établies par la majorité pour protéger et garantir le revenu des agriculteurs. Elles sont indispensables mais elles demeurent insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées par des régulations efficaces au niveau européen et international. Dans le cadre de la mission sur l'enjeu alimentaire dont je suis rapporteure avec mon collègue Guillaume Garot, les nombreuses auditions aboutissent toujours au même résultat : nous devons penser la réforme des systèmes agricoles et alimentaires à tous les niveaux – local, national mais aussi international.
Les récentes crises, que ce soit la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine, nous ont fait prendre conscience de nos interdépendances et ont démontré la pertinence de l'échelon européen et international. La production alimentaire mondiale est confrontée aux conséquences du changement climatique mais aussi aux influences de la situation géopolitique – nous le constatons actuellement. Cela ne fait pas de doute : votre gouvernement souhaite soutenir la transition agricole vers des systèmes de production et de consommation durables et plus performants. Les agricultrices et les agriculteurs français qui font l'effort de faire évoluer leurs pratiques pour s'engager vers une transition agroécologique ne doivent donc pas être pénalisés.
Il ne s'agit pas uniquement de trouver le juste prix. En effet, la réalité des revenus agricoles dépend aussi des fluctuations des marchés. Comment la France peut-elle influer sur la construction de politiques européennes et internationales pour défendre les intérêts des territoires et des producteurs ? Dans le contexte de la mondialisation des systèmes alimentaires, de quelles marges de manoeuvre disposons-nous pour mener des réformes structurelles internationales ?

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Votre question est large : comment agir sur le plan européen et international pour défendre nos agriculteurs ? Rappelons tout d'abord que notre agriculture est exportatrice – elle l'est même fortement. J'entends certains intervenants préconiser l'arrêt des importations et des exportations. D'une part, une telle remise en cause aurait un effet immédiat sur le revenu des cours de ferme et sur celui des exploitants agricoles. D'autre part, il est rare que l'arrêt des importations ne débouche pas sur des mesures de rétorsion sur les exportations. C'est un grand classique : rappelez-vous les tensions commerciales dont Airbus a fait l'objet ou, plus récemment, de la filière du cognac, pour ne pas la citer, visée à la suite de l'ouverture d'une enquête par la Commission européenne sur le dumping relatif aux voitures électriques.

Mme Danielle Brulebois

Exactement !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce sont des situations réelles. Il n'est donc pas question de déstabiliser notre filière agricole à l'exportation ; il faut même la développer. C'est l'une des missions de Franck Riester et du ministère de l'agriculture.
Ensuite, nous devons tenir la ligne de la concurrence loyale – une ligne inattaquable, en particulier en matière d'environnement. En effet, l'effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique concernent tous les pays. Quand la France réduit ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui induit des surcoûts, il n'est pas acceptable que nous soyons confrontés à la concurrence de pays qui n'agissent pas dans le même sens. Ainsi, le Président de la République a fait du respect des accords de Paris une clause sine qua non des traités de libre-échange. Rappelons que ces traités ne visent pas à ouvrir la concurrence mais bien à la réguler. En cela, ils sont précieux et nous devrions plutôt les appeler traités de régulation du libre-échange.
Enfin, agir en Européens, c'est éviter aussi bien les surtranspositions – que pratique parfois la France –, que les sous-transpositions dans certains autres États membres. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

Mme la présidente

La parole est à M. Grégoire de Fournas.

M. Grégoire de Fournas (RN)

Le 22 février, un tribunal de commerce s'est prononcé pour la première fois sur la pratique des prix abusivement bas en vertu de la loi Egalim 1. Le tribunal de commerce de Bordeaux a condamné deux négociants bordelais à verser 350 000 euros à Rémi Lacombe, viticulteur de ma circonscription, en réparation des prix inférieurs aux coûts de production pratiqués lors de plusieurs achats de vin.
Si elle est confirmée, cette décision fondée sur une loi, de l'avis général mal écrite, mais qui garantit des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, fera jurisprudence pour l'agriculture française. La loi Egalim 1, adoptée en 2018, n'a donné lieu à aucune sanction ni saisine d'un tribunal avant celle de Rémi Lacombe. Qu'avez-vous fait depuis tout ce temps pour appliquer les lois Egalim ?
Des milliers de contrats signés sont illégaux puisqu'ils ne respectent pas les dispositions des lois Egalim. Par ailleurs, des interprofessions n'ont toujours pas publié d'indicateurs. Je vous avais pourtant enjoint dans un rapport d'information de juillet 2022 sur l'application de la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dont j'étais rapporteur avec ma collègue Nicole Le Peih, de contrôler l'application des lois Egalim. Cela n'a donc pas été fait.
Un récent audit flash de la Cour des comptes relatif au contrôle de la contractualisation dans le cadre des lois Egalim signale que parmi les soixante-quatre acheteurs clés pour la filière bovine contrôlés depuis 2022, seuls neuf contrats sont conformes à la loi et qu'aucune sanction n'a été prononcée par la DGCCRF. C'est invraisemblable.
Pire encore, le ministère de l'économie, qui aurait pu, comme le prévoit la loi, se présenter avec ce viticulteur du Médoc devant le tribunal de commerce pour demander le prononcé d'une amende civile, était absent, ce qui en dit long sur l'intérêt porté par le Gouvernement aux intérêts des agriculteurs et à la bonne application des lois Egalim.
L'annonce d'une nouvelle loi Egalim – la quatrième – est la preuve que vous multipliez les lois sans jamais en contrôler l'application. Pourriez-vous confirmer, madame la ministre, que la viticulture est bien concernée par la loi Egalim 1 ? Comment expliquez-vous que le non-respect des lois Egalim n'ait jamais été sanctionné entre 2019 et janvier 2024 ?

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Nous avons longuement évoqué sur les bancs de cette assemblée l'un des contentieux les plus importants que l'État ait suivis à ce jour : une amende de 117 millions d'euros – ce n'est pas une petite somme – prononcée en raison de la mauvaise application de la loi Egalim, et défendue par le ministère de l'économie en 2019. Certains prononcés de pénalités logistiques en vertu des dispositifs Egalim ont également fait l'objet de contentieux. Comment pouvez-vous dire que l'État n'a pas engagé de poursuites sur la loi Egalim ? Je vous confronte à votre mensonge.

M. Grégoire de Fournas

Mais arrêtez ! Je parlais des prix abusivement bas !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Ce n'est pas ce que vous avez dit. Vous avez parlé des lois Egalim. Nous sommes plusieurs dans cet hémicycle et votre propos portait bien là-dessus.

M. Grégoire de Fournas

Vous n'avez pas la bonne fiche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Je suis désolée : vous avez dit explicitement que le Gouvernement n'avait pas prononcé de sanctions sur la loi Egalim et qu'il n'était pas allé jusqu'au contentieux, ce qui est tout à fait inexact.
Quant à la mesure relative aux prix abusivement bas, adoptée par cette majorité pour protéger les filières qui ne bénéficiaient pas des dispositifs Egalim, elle a permis d'obtenir des résultats. La viticulture n'est pas sécurisée par la loi Egalim 2 et l'utilisation des prix abusivement bas a permis de protéger ce viticulteur – vous l'avez démontré. En clair, c'est parce que cette majorité a voté un texte sur les prix abusivement bas que nous avons pu protéger ce viticulteur. Il est important d'être précis dans vos accusations à l'encontre de l'État. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

Mme la présidente

La parole est à M. Grégoire de Fournas.

M. Grégoire de Fournas (RN)

Vous n'avez absolument pas répondu à la question précédente. Au moins, ne me traitez pas de menteur alors que vous ne maîtrisez pas le sujet !

Mme Danielle Brulebois

Elle ne vous a pas traité de menteur !

M. Grégoire de Fournas

Je lis la question de ma collègue Hélène Laporte, qui préside la séance et qui n'est pas remplacée la poser elle-même. Son département est concerné par le conflit qui oppose les producteurs laitiers et l'industrie agroalimentaire. La vallée du Dropt, en partie située sur le territoire de ma circonscription, compte soixante-dix exploitations laitières, regroupées au sein d'une organisation de producteurs qui livre chaque année en moyenne 33 millions de litres de lait de vache à l'industriel Savencia.
Comme les autres organisations membres de l'AOP – appellation d'origine protégée–  Sunlait, le groupement des producteurs de lait de la vallée du Dropt est lié à Savencia par un contrat-cadre dénoncé en mars 2022 et qui devait par conséquent prendre fin le 8 mars 2024. La récente décision du CRDCA de prolonger les contrats jusqu'au 31 octobre 2024 a soulagé l'ensemble des producteurs en levant la menace imminente qui pesait sur eux, mais celle-ci subsiste malgré ce sursis.
Alors qu'il est aisé de contourner les lois Egalim en recourant à des fournisseurs étrangers, les industriels ont tout intérêt à continuer d'affaiblir le rôle des organisations de producteurs pour rechercher une concurrence entre éleveurs en l'alignant sur le moins-disant.
Dans un contexte de concurrence internationale croissante, les prix planchers sont nécessaires mais non suffisants pour enrayer cette dynamique. La filière laitière française est entrée dans une crise de décapitalisation très sévère : elle a perdu 450 000 vaches sur les six dernières années et en perdra peut-être 800 000 de plus d'ici à 2035. La production a encore diminué de 2 % depuis le début de l'année. Allons-nous demeurer spectateurs de la fin de l'exception laitière française ou appliquer la seule politique qui permettrait de la préserver, à savoir rompre avec le dogme du libre-échange qui vulnérabilise nos élevages, comme nous le proposons ?

Mme la présidente

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Il est intéressant que vous signaliez ce conflit entre Sunlait et Savencia, car ce sont précisément des outils Egalim qui ont permis de lui apporter une solution partielle en rééquilibrant le rapport de forces entre les producteurs et Savencia. Le comité de règlement des conflits a trouvé une issue jusqu'au 31 octobre et il a imposé que les deux parties se mettent d'accord sous deux mois, ce qui a donné de la visibilité aux exploitants.
Une fois encore, vous montrez que c'est grâce aux lois Egalim que nous avons pu trouver une issue à une situation où les exploitants se faisaient imposer les prix dans un rapport de force très défavorable et qu'ils disposent désormais d'outils de recours : la médiation et le comité de règlement des conflits – qui fonctionne, comme vous l'avez dit vous-même. Vous faites la démonstration éclatante qu'Egalim a apporté de véritables outils de gestion de la relation commerciale, même s'ils ne vont peut-être pas assez loin. Nous devons donc rechercher les derniers éléments d'amélioration pour atteindre notre objectif commun, à savoir bien rémunérer les agriculteurs.
Je ne reviendrai pas sur le libre-échange et les traités. Ne confondons pas le commerce international, qui constitue l'un des piliers de notre agriculture, et les traités de libre-échange et de régulation, qui nous permettent de lutter contre la concurrence déloyale. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

M. Pascal Lecamp

C'est la force de notre agriculture !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée

Le Président de la République et ce gouvernement se sont opposés avec constance au traité avec le Mercosur, contrairement aux fake news véhiculées par votre groupe politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

M. Grégoire de Fournas

Et le Chili ?

Mme la présidente

Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 29 février 2024