Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle les questions sur le thème : Neuf mois après, premier bilan du plan gouvernemental " Agir contre la fraude ".
La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
La parole est à M. Franck Allisio.
M. Franck Allisio (RN)
Quatre-vingts milliards d'euros : voici peu ou prou l'estimation la plus prudente du coût annuel total de la fraude. Ce n'est rien de moins que la moitié de notre déficit public, une fois et demie le budget de l'éducation nationale, deux fois celui de nos armées et cinq fois celui alloué à la sécurité. C'est surtout le coût de l'inaction des gouvernements qui se sont succédé sans jamais s'attaquer de front au problème.
Comme pour tant d'autres sujets, nous avons été les premiers, avec Marine Le Pen, à alerter sur ce scandale. En avril 2023, j'ai ainsi déposé, avec l'ensemble des députés du Rassemblement National, une proposition de loi ambitieuse dont les vingt-et-un articles visent à jeter les bases d'un vrai projet de lutte contre la fraude sous toutes ses formes.
Quelques semaines plus tard, et après six années d'inaction sur le sujet, le Gouvernement, par la voix de M. Attal, alors ministre délégué chargé des comptes publics, présentait en réponse – et en grande pompe – un plan d'action.
Neuf mois plus tard, le plan de lutte contre la fraude fiscale, dit plan Attal, semble n'avoir débouché sur rien de consistant : quelques mesurettes administratives, une poignée d'articles bien insuffisants dans le projet de loi de finances pour 2024 et une stagnation du budget des douanes. En éternels grands diseurs mais petits faiseurs, les macronistes et leur montagne de com' ont accouché d'une souris.
Rien n'a été fait concernant les rapatriements de bénéfices au sein de l'Union européenne ou dans les paradis fiscaux ; rien concernant les arbitrages de dividendes ; rien concernant la mise en place d'une évaluation annuelle de la fraude ; aucune nouvelle non plus du groupe d'étude sur la fusion de la carte Vitale et de la carte d'identité.
Aussi, ma question sera simple : avez-vous véritablement la détermination, le courage, et – disons-le – la compétence nécessaire pour vous attaquer efficacement à la fraude ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
En mai 2023, nous avons annoncé un plan de lutte contre toutes les fraudes – fiscale, douanière ou sociale. Ce plan comporte trente-six mesures ; 72% d'entre elles ont déjà été mises en oeuvre. Elles figurent dans un certain nombre de textes, notamment dans la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale.
De plus, seize mesures réglementaires ont été prises et quatorze mesures qui ne requéraient pas d'évolutions législatives ont été mises en oeuvre. Les avancées sont très importantes : délit de mise à disposition de schémas frauduleux, renforcement de l'encadrement des prix de transfert, décret de mise en oeuvre de la solidarité à la source, et renforcement des moyens au sein de la direction générale des finances publiques (DGFIP) et des caisses de sécurité sociale.
Ce plan, très ambitieux, reprend parfois des propositions que vous aviez présentées dans votre proposition de loi. Toutefois, je note qu'au moment de l'examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), vous avez déposé très peu d'amendements sur les textes relatifs à la lutte contre la fraude – trois amendements, pour être précis.
M. Jocelyn Dessigny
49.3 !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Afin d'éviter les chiffres fantaisistes, j'ai installé le Conseil d'évaluation des fraudes, qui nous permettra d'avoir progressivement une idée plus précise du montant de la fraude. Grâce à l'Insee, on connaît le montant de la fraude à la TVA, estimé entre 20 et 30 milliards d'euros. J'ai souhaité que nous ayons des chiffres robustes et solides sur l'ensemble des grandes impositions, mais aussi sur la question de la fraude sociale. Ainsi le débat sera-t-il équilibré et éclairé.
Enfin, s'agissant de la carte Vitale et de la carte d'identité, le travail se poursuit. Une mission de l'Inspection générale des finances (IGF) a été lancée ; elle rendra ses conclusions dans quelques semaines.
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Ménagé.
M. Thomas Ménagé (RN)
Plus d'un million de retraités vivent aujourd'hui à l'étranger tout en bénéficiant d'une pension servie par le système social français. Quelque 485 000 d'entre eux résident hors de l'Union européenne, dont la majorité – 340 000 retraités – vivent en Algérie.
Ces retraités ne sont soumis qu'à l'envoi annuel d'un certificat de vie, mis en place par la loi de finances pour 2013. Celui-ci est établi par les autorités locales, malheureusement trop souvent corrompues, comme nous le savons.
En mars dernier, mon collègue Bryan Masson vous avait déjà alerté sur le coût de cette fraude, estimée entre 200 millions et 1 milliard d'euros, pour les finances publiques. Mon collègue Franck Allisio l'a rappelé : courant déjà à l'époque derrière le Rassemblement National, votre prédécesseur Gabriel Attal – aujourd'hui Premier ministre – avait repris ce thème dans son plan de lutte contre la fraude, au point 18, afin de « lutter contre la non-déclaration des décès à l'étranger pour suspendre le versement de pensions de retraite indues ».
Cette mesure engage la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) à vérifier les dossiers des assurés âgés de plus de 85 ans dans les pays où il n'existe pas d'échanges d'état civil. Cela représente environ 25 000 cas. La mesure avait déjà été expérimentée en 2022, et sur les 1 000 retraités convoqués pour l'Algérie, un tiers des dossiers contrôlés s'étaient révélés non conformes.
Ma première question est donc simple : neuf mois après, quel bilan chiffré pouvez-vous nous fournir ? Je pense à la fois au coût de déploiement des procédures de contrôle, mais aussi aux bénéfices de ces opérations pour les comptes publics. Nous demandons des chiffres, car nous refusons que les Français soient une fois de plus victimes d'une opération de communication coûteuse orchestrée par le Gouvernement sans aucun résultat concret.
Marine Le Pen et le Rassemblement national proposent une solution simple : que tous les retraités vivant à l'étranger se présentent physiquement, une fois par an, devant une autorité consulaire française. C'est simple, efficace et économe.
Au-delà de la question du dispositif que vous avez mis en place et de l'intérêt qu'il représente aujourd'hui pour nos comptes, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous refusez la proposition du Rassemblement national, qui est une mesure de bon sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Chaque année, la Cnav verse plus de 150 milliards d'euros de prestations, notamment de pensions de retraite et de réversion. Compte tenu des montants en jeu, la lutte contre la fraude fait bien partie des priorités fixées à la Cnav.
Les actions de lutte contre la fraude concernent en particulier la détection des fausses déclarations de ressources. Des actions sont également prévues concernant les retraites versées à l'étranger, qui semblent vous préoccuper. Je rappelle qu'elles ne concernent qu'une petite proportion – moins de 3% – des retraités et ne représentent que 3,9 milliards d'euros.
M. Jocelyn Dessigny
C'est déjà trop !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Le dispositif prévu dans ce cas dépend du pays dans lequel vivent les retraités. Près de la moitié des retraites versées à l'étranger le sont dans les pays de l'Union européenne ; nous avons avec eux des accords d'échange d'état civil qui garantissent la bonne information en cas de décès à l'étranger. Dans les pays hors Union européenne, les retraités doivent produire chaque année une attestation d'existence dûment complétée par un officier d'état civil du pays de résidence.
M. Thomas Ménagé
Certaines attestations sont fausses !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
En complément, il existe des contrôles ciblés sur place, conduits chaque année dans les situations considérées comme à risque, c'est-à-dire auprès des assurés les plus âgés. Ces contrôles sur place peuvent être effectués avec l'appui de tiers de confiance locaux. Par exemple, au Maroc, les assurés sont convoqués au guichet de la Caisse marocaine des retraites ; et en Algérie, la Cnav expérimente des convocations auprès d'un tiers de confiance bancaire, la Bred. Avant d'être étendus à d'autres publics comme les retraités moins âgés, ces dispositifs doivent faire l'objet d'une évaluation. Enfin, des contrôles peuvent également être effectués par des agents consulaires – c'est notamment le cas en Algérie.
M. Grégoire de Fournas
Ben non !
Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny (RN)
La France est au deuxième rang des pays où la pression fiscale est la plus forte. Les contribuables français vous donnent tout – ou plutôt, vous leur prenez tout.
Quand Marine Le Pen dit que " la voie la plus efficace pour augmenter les budgets publics, c'est de lutter contre la fraude ", vous répétez que vous voulez " miser sur le plan de lutte contre la fraude pour aller chercher les 10 milliards de recettes supplémentaires que le Gouvernement vient d'annoncer ".
Monsieur le ministre, je vous offre la solution : luttez contre le blanchiment d'argent issu du trafic de stupéfiants ! Cette économie parallèle transforme peu à peu notre pays en un " narco-État ". Chaque année, cela représente 3,1 milliards d'euros de consommation de drogue et 8,8 milliards d'euros de coût social. Sur le terrain, sans l'aide de l'État, nos maires sont impuissants et réduits à faire du harcèlement administratif.
Pendant ce temps-là, vos services de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), dont l'activité principale est la répression des fraudes, ne sont pas au rendez-vous. Dans l'Aisne, leur action se résume à entraver l'activité des agriculteurs et des éleveurs, qui doivent patienter plus d'un an pour obtenir des autorisations, et à harceler les PME jusqu'à la liquidation – je pense à Madame Marchand à Bézu-Saint-Germain.
Monsieur le ministre, quand je parle de harcèlement, ce ne sont pas mes mots, mais ceux du cabinet de votre collègue, Mme Grégoire, qui reconnaît son impuissance face aux dérives de ce service préfectoral.
Passé les effets d'annonce, on ne peut que constater votre inaction. Les économies que vous voulez réaliser, elles sont là : 11,3 milliards d'euros vous échappent chaque année parce que votre gouvernement n'a pas le courage d'aller les chercher là où ils sont ! Mais n'ayez crainte : en 2027, avec Marine Le Pen, nous ferons ce que vous n'osez pas faire et nous redresserons la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Sébastien Delogu
Vous ne ferez rien du tout !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Votre intervention mélange de nombreux sujets, à commencer par le redressement de nos finances publiques. Vous le savez, je suis très attaché à ce que celles-ci soient gérées avec sérieux. Je ne peux donc souscrire aux mesures fiscales que vous proposez régulièrement dans l'hémicycle, comme l'exonération d'impôt sur le revenu de tous les jeunes de moins de 30 ans, qui grèverait considérablement nos recettes fiscales – même si j'imagine que Kylian Mbappé vous en remercierait chaudement.
M. Jocelyn Dessigny
On parle de trafic de drogue, monsieur le ministre !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
En matière de gestion des finances publiques, je vous renvoie donc aux très nombreuses incohérences de vos propres propositions.
Nous ne vous avons évidemment pas attendu pour lutter contre les stupéfiants. En mars, je présenterai d'ailleurs au nom du Gouvernement un nouveau plan de lutte contre les stupéfiants, qui prévoit notamment la mobilisation de douaniers, car nous savons qu'il existe un risque particulier au niveau des ports, points d'entrée de la cocaïne sur le continent européen – un constat qui vaut pour les ports du nord de l'Europe, mais aussi pour un certain nombre de ports français. J'ai donc décidé de renforcer progressivement les effectifs de douaniers, mais aussi le nombre d'équipements, comme les scanners – en particulier les scanners mobiles –, dans tous les ports exposés au risque de « tsunami blanc », comme certains l'appellent. La solution pour éviter que les stupéfiants arrivent sur notre territoire, c'est d'arrêter le trafic à la source.
Pour renforcer notre efficacité, nous devons par ailleurs renforcer le renseignement et étendre l'activité de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) au domaine fiscal. Cela passe par la création d'une unité de renseignement fiscal qui sera hébergée avec les équipes de la douane.
L'objectif du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques est bien de lutter contre tous les trafics : c'est une exigence de gestion des finances publiques autant que de protection de la cohésion sociale face à ceux qui l'abîment.
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Guiniot.
M. Michel Guiniot (RN)
Dans la feuille de route du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques de mai 2023, M. Gabriel Attal, alors ministre délégué chargé des comptes publics, prenait l'engagement d'harmoniser à neuf mois par an la durée de résidence en France conditionnant l'accès aux prestations sociales – à l'exception des pensions. Cette mesure devait être intégrée au PLFSS pour 2024, qui n'en a pas fait mention. Dans le cadre du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, vous vous êtes même clairement refusés à conditionner le versement de certaines prestations sociales non contributives à une durée de résidence en France.
Aux dernières nouvelles, M. Attal, qui a défini cette feuille de route, est désormais chargé de la politique du Gouvernement. Pourquoi donc cette mesure – et toutes les autres – ne sont-elles pas encore appliquées ? Qu'attendez-vous pour régler ce problème ? Que l'argent du contribuable français ait été dilapidé par négligence ? Vous en connaissez pourtant les conséquences : en 2022, par exemple, la fraude était estimée à 71 millions d'euros pour la seule branche famille. À l'heure où le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique annonce des coupes dans les aides aux Français pour maintenir les comptes à l'équilibre, qu'attendez-vous pour couper les aides aux étrangers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Rassurez-vous, monsieur le député : les engagements pris par Gabriel Attal lorsqu'il était ministre délégué chargé des comptes publics seront bel et bien tenus. Nous allons effectivement harmoniser à neuf mois par an la durée de résidence en France conditionnant l'accès aux prestations sociales. C'est déjà le cas pour le RSA et l'allocation aux adultes handicapés (AAH), et nous allons étendre la règle aux prestations familiales. Cette mesure, qui complétera le dispositif, sera prise par décret dans les prochaines semaines, ce qui explique qu'elle ne figure pas dans les textes législatifs récemment débattus.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Delogu.
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES)
Il faut reconnaître un mérite à votre plan de lutte contre la fraude : à force de répétition, il envoie aux tricheurs un message clair : avec un peu de patience et le bon ministre, ce qui était intolérable hier sera légal demain. Pour Macron,…
M. Romain Daubié
Le président Macron ! Un peu de respect !
M. Sébastien Delogu
…lutter contre la fraude revient à la légaliser.
On n'a aucune peine à s'imaginer la joie des marchands de sommeil marseillais cet été, lorsque leurs logements, jusqu'alors considérés comme indignes, sont devenus dignes d'un coup de baguette magique – un discret changement de la hauteur légale sous plafond, abaissée à 1,80 mètre. Les propriétaires véreux et sans scrupule vous remercient d'autant plus qu'à peine arrivé, votre gouvernement leur a fait un nouveau cadeau : en changeant tout aussi discrètement la méthode de calcul du diagnostic de performance énergétique (DPE), il leur a permis de remettre sur le marché leurs passoires thermiques, où les locataires se gèlent l'hiver et étouffent l'été.
Comme l'a dit Lacordaire, " entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. "
M. Romain Daubié
N'importe quoi !
M. Sébastien Delogu
Avec le nouveau ministre délégué chargé du logement, qui a voté main dans la main avec le Rassemblement national la loi qui porte son nom, la priorité est claire : la rentabilité financière avant les plus précaires. Car l'objectif premier des lois que vous supprimez est bien de protéger les plus démunis contre les violences de votre infernal modèle de société. Vous n'agissez pas contre la fraude, vous la légalisez ! Cette méthode est la marque de fabrique de votre famille politique, qui a déjà déroulé le tapis rouge à Uber, cette entreprise qui a érigé le mépris de nos lois en stratégie commerciale sans jamais être inquiétée et a désormais ses entrées à l'Élysée.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : quand cesserez-vous de faire semblant d'agir contre la fraude et de gracier des fraudeurs, pour protéger celles et ceux qui en sont les principales victimes – les plus faibles, les plus précaires et les plus démunis, comme toujours ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Comme je l'ai déjà rappelé, plus de 70% des mesures du plan présenté en mai 2023 ont déjà été prises – c'est dire s'il n'est pas resté lettre morte. Textes financiers, décrets, nous faisons feu de tout bois pour lutter contre la fraude aux aides publiques. Par exemple, nous avons renforcé le contrôle des bénéficiaires des aides à la rénovation énergétique et créé un régime de sanctions administratives pour punir les abus.
Une des difficultés de la lutte contre la fraude aux aides publiques tient à son caractère interministériel : elle nécessite la coopération de différents ministères et administrations, raison pour laquelle nous avons créé une cellule de veille interministérielle antifraude aux aides publiques. En mai, l'Office national antifraude (Onaf) sera opérationnel et permettra de lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques. Vous le voyez, avec les trente-cinq mesures du plan, nous resserrons donc les mailles du filet comme jamais auparavant.
Conformément à l'engagement pris par Gabriel Attal lorsqu'il était ministre délégué chargé des comptes publics, nous allons également augmenter de 25% le contrôle fiscal des plus fortunés, et les autres mesures du plan entreront progressivement en application. Entre autres choses, nous nous assurerons que les personnes qui travaillent pour les plateformes bénéficient bien du régime de protection sociale auquel elles ont droit, notamment en retenant à la source leurs cotisations sociales – une mesure qui figure dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 et dont l'inexistence privait jusqu'à présent les micro-entrepreneurs ayant recours à des plateformes numériques d'une partie des droits auxquels ils devraient pouvoir prétendre.
J'espère que la liste des mesures que nous prenons pour lutter contre tous les types de fraude vous aura rassuré.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Fernandes.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES)
En mai 2023, le Gouvernement présentait un plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière. Parmi les mesures annoncées figurait la création, d'ici à 2027, de 1 500 équivalents temps plein (ETP) pour soutenir le contrôle fiscal et la lutte contre la fraude fiscale. Alors que plus de 2 000 emplois dans le contrôle fiscal ont été supprimés ces dix dernières années, ces moyens sont très insuffisants pour lutter efficacement contre l'évasion fiscale, d'autant qu'une partie des 1 500 postes annoncés correspond en réalité à un redéploiement des ressources et non à une création nette d'emplois.
Dans son rapport annuel consacré à la lutte contre l'évasion fiscale, la rapporteure spéciale Charlotte Leduc recommande l'embauche de 4 000 agents d'ici à 2027. Alors qu'il faudrait réellement et résolument déployer les moyens humains nécessaires pour lutter contre la fraude – notamment l'évasion fiscale, puisque ce sont entre 80 et 100 milliards d'euros qui échappent ainsi chaque année aux finances publiques –, le Gouvernement vient de publier un décret prévoyant une baisse de 10 milliards d'euros des dépenses, qui s'ajoute aux 18 milliards d'euros de coupes budgétaires déjà prévus dans la dernière loi de finances, adoptée grâce au 49.3. Cette nouvelle saignée de 10 milliards achèvera la destruction de nos services publics et mettra encore un peu plus à mal le droit au logement et notre capacité à atteindre des objectifs pourtant urgentissimes en matière d'écologie.
En 2022, les montants recouvrés par Bercy dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale s'élevaient à 14,6 milliards d'euros. En 2023, malgré ce grand plan pour agir contre la fraude, 11 milliards seulement sont revenus dans les caisses de l'État, soit 20% de moins que l'année précédente. Le Gouvernement pourrait faire le choix de la justice fiscale et sociale en consacrant réellement des moyens à la lutte contre l'évasion fiscale – car ces moyens existent ; mais Emmanuel Macron choisit l'austérité, la poursuite de la destruction des services publics et l'inaction climatique. Jusqu'à quel point continuerez-vous de martyriser le pays en refusant un juste partage des richesses ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Je vais rebondir sur la fin de votre intervention : il est difficile d'entendre parler d'austérité…
M. Emmanuel Fernandes
Ah bon ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
…quand on sait que les dépenses de l'État, qui ont augmenté de plus de 25% entre 2019 et 2023, représentent entre 56% et 58% du PIB ! Renforcement des effectifs des policiers et du nombre de magistrats, poursuite du dédoublement des classes, création de groupes de niveaux dans les établissements scolaires, renforcement des moyens de l'éducation nationale : je n'ai pas vraiment l'impression que l'on impose une cure d'austérité, c'est-à-dire une fermeture des services publics associée à une augmentation des impôts – ou alors nous n'avons pas la même définition de l'austérité, mais c'est un autre débat.
M. Sébastien Delogu
10 milliards d'économies, tout de même !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
S'agissant de notre action climatique, jamais on n'a autant investi pour la transition écologique, dont le budget a été augmenté de 8 milliards d'euros. Même s'il est vrai que l'augmentation aurait été de plus de 10 milliards sans les annulations de crédits annoncés cette semaine, ce montant reste tout à fait historique.
S'agissant enfin des moyens humains, 1 500 ETP supplémentaires seront créés au sein de la DGFIP et affectés à la lutte contre la fraude fiscale – dont 350 dès cette année –, et 1 000 ETP supplémentaires renforceront les équipes des caisses de sécurité sociale d'ici à la fin du quinquennat. Mais les moyens humains ne suffisent pas : les agents ont besoin d'outils pour agir. Nous avons donc créé des outils de contrôle des prix de transfert pour lutter contre la fraude des entreprises, ou encore l'injonction numérique, qui renforce les moyens de contrôle des plateformes de commerce en ligne. Nous avons également créé de nouvelles sanctions. Comme vous le constatez, nous avons donc à la fois renforcé les moyens humains et les outils à leur disposition.
Mme la présidente
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel (LR)
Au printemps 2023, M. Attal, alors ministre délégué chargé des comptes publics, présentait un plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques. La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, que j'ai eu l'honneur de présider en 2020, a permis de révéler que 73,7 millions de personnes étaient bénéficiaires de prestations sociales françaises, alors que notre pays ne compte que 67 millions d'habitants. Une révélation confirmée par la Cour des comptes en septembre de la même année, dans un rapport qui nous apprenait que la sécurité sociale prenait en charge 75,3 millions d'assurés sociaux.
Il y a moins d'un an, l'IGF et l'inspection générale des affaires sociales (Igas) rendaient un nouveau rapport, dont la lecture est édifiante et la conclusion particulièrement inquiétante : avec 73,1 millions de bénéficiaires de la seule assurance maladie et déduction faite des cas considérés comme légitimes, " il demeurerait un stock d'assurés sociaux non-résidents de plus de 4 millions de personnes ". Et l'IGF d'ajouter : " Dans le cadre de la lutte contre la fraude, la question de l'affiliation et de la radiation des assurés sociaux […] est prioritaire. "
Ma question est donc très simple : pourquoi la remise à plat du fichier des assurés sociaux, pour en sortir au moins 4 millions d'individus pris en charge à tort, ne figure-t-elle pas dans les priorités du Gouvernement, alors que l'alerte a été lancée par des magistrats, une commission d'enquête et l'IGF ? Que comptez-vous faire pour effectuer en urgence ce travail de lutte contre la fraude qui devrait être la priorité du Gouvernement ? Vous n'avez pas écouté le juge Charles Prats, vous n'avez pas écouté la commission d'enquête que je présidais ; allez-vous enfin écouter votre inspection, l'IGF ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Nous écoutons les parlementaires et nous tenons également compte des rapports d'inspection qui nous sont remis pour améliorer sans cesse les dispositifs de lutte contre toutes les fraudes, sociale – je connais votre intérêt pour cette question – mais aussi fiscale et douanière. La fraude liée à l'utilisation de la carte Vitale revient régulièrement dans le débat public : il existerait un grand nombre de cartes surnuméraires, qui se baladeraient dans la nature. C'était vrai il y a quelques années : on a compté jusqu'à un peu plus de 2 millions de cartes Vitale dites excédentaires. Progressivement, cet excédent a été réduit, pour atteindre le chiffre de trente-six au 31 décembre 2023, grâce au travail de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). Ce problème a donc été pris en charge et résolu.
En revanche, il reste à étudier les conditions dans lesquelles on pourrait rapprocher la carte Vitale de la carte nationale d'identité, dans le sens que vous avez indiqué. Cette piste avait été évoquée par mon prédécesseur Gabriel Attal. Là encore, l'IGF a été saisie d'une mission sur ce sujet et nous remettra dans les toutes prochaines semaines ses recommandations pour voir dans quelles conditions et avec quels avantages il serait possible de mener à bien cette fusion. Enfin, la solidarité à la source, avec le montant net social qui figurera sur les fiches de paie et le préremplissage des formulaires de demandes d'allocations avec les ressources des allocataires, permettra à la fois de simplifier les demandes et de mieux lutter contre la fraude aux allocations sociales.
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Pauget.
M. Éric Pauget (LR)
" Rendre aux Français l'argent de la fraude, tel est l'objectif du plan de lutte contre toutes les fraudes ", nous disait Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics. Et il nous promettait un saut qualitatif et quantitatif dans ce domaine. On ne peut se satisfaire d'une sémantique grandiloquente : le dire doit s'accompagner du faire ! Ce principe doit s'appliquer aux fraudes aux prestations sociales, cet impôt dissimulé pour les Français qui travaillent, dont le montant global a été estimé à 43 milliards par le rapport de la commission d'enquête.
Nous devons aller au-delà de la lutte contre la fraude aux prestations sociales soumises à condition de résidence sur le territoire français. Nous devons également agir particulièrement contre la fraude aux prestations de retraite françaises versées, elles, à l'étranger.
Mme Christine Arrighi
Et les paradis fiscaux ?
M. Éric Pauget
En 2017 déjà, grâce à la mobilisation de Contribuables Associés, le rapport de la Cour des comptes nous alertait sur de probables dérives, en estimant la fraude annuelle à environ 200 millions d'euros versés à 53 604 bénéficiaires – notamment en Algérie, au Portugal, en Espagne, au Maroc et en Italie – dont l'identité n'est pas toujours formellement établie. Les enjeux financiers liés au versement de ces pensions demeurent encore largement sous-estimés. Le risque de fraude reste bien plus élevé à l'étranger qu'en France, faute d'échanges automatiques d'état civil avec nombre de pays extra-européens.
Une telle situation de nos pensions de retraite doit appeler à une plus grande vigilance, qui passe concrètement par un renforcement du contrôle de la régularité du certificat d'existence des allocataires et par une vérification physique constatée par un officier d'état civil français présent dans nos ambassades et consulats à l'étranger. Un simple décret le permettrait. Ces mesures de bon sens sont à même de lever les éventuels doutes quant à l'identité et à l'âge des bénéficiaires. Monsieur le ministre, pouvez-vous informer la représentation nationale quant à l'ampleur de cette fraude aux prestations de retraite françaises perçues à l'étranger ? Allez-vous faire vôtre ma proposition de renforcer, par des outils de lutte plus efficaces, les contrôles de l'identité des bénéficiaires ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Monsieur le ministre…
M. Yannick Neuder
Bientôt, bientôt !
M. Éric Pauget
Votre prédécesseur m'avait appelé « monsieur le Premier ministre »…
M. Christophe Blanchet
Ministre Pauget, à la barre !
M. Patrick Hetzel
Vous êtes visionnaire !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Pas encore ! (Sourires) La Cnav verse chaque année plus de 150 milliards d'euros de prestations, dont 3 % correspondent au versement de retraites à des personnes résidant à l'étranger. La situation est très différente selon qu'il s'agit de pays européens ou non européens. S'agissant des premiers, des mécanismes d'échange de données et de coopération entre états civils nous permettent d'être automatiquement informés du décès du bénéficiaire de la pension de retraite et de cesser aussitôt son versement.
S'agissant des pays hors Union européenne, les retraités doivent produire chaque année une attestation d'existence dûment complétée par un officier d'état civil du pays de résidence. Là encore, le dispositif de contrôle se renforce, par des enquêtes et des contrôles effectués sur place, visant les assurés à risque – pardonnez-moi cette expression –, c'est-à-dire les plus âgés. Au Maroc, des assurés sont convoqués au guichet de la Caisse marocaine des retraites. En Algérie, on s'appuie sur un tiers bancaire de confiance, la Bred. Depuis 2022, des agents consulaires ont ainsi convoqué 1 083 personnes qui ont reçu un courrier les invitant à se déplacer. 35% ne sont pas venues et le paiement de leur pension a alors été immédiatement arrêté. Nous avons pour objectif de contrôler effectivement la totalité des dossiers des assurés de plus de 85 ans d'ici à 2027.
M. Christophe Blanchet
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Neuder.
M. Yannick Neuder (LR)
Nous voilà au terme de neuf mois d'application du plan gouvernemental de lutte contre la fraude. Sans surprise, je vais vous parler de la fraude à l'assurance maladie, estimée à plus de 4 milliards d'euros, qui marque une rupture du pacte social et du principe de solidarité dans notre pays. Au sein de celle-ci, on distingue une pratique qui met en péril la confiance de nos concitoyens dans l'équité de notre système de santé : la fraude aux cartes Vitale. Pour rappel, un rapport commandé par le Premier ministre en 2020 avait révélé un surnombre de plus de 5 millions de cartes Vitale.
La mesure 17 du plan gouvernemental évoque l'étude de " la mise en oeuvre d'un rapprochement entre la carte nationale d'identité et la carte Vitale " pour mieux identifier et limiter les fraudes. Au terme de ces neuf mois d'étude, pouvez-vous nous dire où en sont vos réflexions ? L'effet d'annonce va-t-il enfin se concrétiser, comme nous le demandons depuis des années ? Avec Les Républicains, nous ne cessons de dire qu'il est devenu insupportable dans ce pays que les Français de bonne foi paient pour ceux qui fraudent.
Mme Christine Arrighi
Arrêtez de vous faire les porte-voix du Rassemblement national !
M. Yannick Neuder
Nous estimons aussi que la réalisation de vos objectifs d'économies devrait d'abord passer par un courage politique beaucoup plus fort contre la fraude sociale, plutôt que par une augmentation du prix des médicaments pour tous les Français, comme vous avez prévu de le faire à partir de la fin du mois de mars. Sans mauvais jeu de mots au regard des chiffres de la fraude, vous auriez dû faire preuve de plus de franchise…
Par ailleurs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui soutient cette mesure 17, reste toutefois prudente et préconise une disposition qui permette à l'assuré de s'opposer à l'inscription de son numéro d'assuré sur son titre d'identité. Cela rendrait cette mesure complètement inefficace dans la lutte contre les fraudes. Quelle est donc la position du Gouvernement face à cette préconisation ? Autrement dit, si la mesure entrait en vigueur, la rendriez-vous obligatoire pour tous les assurés ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Vous soulevez une question importante, celle des risques de fraude à l'assurance maladie par l'utilisation de la carte Vitale. Le problème massif des cartes Vitale dites surnuméraires a été traité. On estimait leur nombre à 2 millions en 2018. Grâce à l'action de la Cnam, le stock des cartes surnuméraires a été totalement réduit, puisqu'on n'en dénombrait plus que trente-six au 31 décembre 2023. On devrait se féliciter que ce problème ait été réglé. Pour aller plus loin, une mission a été confiée à l'IGF, visant au rapprochement de la carte Vitale et de la carte nationale d'identité. Ce serait d'abord une mesure de simplification, et probablement un moyen de mieux lutter contre un des principaux risques pour l'assurance maladie, celui d'usurpation d'identité. Le rapport de l'IGF permettra d'éclairer les conditions dans lesquelles ce rapprochement est possible. (M. Christophe Blanchet applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Blanchet.
M. Christophe Blanchet (Dem)
Je veux vous parler d'une fraude qui n'a pas encore été évoquée et qui pourrait rapporter 10 milliards de recettes – le chiffre est à la mode – si on y mettait fin. La contrefaçon répond exactement à la définition de la fraude : " acte malhonnête commis dans l'intention de tromper ". Le rapport que j'ai rédigé avec mon collègue Kevin Mauvieux indique que la contrefaçon coûte effectivement 10 milliards d'euros, représente 26 000 emplois détruits en France et entraîne surtout des conséquences indirectes. Un enfant qui achète une contrefaçon de carte Pokémon peut finir à l'hôpital car son encre contient du mercure ; une batterie de voiture ou la guirlande d'un sapin de Noël peut prendre feu. Aujourd'hui, les médicaments représentent le deuxième produit le plus contrefait en France : leur utilisation entraîne une hausse des hospitalisations.
Il faut donc des actes forts. Que prévoyez-vous, monsieur le ministre ? La France est vice-championne du monde pour la consommation de contrefaçon alors qu'elle était sixième il y a dix ans. À quand une grande campagne de communication pour informer, responsabiliser et sensibiliser les consommateurs sur les risques qu'ils prennent en achetant de la contrefaçon ? À quand une évolution des lois ? Lors de la précédente législature, j'avais présenté et fait adopter par notre assemblée une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon ; elle est aujourd'hui au Sénat. À quand un renforcement de la lutte contre le tabac contrefait, qui représente aujourd'hui 3 milliards d'euros – autant que le marché de la drogue ? Mettons le paquet pour lutter contre la contrefaçon, notamment du tabac, comme nous l'avons fait pour lutter contre la drogue ! J'ai rédigé une proposition de loi visant à instaurer une traçabilité du tabac transformé importé en France, car un tabac tracé empêchera de fabriquer des cigarettes contrefaites. Quelle est votre position à cet égard, monsieur le ministre ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Monsieur le député, permettez-moi de saluer votre implication dans la lutte contre la contrefaçon depuis de nombreuses années, dans vos fonctions de député mais aussi de président du comité national anti-contrefaçon. Je vous sais à la pointe sur ce sujet, car vous m'avez régulièrement alerté. C'est un combat qui vous tient à coeur et que je partage avec vous. La contrefaçon, c'est la triple peine. Pour les entreprises, dont les droits sont bafoués. Pour les finances publiques, puisque ce sont des recettes fiscales en moins. Pour les consommateurs, qui achètent des produits de moindre qualité et peuvent ainsi se mettre en danger – vous avez cité l'exemple des enfants.
La lutte contre la contrefaçon est donc une des priorités dans la mobilisation des services qui sont sous mon autorité, en particulier la direction générale des douanes. Je lui ai demandé d'élaborer un nouveau plan de lutte contre la contrefaçon, car il faut accélérer et aller plus loin, renforcer les moyens que l'on y consacre, concevoir de nouveaux outils et de nouvelles approches. J'aurai l'occasion de présenter prochainement ce plan et j'espère compter sur votre présence à mes côtés. L'objectif est d'aller au-delà de la seule saisie de la contrefaçon. Il faut remonter les filières, les réseaux criminels qui, à la manière des réseaux de stupéfiants, alimentent une criminalité bien organisée, se jouent de nous en installant sur le territoire national des ateliers d'assemblage, et que nous devons mieux traquer.
Enfin, je rappellerai que dans le plan de lutte contre toutes les fraudes, ainsi que dans les textes financiers adoptés dernièrement, figurent de nouveaux outils qui seront très utiles : l'injonction numérique, la lutte contre le drop shipping, le web scraping. Ce sont autant d'instruments qui aideront nos douaniers à mieux lutter contre la contrefaçon. Je vous remercie encore, monsieur le député, pour votre implication sur ce sujet.
M. Christophe Blanchet
Merci !
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Blanchet, pour une seconde question.
M. Christophe Blanchet (Dem)
Je rencontre, comme beaucoup de mes collègues, des présidents de tribunal de commerce. À Lisieux, ces derniers m'ont alerté sur le nombre de liquidations judiciaires et sur le fait que certaines personnes en sont coutumières. Le monde est imparfait, il y a de bons et de mauvais patrons, comme il y a de bons et de mauvais salariés. Ces mauvais patrons, qui procèdent de façon récurrente à des liquidations judiciaires après avoir monté une entreprise et sollicité des fonds, laissent une dette au terme de la liquidation, outre celle aux fournisseurs et aux clients : la dette sociale, contractée à l'égard de l'Urssaf. Or selon le tribunal de commerce de Lisieux, le montant de cette dernière est importante. Qu'en est-il au niveau national ? Il serait intéressant de connaître le montant de cette somme qui ne sera jamais recouvrée.
J'ai posé une question écrite à ce sujet au mois d'octobre, renouvelée le 30 janvier ; je n'ai toujours pas de réponse. Ma question concerne la valeur de la dette Urssaf non recouvrée à la suite de liquidations judiciaires d'entreprises. Cela constitue une fraude de la part de ces chefs d'entreprise voyous, qui pénalise l'honnêteté d'autres chefs d'entreprise, mais aussi nos comptes publics, puisque cette dette Urssaf ne sera jamais recouvrée. Quelles solutions entrevoyez-vous à cet égard ? Peut-on connaître le montant que cela représente en 2022 et 2023 ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Je partage votre agacement face à ces pratiques dignes de ceux qu'on pourrait qualifier de margoulins, qui organisent leur insolvabilité par des liquidations en série – chacun connaît quelques cas dans sa circonscription. Le plan contre les fraudes prévoit déjà une mesure importante, qui permet je crois d'y répondre : la production d'une attestation fiscale et sociale lors de la procédure de liquidation amiable. En cas de procédure liée à du travail dissimulé ou à un contrôle fiscal, l'Urssaf ou la DGFIP pourra bloquer la délivrance de l'attestation, et donc une procédure devant le tribunal de commerce, empêchant ainsi la liquidation. Un projet de décret a été élaboré ; il est en cours de concertation interministérielle et sera finalisé dans les prochains mois.
Avant d'envisager d'autres mesures, il convient de bien tester l'effet de cette dernière, qui est une disposition puissante et très utile pour répondre au problème que vous soulevez. D'autres mesures sont par ailleurs prévues dans les textes financiers, comme la solidarité du donneur d'ordre dans le cas où il ne remplirait pas son obligation de vigilance à l'égard de son sous-traitant, par exemple en matière de travail dissimulé – disposition qui figure dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Nous sommes résolus à cibler les personnes qui ont effectivement fraudé et à appliquer une juste sanction en cas de détournement des procédures de liquidation. Nous avons récemment avancé en matière de décharge de responsabilité solidaire, afin que des femmes qui se retrouvent comptables des dettes fiscales de leur époux – ce dernier ayant organisé sa propre insolvabilité – puissent en être déchargées. La proposition de loi d'Hubert Ott visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 18 janvier, notamment grâce au travail de la rapporteure Perrine Goulet. Je salue cette avancée extrêmement utile.
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
Mme Christine Pires Beaune (SOC)
Je souhaite aborder la question du renseignement fiscal. À l'occasion de mon rapport d'information sur les aviseurs fiscaux, déposé en juin 2019, j'avais auditionné l'ancien chef du service des investigations élargies (SIE) de la direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF), M. Jean-Patrick Martini. L'audition avait mis en évidence le retard français en matière de renseignement fiscal.
À la suite de l'expérimentation du dispositif des aviseurs fiscaux, Gérald Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics, soulignait le 22 août 2019, dans un entretien aux Échos, le besoin de structurer une mission de renseignement fiscal allant au-delà des techniques administratives habituelles. Cette volonté s'est traduite par la création d'une task force réalisée à moyens constants et qui, sans devenir un service à part entière, relève d'une coopération entre la DNEF, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.
Dans mon rapport d'information sur la mise en oeuvre des conclusions de la mission d'information relative aux aviseurs fiscaux, déposé en septembre 2021, j'ai émis de sérieuses réserves quant à cette coopération. En effet, la constitution de cette task force n'était pas pertinente, en raison des cultures administratives et des objectifs différents des services qui la composent. Les risques d'incompatibilité étaient trop importants. Face à l'échec anticipable – et anticipé – du dispositif, le Gouvernement a finalement annoncé, en mai 2023, la création d'une unité de renseignement fiscal. Conçue par un militaire de carrière, nouvellement inspecteur des finances, et qui – sauf erreur de ma part – n'a pas d'expérience en matière de contrôle fiscal, cette unité doit prendre place au sein de la DNRED, et être commanditée par la DNEF.
Or la DNRED est incompétente en matière de contrôle fiscal, et ne peut pas mener à bien les missions envisagées. Pour le dire simplement, les douaniers travaillent sur des flux physiques, alors que les montages fiscaux sont de nature intellectuelle, juridique, financière et comptable, donc immatériels. Autrement dit, les douaniers et la DGFIP ne font pas le même métier. Comment croire un instant à l'efficacité d'un dispositif atteint d'une insuffisance juridique atavique ? L'activité de ce service a-t-elle été réellement pensée par la DGFIP et le Gouvernement ? Est-il envisageable de placer ce nouveau service indispensable au sein de la DNEF ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Madame la députée, j'espère pouvoir vous rassurer. Je connais votre investissement sur ces sujets, et vous rappeliez nos échanges sur la généralisation des aviseurs fiscaux. S'agissant de la fraude fiscale, nous nous trouvons effectivement devant une difficulté, à la différence de la lutte contre les autres trafics, qui est de la responsabilité de la douane : nous ne disposons pas d'activité de renseignement. Or le renseignement est indispensable…
Mme Christine Pires Beaune
Tout à fait.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
…pour rendre la lutte contre la fraude fiscale plus efficace ; il peut par exemple être utilisé dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ou de tabac. Lors de la présentation du plan de lutte contre toutes les fraudes par Gabriel Attal, nous avons annoncé la création de cette unité de renseignement fiscal. Nous avons pris une option pragmatique. Nous nous appuyons sur les compétences opérationnelles de la DNRED – qui est la direction spécialisée, au sein de la douane, dans toutes les techniques de renseignement. Nous créons cette unité au sein de la DNRED, mais avec des équipes provenant de la DGFIP, qui se mettront au service de la lutte contre la fraude fiscale.
J'aurai, je l'espère, l'occasion d'échanger avec les parlementaires, notamment les commissions compétentes et la délégation parlementaire au renseignement, afin de bien expliquer ce dispositif. Il me semble très pragmatique, et il est nécessaire d'avancer rapidement. Nous verrons à l'usage s'il faut le faire évoluer du point de vue juridique, mais le plus important est de mobiliser rapidement les moyens de renseignement, aujourd'hui bien maîtrisés par la DNRED.
Mme la présidente
La parole est à M. Alain David.
M. Alain David (SOC)
Le temps passe vite. En mai dernier, l'actuel Premier ministre était ministre délégué chargé des comptes publics et lançait, à grand renfort médiatique, un plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière. Depuis, il a poursuivi sa politique, tout aussi inefficace, des coups de com' au ministère de l'éducation nationale. Mais la réalité est têtue et, neuf mois après le lancement de ce plan, les déceptions sont nombreuses. Outre le décret décevant de création de l'Onaf, de nombreuses autres mesures annoncées se révèlent éloignées des objectifs affichés en mai 2023.
Ceux-ci demeuraient très modestes, sachant que la fraude – qu'elle soit fiscale ou sociale – se double surtout de l'évasion fiscale, qui induit un manque à gagner, pour l'État et les collectivités locales, évalué entre 80 et 100 milliards d'euros. Il existe une véritable industrie du conseil en matière d'évasion, qui justifierait le délit d'incitation à la fraude fiscale, dont on attend encore – hélas – la création. De même, la lutte contre les paradis fiscaux reste bien molle, alors qu'ils demeurent le rouage essentiel de la mondialisation libérale d'une part, et de toutes les mafias d'autre part.
Ma question concerne donc les perspectives de création d'un véritable conseil d'évaluation, sur le modèle de ce qui existe aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qui mesurerait plus précisément le montant de la fraude et de l'évasion. Quel réarmement envisagez-vous en matière de ressources humaines, de moyens d'investigation et d'arsenal de sanctions ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Monsieur le député, je voudrais commencer par vous rassurer. Vous appelez de vos voeux la création d'un délit d'incitation à la fraude fiscale, or ce voeu a été exaucé dans la loi de finances pour 2024 ! Nous y avons créé ce délit.
M. Alain David
On ne l'a pas vu, il y avait le 49.3 !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Vous en avez eu connaissance, monsieur le député. Nous sommes même allés plus loin. Outre le délit d'incitation à la fraude fiscale, nous avons créé le délit de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale, visant précisément celles et ceux que vous dénoncez, qui vivent de ces montages fiscaux. Ce délit est désormais inscrit dans la loi.
M. Alain David
Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Ce délit a même été étendu au champ social par le délit d'incitation à la fraude sociale. Ces youtubeurs que vous avez pu voir, qui expliquent, de Miami à Dubaï, comment vivre sans travailler en touchant le RSA et qui vantent aux jeunes générations ce mode de vie comme un modèle magnifique, nous devons pouvoir les traquer. C'est chose faite grâce à ce délit d'incitation à la fraude sociale.
Par ailleurs, j'ai installé en octobre dernier le Conseil d'évaluation des fraudes (CEF). Je partage votre analyse selon laquelle nous avons besoin de mieux apprécier le montant global de la fraude fiscale, sociale et douanière. Nous disposons de certaines données, mais d'autres nous manquent. Nous avons réuni les administrations et les meilleurs experts, français – comme Gabriel Zucman ou Pascal Saint-Amans, qui a travaillé à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – et étrangers, afin de mieux évaluer la fraude, de l'inscrire dans le débat public et de se fixer des objectifs. Le but étant, à l'arrivée, d'être plus efficace. Ces éléments, monsieur le député, devraient permettre de vous rassurer.
Mme la présidente
La parole est à Mme Lise Magnier.
Mme Lise Magnier (HOR)
Ma question porte sur le dispositif MaPrimeRénov', qui permet de soutenir les nécessaires travaux de rénovation thermique des logements de nos concitoyens et qui a déjà accompagné plus d'un million et demi de Français. Il s'agit d'un dispositif utile, qui a fait ses preuves, même s'il fait régulièrement l'objet de modifications et d'adaptations. Le montant alloué à MaPrimeRénov' continuera d'augmenter en 2024, avec 600 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2023 – malgré le plan d'économies que nous soutenons –, pour atteindre un budget de 3 milliards d'euros. Je tenais à le saluer.
Comme tout dispositif qui rencontre un franc succès, MaPrimeRénov' fait cependant l'objet de nombreuses fraudes, des entreprises étant créées à cette seule fin. Les arnaques se multiplient en matière de rénovation thermique : cela va des fraudeurs qui se font faire de fausses factures pour toucher la prime de ménages qui n'en ont jamais fait la demande aux soi-disant artisans qui touchent la même prime sans réaliser de réels travaux, voire en réalisant des travaux qui dégradent le logement. Nos concitoyens se retrouvent alors dans des situations dramatiques. Selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le montant des fraudes repérées pour l'année 2021 est estimé à environ 92 millions d'euros, avec un dommage global sans doute beaucoup plus important. En 2022, 170 000 contrôles ont été effectués et ont donné lieu à des sanctions administratives ou pénales. Le niveau des contrôles a été maintenu en 2023, en raison de nouveaux schémas mis en place par les fraudeurs.
Monsieur le ministre, avez-vous des données précises sur les fraudes ayant eu lieu en 2023, quant au nombre de foyers concernés, aux montants détournés et à ceux d'ores et déjà récupérés ? Par ailleurs, pouvez-vous confirmer que le niveau des contrôles sera maintenu voire renforcé en 2024, et indiquer sous quelle forme ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Vous abordez, madame la députée, un sujet qui me tient particulièrement à coeur dans la mise en oeuvre du plan de lutte contre toutes les fraudes : celui de la fraude aux aides publiques. Elle concerne notamment les aides à la rénovation – vous avez rappelé les montants considérables que nous allouons à cette politique publique.
Avec Agnès Pannier-Runacher, nous avons présenté en novembre un plan visant à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude à la rénovation énergétique, qui a bien été constatée. Ce fut l'occasion de partager plusieurs chiffres, que je me permets de vous communiquer en réponse à votre question.
En 2023, nous avons identifié près de 300 mandataires potentiellement frauduleux – soit 5% du total – et impliqués dans l'exécution de MaPrimeRénov', pour un montant de primes de 100 millions d'euros. La même année, l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a procédé à plus d'une vingtaine de dépôts de plainte.
La lutte contre la fraude aux aides énergétiques constitue l'une des priorités de la cellule interministérielle que nous avons installée il y a quelques mois. En effet, ces aides mobilisent divers services de l'État et il arrive que les fraudeurs jouent de l'éclatement des responsabilités entre les uns et les autres.
J'ajoute que nous avons interdit le démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique, toujours afin d'assainir le secteur. Enfin, nous avons renforcé l'encadrement de l'activité de mandataire financier.
Je vous confirme que la pression sera maintenue et même accentuée, dans la mesure où nous allons continuer à augmenter les moyens de la DGCCRF sur cette mission. Vingt-quatre emplois supplémentaires seront dédiés à la lutte contre les fraudes aux aides énergétiques.
Enfin, je considère qu'en cas de signalement, qu'il vienne de Tracfin ou d'une autre entité, il faudrait pouvoir stopper immédiatement le versement des aides. Pour l'heure, la loi ne le permet pas et nous aurions besoin d'un véhicule législatif pour y remédier. C'est une difficulté à laquelle nous sommes confrontés et je crois que nous pourrions travailler ensemble pour améliorer les choses.
Mme la présidente
La parole est à Mme Lise Magnier, pour sa seconde question.
Mme Lise Magnier (HOR)
Je vous interroge cette fois au nom de mon collègue François Jolivet, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence, monsieur le ministre. Il fait partie des parlementaires qui ont travaillé avec votre prédécesseur, Gabriel Attal, sur les contours du plan contre toutes les fraudes fiscales, sociales et douanières. Je vous donne lecture de sa question.
Il est évidemment insupportable pour nos concitoyens de voir se développer des comportements frauduleux alors que les pouvoirs publics leur demandent des efforts – un Premier ministre ne parlait-il pas, il y a quinze ans, d'un État en faillite ? Nous continuons de danser sur un volcan et ce ne sont pas les idées économiques des uns ou des autres qui nous permettront de remonter la pente.
La crise du covid est passée par là et laisse un héritage budgétaire très lourd. À cet égard, je m'amuse toujours de celles et ceux qui considèrent que nous vivons dans un enfer ultralibéral, alors que la France a socialisé les salaires de millions de salariés et qu'elle a soutenu des centaines de milliers d'entreprises, préservant ainsi l'équilibre économique de nos territoires.
Ma question porte sur l'évaluation, par vos services, du montant et de la nature des fraudes au plan de relance. Collectivement, nous avons dépensé des milliards d'euros pour traverser ce choc historique. J'aimerais donc avoir une estimation du montant des crédits de France relance ayant été détournés et un état des lieux des procédures en cours pour les récupérer. Au moment où 10 milliards d'euros sont annulés dans le cadre du budget pour 2024, je souhaite m'assurer que des sommes importantes ne sont pas dans la nature. Je vous fais totalement confiance, monsieur le ministre, mais selon l'expression bien connue, la confiance n'exclut pas le contrôle.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Je vous remercie, madame Magnier, d'avoir posé cette question au nom de François Jolivet, dont je connais l'investissement sur ce sujet.
La fraude aux aides publiques constitue l'une de nos priorités. En ce qui concerne le plan de relance, précisons que nous luttons non seulement contre les fraudes aux aides publiques nationales, mais aussi européennes. En effet, on oublie parfois que 40 milliards d'euros proviennent de financements européens.
Il n'existe pas de dispositif de contrôle spécifique au plan de relance, car celui-ci est venu abonder des programmes existants : vous avez notamment cité les aides à la rénovation énergétique dans votre question, madame Magnier. En l'absence d'un mécanisme dédié, c'est donc dispositif par dispositif que nous procédons aux contrôles – contrôles que nous avons renforcés dans le cadre de la loi de finances pour 2024 avec la création d'un régime de sanctions administratives générales.
Par ailleurs, nous créons l'Office national antifraude, l'Onaf, ce qui nous permettra d'étendre les compétences du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), qu'il remplace et qui ne traitait que des questions fiscales et douanières. Lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques constitue à mes yeux une avancée très importante, d'autant plus que nous disposerons désormais d'un bras armé nous permettant d'aller beaucoup plus loin dans notre politique d'aides.
Enfin, je l'évoquais il y a quelques instants, j'estime qu'en cas de suspicion de fraude, nous devons être en mesure de couper immédiatement le versement des aides, qu'elles soient issues du plan de relance ou d'un autre dispositif. Pour cela, je répète que nous avons besoin d'une disposition législative, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Mme la présidente
La suite des questions est renvoyée à la prochaine séance.
(...)
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la suite du débat sur le thème : « Neuf mois après : premier bilan du plan "Agir contre la fraude". »
La parole est à Mme Christine Arrighi.
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES)
Devant la foule incroyable réunie dans l'hémicycle pour aborder un sujet pourtant essentiel, je me permettrai de rebaptiser ainsi notre débat : "Neuf mois après : premier et dernier bilan du plan Attal "Agir contre la fraude". "
On trouve bien peu de choses dans ce plan de lutte contre les fraudes fiscale, sociale et douanière qu'on nous annonçait à l'époque comme gigantesque. Il y a certes l'article de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane de nouveaux moyens d'agir face aux nouvelles menaces ; il réécrit l'article 60 du code des douanes, dont la censure par le Conseil constitutionnel empêchait les douaniers de continuer à travailler.
Pour le reste, le réseau Le Lierre, auquel participent des acteurs publics engagés pour la transition écologique – dont de hauts fonctionnaires de votre propre administration, monsieur le ministre –, s'apprête à publier une note consacrée aux finances publiques. Ces experts y pointent un cadre général « déconnecté des enjeux ».
Vous êtes à ce point déconnectés des enjeux que, parmi les 10 milliards de dépenses sur lesquelles vous êtes revenus par un simple décret, figurent en bonne place les dépenses en faveur de l'écologie, celles-là mêmes dont Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, dans leur rapport, soulignaient l'importance.
Lutter contre la fraude fiscale, c'est préserver les finances publiques consacrées à la transition écologique car frauder, " c'est spolier les Français qui contribuent honnêtement, c'est fragiliser nos services publics, c'est mettre en cause le pacte social. " – je reprends les mots d'Élisabeth Borne, alors Première ministre, prononcés ici le 6 juin 2023.
Nous découvrons que, dans le cadre de ce plan de lutte, Bercy a enfin installé – au bout de sept ans ! – une cellule chargée d'évaluer la fraude fiscale.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
Oui !
Mme Christine Arrighi
Jusqu'à récemment, vous vous contentiez des chiffres que donnaient les économistes, les journalistes ou les organisations syndicales, sans prendre la peine de réaliser vous-mêmes l'évaluation.
Vous me répondrez : « Aujourd'hui, nous agissons. ». Nous vous en félicitons, monsieur le ministre, mais il était temps !
Ma première question concerne la fraude aux cotisations sociales, régulièrement évoquée cet après-midi car les pertes qu'elle représente pour le budget de l'État sont estimées entre 8 et 11 milliards d'euros.
Cette fraude aux cotisations sociales – et non à la carte Vitale – est essentiellement le résultat de l'absence de déclaration de travail salarié et de la dissimulation, totale ou partielle, d'activité. Alors que le nombre d'entreprises créées, devant donc être contrôlées, est en hausse, les effectifs de contrôleurs et d'inspecteurs du travail diminuent – 1 952 en 2021 contre 2 192 en 2009. Qu'avez-vous l'intention de faire pour lutter contre cette fraude, devenue massive dans les entreprises ?
Ma deuxième question porte sur les cryptoactifs. Ceux-ci offrent un certain degré d'anonymat dans les transactions et l'opacité qui les entoure, plus ou moins grande selon l'actif concerné, peut permettre de contourner l'impôt. Quelles sont les stratégies du Gouvernement pour améliorer la transparence des cryptoactifs et lutter contre la fraude qu'ils peuvent faciliter ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics
Le plan lancé l'an dernier est massif et touche toutes les fraudes : fiscale, douanière – j'ai entendu votre préoccupation sur ce point – et sociale. Il s'intéresse aussi, ce qui est nouveau, à la fraude aux aides publiques – je pense notamment aux aides en faveur de la rénovation énergétique, un sujet auquel je vous sais sensible –, puisque nous avons créé un régime de sanctions spécifiques.
Nous avons déployé 72% des mesures ; quatorze mesures législatives, contenues dans la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sont déjà entrées en vigueur. D'autres mesures seront bientôt applicables : elles concernent les prix de transfert – que vous connaissez bien –, pénalisent la mise à disposition de schémas frauduleux, l'incitation à la fraude fiscale et l'incitation à la fraude sociale. La solidarité à la source, une mesure de simplification, permet aussi de sécuriser le versement des prestations sociales.
Enfin, les moyens humains sont renforcés, puisque 1 500 emplois supplémentaires, au sein du réseau de la direction générale des finances publiques (DGFIP), seront dédiés au contrôle fiscal et que 1 000 personnes de plus, au sein des caisses de sécurité sociale, se consacreront à la lutte contre la fraude.
Il convient donc de souligner ce bilan. En matière douanière, je ne peux pas vous laisser dire que nous n'avons rien fait !
M. Pierre Dharréville
Mais trop tard !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Pour la première fois depuis plus de soixante ans, une loi douanière a été adoptée, le 18 juillet 2023, grâce à cette majorité.
Mme Christine Arrighi
Non, vous avez simplement pris acte de la décision du Conseil constitutionnel ! Vous ne pouviez pas faire autrement !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
La loi de finances pour 2024 comporte également des mesures importantes : l'injonction numérique permet de déréférencer, sur les plateformes numériques, les marchands qui ne respectent pas la loi ; les sanctions sont aggravées pour mieux lutter contre la contrebande de tabac ; enfin, les agents des impôts peuvent mener des enquêtes sous pseudonyme et traquer ainsi les trafiquants sur internet et les réseaux sociaux.
Vous avez raison, nous avons lancé le Conseil d'évaluation des fraudes (CEF), qui réunit des personnels des administrations et des experts comme Gabriel Zucman ou Pascal Saint-Amans. Auparavant, en 2019, la Cour des comptes avait été saisie d'un rapport sur l'évaluation de la fraude aux prélèvements obligatoires. Même s'il reste encore beaucoup de choses à faire, nous avons agi.
L'arsenal dont nous disposons désormais permettra de resserrer les mailles du filet. C'est important car, je vous rejoins, ne pas garantir que les contribuables paient effectivement l'impôt, c'est donner un coup de canif à la cohésion sociale.
Mme Christine Arrighi
Vous ne m'avez répondu ni sur la fraude aux cotisations sociales ni sur les cryptoactifs !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Marc Tellier.
M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES)
En juillet dernier, Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics, nous avait gratifiés d'un énième coup de com' – désormais sa marque de fabrique – avec l'annonce du plan de lutte contre la fraude. Neuf mois plus tard, nous sommes bien en mal de déceler une quelconque avancée.
Alors que les effectifs de la DGFIP ont baissé de près de 2 000 équivalents temps plein (ETP) en moyenne par an ces dernières années et que ceux dévolus au contrôle fiscal ont baissé de 2 600 ETP depuis 2013, les 1 500 recrutements annoncés font bien pâle figure.
Au demeurant, nous nous interrogeons sur la cohérence entre cette annonce et la suppression de 250 ETP en 2024, 850 en 2026 et, de nouveau, 850 en 2027. La promesse des 1 500 postes sera-t-elle tenue ou s'agit-il d'un écran de fumée ? Quels services de la DGFIP subiront ces ajustements internes ?
En juillet, la création d'une cellule de renseignement a été également annoncée. Où en est-on ? Pourquoi l'avoir placée sous la tutelle de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), alors que cette dernière a été très affaiblie par le transfert de compétences en matière de recouvrement des taxes, un domaine dans lequel elle possédait pourtant une réelle expertise ?
M. Pierre Dharréville
Excellente question ! Voyons si la réponse est à la hauteur.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Vous avez raison, nous devons renforcer les moyens consacrés au contrôle fiscal. C'est l'engagement que nous avons pris, avec 1 500 ETP supplémentaires d'ici la fin du quinquennat. Dès cette année, 350 personnes de plus seront affectées à cette mission fondamentale. Ce qui est vrai en matière fiscale l'est aussi dans le champ social, puisque 1 000 agents de plus, au sein des caisses de sécurité sociale, se consacreront à cette lutte.
Renforcer les moyens humains, c'est important, mais il faut aussi renforcer les outils que les agents ont à leur disposition. La loi de finances pour 2024 prévoit que les agents de la DGFIP pourront désormais mener des enquêtes sous pseudonyme sur les réseaux sociaux, afin de récupérer des informations et de mieux traquer les trafiquants et les fraudeurs.
Dans le champ fiscal, il nous manquait en effet un outil, celui du renseignement, alors qu'on l'utilise déjà en matière douanière pour mieux lutter contre les trafics de stupéfiants ou de tabac. Une unité dédiée au renseignement fiscal, en phase de préfiguration, sera prochainement créée, au sein de la DNRED.
Pourquoi la DNRED ? Parce que cette administration est un service de renseignement du premier cercle, qui maîtrise toutes les techniques de renseignement. Elle pourra les mettre au service de la politique de lutte contre la fraude fiscale, en collaboration avec des agents de la DGFIP qui rejoindront l'unité. C'est une solution pragmatique, que nous avons choisie pour la rapidité de sa mise en oeuvre.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Marc Tellier, pour une deuxième question.
M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES)
Quand la question de la fraude sociale réapparaît dans le débat public, c'est le plus souvent pour dénoncer les allocataires de prestations sociales.
Ce sont les bénéficiaires des aides qui sont désignés, implicitement ou explicitement, comme les fraudeurs, et pas n'importe lesquels : souvent les plus précaires, ceux qui perçoivent les minima sociaux, au premier rang desquels le RSA.
Pourtant, la fraude aux cotisations sociales est un phénomène plus massif : 63% des 1,6 milliard d'euros récupérés en 2022 par l'administration, soit plus de 1 milliard, provenaient des fraudes aux cotisations dues par les employeurs.
La chasse lancée par ce gouvernement contre les privés d'emploi, les allocataires du RSA et, désormais, les allocataires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) nourrit un discours stigmatisant, discréditant aux yeux de l'opinion publique les allocataires de prestations sociales.
Concrètement, que compte faire ce gouvernement pour améliorer sensiblement le recours aux droits ? Qu'entend-il faire pour lutter efficacement contre la fraude aux cotisations sociales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Mme Farida Amrani
Rien !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
En vous répondant, j'apporterai également des éléments de réponse à Mme Arrighi sur la fraude sociale – je n'ai pas pu lui répondre dans le temps imparti. La lutte contre la fraude sociale se tient sur deux jambes car oui, les fraudes aux prestations existent.
Un élément très important devrait nous en prémunir, c'est la solidarité à la source. Il s'agit non seulement de simplifier les démarches, puisque les demandes de RSA, notamment, seront préremplies, mais aussi de sécuriser le montant des versements, puisque l'exactitude des revenus déclarés sera garantie. Les décrets d'application, en cours de préparation, contiennent donc une avancée.
Nous devons nous attaquer, de manière tout aussi exigeante, au travail dissimulé. Le montant des redressements a considérablement augmenté ces dernières années, passant de 540 millions d'euros en 2017 à 788 millions en 2022, soit une progression de presque 45 %. Nous renforçons les effectifs dans le réseau des Urssaf – 245 emplois supplémentaires seront créés dans ce cadre.
Nous avons instauré, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, à la charge des plateformes numériques, un dispositif obligatoire de déclaration et de précompte des cotisations. Ainsi les travailleurs indépendants se verront-ils garantir l'ouverture des droits découlant de leur travail, en même temps qu'ils s'acquitteront de leurs cotisations sociales. En outre, à l'endroit des microentrepreneurs, nous avons ouvert un guichet de régularisation.
Notre stratégie est double : elle porte sur les prestations et, avec le même niveau d'exigence, sur les cotisations. Notre politique, c'est de lutter contre toutes les fraudes, quelles qu'elles soient.
Mme Farida Amrani
Sauf celles des cols blancs !
Mme la présidente
La parole est à M. Dominique Da Silva.
M. Dominique Da Silva (RE)
Nous pouvons être fiers des résultats déjà obtenus depuis 2018 et le vote de la loi relative à la lutte contre la fraude. Les montants recouvrés par le fisc ont presque doublé, passant de 7,7 à 14,6 milliards. Avec notre majorité, la lutte contre la fraude a bien été engagée.
Mais comme l'a très bien dit le Premier ministre quand il était, il n'y a pas si longtemps, à votre place, monsieur le ministre, et qu'il lançait le plan de lutte anti-fraude : " la première fraude, c'est la fraude aux cotisations ".
L'Urssaf estime à 6 milliards d'euros le manque à gagner du régime général et de l'assurance chômage lié au travail dissimulé. En 2022, comme vous l'avez rappelé, les Urssaf ont réussi à récupérer près de 800 millions de cotisations sociales. C'est encourageant, mais nous devons faire mieux.
Dans mon rapport spécial de la mission Travail et emploi, je pointais l'insuffisance des moyens humains puisque, selon mes estimations, un agent doit contrôler en moyenne 11 500 salariés. Le rapport est bien faible, lorsque le manque à gagner s'élève à plusieurs milliards.
Monsieur le ministre, votre feuille de route propose un réarmement humain et budgétaire des services d'inspection dans les cinq prochaines années. Elle prévoit le recrutement de 2 500 agents supplémentaires – dont 1 000 affectés au sein des caisses de sécurité sociale – pour renforcer la lutte contre la fraude, ainsi qu'une modernisation des systèmes d'information. Vous vous êtes longuement exprimé sur ce point, mais peut-être avez-vous encore des choses à nous dire ?
Par ailleurs, le travail dissimulé recouvre des réalités diverses, parmi lesquelles la sous-déclaration du chiffre d'affaires des travailleurs indépendants exerçant via des plateformes numériques et, plus largement, des microentreprises.
Quelles sont les mesures engagées par le Gouvernement pour renforcer la lutte contre le travail dissimulé ? Après neuf mois d'action, quelles sont les avancées et les économies que ce grand plan de lutte contre les fraudes a permis de réaliser ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Monsieur le député, je connais votre attachement à ces sujets. Les montants que nous avons recouvrés ont progressé, passant de 44 millions à 74 millions par an, soit une augmentation de 75%. Mais cette hausse n'est pas aussi spectaculaire que celle des montants redressés, qui sont passés de 236 millions à 788 millions.
Pourquoi un tel écart ? Il est parfois tout simplement difficile de recouvrer les sommes : certaines entreprises ne sont plus en état de payer ce qu'elles doivent ; d'autres ont organisé leur insolvabilité. Nous devons donc renforcer les dispositifs existants – je pense au partenariat noué avec les huissiers ou à la solidarité financière des donneurs d'ordre, introduite en 2023.
Nous avons renforcé l'arsenal contre les sociétés éphémères, qui sont aussi une façon d'échapper aux obligations sociales. Nous avons également conditionné la liquidation amiable à la présentation d'une attestation fiscale et sociale pour éviter qu'elle ne précède le paiement de l'intégralité des sommes dues. Avec ces deux nouveaux dispositifs, nous tenons de quoi répondre aux préoccupations que vous relayez et que je partage.
Je vous invite par ailleurs à travailler avec nous sur les mesures qu'il convient de prendre pour encadrer la transmission universelle du patrimoine (TUP). Il nous faudra leur trouver un véhicule législatif dans les prochains mois.
Mme la présidente
La parole est à Mme Alexandra Martin.
Mme Alexandra Martin (RE)
La contrebande et la contrefaçon de tabac ont fortement augmenté ces dernières années sur notre territoire. Comme toutes les fraudes, elles constituent un problème majeur pour les finances publiques, préoccupant à plusieurs égards.
D'abord, les cigarettes de contrebande représentent un risque très important en matière de santé publique. Une cigarette contrefaite renferme trois fois plus d'arsenic, sept fois plus de mercure et huit fois plus de plomb qu'une cigarette classique.
Ensuite, la contrefaçon et la contrebande freinent les actions de contrôle et de lutte contre le tabagisme, particulièrement chez les jeunes. Ce commerce parallèle ne doit pas remettre en cause les efforts consentis pour faire émerger la première génération sans tabac.
Enfin, les buralistes sont les premières victimes de ces trafics. En raison de l'augmentation du prix du paquet et de la baisse de la consommation – dont nous nous réjouissons –, ils connaissent de grandes difficultés. Nous devons aider ces commerçants, qui jouent un rôle primordial sur tout le territoire, en faisant de la lutte contre la contrebande une priorité.
Le Gouvernement a lancé le plan tabac 2023-2025 et le programme national de lutte contre le tabac 2023-2027, et obtenu de premiers résultats : des opérations de grande envergure ont été menées et le nombre de tonnes saisies par les douanes a augmenté.
Toutefois, si nous voulons concrétiser notre ambition partagée de lutte contre toutes les fraudes, nous devons aller plus loin pour endiguer ce trafic en pleine expansion.
Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous engager afin de lutter contre ces fraudes ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Comme vous, je suis très souvent sur le terrain, au contact des buralistes, et je sais à quel point le trafic de tabac, source d'insécurité, est aussi une préoccupation pour ces commerces de proximité.
Nous devons être absolument intransigeants dans la lutte que nous menons contre le trafic de tabac, le trafic de stupéfiants ou la contrefaçon. C'est l'une des missions prioritaires que j'ai confiées à la douane.
En 2022, les saisies ont atteint des records historiques – 649 tonnes de tabac ont été confisquées. Les mesures que nous avons prises commencent à porter leurs fruits.
Nous avons d'abord renforcé les sanctions dans la loi de finances pour 2024 mais également dans la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.
Nous avons fait en sorte que les douaniers puissent mener des enquêtes plus efficaces contre les trafiquants de tabac – je pense aux cyberenquêteurs, aux équipes de maîtres-chiens qui seront considérablement étoffées dans les prochaines années, au renseignement douanier, la DNRED jouant un rôle crucial dans la lutte contre les réseaux organisés, et au déploiement de scanners mobiles dans les ports.
Nous avons aussi mené des opérations coup de poing – l'opération Colbert, qui a mobilisé un très grand nombre de douaniers, a été un succès. Nous réitérerons cette opération dans les prochains mois, j'en ai pris l'engagement devant les buralistes.
Mme la présidente
La parole est à M. Benoit Mournet.
M. Benoit Mournet (RE)
Votre prédécesseur, Gabriel Attal, a lancé il y a neuf mois un plan d'action ambitieux contre les fraudes, avec trente-cinq mesures. L'heure du bilan a sonné : pourriez-vous donner quelques exemples de ce que ce plan a permis d'accomplir par rapport à l'année 2022, année où la lutte contre la fraude a atteint des records – près de 15 milliards recouverts par le fisc, 800 millions redressés par l'Urssaf, et 700 millions de fraudes aux prestations sociales évitées ?
L'un des principaux défis est de mesurer l'ampleur de la fraude. S'agissant de la fraude fiscale, la Cour des comptes souligne que " contrairement à de nombreux pays, la France ne dispose d'aucune évaluation rigoureuse […] de l'écart fiscal ". Quant aux chiffres de la fraude sociale, ils varient de un à dix entre le rapport du Sénat et celui de la Cour des comptes.
Alors que nous devons trouver 10 milliards d'économies supplémentaires cette année pour consolider la trajectoire des finances publiques, quelles nouvelles dispositions législatives ou réglementaires pourraient être nécessaires ?
Je pense en particulier à la solidarité à la source, évoquée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. Il s'agit d'automatiser les prestations pour que chacun ait accès à ses droits, tout en luttant contre les fraudes. Le préalable de cette réforme ambitieuse, c'est la sécurisation des bases de bénéficiaires. Il faut éviter que ce qui s'est passé en janvier, et qui a été révélé le 7 février – le vol et la diffusion des données de 33 millions d'assurés –, ne se répète.
Comment pouvons-nous vous aider à aller plus loin ? Quelles mesures concrètes permettraient de sécuriser davantage la base des bénéficiaires dans le cadre de la réforme, nécessaire, de la solidarité à la source ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Je vais vous donner quelques exemples qui montrent que ce plan ambitieux change la donne pour les agents, qu'ils travaillent aux douanes, à la DGFIP ou à Tracfin. Ce plan gouvernemental, c'est du concret !
La loi de finances pour 2024 autorise désormais les agents du fisc à mener leurs enquêtes sur les réseaux sociaux en utilisant des pseudonymes, ce qui leur permet de les conduire jusqu'à leur terme.
L'injonction numérique consiste, quand on soupçonne une grande fraude commerciale sur internet, à exiger des plateformes qu'elles déréférencent des vendeurs qui ne respectent pas la loi. Le plan de lutte contre la fraude sociale a rendu cela possible.
Vous avez sûrement entendu parler du dropshipping : ces pratiques commerciales permettaient à des sociétés d'échapper au paiement de la TVA. Nous pouvons désormais les assujettir à la TVA et les sanctionner si elles ne la paient pas.
Nous pourrons également sanctionner ceux qui pratiquent l'incitation à la fraude fiscale, et vivent de cette dernière en vendant des montages frauduleux. Il en va de même pour l'incitation à la fraude sociale. Nous sommes donc beaucoup mieux armés qu'auparavant.
Il faut cependant mieux évaluer la réalité de la fraude : c'est l'objectif du CEF, qui réunit experts nationaux et internationaux. Des chiffres fantaisistes circulent, qui servent parfois à boucler le financement d'un programme présidentiel trop dispendieux. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Loïc Prud'homme
Pas de leçon !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Les chiffres du CEF permettront d'éclairer les débats.
Certaines dispositions pourraient compléter utilement l'arsenal. Nous avons besoin d'une évolution de la législation pour que les aides publiques puissent être suspendues dès qu'un abus est détecté et signalé, par Tracfin par exemple.
Pour lutter plus efficacement contre la fraude, nous devons aussi améliorer l'échange d'informations entre administrations. Enfin, nous devons mieux encadrer les procédures pour lutter contre les sociétés éphémères qui n'acquittent pas leurs dettes, notamment sociales.
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Roseren.
M. Xavier Roseren (RE)
Le Gouvernement a fait de la lutte contre la fraude une priorité. Ne nous laissons pas tromper par les chiffres faux et souvent fantaisistes avancés par les oppositions. Bien que je souhaite, moi aussi, voir diminuer la dette, je trouve grave de sous-entendre que réduire la fraude serait la solution miracle.
Je souhaite aborder le sujet de la fraude à la sécurité sociale. Au-delà de l'intérêt financier que représente la lutte contre les fraudes, il est primordial de préserver les principes d'équité et de justice sociale. Nous devons renforcer la confiance et l'adhésion de tous les citoyens au système de solidarité.
M. Loïc Prud'homme
Quelle blague !
M. Xavier Roseren
Plusieurs améliorations me semblent pertinentes pour accroître l'efficacité de l'action publique.
La première consiste à faciliter le croisement des données et des fichiers entre les opérateurs publics. L'automatisation et la systématisation de certaines vérifications permettraient d'augmenter le volume des contrôles sans y consacrer des ressources humaines excessives.
Nous pourrions aussi opter pour une obligation renforcée de dématérialisation. De même qu'il n'est plus admis de régler en liquide des achats au-dessus d'un certain montant, il ne devrait plus être possible de liquider des prestations sur la base de documents papier. Rendre obligatoire l'usage des services dématérialisés permettrait de réduire les risques de fraude et de renforcer la traçabilité. Quelle est la position du Gouvernement sur ces deux premiers points ?
Par ailleurs, l'entraide administrative internationale pourrait être améliorée. Alors que le canton de Genève vient de contrôler et de sanctionner d'office 10 000 travailleurs frontaliers pour absence de droit d'option, je me demande si la France ne pourrait pas mettre en place, rapidement, des échanges de données stratégiques avec ses voisins. Cela lui permettrait en outre de régulariser certaines situations.
Enfin, il me semble que les différentes peines en matière de délinquance financière et de fraude sociale pourraient être durcies. Les sanctions doivent être proportionnées à l'importance de la fraude. Le Gouvernement souhaite-t-il les faire évoluer en ce sens ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Je partage votre première remarque sur la nécessité de mieux évaluer la réalité de la fraude pour éviter de citer des chiffres fantaisistes et de fausser les débats. Tel est l'objectif du Conseil d'évaluation des fraudes, qui rendra ses travaux en juin prochain ; les chiffres ainsi produits permettront d'objectiver et d'apprécier de façon plus précise certaines situations.
Vous m'avez interrogé sur le partage des données et des informations entre administrations. Lutter contre la fraude, c'est d'abord lutter contre la fraude à l'identité bancaire. Nous avons progressivement généralisé l'échange de données, notamment entre la DGFIP, qui détient le fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) et l'ensemble des organismes de protection sociale. Les caisses de sécurité sociale utilisent aussi une base de données commune, rassemblant des RIB frauduleux – falsifiés ou détournés.
En matière de fraude à l'identité, nous avons organisé des échanges de données entre les organismes de protection sociale et le ministère de l'intérieur. Mais nous devons aller plus loin encore et travailler, avec le législateur, sur le partage de données entre l'assurance maladie et les organismes complémentaires.
Je suis tout à fait d'accord avec vous : il faut dématérialiser certains actes. L'ordonnance numérique devrait être généralisée d'ici à 2027 – c'est l'objectif que nous avons fixé à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).
Par ailleurs, l'entraide administrative internationale doit être renforcée. Le cas des travailleurs frontaliers que vous avez évoqué devrait être réglé grâce à des échanges d'informations au niveau local. Je m'engage devant vous à améliorer ceux avec la Suisse – ils sont en effet perfectibles.
Mme Christine Arrighi
Heureusement !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué
Enfin, il nous faut renforcer les sanctions contre les professionnels de santé fraudeurs, également visés par le plan. Les délits de facilitation de la fraude fiscale et de la fraude sociale ont quant à eux trouvé leur place dans les textes de finances pour 2024.
Mme la présidente
La séance de questions est terminée
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 29 février 2024