Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
C'est une journée historique pour le droit à l'avortement. Adrien GINDRE, vous recevez ce matin Aurore BERGÉ, la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, et de la Lutte contre les discriminations.
ADRIEN GINDRE
Bonjour Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
ADRIEN GINDRE
La France, en effet, premier pays du monde à faire entrer l'IVG dans sa Constitution, ce vote, ce sera cet après-midi par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Vous y serez, bien sûr. Qu'est-ce que vous ressentez en cette journée si particulière ?
AURORE BERGÉ
Déjà, une immense émotion, une immense émotion, parce que, souvent, on a galvaudé, peut-être, le terme d'historique, mais là, je crois que c'est pour le coup approprié ; on est le premier pays au monde à inscrire l'IVG dans sa Constitution. Quand j'ai déposé cette proposition de loi en 2022, il n'y a pas grand monde en vérité qui pariait sur le fait qu'on allait réussir à aller au bout. Et on a réussi, collectivement, d'une initiative parlementaire, qui a été portée aussi de manière trans-partisane, c'est devenu un projet de loi constitutionnel, qui a rassemblé une large majorité à l'Assemblée, et au Sénat, ce qui était sans doute moins évident au départ, et aujourd'hui, au Congrès, eh bien, on va pouvoir sanctuariser tout simplement la liberté des femmes à disposer de leur corps.
ADRIEN GINDRE
Il y aura quand même des votes contre, l'argument utilisé par vos opposants, c'est de dire : l'IVG n'est pas menacée en France aujourd'hui. Est-ce que vous considérez qu'il y a des menaces contre l'IVG en France aujourd'hui ?
AURORE BERGÉ
Déjà, il y a toujours des entraves. Quand je me rends dans des centres de planning familial, eh bien, je me rends compte que malheureusement, ce sont des centres qui sont régulièrement attaqués, qui sont ciblés physiquement…
ADRIEN GINDRE
Par des militants, des associations…
AURORE BERGÉ
Donc ça veut dire que vous avez des femmes qui se rendent dans des centres, et puis, qui arrivent avec des graffitis qui les traitent encore aujourd'hui de meurtrières. Donc on a encore ça qui persiste. Quand malheureusement vous regardez sur Internet les sites les mieux référencés, c'est pour ça que je vais voir GOOGLE dans les jours prochains, eh bien, ce sont des sites qui désinforment, qui dés-incitent, qui entravent le droit des femmes à avoir accès à l'IVG. Donc, il y a toujours malheureusement des menaces. Et puis, surtout, il ne faut pas attendre que ce soit trop tard pour agir. C'est parce qu'on a une majorité aujourd'hui à l'Assemblée et au Sénat qu'il faut le faire. Ce n'est pas quand ce sera trop tard, parce que ce sera par définition trop tard. Et à ce moment-là, eh bien, on aura peut-être le risque de majorités plus rétrogrades ou réactionnaires qui s'en prendraient aux droits des femmes.
ADRIEN GINDRE
Qu'est-ce que vous dites aux médecins qui malgré tout, aujourd'hui déjà, ne souhaitent pas pratiquer d'IVG ?
AURORE BERGÉ
Eh bien, qu'ils ont une totale liberté de conscience évidemment. Par contre, et c'est garanti aussi par la loi, leur liberté de conscience est garantie par la loi. Mais quand vous ne souhaitez pas pratiquer l'IVG, vous devez immédiatement réorienter les femmes qui souhaitent avoir accès à leurs droits, qui souhaitent avoir accès à l'IVG pour qu'elles soient tout simplement dans les délais légaux. Et puis, surtout, quand vous avez souhaité avoir accès à l'IVG, c'est insupportable de devoir attendre, de devoir attendre une semaine, de devoir attendre dix jours, de devoir attendre 15 jours…
ADRIEN GINDRE
Vous considérez qu'il faut davantage de centres en France où l'on puisse pratiquer l'IVG, c'est faisable, c'est un objectif souhaitable ?
AURORE BERGÉ
Ce qui est certain, c'est qu'il faut garantir que l'accès aux soins en général, l'accès à la santé, en particulier des femmes, et l'accès à l'IVG, soit le même partout en France. C'est-à-dire qu'il n'y ait pas de disparités…
ADRIEN GINDRE
Ce n'est pas le cas. Il y a des disparités de près d'une dizaine de jours selon les régions.
AURORE BERGÉ
Malheureusement, il faut le reconnaître, on a aujourd'hui des disparités parce qu'on n'a pas la même couverture de gynécologues, de sages-femmes. C'est la raison pour laquelle aussi on doit garantir que les sage-femmes, parce que c'est une loi votée par les parlementaires, puissent pratiquer non seulement les IVG médicamenteuses, vous savez qu'il y a deux types d'IVG, l'IVG médicamenteuse…
ADRIEN GINDRE
Et chirurgicale…
AURORE BERGÉ
Et IVG chirurgicale. On l'a rendu possible, il faut maintenant le garantir. Et encore une fois, parce que, quand vous souhaitez mettre fin à une grossesse qui n'a pas été désirée, il n'y a aucune raison de vous faire attendre. C'est une violence supplémentaire qu'on vous impose…
ADRIEN GINDRE
Dans les oppositions, de manière plus surprenante, il y a aussi un parlementaire de votre majorité, le sénateur Jean-Baptiste LEMOYNE, qui a voté contre au Sénat. Est-ce que vous en avez parlé avec lui ?
AURORE BERGÉ
Eh bien, écoutez, chacun a sa liberté, c'est des libertés de vote, évidemment…
ADRIEN GINDRE
Et on a sa place dans la majorité quand on est contre cette entrée de l'IVG dans la Constitution ?
AURORE BERGÉ
Ecoutez, encore une fois, il y a une liberté de vote qui existe sur des sujets qui sont des sujets intimes. Ce que je note, c'est que j'ai déposé cette proposition de loi au nom du groupe Renaissance, soutenue par la majorité et que c'est le Président de la République qui aura souhaité…
ADRIEN GINDRE
C'est un cas isolé, on est d'accord…
AURORE BERGÉ
Que le Congrès se réunisse et que ce vote puisse exister. Et c'est le seul parlementaire sur l'ensemble de la majorité présidentielle. Ce qui compte, ce qui compte, c'est que ce soit adopté cet après-midi.
ADRIEN GINDRE
Vous avez une idée du vote à attendre en termes de proportion ? Combien de voix vous attendez pour cette inscription cet après-midi ?
AURORE BERGÉ
On verra. On a eu un vote très large à l'Assemblée et au Sénat. Ce qu'il faut, vous le savez, c'est les trois cinquièmes réunis à l'Assemblée…
ADRIEN GINDRE
Oui, si on fait les additions à l'Assemblée et au Sénat, on y est largement…
AURORE BERGÉ
Donc a priori, on y est, et on y est largement, et je crois que c'est quelque chose qui est surtout extrêmement important. Nos enfants, nos filles, elles n'auront plus jamais l'angoisse de se dire un jour peut-être, on va me retirer ce droit ou tellement le restreindre que ce serait impossible d'avoir accès à l'IVG.
ADRIEN GINDRE
D'y avoir accès. Vous lancez également, c'est très important, une mission d'experts sur les violences sexistes et sexuelles, alors je vous cite, vous ciblez les lieux où s'exerce notamment une domination hiérarchique, à quoi vous pensez ?
AURORE BERGÉ
On a beaucoup entendu ces derniers jours ce qui se passe dans le monde du cinéma, où il y a une domination de facto qui s'exerce quand vous êtes un réalisateur, sur vos comédiennes par exemple, c'est ce qui a été dénoncé par Judith GODRECHE, au-delà de l'histoire personnelle d'emprise qu'elle a malheureusement subie pendant des années, mais il y a plein d'autres secteurs. Donc on lance conjointement, le monde de la culture, le monde du sport, de la santé, de l'enseignement supérieur…
ADRIEN GINDRE
Mais la solution c'est quoi, on comprend bien, naturellement, que tout le monde puisse se dire il faut agir, mais quelle est la baguette magique, la recette magique, qui permet d'empêcher ça ?
AURORE BERGÉ
Je ne sais pas s'il y a une baguette magique, ce que je sais c'est que quand vous êtes dans une relation hiérarchique, quand il y a une autorité qui s'exerce sur vous, que vous soyez une femme, ou un homme, puisqu'il y a #MeToo garçons qui existe, qui sans doute arrive à lever un tabou qui est encore plus grand et pour lequel il faut peut-être un courage encore supérieur, eh bien quand vous avez cette pression hiérarchique qui s'exerce, à qui vous dénoncez, à qui vous en parlez, tout simplement qui vous pouvez alerter dans votre entourage ?
ADRIEN GINDRE
Alors quelle réponse vous y apportez, à qui il faudrait pouvoir parler ?
AURORE BERGÉ
Donc c'est cette mission qu'on lance justement pour identifier, dans tous les secteurs où, encore une fois, il y a un risque de vulnérabilité, parce qu'il y a une pression, une domination qui s'exerce, il faut qu'il y ait des relais, il faut qu'il y ait des alertes, il faut sans doute qu'il y ait des personnes habilitées, légitimes, qui ne dépendent pas financièrement aussi directement de la personne qui a ce pouvoir sur vous, de manière à ce que vous vous sentiez libre de pouvoir immédiatement alerter, que la personne puisse contrôler aussi ce qui peut s'exercer. Typiquement, dans le monde du sport, c'est ce qui a été dénoncé par un rapport parlementaire dans les fédérations sportives, parce que vous avez des très jeunes, jeunes filles, jeunes garçons, qui vont aller faire des tournois, qui vont parfois être seuls avec un entraîneur, concrètement, eh bien comment agir.
ADRIEN GINDRE
Aurore BERGÉ, vous citiez Judith GODRECHE, il se trouve qu'hier, encore, nos confrères du "Parisien" vous interrogent sur le fait qu'elle demande la mise à la retraite de Dominique BOUTONNAT, le patron du CNC, je n'ai pas saisi votre réponse, est-ce que vous demandez sa mise en retrait ?
AURORE BERGÉ
La réponse elle est, et on en parle avec Rachida DATI qui est la ministre de la Culture, la réponse est claire, c'est-à-dire que le CNC c'est l'outil de financement du cinéma et de l'audiovisuel, c'est l'outil qui doit permettre la mise en place de la lutte contre les formes de harcèlement sexuel ou de violences sexistes et sexuelles…
ADRIEN GINDRE
Mais donc, oui ou non, la mise en retrait, de manière très simple ?
AURORE BERGÉ
Ce que j'ai dit, clairement, c'est que ça doit être un lieu de respect, un lieu où on respecte la parole des femmes, et des hommes, et un lieu où les femmes se sentent justement à l'aise et respectées pour que cette mission puisse aboutir.
ADRIEN GINDRE
Donc, oui ou non la mise en retrait ?
AURORE BERGÉ
Donc, c'est en cours de travail, avec la ministre de la Culture, vous voyez bien qu'encore une fois j'entends qu'on respecte…
ADRIEN GINDRE
Vous ne vous prononcerez pas pour le moment.
AURORE BERGÉ
J'entends qu'on respecte la parole des femmes et la parole des hommes, et que le CNC soit un lieu de confiance absolu pour que cette parole puisse exister.
ADRIEN GINDRE
Merci beaucoup Aurore BERGÉ d'avoir été sur TF1 ce matin.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mars 2024