Déclaration de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué, chargé du logement, sur le projet de loi, relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, au Sénat le 27 février 2024.

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Circonstance : Discussion au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement (projet n° 278, texte de la commission n° 343, rapport n° 342, avis n° 333).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi de venir devant vous, pour la première fois, présenter et défendre un texte du Gouvernement.

En tant qu'ancien parlementaire et ancien président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, je suis particulièrement sensible à l'engagement et à l'implication des parlementaires, notamment des membres de cette assemblée, sur la question du logement.

Les parlementaires sont le coeur battant de la démocratie et des territoires. Ils sont au centre de la construction de la loi. J'en suis intimement et profondément convaincu.

Je tiens à remercier les membres des deux commissions saisies, qui ont adopté ce texte tout en l'enrichissant nettement. Le travail parlementaire, je veux le souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, a été particulièrement fourni : alors que le projet de loi initial comportait dix-sept articles, le texte que nous avons maintenant à examiner est riche de quelque cinquante-cinq articles, qui contribueront puissamment, je l'espère, à améliorer et à renforcer le traitement de l'habitat dégradé dans notre pays.

Je veux tout particulièrement saluer l'engagement et l'implication de Mme la présidente Dominique Estrosi Sassone et de Mme la rapporteure Amel Gacquerre, avec qui nous avons eu des échanges constructifs, malgré des délais contraints : voilà qui présage, j'en forme le voeu, d'échanges aboutis sur d'autres sujets à l'avenir.

Je souhaite également remercier l'ensemble des sénateurs, qui ont manifesté leur intérêt prononcé sur ce texte et, de manière générale, leur volonté de travailler avec le Gouvernement et mes équipes pour répondre à la crise du logement. Je suis convaincu que celle-ci se résoudra de manière pragmatique, opérationnelle et transpartisane : ce texte en est une illustration.

Conformément à la volonté exprimée par le Président de la République de prendre des mesures d'exception pour produire plus rapidement des logements, le Premier ministre a demandé à son gouvernement d'accélérer et de simplifier toutes les procédures en la matière, afin de créer un choc d'offre dans le secteur.

C'est un point sur lequel nous commençons à agir dès ce premier texte, comme en témoigne l'article 14 qui comporte des leviers, auxquels je suis particulièrement attaché, pour accélérer la production de logements dans les territoires où les besoins sont les plus forts.

La première réponse au mal-logement, c'est de produire des logements là où la demande est la plus forte. Tel est l'objet du programme Territoires engagés pour le logement, que nous avons lancé ces dernières semaines : ce programme important permettra, dans les trois prochaines années, d'accélérer la construction de 30 000 logements dans vingt-deux territoires où les enjeux sont particulièrement importants.

Ainsi, la mise en oeuvre des opérations d'intérêt national (OIN) sera accélérée grâce à la modification de plusieurs procédures du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement. Nous nous sommes inspirés des dispositions adoptées dans le cadre de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 : celles-ci ont fait leurs preuves et nous pouvons désormais les étendre, en tirant profit de ce premier retour d'expérience positif.

Je proposerai d'ailleurs, au nom du Gouvernement, deux mesures visant à compléter ces dispositifs destinés à accélérer les procédures : cette évolution est indispensable si nous souhaitons relancer durablement la construction de logements.

Le coeur du projet de loi consiste à permettre, à l'avenir, aux collectivités, aux opérateurs et à l'État de traiter plus rapidement et avec plus d'agilité les situations de dégradation financière et bâtie qui caractérisent notre parc d'habitat et qui ont des effets sur la vie de nos concitoyens.

Il est tout simplement intolérable que des personnes continuent de vivre aujourd'hui, dans notre pays, dans des conditions d'habitat dégradé, indécent ou indigne. Près de 1,5 million de logements sont dégradés : ce sont autant de foyers et de familles qui connaissent des situations de vie inacceptables.

Avec ce texte, nous nous attaquons directement à ce problème, en aidant les copropriétés à emprunter les sommes nécessaires pour faire les travaux de rénovation, en renforçant les outils à la disposition des élus et des opérateurs pour mener de grands projets de réhabilitation et en augmentant les sanctions contre ceux qui mettent à profit la dégradation de l'habitat.

C'est la continuation d'un travail que nous avons entamé dès 2017. Mes prédécesseurs en ont fait une priorité de leur action : Julien Denormandie a ainsi lancé, dès 2018, le plan Initiative Copropriétés (PIC) pour s'attaquer aux cas des grandes copropriétés en difficulté. L'État abonde ce plan de 2 milliards d'euros sur dix ans pour apporter une réponse concrète aux cas des copropriétés les plus dégradées. Emmanuelle Wargon a, elle, mené à bien le travail commencé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, en réformant et en simplifiant, avec le député Guillaume Vuilletet, la police de l'habitat indigne.

S'attaquer à l'habitat indigne, c'est un travail de terrain, qui doit se faire avec les élus et les collectivités, que vous représentez tout particulièrement, mesdames, messieurs les sénateurs. C'est dans cet esprit qu'Olivier Klein a confié une mission à deux maires issus d'horizons différents, Mathieu Hanotin, maire socialiste de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire Les Républicains de Mulhouse, pour explorer les moyens d'améliorer la prise en charge de ces situations difficiles. Leurs travaux ont permis à mon prédécesseur, Patrice Vergriete, d'élaborer le texte qui vous est soumis, et qui a pour objet de mettre à la disposition des collectivités des outils pour enrayer et traiter la dégradation de l'habitat.

Nos efforts ont porté sur deux axes majeurs, qui se retrouvent dans les deux chapitres de ce projet de loi.

Il faut, d'une part, que nous anticipions mieux les situations de dégradation, qui mettent plusieurs années à s'installer et peuvent donc faire l'objet d'un traitement plus en amont. Pour cela, il est indispensable d'avoir une vision prospective afin de mieux prévenir l'émergence de dynamiques de fragilisation et d'intervenir plus tôt grâce au professionnalisme et à la mobilisation de tous les acteurs concernés.

Dans cette optique, le projet de loi crée notamment, à l'article 3, une nouvelle procédure d'expropriation qui permettra d'intervenir en amont du cycle de dégradation. Cette faculté, à la main des collectivités et de l'État, concernera les immeubles qui sont frappés par un arrêté de police, mais qui ne sont pas encore, pour autant, dans une situation de dégradation irrémédiable. Cette possibilité sera décisive pour que les pouvoirs publics anticipent leur intervention.

Un autre article particulièrement attendu, l'article 2, permettra aux syndicats de copropriétaires d'assurer le financement des travaux au moyen d'un emprunt collectif. Je tiens à le souligner, c'est une innovation majeure, qui a d'ailleurs soulevé un débat avec les banques et les professionnels, débat qui va certainement se poursuivre dans les semaines à venir.

Il s'agit d'un outil de simplification bienvenu pour surmonter les blocages et les difficultés inhérentes aux travaux dans les copropriétés. Il fera gagner plusieurs mois dans l'examen de dossiers individuels, au profit d'une approche collective et globale.

Au fond, ce prêt peut être, je le crois, l'innovation financière qui manque pour massifier la transition écologique dans chaque microdémocratie qu'est une copropriété. Bien sûr, cela ne peut pas se faire de manière floue, en endettant des copropriétés déjà fragiles : c'est pour cette raison que je vous présenterai un amendement visant à réintroduire la création d'un fonds de garantie pour ces prêts, en précisant ses modalités. J'imagine que c'est ce qu'a souhaité la commission en votant la suppression du dispositif initial.

Il importe, d'autre part, de poursuivre la lutte que nous avons engagée dès 2017 contre les marchands de sommeil et de renforcer les sanctions à leur encontre. Les marchands de sommeil sont des délinquants qui tirent une rente de la vulnérabilité des personnes. Sur l'initiative du député Lionel Royer-Perreaut, corapporteur du texte et élu d'un territoire très marqué par ce phénomène, l'Assemblée nationale a ajouté des dispositions importantes en la matière. Je veux remercier ici les sénateurs d'avoir largement repris et enrichi ces mesures, qui sont cruciales pour notre dignité collective.

De manière générale, je tiens à saluer l'esprit de consensus qui a guidé les travaux sur ce texte dans les deux assemblées. Cela montre à quel point la conscience de ces difficultés traverse les partis et dépasse les positionnements politiques.

Par ailleurs, il faut que nous traitions plus rapidement les dégradations les plus marquées avant qu'elles n'aboutissent à des situations d'indignité insupportables et irrémédiables. Nous devons éviter au maximum d'arriver à la situation dans laquelle démolir pour reconstruire est plus intéressant financièrement que rénover et réparer. Pour cela, nous souhaitons accélérer l'ensemble des procédures de recyclage et de transformation des copropriétés, qui prennent aujourd'hui trop de temps.

En effet, aujourd'hui, tous les acteurs en conviennent, les délais des opérations de réhabilitation sont beaucoup trop importants. Il faut parfois jusqu'à quinze ou vingt ans pour mener à bien un projet, ce qui provoque l'incompréhension des habitants et des élus, leur lassitude, et même la souffrance des propriétaires et des occupants qui se retrouvent dans des situations provisoires à durée indéterminée.

Plusieurs mesures de ce texte permettront d'accélérer de façon décisive les opérations de transformation. C'était la volonté du Président de la République, qui l'avait dit très clairement lors de son déplacement à Marseille à la fin du mois de juin dernier.

Le déroulement des opérations de traitement de la dégradation sera fluidifié par une meilleure capacité à répondre aux besoins de relogement inévitables qui en découlent. Ainsi, le maire pourra autoriser l'implantation, sans permis de construire, de logements temporaires pour reloger les personnes délogées par les chantiers. Tel est l'objet de l'article 7 bis.

Le maire pourra aussi faire réaliser, aux frais du propriétaire, la remise en état de biens lorsque des travaux ont été menés de façon irrégulière – c'est l'article 3 bis. Les articles 11 et 12 permettront quant à eux d'accélérer et de sécuriser les expropriations menées dans le cadre de la législation dite Vivien, qui est engagée lorsque des bâtiments sont atteints d'une dégradation irrémédiable.

Toutes ces mesures sont autant d'avancées opérationnelles souhaitées, parfois de très longue date, par les professionnels et les élus des territoires concernés. C'est la raison pour laquelle je souhaite vivement, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous puissions travailler ensemble pour enrichir ce projet de loi et en faire un levier d'accélération, de simplification et de rénovation encore plus performant.

Avec ce texte, donnons-nous les moyens de répondre à la crise du logement de manière pragmatique, opérationnelle et transpartisane, en nous attaquant aux problématiques des copropriétés dégradées, de la sécurité et de la qualité des logements.

Enfin, je forme le voeu que ce texte ne soit que la première étape d'une longue série de travaux partagés pour répondre ensemble aux défis du logement. (M. Bernard Buis applaudit.)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je souhaite reprendre la parole à l'issue de cette discussion générale pour répondre à certains points que vous avez soulevés, mesdames, messieurs les sénateurs.

Avant tout, je salue l'esprit constructif qui règne au Sénat sur le texte que nous nous apprêtons à examiner.

J'ai bien entendu les interventions des différents groupes, notamment de ceux avec lesquels nous pouvons avoir des divergences. Madame Guhl, madame Linkenheld, madame Margaté, vous avez évoqué un certain nombre d'éléments sur lesquels nous ne sommes pas d'accord, notamment la loi de 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, que j'ai portée. Je ne vais pas refaire le débat maintenant : elle a été largement adoptée par les sénateurs et par les députés.

Pour autant, malgré ces points de divergence parfois forts, nous arrivons à avancer dans l'intérêt général. Au reste, la question de l'habitat dégradé, dont nous débattons aujourd'hui, peut rassembler très largement au-delà des clivages idéologiques traditionnels, et je tenais à le signaler.

Ensuite, je voulais répondre à Mme la présidente de la commission, dont l'expertise sur le logement a toujours été reconnue par l'ensemble des acteurs de l'écosystème.

Mme Dominique Estrosi Sassone a depuis longtemps alerté sur la crise du logement, et ses propositions ont toujours été saluées et respectées par tous. Je connais également son attachement à l'équilibre des comptes… (Mme la présidente de la commission acquiesce en souriant.)

C'est pour cela que Mme la présidente m'a interpellé sur les économies réalisées. À cela, je lui réponds que, bien évidemment, je les assume, car je les juge nécessaires pour tenir la trajectoire de réduction de notre déficit.

Nous avons essayé d'être le plus justes possible. Vous l'avez rappelé, 1 milliard d'euros de crédits de paiement ont été annulés pour MaPrimeRénov'. Mais, en réalité, si l'on compare leur montant inscrit au budget pour 2023, les crédits sont tout de même en augmentation. Nous avions en effet prévu une énorme augmentation pour MaPrimeRénov' dans le budget pour 2024.

Nous aurions tous souhaité, si le contexte avait été meilleur, maintenir ces crédits. En effet, nous les avons réduits, mais, je le répète, ils sont en augmentation dans le budget pour 2024 par rapport à celui de 2023.

M. Michel Savin. Ce n'est pas le cas dans le budget !

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Je souhaite également répondre à l'interpellation – très juste – de M. Belin sur la complexité du dispositif MaPrimeRénov'. Il m'a invité à venir en Eure-et-Loir et à solliciter moi-même l'aide pour me rendre compte des complexités potentielles de la procédure.

Il a parfaitement raison : MaPrimeRénov' est devenu un instrument complexe. D'ailleurs, sous l'autorité de Christophe Béchu, nous avons organisé et lancé un grand chantier de simplification de MaPrimeRénov', en lien avec la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), sur trois aspects.

Premièrement, il s'agit de Mon Accompagnateur Rénov' : certains territoires ne sont pas dotés d'assez d'accompagnateurs sur des projets complexes ; il faut simplifier le dispositif.

Deuxièmement, il s'agit de simplifier l'obtention du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE), sujet sur lequel les artisans nous interpellent.

Troisièmement, les aides « monogeste », c'est-à-dire les travaux de rénovation plutôt simples – le chauffage, par exemple –, mériteraient d'être, elles aussi, simplifiées.

Ces chantiers sont en cours. Nous y attachons beaucoup d'importance, tout comme notre administration. Nous allons donc répondre à la demande des artisans et des particuliers, qui constatent une certaine complexité dans l'usage de MaPrimeRénov'.

M. François Bonhomme. C'est une litote !

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué. Monsieur Belin, votre interpellation était tout à fait pertinente.

Enfin, j'ai été interpellé par MM. Cambier et Bleunven, par Mme la présidente de la commission et par bien d'autres sur la grande loi Logement.

J'ai été député pendant sept ans. Lorsque nous avions la majorité absolue, de grandes lois ont été votées, notamment sur le logement, à l'instar de la loi Élan. J'ai aussi connu dix-huit mois de majorité relative en étant président de la commission des affaires économiques, au cours desquels j'ai tout de même essayé de faire passer des textes. Et j'ai noté que quand les textes étaient précis, ciblés, on arrivait à construire des majorités à l'Assemblée nationale et des compromis avec le Sénat. Cela a permis de faire passer des textes, notamment, on le sait, sur l'énergie nucléaire ou sur les énergies renouvelables. Nous n'avions pas mis tous ces sujets dans un seul et même véhicule ! Aussi ai-je pris l'habitude de proposer des textes précis, ciblés, qui sont malgré tout ambitieux et parfois même radicaux. Nous savons les expliquer et nous savons avec qui les voter. J'aime que les textes soient précis.

J'entends votre appel à avoir à voter plus de mesures législatives sur la question du logement, et je partage votre attente. J'ai été nommé pour mettre en oeuvre pleinement la feuille de route du Premier ministre, que vous avez entendu lors de sa déclaration de politique générale.

Or elle contient des mesures législatives très importantes, très attendues, je le sais, par les sénateurs et par les élus locaux, qu'il s'agisse de la révision de la loi SRU de 2000 ou de l'attribution des logements sociaux. Ces questions vont nécessiter des modifications législatives et un débat au Parlement.

Je m'engage à mener, avec honnêteté et sincérité, toutes les consultations nécessaires pour que nous puissions travailler à l'émergence de ce texte et le coconstruire le plus en amont possible, en vue de le présenter d'ici à l'été prochain.

C'est l'objectif qui m'a été assigné ; je m'y emploierai avec ambition, dans le respect des parlementaires, avec qui nous allons coconstruire ce texte.

Ce texte sera-t-il un fourre-tout de tous les sujets du logement ? Pas sûr ! Je souhaite qu'il s'agisse d'un texte puissant, qui réponde aux attentes des Français, des élus locaux. Je souhaite que nous réussissions à avancer ensemble avec les sénateurs, qui, je le sais, l'attendent, sur ce sujet dont je connais l'importance pour les territoires. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. le président. La discussion générale est close.


source https://www.senat.fr, le 7 mars 2024