Interview de M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué, chargé du logement, à BFM Business le 12 mars 2024, sur la crise du logement.

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Média : BFM Business

Texte intégral

LAURE CLOSIER
Et “Le grand entretien” ce matin, c'est avec Guillaume KASBARIAN, ministre délégué chargé du Logement. Bonjour. Vous êtes avec nous depuis le MIPIM à Cannes.

GUILLAUME KASBARIAN
Bonjour.

LAURE CLOSIER
Le Salon des professionnels de l'immobilier, des professionnels qui vous attendent de pied ferme, on a vu les derniers chiffres du logement neuf, on ne construit quasiment plus, on est à des chiffres du niveau des années 90, c'est-à-dire le pire de ce qu'on a connu. Qu'est-ce que vous avez à leur annoncer aujourd'hui dans votre besace ?

GUILLAUME KASBARIAN
Alors, vous l'avez dit, c'est une crise qui est effectivement très profonde, à la fois sur la demande, puisqu'avec la hausse des taux d'intérêt, beaucoup de Français n'arrivent pas à réaliser leur rêve d'acquérir leur logement, et puis, une crise très profonde, structurelle, de l'offre. On a un effondrement à la fois de l'offre locative et aussi de l'offre neuve de construction. Alors, on ne va pas attendre de façon passive que les choses aillent mieux, on va agir. Et donc, nous avons une feuille de route qui est très claire. J'ai une feuille de route qui est très claire, qui est de remettre de l'offre sur le marché, donc de l'offre, de l'offre, et encore de l'offre, avec des mesures notamment de simplification, que je vais annoncer aujourd'hui, qui vont permettre pour les acteurs de la construction de construire plus vite, d'accélérer sur les délais de contentieux, d'accélérer le traitement des contentieux, de digitaliser et d'accélérer la digitalisation du permis de construire, de mieux sécuriser les porteurs de projets. Et puis, quand on parle de projets d'aménagement, d'avoir des mécanismes qui permettent par exemple de densifier plus rapidement les lotissements ou de densifier les constructions sur des projets d'aménagement ; ce sont 14 mesures que j'annonce aujourd'hui et qui vont permettre d'accélérer et de répondre aux demandes de simplification du secteur de la construction, dans le contexte de crise que nous connaissons. Après, il y a bien évidemment plein de chantiers que nous lançons, et que nous avons commencé à lancer. C'est notamment le cas des territoires engagés pour le logement, où nous avons sélectionné 22 logements, où on met le paquet pour booster l'offre et avoir 30.000 logements dans ces secteurs-là qui sortent de terre d'ici deux ans. Et puis, c'est le sens aussi des projets de loi, des propositions de loi que nous étudions en ce moment à l'Assemblée et au Sénat, que ce soit pour rénover plus rapidement l'habitat dégradé ou que ce soit pour convertir plus rapidement des bureaux en logements. Vous voyez, on agit sur l'ensemble des leviers pour mettre plus d'offres sur le terrain, sur le marché.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, Guillaume KASBARIAN, ce que vous nous annoncez ce matin, c'est important, c'est bien, mais pardon de casser l'ambiance, ce n'est pas waouh ! Ça veut dire qu'on sait que le marché est aussi grippé, vous l'avez dit, à cause de la demande, que les professionnels attendent aussi des mesures, genre PTZ, prêts bonifiés. Des choses qui coûtent cher. Et est-ce que c'est parce que Bruno LE MAIRE vous a coupé les cordons de la bourse, et que vous ne pouvez faire quelque part que des choses réglementaires qu'alléger les procédures sans pouvoir mettre un peu de carburant dans le moteur ?

GUILLAUME KASBARIAN
Pas du tout. Il existe déjà aujourd'hui des dispositifs budgétaires qui sont conséquents dans le ministère du Logement. Je pense notamment à MaPrimeRénov' qui, malgré le rabot de 1 milliard, est en réalité en augmentation par rapport à l'année dernière, et sur lesquels nous avons annoncé la semaine dernière des mesures de simplification qui ont été saluées par les acteurs du bâtiment, la CAPEB, la FFB, avec des mesures de simplification qui étaient très attendues et qui vont permettre à des centaines de milliers de Français de rénover cette année leur logement. Il y a aussi bien sûr toujours du PTZ qui est qui est toujours là. Nous avons 40.000 PTZ qui sont prévus cette année dans le circuit, donc il n'a pas totalement disparu. Ce n'est pas vrai. Et nous avons, encore une fois, plusieurs milliards en réalité de budget qui sont prévus dans le ministère du Logement, et que nous allons consommer, que nous allons utiliser à bon escient cette année. Mais vous l'avez dit, nous sommes dans un contexte aussi où le budget de l'Etat doit être rééquilibré, où nous devons réduire le déficit public, et où le ministère du Logement n'est pas là uniquement pour distribuer de nouvelles mesures fiscales et de nouvelles dépenses publiques dans un contexte, vous le savez, qui est compliqué d'un point de vue des finances publiques. Moi, je ne voudrais pas que notre pays soit dégradé dans quelques mois, et que nous ayons un problème économique, qui, là, pour le coup amplifierait la crise du logement. Donc ma responsabilité, c'est à la fois de faire avec le budget que j'ai et de faire en sorte qu'il soit le plus utile possible, vérifier que nous sommes sur une bonne trajectoire sur les finances publiques, et aussi annoncer des mesures réglementaires et de simplification. Oui, les acteurs attendent aussi des mesures de simplification, parce que le choc de l'offre ne passe pas forcément par des dispositifs fiscaux. Il passe aussi par des simplifications massives sur le secteur et qui sont très attendues en réalité des acteurs sur le marché.

LAURE CLOSIER
Donc il n'y a plus d'argent, c'est très clair. Il n'y aura pas de nouveau Pinel, ça s'arrête, là, on vit les dernières heures du Pinel…

GUILLAUME KASBARIAN
Ce n'est pas ce que j'ai dit…

LAURE CLOSIER
Eh bien, c'est quand même ce qu'on a clairement compris. Juste, alors, s'il n'y a pas d'argent pour des mesures fiscales, est-ce que peut-être on peut réfléchir à une évolution sur l'endettement ? Les 35 %, cette barrière, est-ce qu'on peut réfléchir plutôt à une construction sur le reste à vivre pour avoir un prêt ? Est-ce que ça, ça peut être des pistes ?

GUILLAUME KASBARIAN
Vous avez tout à fait raison sur la demande, pour débloquer la demande, nous travaillons actuellement avec Christophe BECHU auprès des banques pour débloquer les projets d'acquisition qui sont bloqués. Vous l'avez dit, il y a une question autour des règles de financement. Il y a une question qui se pose sur les règles du HCSF. Il y a des parlementaires qui aujourd'hui interrogent ces règles. Il y a une proposition de loi qui est là et qui permettrait éventuellement de déverrouiller ces règles-là qui contraignent la demande. Et puis, il y a tout un travail que nous menons aux côtés des banques pour imaginer de nouvelles formes d'acquisitions. C'est le cas par exemple pour le prêt hybride, qui permettrait de trouver d'autres mécanismes permettant aux Français de réaliser leur rêve d'acquérir leur appartement ou leur maison. Donc vous voyez que ça n'est pas juste de la distribution d'argent, c'est aussi des mesures de déverrouillage, y compris sur la demande, qui permettent de déverrouiller les prêts classiques, mais aussi d'imaginer de nouvelles formes de prêts dans un contexte où le prix de l'immobilier a bien augmenté ces dernières années, et où l'augmentation des revenus a été moindre que l'augmentation du prix de l'immobilier. Donc nous devons trouver de nouveaux mécanismes innovants, et ça ne passe pas, je le redis à nouveau, par exclusivement des mesures budgétaires. Il y a beaucoup de déverrouillages à faire sur le secteur…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On a bien compris…

GUILLAUME KASBARIAN
Et nous nous y employons.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Guillaume KASBARIAN, puisqu'il n'y a plus de sous, on a des idées, nous, par exemple, le statut du bailleur professionnel ou semi-professionnel qu'on attend depuis longtemps, qui permettrait aux gens qui ont envie d'investir dans l'immobilier pour le louer, de pouvoir le faire dans des conditions économiques un petit peu meilleures qu'aujourd'hui. Est-ce que cela avance là-dessus ?

GUILLAUME KASBARIAN
Alors, il y a toute une réflexion qui est en cours sur la question de l'incitation à l'investissement dans l'offre locative. C'est le travail qui est mené actuellement par une parlementaire, Annaïg Le MEUR, qui réfléchit à une refonte globale de la fiscalité sur l'offre locative. Mais là encore, au-delà de la question fiscale, il y a une question autour de la confiance et de l'encouragement pour que les propriétaires mettent en location leurs biens. Ce n'est pas qu'une question fiscale, c'est aussi une question de rassurance par rapport aux impayés, par rapport au bail, par rapport aux contraintes administratives. Et ce que nous voulons faire, c'est encourager les propriétaires qui ont un appartement ou une maison à le mettre en location. Le taux de vacance dans notre pays a augmenté significativement ces dernières années, si bien que nous avons 8% des logements qui sont aujourd'hui vacants. Donc, il y a un levier d'incitation pour favoriser l'investissement locatif et la mise en location de biens qui, aujourd'hui pourraient être mis en location mais ne le sont pas. Pas que pour une question de statut fiscal, mais aussi pour une multitude de multiples raisons et de contraintes qui aujourd'hui font que l'investissement locatif est peut-être moins attractif que ce qu'il ne l'était il y a quelques années…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Quels leviers ? Quels leviers concrètement, qu'est-ce qu'on peut faire pour donner envie aux gens de louer ?

GUILLAUME KASBARIAN
Donc toutes ces mesures, nous y travaillons, toutes ces mesures, nous y travaillons avec Annaïg Le MEUR et avec la mission fiscale que nous avons, mais aussi avec des leviers de simplification, pour que les bailleurs puissent avoir confiance dans le marché locatif, et se disent : on y va. C'est un peu le sens de la loi Kasbarian d'ailleurs que j'ai portée l'année dernière, quand j'ai voulu rassurer les propriétaires bailleurs en leur disant que par rapport aux impayés, nous souhaitions accélérer les choses pour qu'ils puissent ne pas avoir peur de tomber sur un impayé qui pouvait durer jusqu'à 30 mois en moyenne. On m'a beaucoup reproché de diminuer le nombre de mois de délai quand on est dans une situation d'impayés. Mais tout cela participe en réalité à la confiance que je veux donner aux propriétaires pour les inciter à mettre en location sur le marché locatif. Ce sont des mesures de bon sens, qui permettraient de rassurer, parce que sinon, les investisseurs vont se tourner vers d'autres types de produits, soit qui sont plus sûrs, plus rassurants ou qui ont un meilleur taux de rendement. Et donc, c'est ce que nous ne voulons pas…

LAURE CLOSIER
Mais oui, mais…

GUILLAUME KASBARIAN
Nous voulons aujourd'hui favoriser l'investissement locatif.

LAURE CLOSIER
Guillaume KASBARIAN, favoriser le marché locatif, ça veut dire plus de flexibilité, de fluidité. Ça fait des années qu'on est dans un marché qui est plutôt protecteur pour les locataires, moins pour les propriétaires. Est-ce que ça veut dire que vous voulez retourner complètement cette idée, et désormais être plutôt pro-propriétaire ?

GUILLAUME KASBARIAN
Moi, j'assume en tout cas avec la loi Kasbarian que j'ai portée l'année dernière, et qui m'a été suffisamment reproché par certains, d'accélérer les procédures en cas d'impayés. Et quand j'ai porté cette loi, c'était pour rassurer les propriétaires et leur dire : n'ayez pas peur de mettre en location votre bien. N'ayez pas peur de prendre un locataire, parce qu'un propriétaire rassuré, c'est plus d'offres pour les locataires. On ne peut pas se satisfaire aujourd'hui dans les grandes villes d'avoir des centaines de personnes qui font la queue pour visiter quelques appartements, qui se courent derrière dans les agences immobilières. On a besoin de remettre plus d'offres sur le marché, et il faut rassurer les propriétaires, parce que, plus on les rassure, plus ils auront tendance à mettre leurs logements en location dans les agences immobilières et auprès des locataires. Ce que j'ai porté l'année dernière, avec la loi Kasbarian, y contribue…

LAURE CLOSIER
Enfin, rassurer les propriétaires, ça veut dire pouvoir se séparer de son locataire…

GUILLAUME KASBARIAN
Aller plus loin sur le sujet est tout à fait possible. Excusez-moi, je n'ai pas entendu la question…

LAURE CLOSIER
Il faut rassurer les propriétaires, ça veut dire pouvoir se séparer de son locataire. Il faut être clair, il faut pouvoir se séparer de son locataire quand ça ne va pas, c'est là où il faut changer les règles.

GUILLAUME KASBARIAN
Ce qui est déjà possible aujourd'hui. Sauf que les délais étaient particulièrement longs avant que la loi Kasbarian arrive et permette de réduire les délais. Aujourd'hui, les délais vont être réduits par deux en réalité avec cette loi. Donc mesurons les effets. Appliquons cette loi qui est promulguée depuis six mois. Je serai vigilant à ce qu'elle soit appliquée avec rigueur, avec vigueur, pour faire en sorte que les délais soient les plus courts possibles, dans le respect du droit au logement et du droit des locataires. Mais je le redis, aujourd'hui, pour rendre confiance aux propriétaires, nous avons besoin de jouer, non seulement sur les questions fiscales, mais pas que, il y a aussi des questions de rassurance psychologique, de simplification de procédures, qui aujourd'hui sont très attendues par les acteurs, et qui permettront de remettre plus de biens sur le marché.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bon, vous allez avoir sans doute beaucoup, beaucoup de questions aujourd'hui à Cannes, au Marché International des Professionnels de l'Immobilier, en partenariat avec BFM Business, car l'heure est quand même grave pour le logement. On compte sur vous. Merci d'avoir été avec nous en tout cas, Guillaume KASBARIAN, ministre délégué chargé du Logement.

GUILLAUME KASBARIAN
Merci à vous. Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mars 2024