Déclaration de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur les finances publiques, au Sénat le 6 mars 2024.

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Circonstance : Audition devant la Commission des finances du Sénat

Texte intégral

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M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Je tiens à souligner que le ralentissement brutal de la conjoncture en fin d'année nous a conduits, à l'instar de nos partenaires européens, à réviser nos prévisions de croissance et surtout le montant de nos dépenses.

Le décret d'annulation de crédits que nous avons décidé de prendre a été guidé par plusieurs principes, à commencer par un principe de réalité : une diminution des recettes doit entraîner une baisse des dépenses - et nos voisins allemands ont pris des décisions allant dans ce sens.

Le deuxième principe relève de la sincérité : c'est bien parce que nous avons constaté un ralentissement des recettes que nous sommes immédiatement intervenus pour prendre des mesures d'annulation de crédits. Dans le cas contraire, vous nous auriez reproché à juste titre notre inaction et auriez réclamé des mesures d'urgence.

Ce décret a été également sous-tendu par une exigence de réactivité et d'efficacité, les annulations de crédits étant plus susceptibles de produire des économies réelles en début d'année qu'ultérieurement, lorsque les dépenses sont déjà engagées. Cette méthode permet aussi à tous les ministres d'effectuer une reprogrammation budgétaire de leurs dépenses et projets, qu'ils auront probablement l'occasion de présenter lors d'auditions au Sénat.

J'insiste, par ailleurs, sur le fait que ce décret respecte à la lettre la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), alors que certains ont pu nous reprocher un déni de démocratie, ce qui n'est pas sérieux. La démocratie implique le respect des règles et la Lolf prévoit justement ce mécanisme pour faire face aux aléas. Nous avons ainsi respecté le plafond qui équivaut à 12 milliards d'euros en matière d'annulation de crédits, sans outrepasser nos prérogatives.

Le cinquième principe guidant ce décret renvoie à l'exigence de solidarité et à l'absence d'immunité budgétaire, tous les ministères étant mis à contribution. Pour autant, il n'est pas question d'un coup de rabot aussi homogène qu'aveugle qui s'appliquerait à tous les ministères, indépendamment de nos priorités. Le décret tient en effet compte de deux dimensions : d'une part, comme l'a rappelé Bruno Le Maire, certaines politiques publiques ont été sollicitées ; d'autre part, des efforts supplémentaires d'économies sont demandés à chaque ministère. Ces derniers ont été calculés en fonction de la réserve disponible et du caractère pilotable ou non de la dépense, tout en tenant compte de certaines réalités ou priorités : aucune annulation n'est par exemple prévue sur les crédits d'intervention du ministère de l'agriculture.

J'ajoute que le décret s'arrête au niveau des programmes, les ministères étant chargés d'aller dans le détail des arbitrages.

Une fois encore, notre démarche est fort éloignée d'une cure d'austérité, alors que les dépenses de l'État ont augmenté de 23% entre 2019 et 2023. Les pays qui ont réellement connu l'austérité ont, eux, diminué les retraites et les rémunérations, tout en mettant les services publics à l'arrêt et en augmentant les impôts, soit une situation bien différente.

En outre, nous ne renonçons pas à nos ambitions en matière de transition écologique : avec 40 milliards d'euros de dépenses dans ce domaine, il s'agit bien du budget le plus vert de notre histoire. Nous poursuivons ainsi notre effort en consacrant 8 milliards d'euros supplémentaires aux investissements en faveur de la rénovation énergétique, dans le domaine ferroviaire ou encore en soutien aux énergies renouvelables.

Je tiens également à réaffirmer l'absence de remise en cause des engagements découlant des lois de programmation, les plafonds d'emplois qui y sont actés seront préservés, qu'il s'agisse de l'intérieur, de l'armée ou de l'éducation nationale. De la même manière, la politique d'aide publique au développement n'est pas remise en question.

En conclusion, mon rôle de ministre des comptes publics m'impose de présenter clairement la situation de nos finances. La forte diminution de nos recettes, à hauteur de 7,7 milliards d'euros, compromet notre objectif visant à contenir le déficit public à 4,9% du PIB en 2023. Dans le détail, les recettes provenant de l'IS ont diminué de 4,4 milliards d'euros et celles issues de la TVA de 1,4 milliard d'euros, l'IR ayant connu une baisse d'un montant similaire. Cependant, nous avons dans le même temps - j'insiste sur ce point - baissé les dépenses de l'État.

Quant à notre boussole, notre crédibilité repose sur deux dimensions, à savoir notre capacité à mener des réformes structurelles et notre capacité à maîtriser les dépenses publiques. Tel était le cas en 2023, le décret d'annulation de crédits venant conforter cet élément de notre stratégie.

Monsieur le président Raynal, vous avez évoqué à raison l'obstacle que constituerait une croissance plus faible en 2024. Afin de respecter la trajectoire visant à contenir le déficit en deçà de 3% d'ici à 2027, nous devrons fournir des efforts supplémentaires dès 2025, qui s'élèvent effectivement à environ 20 milliards d'euros.

En termes de méthode enfin, nous devons tous être mobilisés pour le redressement des finances publiques. L'État sera concerné en premier lieu afin de faire preuve d'exemplarité, avant de discuter en profondeur, dans le cadre des textes financiers pour 2025, de l'ensemble des champs de l'action publique, dont les collectivités territoriales et la protection sociale.

Dans cette perspective, j'ai entendu l'appel du rapporteur général et du président en faveur d'un travail plus rapproché avec l'exécutif : nous y sommes tout à fait prêts, d'autant plus qu'il faudra grandement avancer la préparation de ce budget compte tenu des contraintes existantes.

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M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai du mal à me retrouver dans certains mots du rapporteur général, alors que nous avons passé beaucoup de temps ensemble durant le débat sur le PLF pour 2024. Le Gouvernement n'a jamais témoigné de mépris à l'égard des propositions formulées par la majorité sénatoriale.

Nous avons eu des désaccords. Je ne pouvais pas vous laisser faire des économies en supprimant la mission " Cohésion des territoires " pour 19 milliards d'euros ou la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 4 milliards d'euros ! Il y avait 40 milliards d'euros sur lesquels nous n'étions pas d'accord, car il ne s'agissait pas vraiment d'économies. Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le rapporteur général, que vous nous avez proposé des économies formidables et faciles à mettre en oeuvre. Annuler des missions entières n'était pas crédible.

Concernant les prix de l'électricité, comme Bruno Le Maire l'a rappelé, nous avons pensé que vous alliez trop loin. Vous rétablissiez un chèque par ailleurs, ce qui ne correspondait pas à notre stratégie.

Nous augmentons la somme dévolue à MaPrimeRénov' à hauteur de 800 millions d'euros et nous nous attacherons à simplifier ce dispositif.

Je perçois aussi votre attachement aux lois de programmation, qui représentent notamment des effectifs supplémentaires d'agents publics. Mais lors de l'examen de la loi de programmation des finances publiques, vous vouliez supprimer 120 000 postes... Je veux bien que vous soyez désormais le garant de nos lois de programmation, mais il faut être cohérent.

Les schémas d'emplois ne sont pas remis en question, tant au ministère de l'intérieur qu'au ministère de la justice, au ministère des armées ou au ministère de l'éducation nationale. Les économies que nous faisons sur les masses salariales sont liées à des sous-exécutions de l'an passé. Nous tenons les engagements qui ont été pris.

Enfin, si le fonds vert n'est pas porté à 2,5 milliards d'euros, il est maintenu à hauteur de 2 milliards d'euros. C'est un effort inédit pour aider les collectivités territoriales à conduire la transition écologique. Nous tenons donc nos engagements.

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M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Deux mois après avoir dit le contraire ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Sur l'audiovisuel public, vous êtes allés plus loin que nous lors du débat sur le PLF, en supprimant le compte de concours financiers " Avances à l'audiovisuel public ".

Tout le monde doit contribuer, y compris l'audiovisuel public, aux efforts qui sont demandés. Nous annulons donc 20 millions d'euros au titre du programme de transformation. Ce n'est pas rien. La ministre de la culture a annoncé des réformes, que je lui laisserai le soin de présenter.

Madame Lavarde, le fonds vert conserve le même étiage que l'année dernière, à hauteur de 2 milliards d'euros.

Mme Christine Lavarde. - En autorisations d'engagement (AE) !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Cela reste un effort considérable à destination des collectivités territoriales. Ce dispositif n'existait pas auparavant.

Tous les engagements de 2023 qui peuvent avoir un impact en 2024 seront tenus. Un travail de reprogrammation est en cours, y compris sur la réserve.

Sur la politique immobilière de l'État, je n'ai pas la même analyse que vous. Réduire les dépenses de fonctionnement des ministères est la meilleure incitation pour ces derniers à chercher des économies sur une partie de leurs surfaces. L'État paye 2 milliards d'euros de loyers par an. Il est possible de libérer des locaux loués ou d'en vendre. L'effort demandé à tous les services de l'État accélérera en réalité le programme de réduction des surfaces.

Je veux aussi rassurer M. Savoldelli, nous ne remettons pas en cause le schéma d'emplois du ministère de l'éducation nationale. Les dépenses de personnel visées par le décret d'annulation sont calées sur la sous-exécution que nous avons constatée en 2023. Je confirme par ailleurs que 2 500 ETP seront recrutés en 2024. Les engagements seront tenus.

Monsieur Grégory Blanc, nous aurons à débattre de manière plus globale de la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, au-delà des aspects fiscaux.

Monsieur Capus, la mission " Travail et emploi " contribue à l'effort, à hauteur d'un peu plus de 1 milliard d'euros. Nous demandons un effort sur le CPF avec un reste à charge. La ministre Catherine Vautrin précisera les modalités concrètes du forfait qui sera appliqué sur ce point. Un travail est conduit par le ministère pour identifier les économies qui seront réalisées au sein du programme d'investissement dans les compétences.

Il est important pour nous de laisser les ministres responsables de leurs programmes. Nous n'allons pas définir par le menu ce que nous allons faire, ligne par ligne, action par action. Les ministres participent à l'effort collectif.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons vu ce que cela donnait !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Nous nous sommes mis d'accord sur quelques objectifs de politique publique. Je vous réponds, ainsi nul ne pourra dire que nous aurons méprisé le Sénat. Je n'accepte pas cette critique.

Monsieur Maurey, les 117 millions d'euros d'annulation relatifs au financement du très haut débit sont liés à une reprogrammation technique en fonction de l'avancement des projets. Ils ne conduisent pas à revoir le plan de déploiement.

Monsieur Bilhac, le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, s'est vu confier une mission par Dominique Faure et moi-même sur le coût de l'enchevêtrement des normes et des responsabilités entre les collectivités territoriales, l'État et ses opérateurs.

M. Christian Bilhac. - Et des compétences ! Car tout le monde fait tout !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous invite à l'auditionner. Nous perdons beaucoup d'argent dans notre organisation collective, alors que nous pourrions être plus efficaces.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Exactement !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Le respect des lois de programmation - loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), loi de programmation militaire (LPM), loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) - est par ailleurs fondamental. Nous ne remettons pas en question les recrutements dans les ministères régaliens, ni dans la recherche, et nous sanctuarisons les enveloppes d'investissement pour les armées.

Voyez notre débat : nombre d'interventions visaient à s'assurer que nous n'allions pas réduire la dépense publique sur plusieurs missions que vous jugez prioritaires. Nous touchons ici à la difficulté de l'exercice de réduction de la dépense publique.

Monsieur de Legge, un surgel a effectivement été pratiqué. La réserve de précaution a été ramenée à un peu plus de 10 milliards d'euros le 26 février. Ce travail s'inscrit dans la reprogrammation budgétaire en cours.

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M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Paccaud, les engagements relatifs à l'éducation, y compris pour le choc des savoirs et les groupes de niveau, seront tenus. Les ETP nécessaires pour mettre en oeuvre ce dernier dispositif a été évalués et seront mis en oeuvre, même avec le décret d'annulation.

Monsieur Lefèvre, les recrutements prévus en 2024 au ministère de la justice ne sont pas remis en question : il s'agit de 1 300 ETP supplémentaires pour la direction des services judiciaires et de 599 ETP supplémentaires pour la direction de l'administration pénitentiaire. Certains investissements ciblés pourront être replanifiés dans le temps, mais les engagements fondamentaux de la loi de programmation seront bien tenus.

Monsieur Féraud, les annulations de crédits de titre 2 ne représentent que 23 millions d'euros et ne remettent pas en cause la stratégie du Quai d'Orsay en matière de ressources humaines, en particulier les engagements pris par le Président de la République pour le réarmement de la diplomatie française au regard de notre stratégie d'influence.

Concernant la niche fiscale Airbnb, je vous rappelle les débats que nous avons eus et les votes qui ont eu lieu. Vous n'avez pas exactement supprimé l'intégralité de l'abattement fiscal, de 71%, qui s'applique sur les locations de meublés touristiques, certaines locations pouvant encore bénéficier d'un abattement pouvant aller jusqu'à 92 %. Le gain que vous estimez à 300 millions d'euros n'est pas celui que vous avez voté.

Nous avons opté pour une mesure de tolérance, pour éviter un changement brutal de fiscalité, en renvoyant à une réforme plus globale de la fiscalité du logement. Une mission sur la fiscalité locative, confiée par la Première ministre Élisabeth Borne à Annaïg Le Meur et Marina Ferrari, rendra prochainement ses conclusions, qui nourriront nos débats autour du prochain PLF.

Monsieur Somon, pour ce qui concerne le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous utilisons la réserve de précaution et reportons quelques projets pluriannuels immobiliers. Des questions se posent par ailleurs concernant quelques appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Toutefois, le volet " ressources humaines " de la loi de programmation de la recherche est confirmé, tout comme les engagements pris par la ministre sur la vie étudiante.

Monsieur Daubet, les trois quarts des 200 millions d'euros annulés sur l'aide publique au développement porteront sur l'aide multilatérale, notamment sur des contributions à un certain nombre de fonds non obligatoires, et sur des dépenses d'aide bilatérale, dans une moindre mesure. Tout cela est à mettre en regard des efforts menés depuis 2017, qui sont considérables.

Concernant l'apprentissage, aucune mesure n'a été identifiée, mais un travail est mené par la ministre du travail pour ajuster les économies sur les différents programmes.

Madame Senée, il revient au ministère de décider de la façon dont les missions sont organisées autour de France compétences. Nous avons un désaccord persistant sur la cure d'austérité. Nous prévoyons une économie de 10 milliards d'euros sur plus de 400 milliards d'euros de dépenses de l'État, on ne peut raisonnablement penser qu'il s'agit là d'une coupe claire dans nos services publics.

Sur la transition écologique, je maintiens ce que j'ai dit. C'est le budget le plus vert de notre histoire. Personne n'avait autant investi auparavant dans la transition écologique. On peut penser que ce n'est pas assez, il n'empêche qu'il s'agit d'un effort historique !

Monsieur Jeansannetas, nous ne touchons pas, naturellement, aux crédits des jeux Olympiques et Paralympiques. Ce magnifique événement sera une réussite collective. En revanche, plusieurs annulations portent sur la mission " Sport, jeunesse et vie associative ". L'objectif de 150 000 jeunes en service civique est maintenu. Toutefois, des efforts ont été demandés à l'Agence du service civique, comme à tous les opérateurs de l'État. C'est une mesure de solidarité.

Monsieur de Montgolfier, le travail va commencer autour du PLF 2025. Je suis à votre disposition, notamment sur les propositions d'économies, pour que nous bâtissions ce projet de loi ensemble : nous n'avons jamais caché qu'il devrait être exigeant compte tenu de notre stratégie de redressement des finances publiques et de la conjoncture internationale.

Madame Espagnac, je connais votre attachement au plan France Très Haut Débit. La réduction de 25 % des crédits de paiement prévue ne remet pas en question la trajectoire de déploiement. Un travail de programmation et de mobilisation de la trésorerie de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) y pourvoira. Je vous invite à poursuivre cette discussion avec Marina Ferrari.

Enfin, plusieurs mesures touchant des dépenses d'intervention, de fonctionnement et d'investissement sont prévues pour l'ensemble du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Une fois le programme d'économies prévu pour Bercy validé, nous vous en dévoilerons le détail. Tous les ministères devront avoir terminé ce travail pour la fin du mois de mars.


(Source https://www.senat.fr, le 18 mars 2024)