Déclaration de Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté, sur le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes, à l'Assemblée nationale le 19 mars 2024.

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Circonstance : Discussion d'un projet de loi à l'Assemblée nationale

Texte intégral


M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l'accompagnement des victimes (nos 2308, 2333). Avant la présentation, pour oxygéner vos neurones, je vous propose de suspendre la séance pour cinq minutes.

(…)

La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté.

M. Pierre Cordier
Elle est revenue de Marseille !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Vingt-trois ans après l'adoption de la loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, dite About-Picard, l'organisation et la réponse pénale de L'État ne sont plus adaptées aux phénomènes nouveaux des dérives sectaires.

Il est donc impératif de renforcer notre arsenal juridique pour protéger les victimes face à ces phénomènes. C'est la raison de ma présence devant vous – et la raison de votre présence. La mobilisation de tous…

M. Benjamin Lucas
Pas toujours !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
…est essentielle pour lutter contre toutes les formes de dérives sectaires. Le vote final de ce texte aura un impact fondamental pour adapter notre droit et, avec détermination, continuer le combat pour prévenir, punir et venir en aide aux victimes des mouvements sectaires.

C'est le sens de la stratégie nationale pluriannuelle de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027, qui décline treize objectifs et quarante mesures opérationnelles, parmi lesquelles le projet de loi dont nous discutons ce soir.

Je l'affirme avec clarté,…

M. Pierre Cordier
Ça change !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Très drôle… C'est ma conviction profonde et l'esprit de ce projet de loi : l'État ne lutte pas contre les croyances, les opinions ou les religions, mais bien contre toutes les formes de dérives sectaires. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen protège et garantit la liberté de conscience. Nous y sommes profondément attachés. C'est pourquoi nous avons collectivement travaillé à renforcer les garanties constitutionnelles de ce texte. (M. René Pilato s'exclame.)

Mais l'État se doit de protéger ses citoyens contre les dérives sectaires, un fléau pour notre cohésion sociale et dont les pratiques dangereuses font des milliers de victimes chaque année – un fléau en constante évolution.

M. Thomas Ménagé
C'est vrai !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Illustrons ce propos : dans son dernier rapport, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) alerte sur les solutions miracles proposées par certains pseudothérapeutes contre des pathologies cancéreuses – comme des injections de gui ou encore des interruptions de soins de médecine conventionnelle qui peuvent être particulièrement dangereuses. Voilà ce à quoi nos familles, nos enfants, nos grands-parents ou même nos amis peuvent être exposés. Face à ces charlatans, dont les méthodes d'embrigadement évoluent sans cesse, nous ne pouvons laisser les victimes et leurs proches seuls, livrés à eux-mêmes. Notre devoir est de les protéger ; tel est le rôle du législateur. (M. Benjamin Lucas s'exclame.)

De nouvelles grandes tendances caractérisent les dérives sectaires et le phénomène est en expansion. Les signalements à la Miviludes ont doublé depuis 2010 ; les difficultés sociales et la crise sanitaire ont accru les vulnérabilités de certains de nos concitoyens. Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Le phénomène profite du développement des réseaux sociaux. Le gourou 2.0 est une tendance en constante expansion qui fédère de véritables communautés d'adeptes en ligne – et je ne parle pas des sphères complotistes qui prolifèrent, elles aussi, sur internet. Il est nécessaire d'en finir avec ces théories dangereuses qui ont déjà tué.

La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires 2024-2027 est le fruit d'un travail de concertation d'une ampleur inédite. Elle se structure autour de trois axes : un premier dédié à la prévention des risques de dérives sectaires ; un deuxième centré sur un meilleur accompagnement de proximité des victimes ; un troisième consacré au renforcement de l'arsenal juridique, dont le projet de loi constitue la mesure phare.

Contrairement à ce qui a été affirmé en commission, si ce projet de loi prévoit un renforcement de notre arsenal pénal, il n'est aucunement question d'abandonner la prévention et l'accompagnement des victimes.

M. Hadrien Clouet
Il n'y a rien dans votre texte !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Cette prévention doit être au coeur de nos politiques publiques et j'en ai fait un des maîtres mots de ma feuille de route. Elle est le versant nécessaire de la bonne application du texte dont nous discutons.

M. Thomas Rudigoz
C'est indispensable !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
C'est pourquoi les effectifs de la Miviludes ont doublé ces dernières années afin d'assurer un soutien accru de l'État aux associations d'accompagnement des victimes, dont je tiens à saluer l'engagement. En outre, vous l'aurez constaté, nous avons lancé au début du mois une vaste campagne de communication et de sensibilisation du grand public. J'ai souhaité qu'elle vise directement les problématiques du quotidien des Français et expose les facteurs de vulnérabilité que des individus malveillants pourraient exploiter – comme la santé, la fortune, l'éducation ou l'éveil spirituel. Nous sommes déterminés à agir sur tous les terrains.

Ce projet de loi vise à réformer en profondeur notre dispositif juridique de lutte contre les dérives sectaires. Il aura des effets importants tant sur la répression des auteurs que sur l'indemnisation et l'accompagnement des victimes.

Le Gouvernement propose notamment la création de deux nouveaux délits : à l'article 1er, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique ; à l'article 4, la provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, ou à l'adoption de pratiques qui exposent manifestement la personne visée à un risque grave pour sa santé.

On ne le répétera jamais assez : la santé est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre les dérives sectaires. Elle fait l'objet de 25% des signalements à la Miviludes. Ce nouveau délit nous permettra – c'est essentiel – de répondre à la prolifération de pratiques dangereuses.

Je sais que vous partagez mon constat, mais cela n'a pas empêché que les discussions soient particulièrement animées au sein de cet hémicycle lors de la première lecture. Les enjeux que je viens d'évoquer – de protection de la santé des Français – sont importants et nous avons donc, collectivement, travaillé à une nouvelle rédaction en première lecture.

En l'état, l'article 4 garantit explicitement la liberté de conscience en son alinéa 4 et la liberté de critique médicale en son alinéa 6. Sont par ailleurs exclus de son champ d'application les discours occasionnels – dans le cadre familial par exemple –, ainsi que les propos des lanceurs d'alerte.

Cette rédaction transpartisane apporte l'ensemble des garanties demandées par les deux chambres. Je déplore donc qu'une partie de cet hémicycle s'oppose encore à l'adoption de cet article.

M. Thomas Ménagé
Excellent !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Pour nos concitoyens, pour les familles qui ont vécu des drames et afin d'en éviter d'autres, sortons des postures politiques et prenons conscience de l'urgence qu'il y a à voter ce texte.

En cohérence avec la création d'un nouveau délit d'assujettissement psychologique et physique, prévue à l'article 1er du projet de loi, nous avons proposé qu'une circonstance aggravante soit instaurée pour plusieurs crimes et délits – meurtres, actes de torture et de barbarie, violences ou encore faits d'escroquerie –, commis dans un environnement sectaire. Cette mesure doit permettre d'adapter la réponse pénale au phénomène sectaire en tenant compte de la gravité de ces méthodes d'emprise.

Nous souhaitons aussi renforcer l'accompagnement des victimes. Dans des conditions particulièrement strictes, définies par décret, et après avis du ministère public, l'État dressera la liste des associations agréées. Cette procédure permettra de vérifier la solidité et la fiabilité des associations.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit l'obligation de transmettre toute condamnation ou décision de contrôle judiciaire aux ordres professionnels de santé, ce qui facilitera la prise de sanctions disciplinaires à l'encontre de praticiens déviants.

M. Maxime Minot et M. Sylvain Maillard
Très bien !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
L'information des acteurs judiciaires sur les dérives sectaires sera améliorée en y associant davantage les services de l'État. Ces services d'experts pourront fournir aux juridictions judiciaires et aux parquets qui les sollicitent des informations susceptibles de les éclairer.

Je souhaite à présent vous parler des objectifs de la création d'un nouveau délit d'assujettissement psychologique ou physique. Nous souhaitons agir en amont de l'abus de faiblesse, en sanctionnant le fait même d'assujettir une personne par des " pressions graves, ou réitérées, ou de techniques propres à altérer le jugement ", déjà mentionnées par le code pénal.

M. Benjamin Lucas
Eh oui !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Ce nouveau délit permettra d'enrayer la mécanique néfaste de l'embrigadement sectaire – celle qui détruit la personnalité, coupe de l'environnement familial et ruine la santé. Cette mécanique est la porte ouverte à tous les abus.

Nous visons là deux objectifs. Il s'agit de pallier les insuffisances d'un cadre juridique qui n'est plus à même d'appréhender les nouvelles formes de dérives sectaires. Il s'agit aussi d'améliorer l'indemnisation des victimes en prenant mieux en compte le préjudice corporel qui résulte de l'altération de la santé psychologique ou mentale des personnes sous emprise sectaire.

En l'état actuel du droit, les tribunaux prononcent de manière aléatoire la réparation de ce préjudice. Les victimes sont parfois découragées par les difficultés du combat judiciaire. Cette situation n'est pas acceptable : les victimes doivent être mieux protégées et indemnisées. C'est l'ambition de l'article 1er du projet de loi.

Madame la rapporteure, nous vous sommes reconnaissants pour votre engagement constant en faveur des victimes de dérives sectaires.

M. Pierre Cordier
C'est certain, merci beaucoup !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Votre expertise sur le sujet a été un atout lors de la construction de ce projet de loi et des discussions qui ont suivi.

Vous savez combien je suis attachée au travail parlementaire ; je salue les évolutions qui complètent utilement les propositions du Gouvernement. Je me réjouis qu'elles s'inscrivent dans une volonté commune de renforcer la lutte contre les dérives sectaires et de mieux protéger les victimes.

J'ai aujourd'hui toute confiance dans la mobilisation de cette assemblée pour continuer à défendre les victimes des dérives sectaires à l'occasion de cette nouvelle lecture.

J'ai une pensée pour l'ensemble des associations spécialisées, qui agissent au quotidien pour venir en aide aux victimes et à leurs familles ; leur action est cruciale. Je vous le dis avec gravité : elles ont besoin de ce texte pour aider les victimes, toujours plus nombreuses, à sortir de ces spirales néfastes. Elles ont besoin de nous pour en finir avec ce fléau qui menace nos compatriotes.

Aujourd'hui, c'est avant tout à elles et aux victimes que nous devons penser. Répondons présents, dépassons nos clivages et nos divisions pour nous rassembler autour d'une cause commune : la défense et l'accompagnement des victimes.

M. Didier Parakian
Exactement !

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
C'est ce qui me tient le plus à coeur et m'incite à continuer le combat. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 21 mars 2024