Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à BFM TV / RMC le 20 mars 2024, sur la lutte contre le trafic de drogue.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 08h32, vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Eric DUPOND-MORETTI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Madame.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions. Vous êtes le Garde des sceaux bien sûr. Et on va parler du trafic de drogue, la lutte contre le trafic de drogue, vous étiez hier à Marseille, accompagné du ministre de l'Intérieur, mais aussi du président de la République, lui-même, pour lancer cette opération XXL à Marseille de lutte contre la drogue. Ce matin, sur RMC, avec tous les auditeurs, on a débattu de cette question, et on a eu beaucoup de témoignages de Marseille, mais aussi d'ailleurs. Et je voudrais tout de suite nous plonger, au fond, dans ce qu'est la drogue, au-delà des chiffres, au-delà des images, c'est le témoignage ce matin de Frédéric, Frédéric qui nous a appelés, il a 60 ans, il vit dans le Nord, il ne nous a pas dit exactement où, parce que, évidemment, vous allez vite le comprendre, il ne veut pas qu'on sache où exactement il est. Mais il travaille, il vit pas loin d'une cité difficile. Il dit : chez moi, ce n'est pas si difficile, mais précisément, c'est la raison pour laquelle il a été appelé par les dealers. Ecoutez son témoignage.

FREDERIC, 60 ANS, EN SITUATION DE HANDICAP
Le dealer est venu me voir, et il m'a dit : écoute, si tu veux nous faire la nourrice de 10h du matin à 14h de l'après-midi, quand on vient rechercher le matériel à 14h, on te donne entre 200 et 300 euros par jour. Donc ce serait tout gagnant pour eux, s'ils ont besoin d'une barrette, eh bien, ils viennent, ils viennent chercher une barrette, je leur donne la barrette, je leur dis : non, je ne peux pas, j'ai trop à perdre, j'ai des enfants, des petits-enfants, j'ai 60 ans, non, c'est tentant, 6.000 euros…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous leur dites non, mais vous y pensez, quoi ?

FREDERIC
Eh bien, bien sûr, l'argent, l'argent !

APOLLINE DE MALHERBE
L'argent, dit Frédéric, il touche aujourd'hui une pension d'invalidité de 508 euros par mois, ils lui proposent 200 à 300 euros par jour. Je ne sais pas combien de temps il va tenir. Vous feriez quoi, vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je ferais quoi ?

APOLLINE DE MALHERBE
Eh bien, oui

ERIC DUPOND-MORETTI
J'appellerais les services de police. Ce que nous souhaitons faire, c'est inciter les nourrices notamment, mais également les parents des gamins qui sont recrutés, parce qu'il y a ce monsieur qui est dans une certaine précarité. Il y a aussi les gamins qui ont dit : 200 euros par jour, c'est tentant. Alors il y a tout un volet financier. D'abord, on saisit les avoirs criminels. L'année dernière, c'est 1,4 milliard de saisies d'avoirs criminels. C'est un organisme qui s'appelle l'Agrasc, il n'y en avait qu'un seul à Paris, j'en ai créé partout, notamment à Marseille, et puis, nous voulons inciter ceux qui entrent dans ce trafic, qui ne sont pas mouillés jusqu'au cou, on veut les inciter à parler. Vous savez, la grande difficulté judiciaire, c'est un mot sicilien, c'est l'omerta. On se tait, on se tait parce qu'on a peur, et parce qu'il y a de vraies menaces.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est ce que disait Frédéric d'ailleurs, quand je lui ai reposé la question : est-ce que vous avez peur ? Il dit : pour l'instant, pas vraiment. Mais on comprend qu'ils sont insistants, qu'ils sont venus, qu'ils sont revenus. Il est en pension d'invalidité, il sort très peu de chez lui…

ERIC DUPOND-MORETTI
Bien sûr, insistants, menaçants, on menace l'intéressé lui-même, on menace sa famille. Et donc…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous lui dites d'appeler la police. Il dit d'ailleurs : j'ai toujours été honnête.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, et il a refusé…

APOLLINE DE MALHERBE
Et c'est pourquoi pour l'instant, il dit non. Mais, il dit, pour l'instant, il dit quand même que ça le travaille, évidemment. Vous lui dites d'appeler la police, mais de rester avec ses 508 euros par mois, vous voyez ce que je veux dire…

ERIC DUPOND-MORETTI
Et je lui dis que nous sommes en train de préparer une grande loi sur les repentis. Je le dis. On interpelle des gros bonnets. On y reviendra sans doute parce que…

APOLLINE DE MALHERBE
On va y revenir. On va évidemment revenir sur ce qui s'est passé à Marseille et ce que s'y passe pendant trois semaines…

ERIC DUPOND-MORETTI
On va revenir sur les résultats, bien sûr. Mais, il faut inciter les gens à dénoncer et à dire les choses. Et pour ça, il faut qu'ils soient protégés quand ils le font. Ça, c'est une des clés de la réussite pour lutter contre les gros bonnets qui tiennent le trafic à Marseille.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là-dessus, justement, Eric DUPOND-MORETTI, il y a trois semaines, j'ai reçu le procureur de la République de Marseille, qui est venu à mon micro sur RMC, et qui parlait de Mexicanisation jusque dans les prisons elles-mêmes. Il disait, au fond, lorsqu'on arrête quelqu'un, c'est très bien. Mais ensuite s'ouvre une deuxième partie qui est aussi ce qui se passe dans les prisons, et que, parfois, ils continuent à se tirer les uns sur les autres. Donc, vous, vous dites : on va les protéger en dehors, quand on n'arrive déjà pas à les protéger dans la prison.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, ce n'est pas tout à fait juste cela. Enfin, ça mérite d'être nuancé. Et d'ailleurs…

APOLLINE DE MALHERBE
Allez-y, mexicanisation, le mot a été prononcé par le procureur de la République de Marseille…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, j'entends ce qui a été dit, notamment sur les prisons, et le fait qu'elles ne sont pas totalement étanches. Mais là-dessus, je dois dire qu'on a considérablement renforcé le personnel qui est affecté au renseignement pénitentiaire. On écoute, on surveille ce qui se dit, et parfois, de la prison, on permet la judiciarisation de trafics qui se mettent en place ou qui continuent. Vous savez, c'est un plan global. Il y a ce que nous avons fait hier. Ça va durer trois semaines. L'idée, c'est évidemment d'éradiquer ce trafic de stupéfiants.

APOLLINE DE MALHERBE
L'éradiquer…

ERIC DUPOND-MORETTI
L'éradiquer, bien sûr, bien sûr, on parle d'un pilonnage. Le président de la République avait dit en janvier : on va mettre en place des opérations " place nette. " Nous avons eu hier une première opération " place nette " de très, très grande ampleur, avec des tas de policiers mobilisés, avec des magistrats mobilisés, en concertation avec les policiers. Parce que si vous arrêtez, et que la justice…

APOLLINE DE MALHERBE
Emmanuel MACRON a parlé de la justice pré-judiciarisation, c'est-à-dire que les arrestations qui ont eu lieu hier, combien d'ailleurs, une centaine ?

ERIC DUPOND-MORETTI
98 interpellations, 63 gardes à vue au moment où je vous parle. Mais ce n'est pas terminé évidemment.

APOLLINE DE MALHERBE
Pré-judiciarisation. Ça veut dire qu'au fond, cette opération qui a eu lieu hier, elle avait été préparée en amont, que les enquêtes avaient déjà été menées, et que ces arrestations, ce n'est pas des gens qui vont être relâchés ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais la judiciarisation, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on va fournir à la police les éléments probatoires pour permettre des poursuites. Je veux dire, de ce point de vue d'ailleurs, que Marseille n'a jamais condamné autant de trafiquants de stupéfiants que les peines sont en constante augmentation. Et moi, à tous ceux qui disent, notamment sur votre chaîne, que c'est un coup de com, je dis que c'est scandaleux de s'exprimer ainsi, parce que, d'abord, c'est injurier les policiers, les douaniers, les gendarmes, les magistrats, les greffiers qui ont préparé cette opération en amont, c'est un boulot considérable. Ne croyez pas qu'on débarque comme ça dans la cité, puis, qu'on dit : on va faire le ménage, ce n'est pas comme ça que ça se passe. Il y a évidemment des gens qui ont été écoutés. Il y a des arrestations, vous le savez, extrêmement importantes, qui sont intervenues, importantes par, comment dirais-je, les poissons qui ont été interpellés.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous évoquez sans doute, et je voulais justement vous interroger là-dessus, l'arrestation de ce narcotrafiquant qui a été arrêté il y a dix jours précisément au Maroc, qui est l'une des deux grandes têtes du trafic…

ERIC DUPOND-MORETTI
Considéré comme…

APOLLINE DE MALHERBE
A Marseille. Est-ce qu'il a été extradé ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais il est en passe de l'être. Et je vais vous dire sur le plan international…

APOLLINE DE MALHERBE
Il va l'être, vous êtes sûr ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, Madame, on va tout faire pour qu'il le soit…

APOLLINE DE MALHERBE
Je vous pose la question parce qu'il y en avait un autre qui avait été arrêté à Dubaï. Tout le monde s'était réjoui, super, tweet du ministre de l'Intérieur, etc. Et en fait, il a été relâché.

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est la raison pour laquelle je vais aller installer dans les jours qui viennent un magistrat de liaison à Dubaï. Et franchement, mais si l'extradition à laquelle vous faites référence n'a pas eu lieu, ça n'est pas de notre fait. Chaque pays a sa souveraineté, et en particulier, sa souveraineté judiciaire. Mais ça ne se reproduira pas…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça ne se reproduira pas, là, celui qui a été arrêté au Maroc, il va bien être extradé en France ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, Madame, vous savez, il y a des opérations " place nette " sur place, il y a la judiciarisation, il y a la loi sur les repentis en préparation, il y a une mobilisation des magistrats, des greffiers. Avant l'arrivée du président de la République, je suis allé au tribunal judiciaire de Marseille pour faire le point. Je vais vous dire quelque chose, on a considérablement renforcé le nombre de magistrats, de greffiers, depuis 2017, 53 magistrats de plus, 80 greffiers de plus, 64 contractuels. Et d'ici 2027, avec la loi de programmation, qui n'a pas été votée par tous ceux qui viennent parfois piapiater sur votre plateau, nous aurons à Marseille…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous aimez bien dire piapiater sur notre plateau. Vous êtes invité quand vous voulez. C'est important aussi d'avoir votre point de vue…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais Madame, je ne vous reproche pas du tout à vous d'inviter tel ou tel. Je dis que ceux qui viennent se plaindre, c'est : blabla, blabla. Et quand par exemple, il faut voter une loi de programmation justice pour renforcer les effectifs, il n'y a plus personne au balcon, voilà ce que je dis…

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous pensez au RN, parce que Marine LE PEN, ce matin, elle a dit ça exactement à propos de ce qui s'est passé à Marseille hier. Elle dénonce un énième coup de com. L'expression que vous mentionniez à l'instant, énième coup de com d'Emmanuel MACRON à Marseille. Mobiliser 3.000 à 4.000 policiers et gendarmes pour récupérer 4 armes, 98 munitions et 8 kilos de cannabis, on ne va pas loin.

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est scandaleux, et 400.000 euros et des interpellations, 98, et 63 gardés à vue. Et que propose-t-elle, madame LE PEN ? Dites-moi ce qu'elle propose réellement, effectivement, c'est facile d'être en retrait, de regarder tout ça. Moi, je suis dans l'action, elle est dans le blabla. Voilà. Et je vais vous dire, Madame, il y a eu trois budgets, trois budgets justice successifs, augmentation de plus de 8%. Du jamais vu. C'est historique. Madame LE PEN ne les a jamais votés. Et pour la police, les renforcements des forces de sécurité intérieure, elle n'était pas au rendez-vous de ce que nous demandions, le budget pour embaucher 12.000 policiers supplémentaires. Voilà. Ce n'est pas avec des mots qu'on lutte contre le trafic de stupéfiants, c'est avec des personnels. Et pardonnez-moi, je n'ai pas tout à fait terminé, d'ici 2027, nous aurons à Marseille 12 magistrats de plus, 18 greffiers supplémentaires.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est là-dessus précisément, que je voulais vous interroger, parce que, lorsque Nicolas BESSONE est venu dans mon studio, il avait juste avant ça, été face aux sénateurs et aux députés dans cette commission d'enquête sur le trafic de drogue à Marseille. Et c'est là d'abord que Isabelle COUDERC, qui est donc vice-présidente du tribunal judiciaire de Marseille, a prononcé cette fameuse phrase : nous sommes en train de perdre la guerre contre les narcotrafiquants. Ça, c'était il y a deux semaines. Est-ce que vous estimez que depuis, vous avez repris l'avantage ?

ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, pardon, mais je pense que cette expression n'est pas opportune.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez regretté qu'elle la prononce ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ah oui, et puis je l'ai dit hier d'ailleurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous lui avez dit en face à Marseille.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr, et je crois qu'elle regrette la forme. Et je dois dire que dans ma rencontre avec les magistrats….

APOLLINE DE MALHERBE
Mais enfin elle ne l'a pas dit pour faire de la peine, parce que j'imagine qu'elle constate qu'on est…

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous avez ce propos, madame de MALHERBE, qui est un propos malheureux, et vous avez ce que j'ai entendu hier, une mobilisation sans faille…

APOLLINE DE MALHERBE
Elle l'a regretté.

ERIC DUPOND-MORETTI
De magistrats qui disent " Mais nous, on est tout à fait prêts, on est là, on est partant ". Et moi, je ne veux pas de discours de défaitisme. C'est comme ceux qui expriment de temps en temps l'idée qu'on ne pourra pas réduire les délits de justice. Vous savez que c'est un de mes dadas. Bon, et puis il y a un autre discours, un contre discours qui consiste à dire que, compte tenu de la façon dont nous avons doté la justice de ce pays comme elle ne l'a jamais été, il faut aller de l'avant et réduire les délais.

APOLLINE DE MALHERBE
Plus précisément sur la réduction des délais, c'est très important, cette question parce que, Eric DUPOND-MORETTI, encore une fois, c'est un peu comme quand on dit Untel a été arrêté et qu'en fait on se rend compte que finalement il n'est pas forcément jugé derrière. Là, il y a eu beaucoup d'arrestations, vous avez raison, et tout le monde le constate. Beaucoup plus d'arrestations ces derniers mois qu'il n'y en avait eu par le passé à Marseille. Sauf que parfois, c'est embouteillé. C'est ce que disait Nicolas BESSONE, le procureur de la ville de Marseille, à mon micro sur RMC, il appelait au renfort des moyens de justice pour une raison juridique. C'est qu'au fond, s'il y a ces arrestations mais que dans un temps, dans un délai juridique valable, ils ne sont pas jugés, on est obligé de les relâcher. Et donc ce que disait le procureur de la justice, le procureur de la ville de Marseille, il disait " Si nous ne renforçons pas la capacité de jugement au niveau de la Cour d'appel et de la cour d'assises des Bouches du Rhône, nous risquons inéluctablement d'avoir des remises en liberté pour non-respect des délais procéduraux ". Quel comble !

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors d'abord, ça n'est pas arrivé. Et deuxièmement, et cela faisait l'objet d'ailleurs de cette rencontre avec les magistrats et notamment les magistrats du parquet, il y a des renforts supplémentaires. Mais comment on fait pour réduire ces délais ?

APOLLINE DE MALHERBE
Au moment où on se parle, il n'y a pas de risque.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais non.

APOLLINE DE MALHERBE
Il n'y a pas de risque que ces gens arrêtés soient libérés pour des non-respects des délais.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais non seulement il n'y a plus de risques, mais il y a un enthousiasme très fort de la part des magistrats qui ont envie de réussir ces opérations. Je vais vous dire, il y a trois leviers pour réduire les délais. Le premier, c'est les personnels supplémentaires. Et encore, je le répète, certains de ceux qui blablatent et qui critiquent, mais au fond, quand on est dans l'opposition, on a ce droit de critiquer, n'ont pas voter les budgets, premièrement. Deuxièmement le numérique qui permet d'aller plus vite. Et troisièmement, madame, c'est très important les simplifications de la procédure et notamment de la procédure pénale, c'est en cours. Donc voilà, un plan général, c'est la lettre de mission que j'ai reçue du Président de la République pour qu'on aille plus vite, il faut qu'on soit meilleurs et surtout pas de discours de défaitisme parce que quand on dit qu'on peut perdre une guerre, je veux vous dire on la perd.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là encore, je suis un peu d'accord avec ceux qui disent que c'est de la com parce que vous parlez des mots, enfin je veux dire, j'imagine encore une fois, je reprends ces mots de la vice-présidente du tribunal judiciaire, je comprends qu'elle les ait regrettés, mais la question n'est pas de savoir si elle les a pensés, la question est de savoir si elle l'a constaté.

ERIC DUPOND-MORETTI
Est-ce que vous savez, Madame, d'où l'on vient….

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'on doit ne pas dire, s'il y a des choses qui ne fonctionnent pas ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Est-ce que vous savez, bien sûr qu'il faut le dire. Mais moi c'est la raison pour laquelle je rends des…

APOLLINE DE MALHERBE
Là ils vont certainement oser vous le dire. Ils sont pris quand même…

ERIC DUPOND-MORETTI
Attendez, madame, 60% d'augmentation du budget, vous voyez ce que ça représente ?

APOLLINE DE MALHERBE
Bien sûr, c'est considérable.

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est colossal. Et je dis que dans les discours que j'ai reçus hier, on a eu une explication de texte évidemment…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui avait l'air assez musclée, si j'en crois mes confrères de la Provence, qui disent que.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, moi, je vais vous dire 60% d'augmentation des budgets, cela nous oblige tous. Moi, évidemment, mais également les magistrats sans qui rien n'est possible. Mais j'ai aussi entendu d'autres discours et un discours enthousiaste, un discours fort. Et puis pardon, mais pardon, les résultats sont au rendez-vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors il y a la question des procédures, et puis la question de la manière dont ils seront jugés. Là encore, j'en reviens aux propos de Nicolas BESSONE parce qu'il a vraiment dit beaucoup de choses ce procureur de la ville de Marseille. Il parle de la difficulté à juger dans un climat de menace, avec évidemment ce qu'on appelle désormais les narcos homicides qui se sont multipliés l'an dernier à Marseille. Il dit La difficulté, c'est que ces faits sont liés à de la menace, de la terreur. Ils sont jugés par des cours d'assises ordinaires avec un jury populaire. Et au fond, il dit des jurés populaires qui rendent la justice dans un contexte de menace et de terreur, ça ne nous semble plus adapté. Qui penserait faire juger encore aujourd'hui par des jurés populaires des actes de terrorisme ? Ce sont des magistrats spécialisés, investis, payés pour ça. Nous appelons donc à une évolution législative pour prendre en compte ce phénomène particulier. Allez-vous répondre positivement à cette demande ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il a raison, le procureur BESSONE, sur ce point. Il y a un paradoxe en droit français, c'est que les trafiquants de stups haut niveau sont jugés par des magistrats professionnels. Mais les trafiquants de stups haut niveau, quand ils se tuent, sont jugés, pour ceux qui sont les auteurs, par des magistrats non professionnels sur lesquels il y a une possible emprise, possible menace, etc. Donc oui, une réflexion est d'ores et déjà en cours sur cette question.

APOLLINE DE MALHERBE
A titre personnel, vous souhaitez faire évoluer la juridiction, si c'est possible.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecouter, juger les trafiquants de haut niveau, les faire juger par des magistrats professionnels, mais les assassins dans le cadre de ces trafics, les faire juger par des jurés, il y a un paradoxe. Je pense que le juge répond à votre question en disant ce que je viens de vous dire.

APOLLINE DE MALHERBE
On l'a bien entendu. Il y a aussi la question de la corruption. On a parlé d'une corruption à bas bruit qui toucherait à la fois les fonctionnaires de police, mais aussi l'administration pénitentiaire. Ils sont approchés, menacés, voire achetés. Est-ce que là vous avez les moyens de lutter contre ça ? Est-ce que vous le constatez ou est-ce que cela n'est qu'une rumeur ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais ça, je vais vous dire madame, s'il y a des faits avérés de corruption, ça peut arriver, c'est déjà arrivé, il faut immédiatement que le parquet s'en saisisse et qu'il fasse ce qu'il doit faire, c'est-à-dire le ménage. Mais ce propos tel qu'il a pu être tenu ou entendu, c'est un propos totalement délétère.

APOLLINE DE MALHERBE
Délétère.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais enfin madame, moi je ne veux pas retenir cela.

APOLLINE DE MALHERBE
Encore une fois c‘est toujours pareil, moi je n'ai pas du tout envie de retenir cela et je n'ai qu'une envie c'est de dire que tout va bien et si les choses ne vont pas bien, il faut le dire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous comprenez quand vous présentez les choses aux téléspectateurs qui nous entendent…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est pas moi qui le dis, encore une fois c'est le procureur de la ville de Marseille, il a ces mots…

ERIC DUPOND-MORETTI
Il a eu tort.

APOLLINE DE MALHERBE
Il a dit, ils sont approchés et menacés voire achetés.

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, c'était inutile de s'exprimer ainsi pour une raison simple, c'est que le procureur de Marseille….

APOLLINE DE MALHERBE
Trop oser parler.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, trop oser parler, pardonnez-moi, qu'est-ce qu'on raconte là, on jette la suspicion sur la police, sur le greffe, sur les agents pénitentiaires, enfin franchement s'il y a des faits qui sont avérés de corruption possible, il y a beaucoup d'argent dans tout ça, on prend les dispositions qui s'imposent. Mais on ne jette pas la suspicion sur l'ensemble de ces corps. D'ailleurs je vais vous dire que le procureur général n'a pas soutenu ces propos. Je tiens quand même à vous le dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Le procureur général n'a pas soutenu ces propos.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, absolument pas.

APOLLINE DE MALHERBE
Il nie, il n'y a pas de corruption.

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, moi, à ma connaissance, il n'y a pas d'affaire de cette nature. Et s'il devait y en avoir une. Mais allons-y, hardi petit, et faisons le ménage. Il n'y a pas plus de difficultés que ça. Mais laisser supposer que tout serait gangrené par la corruption, ce n'est pas vrai. Ça n'est pas juste et c'est offensant à l'égard de tous ceux, policiers, gendarmes, douaniers, magistrats, greffiers qui bossent au jour le jour dans le but d'éradiquer le trafic de stupéfiants. Je pense que c'est ça qu'il faut retenir. Et qu'il y ait quelques exceptions, j'en accepte l'augure. Mais alors, il faut que l'on prenne les mesures qui s'imposent. Et c'est le rôle du procureur de la République.

APOLLINE DE MALHERBE
Eric DUPOND-MORETTI, la soeur de Samuel PATY, a demandé hier à l'Etat de reconnaître sa responsabilité dans la mort de son frère. Elle estime que les menaces qui pesaient sur Samuel PATY n'ont pas été suffisamment prises en compte, qu'il y a une forme de responsabilité. Qu'est-ce que vous lui répondez ? Et est-ce que l'Etat acceptera d'être, en quelque sorte, jugé ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, je ne réponds rien, je suis Garde des sceaux. Je vous ai déjà fait cette réponse à plusieurs reprises. Je ne peux pas commenter une affaire qui est une affaire en cours. Cette dame peut saisir l'agent judiciaire de l'Etat en responsabilité. J'entends. Nous verrons ce que la justice dira. Vous me permettez de revenir deux petites secondes en arrière. Non pas que ce sujet-là ne soit pas un sujet important, mais je veux dire que le trafic de stups, c'est l'affaire de tout le monde. Ce n'est pas que faire des policiers, des douaniers, des gendarmes, des magistrats, des greffiers…

APOLLINE DE MALHERBE
On l'a entendu avec le témoignage de Frédéric, c'est l'affaire de tout le monde…

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais ce que je veux vous dire, Madame, c'est que celui qui fume son petit pétard le samedi. Ce pétard-là, voyez, il a le goût du sang séché sur le trottoir. C'est 50 homicides volontaires. Je voudrais qu'on remette tout ça dans le bon ordre. Si les gens se tuent, si les gens trafiquent, c'est parce qu'il y a quelques bobos, quelques petits bourgeois, quelques, voilà, gens qui, de façon totalement inconsciente, pensent qu'ils ont le droit de fumer du shit le samedi soir. Ça, je veux le redire ici, c'est l'affaire de tout le monde.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous allez vraiment condamner ceux qui consomment ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, il y a les AFD qui fonctionnent bien. Vous savez ce que c'est ? Ça a été bien critiqué. Ce sont les amendes forfaitaires délictuelles. On n'en a jamais délivré autant. Et puis, disons-le quand même à des fins prophylactiques, le shit d'aujourd'hui, ce n'est pas le shit de 68. Il est dix fois plus puissant en teneur THC et il génère des schizophrénies. Je le dis aussi parce qu'il y a un impératif de santé publique…

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a donc à la fois une responsabilité et un danger…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, c'est l'affaire de tout le monde…

APOLLINE DE MALHERBE
Eric DUPOND-MORETTI, merci d'avoir répondu à mes questions ce matin. Je rappelle que vous êtes évidemment le ministre de la Justice.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2024