Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur l'Union européenne face aux conflits en Ukraine et au Proche-Orient et les questions européennes, au Sénat le 19 mars 2024.

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Circonstance : Débat préalable au Sénat à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis honoré de me trouver devant vous aujourd'hui afin de vous présenter les principaux sujets qui seront traités lors du Conseil européen des 21 et 22 mars.

Je souhaite également profiter de cette occasion pour prendre un peu de recul, sept ans après le discours de la Sorbonne, et alors que, avec les élections européennes, se clôtureront la mandature du Parlement européen et, plus largement, le cycle institutionnel européen.

Ce sommet européen se tiendra à un moment charnière pour l'avenir de l'Europe. Ensemble, les chefs d'État et de gouvernement aborderont des sujets prioritaires pour l'Union : le soutien à l'Ukraine, l'Europe de la défense, l'avenir d'une Europe élargie, le conflit au Proche-Orient, le soutien à nos agriculteurs, la préparation de l'agenda stratégique, ainsi que la réponse aux défis migratoires.

Si l'on s'arrête un instant sur l'ordre du jour de ce Conseil européen, on constate qu'il n'y a pas un sujet qui ne reflète les priorités de l'agenda de souveraineté tel que dessiné par le Président de la République dès 2017, puis décliné à l'occasion du sommet de Versailles, au lendemain du début de la guerre menée par la Russie en Ukraine.

Il y a sept ans, pourtant, l'idée d'une souveraineté européenne apparaissait, pour certains de nos partenaires, au mieux comme une idée abstraite, au pire comme une utopie française. Elle s'est pourtant peu à peu frayé un chemin au sein du débat européen jusqu'à s'y ancrer comme une évidence et une nécessité.

Face aux chocs et aux crises inédites que notre Union a vécus et continue de vivre, le combat que la France a mené dans le but d'arrimer le projet européen à cette ambition a peu à peu résonné chez nos partenaires et trouve plus que jamais un écho en Europe.

Très tôt, la France a ainsi appelé de ses voeux une Europe forte dans le monde, capable de parler d'une seule voix et de prendre en main sa sécurité. Nous avons conduit un véritable plaidoyer en faveur d'une plus grande convergence stratégique et de l'avènement d'une Europe de la défense qui assume sa propre sécurité de manière croissante, en complémentarité avec l'Otan.

La pandémie et la guerre ont toutes deux joué un rôle de catalyseur vis-à-vis de la souveraineté européenne. L'invasion russe de l'Ukraine, en particulier, a conduit les États membres à briser ensemble des tabous et à transcender des lignes que nous pensions immuables. Certains de nos partenaires européens nous disent : « Les idées que nous adorions détester il y a encore quelques années sont désormais devenues nos idées ! »

Ainsi, au lendemain du 24 février 2022, l'Allemagne a amorcé son Zeitenwende, la Pologne a massivement investi dans ses capacités de défense et le Danemark, à l'issue d'un référendum historique, décidait de rejoindre la politique commune de sécurité et de défense.

En quelques jours seulement, nous avons été capables de décider, de façon inédite et historique, de recourir à la Facilité européenne pour la paix (FEP) afin de financer des livraisons d'armes à un pays en guerre.

Aujourd'hui, face à une Russie qui mise sur l'incapacité des partenaires de l'Ukraine à la soutenir dans une guerre longue, il nous faut poursuivre nos efforts et approfondir la réflexion sur les modalités de notre soutien, sans tabou, pour faire plus, mieux et différemment, à l'instar de l'initiative engagée par le Président de la République le 26 février dernier.

Tel est bien l'esprit du sommet de Versailles, lequel, quelques semaines seulement après le retour de la guerre sur le continent européen, avait contribué tout à la fois à concrétiser le réveil stratégique européen et à poser les premiers jalons d'une base économique et industrielle européenne plus solide, tournée vers le renforcement de ses capacités de production.

Tirant également les leçons de la pandémie de covid-19, l'agenda de Versailles avait constitué un tournant essentiel pour l'Europe en visant la réduction de nos vulnérabilités et dépendances stratégiques dans les domaines de l'énergie, des matières premières, des semi-conducteurs, de la santé, du numérique et de la sécurité alimentaire, ainsi que le renforcement des capacités européennes en matière de défense.

En l'espace de deux ans, l'Union a été au rendez-vous de ces promesses en donnant une impulsion décisive à la politique industrielle européenne ; le travail législatif s'est mis en marche et a abouti à des textes européens ambitieux ayant pour but de renforcer la production et de prévenir de la sorte les pénuries de semi-conducteurs et de médicaments, ainsi que de garantir un approvisionnement sûr, diversifié et durable en matières premières critiques.

En parallèle, nous sommes parvenus, dans le sillage des engagements pris lors du sommet, à nous affranchir d'une dépendance pourtant bien ancrée à l'égard des combustibles fossiles russes et avons entrepris de relocaliser une partie de la production de technologies énergétiques propres sur le continent européen.

Nous devons désormais, dans le contexte du soutien indéfectible à l'Ukraine, renforcer encore notre autonomie et notre résilience. Cela implique en particulier d'achever rapidement la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles pour libérer l'Union européenne de toutes ses dépendances, notamment sur le volet capacitaire de défense. Nous devons également progresser très vite sur le thème de la sécurité alimentaire.

S'agissant du volet de défense, qui sera au coeur des discussions du Conseil européen, la Commission et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) ont présenté, le 5 mars dernier, une stratégie et un programme d'investissement pour l'industrie de défense européenne.

Face à un environnement stratégique toujours plus instable, il nous faut nous doter sans délai de tous les outils nécessaires et, surtout, produire, acheter et investir davantage en Européens. Ce changement d'échelle est plus que jamais nécessaire pour fournir à l'Ukraine la profondeur stratégique dont celle-ci a impérativement besoin, mais aussi pour renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement de nos armées et préparer l'avenir.

Ainsi, il est dans notre intérêt collectif d'envoyer un signal clair et d'assumer une ambition renouvelée pour l'investissement dans les capacités de défense européennes, en mobilisant pour ce faire toutes les ressources européennes à notre portée, y compris l'emprunt, le recours à la Banque européenne d'investissement (BEI), la mobilisation des intérêts des avoirs russes, dans le respect du cadre juridique que nous avons adopté, ou encore le recours à l'épargne privée. De cela dépendra notre crédibilité face à la Russie en tant qu'alliés de l'Ukraine et vis-à-vis de nos partenaires de l'Otan.

Dans la perspective des échéances à venir, il convient d'expliquer de manière très claire à nos concitoyens le tournant décisif pris par l'Union européenne depuis le déclenchement de la guerre d'agression russe en Ukraine. L'Europe contribue à la sécurité collective et protège les citoyens européens. Disons-le clairement, en renforçant les capacités de défense de l'Union européenne, il ne s'agit pas de créer une alternative à l'Otan, c'est tout l'inverse : une Europe qui assume davantage de responsabilités pour sa propre sécurité et qui se donne les moyens de le faire nous rend tous plus forts, plus performants, mais aussi plus crédibles aux yeux de nos partenaires.

Le Conseil européen se penchera également sur des sujets clés pour l'avenir de notre continent tels que l'élargissement, avec une discussion sur les éléments présentés par la Commission, le cadre de négociations pour l'Ukraine et la Moldavie et le rapport de progrès sur la Bosnie-Herzégovine.

Vous le savez, à l'aune du conflit en Ukraine, la France défend la nécessité géopolitique d'une Europe élargie, comme l'a rappelé avec force le Président de la République au printemps dernier lors de la conférence du GlobSec – pour Global Security Forum – à Bratislava.

Je rappelle également que, dans la perspective de l'élargissement, c'est l'adoption d'un agenda politique clair, notamment à travers l'agenda stratégique, qui nous permettra de définir les réformes opportunes et nécessaires qui garantiront un fonctionnement efficace des institutions.

Le Conseil européen se penchera évidemment sur la situation au Proche-Orient, en insistant notamment sur l'urgence à faire appliquer le droit international humanitaire à Gaza, conformément à nos valeurs.

Enfin, puisque le sujet des migrations sera également abordé, nous avons affirmé dès 2017 qu'une Europe plus souveraine devait être en mesure de maîtriser ses frontières. À ce titre, l'accord historique sur le pacte sur la migration et l'asile permettra de doter l'Union européenne d'une politique migratoire et d'asile européenne solide, cohérente et efficace.

En parallèle, concernant la dimension externe, il nous faut intensifier notre dialogue avec les pays partenaires afin de prévenir les départs irréguliers et d'améliorer la coopération en matière de retour.

Tels sont, en quelques mots, les principaux sujets qui seront abordés au Conseil européen de cette semaine. Vous le constatez, ils traduisent au fond une forme de victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne. Ma conviction est que nous devons à présent poursuivre cette dynamique ambitieuse de réduction des dépendances et de renforcement de la souveraineté en achevant rapidement la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles, tout en le renforçant.

Avec le Président de la République, c'est bien le message que nous porterons au Conseil européen jeudi et vendredi.

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er février dernier, la présidente de la Commission européenne se félicitait d'un " bon jour pour l'Europe " et le président Zelensky évoquait " une victoire commune sur la Russie " : les Vingt-Sept venaient de s'accorder sur un programme de soutien supplémentaire de 50 milliards d'euros pour l'Ukraine.

À la veille du prochain Conseil européen, cette belle unité n'est déjà plus. Les propos du Président de la République du 26 février, affirmant ne pas exclure l'envoi de troupes au sol en Ukraine, ont surpris nos alliés et la plupart d'entre eux ont pris leurs distances. À cela s'ajoutent de nouvelles tensions avec notre partenaire allemand. Dans ces conditions, il n'est même pas besoin de se demander quel effet a produit au Kremlin cette étrange conception de l'ambiguïté stratégique…

Mes chers collègues, le sujet est trop sérieux, trop grave, pour donner lieu à des effets de manche : c'est de la sécurité des Français et de l'Europe qu'il s'agit. Au-delà de la forme, la manière d'assurer une présence sur le territoire ukrainien sans franchir le seuil de belligérance reste à clarifier. Surtout, pour quoi faire ? Au service de quelle stratégie ? S'il s'agit de dissuader les Russes de se rapprocher de la Transnistrie, alors il faudra y consacrer davantage que des formateurs et des démineurs.

Notre commission ne cesse de le répéter : le vrai sujet du soutien à l'Ukraine est la fourniture de munitions. Nous ne sommes pas capables de fournir à ce pays les armes et les munitions dont il a besoin. C'est vrai pour la France, mais malheureusement aussi pour l'Europe. La discrétion en la matière des États-Unis, qui viennent d'accorder à l'Ukraine un maigre paquet d'aide de 300 millions de dollars, n'est pas rassurante. Cette stratégie est-elle même compatible avec l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ?

À défaut de pouvoir soutenir l'effort de guerre ukrainien et de donner une signification stratégique à l'élargissement de l'Union, la décision du dernier Conseil européen ressemble à une fuite en avant. Nous faisons des promesses d'adhésion à un pays à qui nous n'avons pas été capables de donner le tiers des munitions que nous lui avons promises. Est-ce responsable ?

Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien menace toujours d'embraser la région entière. À la sidération du 7 octobre a succédé une impuissance totale de la communauté internationale face à une guerre qui se prolonge et à une situation humanitaire chaque jour plus catastrophique. La France prend sans doute sa part dans la recherche de solutions, mais la capacité d'initiative européenne semble pour le moment bien faible, alors même que les pays européens sont depuis longtemps des bailleurs majeurs du processus de paix au Proche-Orient.

Certains États membres ont fait des propositions audacieuses, comme l'Espagne et l'Irlande, qui demandent une évaluation, voire une remise en cause de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël.

La Belgique, que son rôle de présidente du Conseil contraint pourtant à la neutralité, a estimé que la question méritait d'être posée.

Comment rapprocher les positions européennes sur ce conflit ? Quelle position la France portera-t-elle sur ce sujet si sensible à l'occasion du Conseil européen ?

Monsieur le ministre, la recomposition violente du monde se poursuit ; on pourrait même soutenir qu'elle s'accélère. Les pays européens doivent jouer tout leur rôle et préserver les intérêts de nos populations – à commencer par leur sécurité –, mais cela suppose que nous disposions d'une stratégie commune et que nous soyons capables collectivement de défendre des positions fortes et claires.

Monsieur le ministre, nous attendons que le Gouvernement agisse en ce sens à l'occasion de la prochaine réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la vice-présidente, je souhaite vous apporter deux éléments de réponse.

Premièrement, concernant la capacité à produire et à livrer des munitions à l'Ukraine, je tiens à saluer un certain nombre d'initiatives qui ont été prises, en particulier tout dernièrement par la République tchèque, pour approvisionner l'Ukraine en munitions provenant de l'extérieur de l'Union européenne, afin de faire face à l'urgence et de permettre à l'armée ukrainienne de les utiliser.

En parallèle, un effort important a été consenti pour faire monter en puissance la capacité européenne à produire des obus, notamment de 155 millimètres, avec une augmentation de 40 % depuis un an. L'objectif est d'atteindre le plus rapidement possible le million d'obus dans le courant de l'année 2024, puis les deux millions d'obus en capacité de production sur le territoire européen. Le programme et la stratégie présentés le 5 mars par la Commission européenne nous donneront des leviers pour y parvenir.

Deuxièmement, s'agissant de la situation au Proche-Orient, l'objectif est bien d'aboutir au Conseil européen à une déclaration forte rassemblant largement les vingt-sept États membres, à la fois sur la condamnation de l'acte terroriste du 7 octobre, plus grand massacre antisémite de l'histoire du XXIe siècle, sur l'appel à Israël au respect du droit international, et sur les efforts à consentir pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire si importante à Gaza, où la situation est injustifiable et se détériore.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars va marquer le lancement du semestre européen de 2024.

Je rappelle qu'il s'agit là d'un parcours annuel de coordination des politiques économiques et budgétaires nationales, dans lequel s'inscrit la présentation au printemps, par chaque État, d'un programme national de réformes et d'un programme de stabilité.

Dans ce cadre, les États membres seront amenés, lors du Conseil européen, à examiner les priorités européennes. Ils discuteront en particulier de la recommandation concernant la politique économique de la zone euro préparée par la Commission, d'ores et déjà approuvée par le Conseil.

La lecture de ce document me paraît tout à fait instructive, monsieur le ministre, puisque celui-ci recommande la mise en oeuvre d'une politique budgétaire plus restrictive visant à reconstruire des marges de manoeuvre budgétaires et à rétablir la viabilité de nos finances publiques.

Or la France semble bien loin de cet objectif. Alors que les prévisions de la Commission anticipent une baisse de 2,8 points du ratio dette sur PIB de la zone euro, lequel atteindrait alors un peu moins de 90 % à la fin de l'année 2024, la France, elle, continue imperturbablement de s'endetter davantage.

Nous sommes désormais dépassés sur ce critère par Chypre, la Belgique, l'Espagne et le Portugal et nous nous trouvons en queue de peloton, suivis seulement par l'Italie et la Grèce.

Face à cette situation, le Gouvernement privilégie la technique du coup de rabot par voie réglementaire, plutôt que de concentrer ses efforts sur la réduction des dépenses non productives. La commission des finances a pourtant fait des efforts pour identifier des sources d'économies au cours de l'examen du dernier projet de loi de finances. Réduire ces dépenses improductives, c'est maintenir un équilibre entre soutenabilité de nos finances publiques et préservation de nos capacités d'investissement.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles réformes structurelles permettant de dégager de telles économies seront présentées dans le programme de réformes pour 2024 qui va être prochainement remis à la Commission européenne ? Le programme de stabilité retiendra-t-il une prévision de croissance plus réaliste que celle sur laquelle se fondait le projet de loi de finances pour 2024 en son temps – il a connu depuis un début de révision ?

Je rappelle, par ailleurs, que la réforme des règles budgétaires européennes qui vient d'être négociée en février 2024 doit entrer en vigueur dans les prochains mois. Certes, la France a réussi, au cours des négociations, à obtenir un assouplissement temporaire pour la période 2025-2027, en excluant notamment les charges d'intérêts supplémentaires du calcul des déficits structurels au cours de ces années. La mise en oeuvre de cette réforme impliquera toutefois, pour la France – quoi qu'il lui en coûte ! –, des efforts importants qu'il convient d'anticiper dès maintenant.

Ainsi, l'Eurogroupe a estimé, lors d'une réunion le 11 mars dernier, que, si le cadre de gouvernance économique révisé s'appliquait aujourd'hui, il se traduirait par une orientation budgétaire plus restrictive que celle qui est actuellement mise en oeuvre.

Ne nous méprenons pas : si la révision des règles budgétaires européennes comporte des incitations à l'investissement public, elle vise principalement à assurer la soutenabilité des finances publiques des États membres.

Monsieur le ministre, j'encourage une nouvelle fois le Gouvernement à adopter une position de sérieux budgétaire et à anticiper l'entrée en vigueur du pacte de stabilité et de croissance révisé, en engageant une véritable réduction de notre déficit public.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. M. le rapporteur général de la commission des finances a tout à fait raison de souligner que la France doit être au rendez-vous de ses engagements européens. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour atteindre la baisse annoncée de 10 milliards d'euros dans nos dépenses, ce qui va donner lieu à un travail important dans chaque ministère.

Vous avez également rappelé que le pacte de stabilité et de croissance a fait l'objet d'une révision, à propos de laquelle la France s'est significativement mobilisée, visant à ajuster ses critères, qui étaient anciens et auxquels il convenait de donner un petit peu de souplesse afin de tenir compte de la réalité des chocs auxquels sont confrontés les pays de la zone euro.

Dans ce cadre renouvelé, la France doit veiller à respecter ses engagements.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Je resterai attentif, monsieur le ministre. J'entends vos propos, mais la France se livre à un exercice inédit : nous avons adopté un budget à l'automne, mais vous venez d'en annoncer la révision brutale et draconienne. Je ne sais pas si les prévisions de croissance initiales seront révisées et, le cas échéant, dans quelle mesure et de quelle manière elles le seront.

La France entend sans doute encore jouer un rôle important vis-à-vis de nos partenaires européens – je le souhaite –, mais ce n'est pas en se trouvant en si mauvaise posture en matière de dette et de finances publiques qu'elle servira d'exemple.

J'invite donc le Gouvernement à se ressaisir, au nom de la France et de ce qu'elle représente, mais également au nom des Français qui, quel que soit leur âge, vont faire face à des engagements qui pèseront très lourd.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les nombreux sujets importants dont sera saisi le Conseil européen après-demain, j'en retiendrai trois pour notre débat de ce soir avec le Gouvernement : le soutien à l'Ukraine, la stratégie européenne de sécurité et de défense, et l'agriculture.

Au bout de deux ans, la guerre en Ukraine arrive à un point de bascule où l'unité européenne est mise à l'épreuve. Le chancelier allemand refuse de livrer à l'Ukraine des missiles Taurus à longue portée et, au sein même de sa coalition, certains appellent au gel du conflit quand, de ce côté-ci du Rhin, le Président de la République prend l'initiative et envisage même l'envoi de troupes au sol – il a depuis lors nuancé ses propos.

Même si le sommet tripartite en format Weimar de vendredi dernier a débouché sur l'annonce d'une coalition de capacité d'artillerie entre Paris, Berlin et Varsovie, il ne suffit pas à résorber les divergences stratégiques de fond qui séparent la France de l'Allemagne et qui sont préoccupantes, à l'heure où le Président Poutine guette les signes de faiblesse de l'Union européenne.

La semaine dernière, notre assemblée a confirmé son appui à un soutien durable à l'Ukraine, car elle est convaincue que le prix d'une défaite serait supérieur à celui d'un tel soutien. Pour autant, notre pays peut-il valablement tenir longtemps cette ligne alors qu'il n'a aucune marge budgétaire, comme le rapporteur général vient de nous en faire la démonstration ?

Il faut déjà convenir du financement de la nouvelle enveloppe de 5 milliards d'euros que l'Union vient d'accorder à l'Ukraine via la Facilité européenne pour la paix. Monsieur le ministre, parviendra-t-on à mobiliser à cet effet 3 milliards d'euros tirés des revenus des avoirs russes gelés, comme l'espère la France ?

En outre, l'Ukraine risque d'avoir encore besoin d'aide d'ici à l'été. Comment financer cette nouvelle tranche ?

L'enjeu est de construire une architecture durable de sécurité en Europe, capable de faire face à Vladimir Poutine et peut-être, demain, de nous passer d'un éventuel Président Trump.

Le soutien à l'industrie de défense européenne nécessite des moyens importants à moyen terme. Cela passe sans doute par l'appui de la Banque européenne d'investissement. Quand celle-ci sera-t-elle autorisée à investir dans ce domaine ? Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour envisager un nouvel emprunt commun. Le Sénat s'en inquiète, déjà soucieux du remboursement de l'emprunt européen levé il y a deux ans pour financer la relance. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer ?

Un autre sujet d'inquiétude se fait jour en matière de défense : la Commission européenne et le Haut Représentant ont présenté début mars une communication sur la stratégie européenne pour l'industrie de défense, ou European Defence Industrial Strategy (Edis), et la proposition de programme d'investissement dans le domaine de la défense, ou European Defence Industry Programme (Edip). Ces textes ambitieux viennent heurter les compétences des États membres en matière de défense. Or il ne s'agit pas d'une industrie comme une autre. Avec le président Cédric Perrin et les rapporteurs concernés, nous avions déjà alerté à ce sujet la Première ministre, Mme Borne, lors de l'examen par le Parlement européen de l'action de soutien à la production de munitions, dite Asap (Act in Support of Ammunition Production). Jusqu'où le Gouvernement est-il prêt à s'en remettre à la Commission pour construire l'Europe de la défense ?

Le troisième enjeu de taille du Conseil européen est la question agricole. L'heure de vérité a enfin sonné : la menace qu'un verdissement accéléré de notre agriculture représente pour la souveraineté alimentaire de l'Union est enfin reconnue. Le Sénat n'a cessé de la dénoncer depuis cinq ans, par des résolutions européennes successives ; il se félicite du revirement que représente la révision de la politique agricole commune (PAC), proposée vendredi dernier par la Commission. Enfin, le tabou est brisé.

Un " Égalim " européen est même envisagé et nos agriculteurs devraient pouvoir en bénéficier à partir de 2025. En attendant, leurs revenus ne cessent de baisser, leurs contraintes de s'accumuler et les flux d'oeufs, de volailles, de sucres et de céréales importés d'Ukraine explosent. Quelles mesures concrètes la France entend-elle proposer au Conseil européen pour y remédier ? Ne faut-il pas repenser le soutien de l'Union à l'Ukraine, en aidant ce pays à trouver ses marchés habituels ?

Monsieur le ministre, il est urgent de secourir nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Gisèle Jourda et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, vous avez évoqué certaines divergences : je préfère les qualifier de complémentarités, parce que je constate une très forte unité des États membres de l'Union européenne – et bien sûr de la France et de l'Allemagne – dans leur détermination à soutenir la résistance ukrainienne aussi longtemps et aussi intensément que nécessaire.

S'agissant des questions de financement que vous avez soulevées, et qui seront sans nul doute l'un des sujets les plus abondamment discutés lors du Conseil européen de jeudi et vendredi, plusieurs pistes sont sur la table, dont la mise en oeuvre présente des degrés variables de facilité.

Nous pouvons envisager la mobilisation des profits d'aubaine générés par les actifs russes gelés, l'extension du mandat de la BEI – une proposition soutenue par quatorze chefs d'État et de gouvernement dans une lettre publiée lundi dernier, sur l'initiative de la Finlande, malgré quelques réticences persistantes, que nous avons bon espoir de surmonter.

Enfin, l'idée d'un grand emprunt, bien que plus exploratoire, ne doit pas être écartée d'emblée, tant les besoins sont importants, à la fois pour le soutien à l'Ukraine et pour le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.

Ce point me conduit à revenir sur votre remarque concernant l'Edis et l'Edip. La France est satisfaite de ce premier jet, qui intègre la préférence européenne, un principe qu'elle a défendu avec vigueur lors des travaux préparatoires à la rédaction de ces communications de la Commission.

Cependant, nous serons très attentifs à ce que les prérogatives nationales ne soient pas communautarisées, car si l'objectif est d'améliorer l'interopérabilité et la réactivité de notre base industrielle de défense, l'essentiel de la politique de sécurité et de défense demeure entre les mains des États membres.

En ce qui concerne l'agriculture, je me réjouis comme vous du tournant pris par la Commission européenne. La publication de vingt mesures de simplification de même que la proposition de révision de la PAC sont bienvenues. Il faut maintenant aller plus loin en adoptant une loi Égalim européenne, en assurant l'équité concurrentielle avec la force d'intervention et en instaurant de nouvelles mesures miroirs pour assurer la réciprocité à nos agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je répondrai à M. le ministre lors de la conclusion de ce débat, qui me reviendra. Je souhaite toutefois sans attendre remédier à un oubli dans mon devoir de bienséance, et vous souhaiter la bienvenue dans notre hémicycle, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à chaque jalon de la construction européenne, ses défenseurs nous vendent une Europe sociale et une Europe de paix.

Il a fallu peu de temps pour que le volet social soit discrédité. Aujourd'hui, après avoir sacrifié les politiques sociales sur l'autel de l'austérité et de la libre concurrence, l'Union européenne prépare la guerre.

Si la ligne de front s'est figée, la guerre, elle, ne s'atténue pas pour autant. Cette guerre a jeté 4 millions de personnes sur les routes ukrainiennes, et 6 millions d'autres personnes dans l'exil. Des dizaines de milliers de vies ont été soufflées par les bombes et fauchées par les balles.

L'Union européenne doit mettre fin à cette folie et promouvoir des processus de négociation. Nous devons d'urgence élaborer une solution globale de sécurité en Europe et nous affranchir de l'alignement atlantiste, qui ne profite qu'aux États-Unis et aux dividendes de guerre.

Les coups de menton militaristes du Président de la République, notamment son hypothétique envoi de troupes, sont rejetés en masse par les dirigeants européens.

Envers et contre tous, M. Macron, à Prague, au journal de vingt heures et dans un entretien au Parisien, affirme et réaffirme qu'il faut se préparer à tous les scénarios. Cette insistance ne vise qu'à travailler la conscience des Français et à instiller l'idée que la guerre avec la Russie est inévitable.

Monsieur le ministre, je rappelle solennellement que la paix avec la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale, n'est pas une option. Notre jeunesse ne doit pas se préparer à aller au front. La paix est une nécessité existentielle pour les Français, pour les Européens, pour l'humanité.

Pour croire en l'avenir, l'humanité doit également avoir confiance dans ses institutions pour relever le défi climatique. La directive dite " Mégacamions " a été adoptée le 12 mars par le Parlement européen. À bien y regarder, le texte recueille la majorité des voix des groupes du Parti Populaire Européen (PPE), dans lequel siègent les députés Les Républicains, la majorité des voix du Renew Europe Group, dans lequel siègent les députés de la majorité présidentielle, et la majorité des voix du groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, au sein duquel siègent les députés socialistes.

Cette directive prévoit de faire rouler des camions de soixante tonnes et de vingt-cinq mètres, soit de véritables immeubles roulants, sans possibilité pour les États membres de s'y opposer. Le désastre écologique est annoncé. Ces véhicules sont neuf fois plus polluants qu'un trajet équivalent via le fret ferroviaire.

À défaut d'investissements et d'une sortie de la logique du tout-routier, le fret déraille. Depuis 2000, selon le ministère des transports, le volume transporté a baissé de 43%. Depuis l'ouverture à la concurrence, en 2007, la situation ne s'est guère améliorée, si bien que l'opérateur historique, Fret SNCF, est en crise.

C'est le résultat de ces politiques européennes.

Une étude commandée par les entreprises ferroviaires prévoit une chute supplémentaire de 21 % des volumes transportés et de 16 % du transport combiné à cause de la directive.

Les contrats de plan État-région et les 900 millions d'euros alloués au fret n'y changeront rien. Un fret sans client, la belle affaire !

À quoi bon avoir inauguré en grande pompe la très pertinente ligne Calais-Turin si c'est pour la mettre en concurrence déloyale avec ces mastodontes de la route ?

Confirmez-vous que la France s'opposera, " quoi qu'il en coûte " et jusqu'au bout, à ces mégacamions qui finiront d'anéantir le fret ferroviaire, monsieur le ministre ? Confirmez-vous, comme le ministre Patrice Vergriete, que le report modal est une priorité du Gouvernement ?

Sur l'écologie, toujours, sous la pression du patronat, des géants de la finance mondiale, et avec la complicité de la France, la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité a été vidée de sa substance.

Ce texte laisse en effet échapper deux tiers des entreprises concernées. Le secteur financier sort exonéré du contrôle a priori qu'il devrait effectuer pour ses prêts, ses investissements et ses produits d'assurance. Autrement dit, la finance verte est définitivement une fumisterie.

Nulle conditionnalité des rémunérations exceptionnelles des dirigeants de ces entreprises à l'atteinte d'objectifs climatiques n'ayant été prévue, les actions gratuites vont continuer de se déverser par milliards.

La lutte contre la réduction des conséquences des activités humaines sur notre environnement ne peut plus être sacrifiée aux intérêts financiers, le tout sous la pression des lobbies, la France jouant le rôle de courroie de transmission.

Confirmez-vous que la France a contribué à dénaturer la directive qu'elle avait pourtant portée et soutenue, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Je m'efforcerai de respecter le temps de parole que vous m'avez alloué, madame la présidente.

Madame la sénatrice, le Président de la République a indiqué que nous ne dévoilerons plus nos cartes ni nos lignes rouges afin de ne pas indiquer à Vladimir Poutine le sens de nos stratégies. Ces propos sont soutenus dans un certain nombre de pays de l'Union européenne. Les États baltes, la République tchèque, la Pologne et, plus récemment, la Finlande l'ont indiqué publiquement.

La paix est effectivement une nécessité existentielle. Telle est la raison pour laquelle le Président de la République – il a été suffisamment critiqué à ce titre – a épuisé toutes les voies du dialogue et de la diplomatie avant de constater que Vladimir Poutine est mû par une forme de fantasme impérialiste qui ne reconnaît plus les frontières et qu'il convient d'afficher face à lui une forme de fermeté.

Par ailleurs, la France ne soutient pas la directive Mégacamions telle qu'elle a été soumise au Conseil européen. Nous considérons, comme vous, madame la sénatrice, que cette proposition induirait un report modal inversé, autrement dit une augmentation du transport routier au détriment d'autres modes de mobilité moins carbonés, ce qui serait contraire à notre ambition d'atteindre la neutralité carbone en 2050.

Nous sommes donc attachés à trouver un compromis plus équilibré entre les enjeux de limitation des émissions du transport routier, de compétitivité économique et de préservation de l'état des infrastructures, et avons proposé que la directive limite la circulation transfrontalière des véhicules dépassant la limite de poids à des trajets inférieurs à 150 kilomètres, ce qui empêcherait a fortiori la traversée de la France par ces mégacamions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.

Mme Cathy Apourceau-Poly. En matière d'écologie, monsieur le ministre, la France feint de soutenir les initiatives progressistes pour ensuite mettre tous les moyens diplomatiques à sa disposition pour amputer la législation européenne. C'est vrai pour le devoir de vigilance, c'est vrai pour les travailleurs des plateformes, c'est vrai pour la fin des véhicules thermiques et hybrides, et ce sera peut-être vrai pour la directive Mégacamions.

Nous demandons de la cohérence et de la clarté, seules conditions pour instaurer la confiance minimale sans laquelle nous savons qu'un électeur sur deux ne se déplacera pas lors des prochaines élections européennes. J'estime que vous en porterez une part de responsabilité, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj.

M. Ahmed Laouedj. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux ans après le début du conflit en Ukraine, faut-il, pour reprendre les propos tenus par le président du Conseil européen, Charles Michel, ce lundi, " nous préparer à la guerre pour avoir la paix " ?

Depuis l'agression russe, l'Europe s'emploie à soutenir l'Ukraine. La semaine dernière, nos débats ont montré que la volonté de protéger non seulement ce pays, mais aussi, plus globalement, le camp des valeurs démocratiques faisait consensus.

Face à cela, le groupe RDSE a toujours approuvé les initiatives européennes en matière de sanctions, quelle que soit leur portée, effective ou symbolique. Celles-ci sont à mon sens nécessaires et indiscutables, ne serait-ce que pour isoler Moscou sur la scène internationale.

Je me félicite donc des nouvelles mesures qui viennent d'être annoncées, notamment les sanctions prises au titre du non-respect des droits de l'homme à l'encontre de trente individus et entités responsables de la mort de l'opposant Alexeï Navalny.

L'on ne peut de même que souscrire à la déclaration des ministres des affaires étrangères européens sur la tenue de la prétendue élection présidentielle dans les territoires ukrainiens temporairement occupés en Crimée et dans les quatre oblasts d'Ukraine orientale.

Dans ce contexte où le dirigeant russe se sent légitimé à poursuivre son destin impérialiste, le soutien européen à Kiev doit redoubler d'efforts. La France, fortement encouragée par les pays baltes, en était convaincue. Son accord bilatéral de sécurité avec l'Ukraine, auquel mon groupe a apporté son adhésion sans réserve, en est l'illustration.

Il convient maintenant de faire preuve de pédagogie auprès de certains États membres – l'Allemagne, pour n'en citer qu'un – afin qu'ils mesurent ce que cela implique, monsieur le ministre. Je pense en particulier à la mise en place d'une véritable industrie de défense mutualisée. Depuis le début de la guerre, 75% des achats d'équipements militaires sont allés à des firmes non européennes, dont 68% sont américaines.

J'ouvrirai d'ailleurs une parenthèse. Si notre contribution financière à l'Otan est parfois jugée insuffisante outre-Atlantique, j'invite nos amis américains à considérer le volet commercial, qui les sert plus que de raison.

Si mon groupe approuve la création du fonds d'assistance à l'Ukraine, doté de 5 milliards d'euros, je m'interroge sur la part des achats conjoints européens qui reviendra à l'industrie de défense européenne.

Quoi qu'il en soit ou, devrais-je dire, quoi qu'il en coûte, mon groupe rejoint la position défendue par la France, la Belgique, l'Estonie ou encore l'Espagne concernant un grand emprunt européen pour financer des investissements dans la sécurité économique et la défense.

Le Conseil européen sera également marqué par une autre urgence, celle du drame humanitaire qui se joue depuis octobre dernier dans le territoire de Gaza. Chaque jour, des milliers de civils continuent de payer le prix de la stratégie mortifère du Hamas, qui conduit à la réplique sans réserve de l'armée israélienne.

Le RDSE a toujours soutenu la position française : demande d'un cessez-le-feu immédiat, retour des otages et éradication du Hamas et des colons israéliens violents agissant en Cisjordanie occupée.

Les menaces grandissantes à l'écart des Palestiniens de Rafah nous inquiètent. Une opération militaire d'envergure à la frontière avec l'Égypte conduirait à encore plus de chaos à Gaza.

Lors du Conseil européen, la France doit donc porter la voie d'une solution diplomatique d'équilibre et faire entendre les préoccupations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), de l'ONU et des ONG à propos de la catastrophe humanitaire qui est en cours au Proche-Orient.

Tout doit être mis en oeuvre pour que l'aide humanitaire parvienne au peuple de Gaza. L'on ne peut pas opposer à l'acheminement de l'aide des arguments techniques, sauf à ce que ces derniers cachent une posture politique de la part du gouvernement israélien. On ne doit pas laisser la famine s'installer à Gaza, au mépris du droit international.

Notre devoir est aussi de veiller à l'application des mesures préventives demandées par la Cour internationale de justice pour éviter tout risque de génocide. Nous pourrions en être rendus à cela, en effet, si une trêve n'intervient pas rapidement.

Je n'oublie pas que le Conseil sera consacré à bien d'autres sujets, notamment l'agriculture, mes chers collègues. Les efforts réalisés par la Commission pour alléger les contraintes environnementales dictées par la PAC seront notamment évoqués. Le RDSE salue les propositions qui répondent aux attentes que les agriculteurs français ont exprimées dans la colère durant plusieurs semaines.

Enfin, je profite de cette tribune pour saluer les travaux de la Commission et du Parlement sur la régulation des systèmes d'intelligence artificielle (IA). À l'ère de la reconnaissance biométrique à grande échelle, de la propagation des vidéos deepfake, de la surveillance de masse et de la notation sociale des citoyens, nous devons nous montrer intransigeants sur ce qui ne peut pas être permis.

Monsieur le ministre, la France s'est longtemps opposée à l'IA. En février dernier, Paris a levé ces réserves. Qu'avons-nous obtenu, en particulier pour la protection des start-up nationales ?

En tout état de cause, nous vous encourageons à sauvegarder à la fois nos intérêts commerciaux et les données personnelles. Plus globalement, il importe que l'Europe réussisse sa transition numérique, qui constitue un pan important de sa souveraineté stratégique.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je souhaite à mon tour dénoncer les prétendues élections dans les territoires occupés par la Russie en Ukraine, que nous ne reconnaissons pas et ne reconnaîtrons jamais. Nous avons bon espoir que la déclaration qui a été faite au nom des vingt-sept États membres par le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune sera reprise dans les conclusions du Conseil européen.

En ce qui concerne la préférence européenne, dans sa communication en date du 7 mars sur l'Edis et l'Edip que j'évoquais précédemment, la Commission a indiqué que les objectifs d'approvisionnement auprès de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) sont significativement relevés. Nous attachons une grande importance à cet objectif, car la crédibilité de notre soutien à l'Ukraine dépend de la crédibilité de ladite base.

Enfin, le règlement sur l'intelligence artificielle a récemment fait l'objet d'un accord définitif. Comme vous le savez, la France a beaucoup milité, avec l'Allemagne – ce fut du reste un bel exemple de coopération –, pour parvenir, dans le cadre de ce règlement, à un bon équilibre entre la nécessaire protection des personnes et des citoyens européens, d'une part, et le nécessaire développement de ce type d'innovations majeures pour les années à venir en Europe, d'autre part.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de m'exprimer sur le Conseil européen des 21 et 22 mars, je souhaite m'arrêter sur les élections européennes du 9 juin prochain.

Il s'agit généralement du scrutin le moins suivi par nos compatriotes, celui qui souffre du plus fort taux d'abstention de tous nos scrutins. La réforme de 2018, qui a rétabli la circonscription nationale unique, a peut-être favorisé une participation un peu plus élevée au scrutin de 2019, puisqu'il était le premier depuis vingt ans à connaître une abstention inférieure à 50%.

La circonscription unique présente toutefois l'inconvénient majeur qu'elle emporte un défaut de représentativité de tous les territoires. L'on constate en effet la surreprésentation des élus franciliens chez les députés européens sortants, la diversité géographique ne dépendant que de la bonne volonté ayant présidé à la constitution des listes en présence.

La parité de genre a été imposée dans tous les scrutins de liste et ne souffre plus aucune contestation. Nous observons du reste son efficacité dans nos assemblées. Pourquoi ne pas imaginer spécifiquement pour le scrutin européen, en sus du critère de parité, un critère de répartition géographique des candidats composant une même liste ?

En attendant cet éventuel apport au prochain scrutin européen, j'appelle les différentes listes à veiller à la bonne représentation de tous les territoires, notamment de tous les territoires ultramarins, lors de la constitution des listes.

Comme lors des Conseils précédents, l'Ukraine occupera certainement l'essentiel des discussions. La guerre entre la Russie et l'Ukraine est en effet entrée dans sa troisième année. Plus les jours passent, et plus il faut nous préparer à voir ce conflit durer des années.

Comme l'a rappelé le Premier ministre la semaine dernière lors du débat sur l'accord bilatéral de sécurité entre la France et l'Ukraine, la victoire de l'Ukraine est indispensable. À défaut, il ne pourrait y avoir de sécurité en Europe.

Or, en deux ans, nos capacités à soutenir l'Ukraine militairement se sont à peine accrues, et force est de constater que les sanctions économiques prises pour affaiblir l'économie russe et son industrie militaire tardent à produire leurs effets. En 2024, notre production d'obus devrait par exemple s'établir à 20 000 unités, comme les années passées, ce qui correspond aux besoins de l'artillerie ukrainienne pour seulement une semaine, alors que le groupe Nexter affirme être en mesure de produire jusqu'à 100 000 obus dans les années à venir, à la condition d'avoir une visibilité à long terme sur les commandes de l'État.

Le système dit de Facilité européenne pour la paix, auquel la France a déjà contribué à hauteur de 1,2 milliard d'euros et dont une réforme doit être adoptée lors de ce Conseil européen, permettra-t-il enfin d'augmenter nos moyens de production, monsieur le ministre ?

Nous ne pouvons également que constater les multiples contournements des sanctions par la Russie, avec la complicité de pays tiers, comme la Turquie, pourtant membre de l'Otan. L'Inde absorbe maintenant 40 % des exportations russes de pétrole, contre presque rien avant le conflit, et revend sur le marché européen les produits issus de son raffinage.

Ces contournements sont documentés et l'on peut les retracer sans difficulté dans les statistiques des pays voisins de la Russie.

Une étude de l'Institut d'économie scientifique et de gestion (Iéseg) parue le 26 février dernier confirme que les sanctions de l'Union européenne sont massivement contournées. Les auteurs de l'étude indiquent que les exportations de l'Union européenne vers la Turquie, les Émirats arabes unis, le Kazakhstan et d'autres pays réputés proches de la Russie ont bondi de presque 3 milliards d'euros, soit une augmentation de plus de 81% entre 2022 et 2023. La palme revient au Kirghizistan, qui a augmenté ses importations de biens européens de plus de 1 680% !

Monsieur le ministre, il est temps d'adopter une réglementation plus stricte pour interdire réellement l'utilisation des produits dérivés du pétrole russe et pour soumettre à autorisation les exportations des biens sensibles, surtout vers des pays qui ne servent manifestement que de plateformes de transit pour le contournement des sanctions européennes. Que prévoit l'Union européenne en la matière ? Le sujet sera-t-il abordé par la France lors de ce Conseil ?

De manière générale, il faut mettre fin à toute forme de dépendance économique et commerciale entre la Russie et les pays de l'Union européenne. Telle est la recommandation n° 1 du rapport intitulé Pourquoi l'avenir de l'Europe se joue en Ukraine, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Permettez-moi de plaider pour le territoire dont je suis élu, monsieur le ministre. La Guyane pourrait offrir l'indépendance à la France en matière pétrolière si la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, dite loi Hulot, n'y était pas appliquée.

L'une des conséquences de la guerre en Ukraine est la déstabilisation du secteur agricole, qui s'est cristallisée, en ce début d'année, par des manifestations de grande ampleur dans de nombreux pays de l'Union européenne. La peur de la concurrence des produits ukrainiens exemptés de droits de douane s'ajoute en effet aux difficultés générées par l'application de la PAC 2023-2027.

Le 31 janvier, la Commission européenne proposait un train de mesures temporaires, parmi lesquelles la prolongation d'un an de la dispense de mise en jachère de 4 % et un mécanisme renforcé de sauvegarde en cas de perturbation des marchés agricoles par des importations de pays hors Union européenne qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences sanitaires ou environnementales.

Monsieur le ministre, je sais d'expérience quelles peuvent être les conséquences de la distorsion de concurrence. J'ai vu la production rizicole guyanaise disparaître en quelques années à cause de la réglementation européenne. À quoi bon imposer des normes restrictives à nos agriculteurs si nous acceptons d'importer à moindre coût des produits qui ne respectent pas ces mêmes normes ? Nous ne protégeons alors ni nos consommateurs ni nos agriculteurs. La France fera-t-elle entendre sa voix pour mettre fin à cette aberration qui dure depuis bien trop longtemps ?

J'en viens enfin aux conséquences de l'adoption, par le Conseil européen, de la directive dite RED III, qui concerne le développement des énergies renouvelables. Cette directive prévoit la création de zones d'accélération des énergies renouvelables dans lesquelles le délai de délivrance des permis de construire ne devra pas dépasser douze mois, la création d'une présomption de l'intérêt public majeur des projets d'énergie renouvelable et la création d'un cadre juridique incitatif pour les carburants renouvelables et bien d'autres innovations dans le domaine.

Nous avons jusqu'en 2025 pour transposer cette directive en droit interne. Serons-nous prêts, monsieur le ministre ? La fâcheuse habitude française à l'inflation bureaucratique qui ralentit toute démarche ne risque-t-elle pas de contrevenir aux objectifs de cette directive ? Quand ces zones d'accélération seront-elles définies ? Toutes les régions seront-elles concernées ?

En règle générale, cinq années sont au minimum nécessaires pour qu'un projet d'énergie renouvelable voie le jour en Guyane.

Enfin, la future centrale électrique du Larivot, en Guyane, qui doit fonctionner avec de l'huile de colza importée d'Europe, pourra-t-elle utiliser une huile produite localement grâce à cette directive ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. En ce qui concerne tout d'abord le scrutin, s'il a parfois été reproché au Gouvernement d'être par trop francilien, j'observe que certaines listes pour les élections européennes du 9 juin récemment parues le sont encore bien davantage, monsieur le sénateur. En tout état de cause, il appartient à chaque formation politique de veiller à la représentation de tous les territoires de la République sur sa liste.

Il est ensuite absolument essentiel – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur – d'envoyer des signaux clairs aux industriels de la défense. C'est pourquoi, lors des discussions autour de chacun des dispositifs de soutien financier pour l'approvisionnement en équipement militaire de l'Ukraine, la France est toujours le pays qui insiste le plus pour que la préférence européenne soit prise en compte. Elle l'a été dans la communication sur l'Edis et l'Edip, que j'ai citée, et grâce à la force de conviction de la France, elle l'est aussi dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix, puisque la règle est désormais que les achats conjoints éligibles à cette facilité se fassent préférentiellement au profit de la base européenne, ce qui contribuera à donner de la visibilité à nos industriels.

Vous pointez à juste titre le contournement des sanctions, monsieur le sénateur. Ce sujet a été pris en compte lors de la préparation du treizième paquet de sanctions qui a été adopté à l'unanimité le 23 février 2024. Celui-ci comprend 117 nouvelles désignations individuelles, ainsi que des mesures sectorielles ciblées sur la production de drones, mais il s'attache aussi à sanctionner les opérateurs logistiques qui organisent les importations illicites de biens vers la Russie.

Enfin, sur le dernier sujet que vous soulevez, la directive RED III et son application pour la centrale du Lavirot, je ne suis pas en mesure de vous répondre pour l'heure, mais je m'engage à revenir vers vous le plus rapidement possible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur les financements de la défense européenne et sur la candidature d'adhésion de la Bosnie-Herzégovine à l'Union européenne.

Depuis près de deux ans, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union se sont engagés à dépenser davantage et mieux pour renforcer l'industrie européenne de la défense.

L'une des annonces du sommet de Versailles, en mars 2022, était l'intensification de la coopération grâce à des projets conjoints. Il aura fallu un an et demi pour mettre en oeuvre cette ambition et adopter, le 9 octobre dernier, l'instrument nécessaire, le fameux règlement Edirpa (European Defence Industry Reinforcement Through Common Procurement Act).

Grâce à ce nouveau dispositif, un remboursement partiel sur le budget de l'Union sera accordé aux États membres pour les acquisitions conjointes faisant intervenir un consortium d'au moins trois États.

Le budget alloué à ce dispositif, certes temporaire, ne s'élève toutefois qu'à 300 millions d'euros. L'enveloppe paraît très limitée, en dépit de la clause imposant 65% de composants des produits finaux ou d'un produit associé venant de l'Union européenne.

De manière plus structurelle, la Commission européenne et le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ont présenté le 7 mars une communication conjointe attendue de longue date sur la stratégie industrielle de défense européenne. Celle-ci se verrait cette fois allouer une enveloppe de 1,5 milliard d'euros d'ici à 2027. C'est mieux, mais cela paraît encore peu et très éloigné des enjeux auxquels l'Union européenne est aujourd'hui confrontée.

Le second volet de cet effort est le renforcement et le développement de nos industries de la défense, y compris nos PME.

Je tiens à remettre au coeur de nos débats la taxonomie de l'Union européenne. Nous avons eu l'occasion, il y a quelques semaines, de dénoncer la frilosité bancaire à l'égard des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne, qui en est la conséquence.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous faire pour intégrer les problématiques de financement du secteur de la défense dans la définition des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG ? Les chefs d'État et de gouvernement devraient apporter leur soutien à un changement des statuts de la Banque européenne d'investissement lui permettant de financer des projets de défense. Pouvez-vous nous confirmer que ce sera bien le cas, et nous préciser à la fois les modalités et le volume des crédits espérés ?

J'en viens à mon second point, la candidature de la Bosnie-Herzégovine.

Il a fallu près de six ans et demi entre la demande d'adhésion à l'Union et l'obtention du statut de pays candidat par cet État, qui en rejoint ainsi huit autres.

Pour 83 % des Bosniaques, favorables à cette adhésion, ce sont six ans de rêve européen, six ans de subventions pour mettre en oeuvre les réformes clés prescrites, six ans de quête lointaine d'un État de droit, mais aussi six ans d'illusions, de conférences en sommets, à n'être considérés que marginalement et traités qu'en cas de crise, par exemple la crise migratoire.

Ce sont aussi six ans de novlangue bruxelloise, et six ans à consentir à revoir à la baisse la conditionnalité « argent contre réformes » en échange d'une stabilité de façade.

Ce sont enfin six ans de sous-estimation de la réalité politique des Balkans, justifiée par le lourd héritage des guerres, mais aussi par un méticuleux travail de sape de la Russie et de la Chine.

Oui, cette région produit plus d'histoire qu'elle n'en peut consommer, pour reprendre les propos attribués à Churchill. Le système politique bosniaque est complexe, hérité des accords de paix de Dayton, parfois synonyme de clientélisme et de captation d'État.

Ajoutez à cela l'affaiblissement du modèle européen au sein de l'opinion publique sous l'effet des influences qui s'y exercent, et vous obtenez, mes chers collègues, une situation quelque peu délicate.

L'invasion russe de l'Ukraine jouera-t-elle un rôle d'accélérateur pour les réformes engagées par le pays ? L'adhésion de la Bosnie peut-elle limiter l'influence russe dans la région ? Après les élections européennes de juin, la réforme des traités sera-t-elle mise sur la table pour qu'enfin la gouvernance européenne soit repensée et son fonctionnement renforcé ? Ce dernier point est un préalable indispensable à tout élargissement.

Quelle est la position du Gouvernement, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, vous avez cité le programme Edirpa, dont l'objet est d'inciter à l'achat conjoint ou, du moins, à la formation de consortiums. C'est précisément l'un des dispositifs que la Commission européenne a proposé de pérenniser dans la stratégie qu'elle a présentée il y a quelques jours. Elle envisage ainsi d'accorder 3 milliards d'euros pour soutenir la stratégie Edis et le programme Edip dont 1,5 milliard d'euros est pour ainsi dire budgété.

Toutefois, vous avez raison, il faudra sans doute trouver des ressources nouvelles, d'où le travail que nous mènerons jeudi et vendredi sur la mobilisation des revenus tirés des avoirs russes gelés, sur le grand emprunt, qui soulève quelques réticences et dont le dispositif nécessitera d'être approfondi, ainsi que sur la Banque européenne d'investissement, qui – vous l'avez rappelé – s'est limitée jusqu'à présent à investir dans des activités duales, c'est-à-dire à 50% civiles, si l'on s'en tient à une définition assez restrictive du terme. Elle dispose pour cela de deux instruments : l'un de prêt, qui est doté de 8 milliards d'euros, mais qui n'est pour l'instant consommé qu'à hauteur de 2 milliards d'euros ; l'autre d'investissement ou de prise de participations, doté de 175 millions d'euros, qui vient tout juste d'être monté.

Avec un certain nombre d'États membres, nous avons signé une lettre, qui a été publiée lundi dernier, pour demander que le mandat de la Banque européenne d'investissement soit élargi aux activités de défense, purement et simplement. J'espère que nous parviendrons à obtenir cela au plus vite.

Vous avez également rappelé que la Commission européenne avait proposé d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. Le Conseil européen doit en débattre à la fin de cette semaine. Ce n'est que le début d'un processus qui permettra au pays candidat de se rapprocher des normes et des standards européens. Nous restons attachés à une approche fondée sur les mérites propres de chaque candidat. Il est essentiel que le pays mette en oeuvre les réformes nécessaires. La crédibilité du processus d'adhésion en dépend.

Certes, c'est un moment où nous devons envoyer à la Bosnie-Herzégovine un signal d'encouragement, mais il nous faut aussi lui signifier fermement et sans équivoque notre attachement à une approche fondée sur les mérites du pays candidat. Cela n'empêche pas que nous lui apportions tout le soutien nécessaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour la réplique.

Mme Gisèle Jourda. Monsieur le ministre, tout en accompagnant la Bosnie-Herzégovine dans le processus qui lui donnera le statut de pays candidat, il ne faudrait pas oublier les autres pays qui ont déjà ce statut, tels que la Géorgie, la Moldavie ou l'Ukraine. Les attentes sont fortes dans ces pays ; il ne faut pas les négliger.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour du Conseil européen des 21 et 22 mars est de nouveau dominé par des sujets lourds correspondant à de forts enjeux géopolitiques : la situation en Ukraine et celle, tout aussi tragique, au Moyen-Orient.

Par manque de temps, c'est la seule Ukraine qui sera l'objet de mon intervention.

De toute évidence, l'évolution du conflit ukrainien exige que les dirigeants européens se parlent et s'efforcent de définir sur le sujet une ligne claire pour une action commune efficace. Cette réunion devrait fournir une nouvelle occasion pour le faire.

Dans cette perspective, il est désolant que le Président de la République ait brouillé les cartes, le 26 février dernier, par des propos inconsidérés, qui ont déconcerté aussi bien les citoyens français que la plupart de nos partenaires européens.

Quoi que l'on pense au fond de la position personnelle qu'il a alors exprimée, il faut d'abord déplorer qu'il l'ait fait sans aucune concertation préalable avec le Parlement et les principales forces politiques du pays, la saisine du Parlement venant a posteriori.

Cela est d'autant plus condamnable qu'il est clair que cette sortie était motivée tout autant par des préoccupations de politique intérieure que par un réel souci de positionnement stratégique de la France.

Dans son entretien télévisé du 14 mars sur TF1 et France 2, le Président de la République a tenté de s'expliquer auprès des citoyens français. C'est peu dire qu'il n'a guère été compris et que les téléspectateurs sont sortis de ce spectacle plus consternés et effrayés que convaincus et rassurés.

Il s'agit maintenant de restaurer la confiance altérée avec nos principaux partenaires européens, au premier chef desquels l'Allemagne, avec qui nos relations bilatérales n'ont pas été aussi tendues depuis très longtemps. C'était l'objet du voyage du Président de la République à Berlin, vendredi dernier, et ce sera de nouveau l'objet des discussions qui auront lieu à Bruxelles cette semaine, dans le cadre du Conseil européen.

Dans le contexte actuel de confrontation exacerbée avec le régime russe de Poutine et d'une possible défection des États-Unis dans quelques mois, la division des Européens est inconcevable. L'heure n'est pas à la forfanterie et aux discours martiaux ; elle est à l'action concrète, collective et proportionnée pour soutenir l'Ukraine.

Les efforts déployés jusqu'à présent par l'Union européenne sur tous les plans sont considérables et se chiffrent en dizaines de milliards d'euros. Mais, sur le plan strictement militaire, notamment pour ce qui concerne les armes et les munitions, ils sont encore insuffisants. L'un des enjeux de la réunion du Conseil européen sera donc de mobiliser de toute urgence les moyens nécessaires pour empêcher que le front ukrainien ne cède.

Spéculer à ce stade sur ce que pourraient éventuellement être les degrés suivants d'une escalade n'est utile ni pour le bien de l'Ukraine ni pour les intérêts européens.

Au risque de me répéter, je ne considère pas non plus que la perspective d'une adhésion future de l'Ukraine à l'Union européenne contribue en quoi que ce soit à la résolution du conflit en cours. Elle ne peut, au contraire, que frustrer l'Ukraine, en lui donnant de faux espoirs, et provoquer la Russie en justifiant a posteriori son discours sur une prétendue menace occidentale à ses frontières.

L'Ukraine ne remplit quasiment aucun des critères requis pour une telle adhésion – nous le savons bien. En effet, il s'agit d'un pays dont l'appareil productif n'est certainement pas en état de permettre une intégration harmonieuse dans l'union douanière et le marché unique européens.

L'ouverture sans restriction du marché de l'Union européenne aux produits agricoles ukrainiens dans le cadre des mesures autonomes de libéralisation a déjà sérieusement perturbé les marchés européens des céréales, de la volaille, des oeufs et du sucre.

Selon une évaluation du secrétariat général du Conseil, si l'Ukraine devenait membre de l'Union européenne, elle pourrait prétendre, suivant les critères en vigueur, à 96 milliards d'euros de fonds de la PAC, ce qui entraînerait une réduction d'environ 20% des subventions agricoles accordées aux États membres actuels.

Le vice-ministre ukrainien de l'économie a lui-même reconnu que cela entraînerait la fin de la PAC telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Je voudrais donc conclure mon intervention par un appel à la plus grande prudence. Cessons d'agiter des idées extravagantes lorsque nous ne sommes pas forcément capables d'en assumer toutes les conséquences. Cela vaut aussi bien pour notre positionnement stratégique dans le conflit ukrainien que pour une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. À ce stade, nous avons surtout besoin de réalisme et de cohésion. Je crains que nous n'ayons beaucoup manqué des deux ces derniers temps.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, permettez-moi de répondre à vos propos par quelques questions.

Vous dites, en utilisant des mots particulièrement durs (M. Alain Cadec le conteste.), que le Président de la République, le 26 février dernier, était mû par des motifs de politique intérieure.

M. Alain Cadec. Eh oui !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mais alors, comment expliquez-vous que vingt-six chefs d'État et de gouvernement aient répondu à son invitation alors qu'une grande majorité d'entre eux ne sont pas sur la même ligne politique que lui ?

Vous dites – ou du moins semblez vouloir dire – que le Président de la République a eu tort de n'exclure aucune option. Mais alors, je vous le demande, monsieur le sénateur : quelles sont les options qu'il eût fallu exclure ?

M. Alain Cadec. Je dis qu'il a tenu des propos inconsidérés, monsieur le ministre !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Vous dites que le niveau de notre relation de confiance avec l'Allemagne est au plus bas. Mais alors, comment qualifier les relations très intenses qui se sont nouées, ou en tout cas qui ont donné lieu à des visites au cours de ces dernières semaines qui se sont déroulées comme habituellement : celle du Président de la République à Berlin, mais aussi, au niveau gouvernemental, celle de la ministre des affaires étrangères allemande auprès de son homologue à Paris, l'accueil que j'ai réservé à ma propre homologue à Paris, la semaine dernière, la participation à notre dernier conseil des ministres de la ministre de l'intérieur de la République fédérale d'Allemagne, ou bien encore, au niveau parlementaire, le colloque célébrant les cinq ans de l'Assemblée parlementaire franco-allemande pendant lequel il a été fait état de très nombreuses convergences ?

Enfin, je souscris à ce que vous avez dit au sujet des conséquences de l'élargissement de l'Union européenne sur les politiques menées. Il est indispensable d'avancer en parallèle sur la question de l'élargissement et sur celle de la réforme des politiques communautaires si nous voulons que l'Union européenne puisse être prête à accueillir les futurs candidats. Demain, la Commission européenne devrait présenter une analyse des conséquences de futurs élargissements sur les politiques communautaires. Ce sera un point de départ pour envisager la marche à suivre.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Cadec, pour la réplique.

M. Alain Cadec. Monsieur le ministre, je constate une fois de plus que dès lors que nous touchons au Président de la République, c'est la fin des haricots, si je puis m'exprimer ainsi.

Mme Frédérique Puissat. C'est vrai !

M. Alain Cadec. Nous ne pouvons rien dire, pas même que les propos qu'il a tenus sont inconsidérés, alors que c'est bien le cas – tout le monde en convient, clairement. (Mmes Pascale Gruny et Frédérique Puissat renchérissent.)

Monsieur le ministre, je regrette de vous dire que, sur ce point, votre réponse ne me convient pas du tout, hormis sa conclusion. (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sommet de jeudi et de vendredi constituera le dernier Conseil européen « ordinaire » avant les élections des 6 au 9 juin, qui pourraient aboutir – nous le savons tous – à une poussée des populistes au Parlement européen.

Dans ce contexte, le Conseil européen, qui définit les grands axes de la politique de l'Union européenne, doit poursuivre son action au service de tous les Européens pour la paix, la sécurité et la prospérité de notre continent.

Comme l'a rappelé le Président de la République, la situation évolue en Ukraine à grande vitesse et pas dans le bon sens. C'est pourquoi l'adoption par le Sénat et l'Assemblée nationale de l'accord de sécurité entre la France et l'Ukraine, la semaine dernière, a été un acte fondamental. C'est pourquoi, aussi, l'action de l'Europe est indispensable.

La passivité n'est plus de mise. Nous ne pouvons pas nous contenter de ne pas agir. Ces deux dernières années, l'Union européenne et les États européens ont fourni un soutien financier et militaire qui n'avait jusqu'alors jamais été accordé à un autre État européen. Il faut le souligner, car nous avons trop souvent l'impression que rien ne se passe.

Dernièrement, la rencontre en format Weimar entre le Président de la République française, le chancelier allemand et le Premier ministre polonais a permis de réaffirmer un soutien indéfectible à l'Ukraine. De même, les déclarations appelant à une industrie européenne de la défense capable de produire enfin à grande échelle vont dans le bon sens.

Je salue ces efforts, mais l'évolution de la situation en appelle d'autres, notre destin étant intrinsèquement lié à celui de l'Ukraine. Dans cette perspective, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser si le sujet du nouvel emprunt européen évoqué pour aider l'Ukraine sera en discussion à partir de jeudi prochain ? Pouvez-vous également nous en expliquer les contours ?

Quelle est la position de la France concernant la stratégie européenne pour augmenter les capacités de production d'armements ? Plus largement, comment la France compte-t-elle faire la différence pour enfin oeuvrer activement à la mise en place d'une défense européenne ?

Au-delà de l'Ukraine, le Conseil européen consacrera une partie de son ordre de jour à l'agriculture, ce qui est rare. Je ne peux que m'en réjouir, parce que l'Europe, si elle fut d'abord construite autour du charbon et de l'acier, porte aussi en son coeur la politique agricole commune. L'agriculture est également un enjeu de souveraineté pour l'Europe. Je salue le courage des agriculteurs européens qui, chaque jour, nous nourrissent alors que la situation est compliquée. Je sais que le Gouvernement est très engagé et à l'écoute sur ce sujet.

L'Europe semble avoir entendu la détresse du monde agricole, non seulement français, mais aussi européen, puisque la Commission a proposé, vendredi dernier, une évolution des règles de la PAC. Ces propositions, qui devront être approuvées par le Parlement européen et par les États membres, répondent à une partie des revendications. Elles allègent la charge administrative des agriculteurs et revoient notamment le principe de conditionnalité des aides directes.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quelles mesures allez-vous porter en matière agricole durant ce Conseil ? La simplification des normes et des règles administratives est cohérente, mais quid de certaines règles de la PAC et de la révision de la stratégie " de la ferme à la fourchette ", qui préoccupent fortement nos agriculteurs ?

Enfin, monsieur le ministre – le sujet a été évoqué à plusieurs reprises –, la possibilité d'un élargissement de l'Union européenne ne peut pas être décorrélée d'une réflexion poussée sur l'approfondissement du projet européen et sur les réformes nécessaires pour y parvenir. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, l'idée d'un emprunt européen a été initialement portée par la Première ministre estonienne. L'enveloppe envisagée était alors de 100 milliards d'euros, sur le modèle de l'emprunt commun qui avait été décidé – vous vous en souvenez – au mois de juillet 2020 pour financer le plan de relance – la France a bénéficié dans ce cadre de 40 milliards d'euros. Il faudra, le moment venu, trouver les moyens de rembourser cet emprunt, y compris en mobilisant des ressources propres.

Nous soutenons l'idée d'explorer cette voie pour répondre aux besoins importants nécessaires à l'émergence ou au réveil de notre base industrielle et technologique de défense.

C'est dans le même esprit que nous entendons poursuivre les efforts engagés pour augmenter plus généralement la capacité de production européenne de munitions et d'armements. Précédemment, j'ai précisé, en répondant à Mme Dumas, que, depuis le début de la guerre, nous avions constaté une augmentation de la capacité européenne de production de munitions de l'ordre de 40 %. C'est encore insuffisant et il faut aller plus loin. D'où les deux communications que la Commission européenne a faites le 5 mars dernier, dont je souhaite vivement, mais sans me faire beaucoup d'illusions, qu'elles soient officiellement soutenues dans le cadre des conclusions du Conseil européen.

S'agissant de l'agriculture, le Président de la République défendra bien évidemment les vingt mesures de simplification proposées par la Commission, ainsi que la révision de la PAC qu'elle a récemment mise sur la table, en lui demandant instamment de mettre en oeuvre le plus rapidement possible ces mesures de simplification très attendues par nos agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. Je souhaite simplement dire que les interventions de ce soir montrent que l'Europe ne se porte pas très bien. D'où l'importance du débat qui a lieu. Toutefois, je ne suis pas entièrement pessimiste sur ce sujet parce que c'est dans les moments les plus difficiles et pendant les crises que l'Europe a fait les plus grands progrès. Je crois donc que nous ne devons pas nous cantonner, ce soir, à énoncer des principes, mais qu'il nous faut veiller à les concrétiser. En effet, le problème de l'Europe tient à ce que, trop souvent, les déclarations ne sont pas suivies d'effet. La France a un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour porter la voix de la France dans ce Conseil européen.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aurai un premier mot pour saluer la qualité de nos débats en commission des affaires européennes, grâce à votre engagement, monsieur le président, et à la manière dont vous conduisez les discussions.

Mon intervention concernera l'Ukraine et sa demande d'adhésion à l'Union européenne. Je crois, en effet, qu'il faut bien faire la distinction entre le soutien que nous devons lui apporter sans réserve et cette demande d'adhésion.

L'Ukraine a manifesté son souhait d'intégrer l'Union européenne, et cette demande est légitime et compréhensible. Il serait dangereux de répondre brutalement par un refus, mais cette adhésion ne peut pas non plus être automatique. En effet, monsieur le ministre, le parcours d'adhésion de l'Ukraine doit respecter les critères de Copenhague. L'état de guerre entre l'Ukraine et la Russie ne doit pas nous faire prendre des décisions précipitées.

De plus, je citerai en substance un propos de Cicéron, selon lequel les amis se doivent la vérité même quand c'est difficile. Or l'Ukraine, bien qu'elle soit considérée comme un candidat sérieux, doit encore faire face à des défis majeurs – il faut être lucide sur ce point – comme la corruption ou l'influence persistante des oligarques.

D'ailleurs, la présidente de la Commission européenne semble avoir pris la mesure des difficultés que pouvait engendrer une adhésion trop rapide de l'Ukraine à l'Union. En effet, elle a récemment indiqué que la feuille de route politique des négociations serait prête non pas avant les élections européennes, mais plutôt aux alentours de l'été prochain.

En outre, l'accord bilatéral de sécurité conclu entre la France et l'Ukraine souligne que cette dernière s'efforcera de poursuivre son ambitieux programme de réformes, en particulier dans le cadre de son processus d'adhésion à l'Union européenne, afin de satisfaire aux obligations requises pour cela. Ce postulat illustre bien qu'il reste encore du chemin à parcourir pour que l'Ukraine concrétise son adhésion à l'Union européenne.

Il serait également injuste et incompréhensible d'oublier les autres pays candidats, comme l'ont dit mes collègues, dont la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.

L'Union européenne est aux côtés de l'Ukraine grâce à l'aide financière et matérielle qu'elle lui fournit dans le cadre de la guerre qui l'oppose à la Russie. Une enveloppe de 50 milliards d'euros a été actée dans le cadre du programme Facilité pour l'Ukraine, dont 17 milliards d'euros de subventions et 38 milliards d'euros de prêts. Cette aide, pleinement justifiée, comporte notamment le plan Ukraine par lequel le gouvernement ukrainien présentera ses intentions pour le redressement, la construction et la modernisation du pays.

Au titre de l'investissement pour l'Ukraine, l'Union européenne fournira un soutien sous la forme de garanties budgétaires et d'une combinaison de subventions et de prêts d'institutions publiques et privées.

Pour conclure, je veux insister sur les notions d'unité et de souveraineté européennes. L'unité a toujours été nécessaire et constitue le fondement même de la crédibilité européenne. Elle l'a été, hier, pour la construction de l'Union européenne, elle l'est aujourd'hui et je pense qu'elle sera encore davantage demain. En effet, s'il advenait – sans faire de la politique-fiction – que l'isolationnisme américain l'emporte le 5 novembre prochain et que Donald Trump rejoigne de nouveau le Bureau ovale, le 20 janvier 2025, l'unité de l'Europe serait la seule réponse possible et d'autant plus indispensable que nous aurions alors l'obligation de réagir rapidement. Il me semble que le Président de la République et le Gouvernement ont parfaitement conscience de cette obligation morale et stratégique impérative. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Olivier Henno, je vous remercie pour vos propos très équilibrés sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.

Il s'agit pour cette dernière d'une nécessité géostratégique, car il est plus souhaitable d'exporter le modèle de stabilité européen que d'importer l'instabilité en courant le risque de la laisser s'installer dans cette région.

Toutefois, nous sommes très attachés – car c'est absolument indispensable – à ce que le processus d'adhésion reste fidèle au principe sur lequel il est fondé, c'est-à-dire les mérites propres du pays candidat.

L'Ukraine a engagé un certain nombre de réformes qui ont conduit les chefs d'État et de gouvernement à décider l'ouverture des négociations d'adhésion, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les négociations effectives puissent commencer.

En outre, je rappelle, car on l'oublie parfois, que ce processus d'adhésion est extrêmement exigeant. C'est non pas un simple rattrapage économique et social, mais un changement profond que le pays candidat doit s'imposer pour " rattraper ", si l'on peut le dire ainsi, les standards d'État de droit auxquels nous nous astreignons dans l'Union européenne.

Enfin, vous avez mentionné l'unité. Je constate pour ma part une très forte unité, malgré quelques différences d'approche, dans le sursaut qu'ont eu les États membres et dans le soutien qu'ils apportent à l'Ukraine. Je l'interprète comme une réponse au fait que l'agression russe en Ukraine enfreint l'un des premiers principes que les pères fondateurs de l'Europe ont posés, à savoir le respect des frontières de son voisin. Face à une telle remise en cause, je sens que se développe une forte unité en Europe. Celle-ci nous permettra, à mon sens, de relever un certain nombre des défis que vous avez évoqués.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.

M. Olivier Henno. C'est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, mais, lorsque le mur de Berlin est tombé en 1989, il y avait eu le même type de débat sur l'articulation entre l'approfondissement des institutions européennes et l'élargissement de l'Union. Pris par la culpabilité à l'idée d'opposer un refus aux pays du pacte de Varsovie, c'est-à-dire ceux d'Europe centrale et d'Europe de l'Est, nous avons élargi avant d'approfondir.

Je ne suis pas du tout pessimiste sur la question de l'unité et de la souveraineté, mais je pense que cela doit aller de pair avec une réforme institutionnelle forte. C'est seulement dans un deuxième temps que nous pourrons envisager l'élargissement et l'adhésion d'autres pays. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 5 milliards d'euros pour l'Ukraine sont une bonne nouvelle. Face au retrait du Congrès américain et face au risque d'une nouvelle offensive russe, cette enveloppe est un soulagement.

Toutefois, monsieur le ministre, que de blocages pour en arriver là ! L'Allemagne préférait privilégier les aides bilatérales, la France mettait le made in Europe comme condition : était-il bien raisonnable de bloquer les négociations pour cela ? Il a quand même fallu huit mois pour aboutir !

Au-delà de 2025, lorsque les 5 milliards auront été dépensés, rien n'est encore concrètement prévu pour sécuriser la situation. Il nous reste à espérer que la Facilité européenne pour la paix, récemment réformée, aura fait ses preuves et que les Vingt-Sept remettront au pot.

Il me semble que la liberté et la résistance de l'Ukraine nous obligent à des garanties plus durables. Il faut en effet utiliser les milliards d'euros générés par les avoirs russes gelés. Il s'agit de planifier et de sécuriser l'aide à l'Ukraine, d'établir un système d'approvisionnement plus fiable et mis en commun.

Ces 5 milliards d'euros sont une toute première étape pour que l'Europe devienne crédible, coordonnée et pérenne dans le domaine de la défense. Pour juguler l'impérialisme de la Russie de Poutine, pour raffermir le droit international, pour que la sécurité et la paix ne soient pas subordonnées à l'hypothèque électorale étasunienne, il est temps de faire mieux et d'agir en Européens en mettant fin à cette diplomatie menée en solitaire qui déstabilise nos concitoyens, nos alliés et donc le soutien à l'Ukraine.

Ne croyons pas non plus que la voie de la paix soit celle des exhortations à de prétendues négociations immédiates avec l'envahisseur russe, pseudo-négociations qui mettraient dans un grand chaudron les revendications d'expansion russe sur les territoires russophones, ici et là, une neutralité imposée pour ce qui resterait de l'Ukraine, la question de l'Otan et celle de l'Union européenne.

Je crois que de telles exhortations sont, de fait, un message d'incitation à l'escalade guerrière, puisqu'elles admettent que des territoires trop faibles pour se défendre peuvent être obtenus par la force.

Pour que ne faiblisse pas le soutien des Français à l'Ukraine, ne laissons pas se propager le sentiment d'un deux poids, deux mesures, s'agissant de la détermination de notre pays, entre Kiev et Gaza.

Depuis l'horrible attaque terroriste du Hamas et la détention des otages, voilà cinq mois que le gouvernement Netanyahou inflige une implacable punition collective et se livre à un crime de masse par des bombardements indiscriminés d'une ampleur rarement égalée, ainsi que par les ravages de la faim et des privations.

Aujourd'hui, face à ce que le Haut Représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, qualifie de situation d'insécurité alimentaire aiguë pour les Gazaouis et face à la famine utilisée comme arme de guerre, le Conseil européen doit clairement changer de registre à l'égard du gouvernement d'Israël et exiger le cessez-le-feu et l'accès complet à l'aide humanitaire. Pour cela, il doit engager des sanctions diplomatiques et économiques, ainsi que décréter l'embargo sur les armes. Par conséquent, ce Conseil européen est attendu, car il peut être déterminant.

Alors que le drame s'amplifie à Gaza, l'Union européenne vient de signer un accord de partenariat à hauteur de 7,4 milliards d'euros avec l'Égypte, similaire à ceux qui ont déjà été conclus avec la Tunisie et la Mauritanie et dont l'une des contreparties est que l'Égypte s'engage à retenir les migrants. L'Union européenne verserait donc inconditionnellement une telle somme à un régime répressif qui compte quand même plus de 60 000 prisonniers politiques et où la corruption est généralisée. Quel cynisme de servir de cette façon de banque aux régimes dictatoriaux ! Notre pays soutient-il sans réticence la logique de cet accord consternant ?

Nous nous interrogeons aussi sur le rôle contre-productif qu'a joué la France dans deux chantiers législatifs européens qui sont arrivés à leur terme. Je déplore ainsi que la France ait oeuvré pour amputer toute ambition à la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et qu'elle se soit évertuée, seule contre tous, à soutenir les plateformes contre leurs travailleurs précaires.

Enfin, alors que cet hiver s'est distingué comme le plus chaud jamais enregistré et que le bassin méditerranéen connaît une sécheresse exceptionnelle, considérée par les spécialistes comme un phénomène dorénavant durable, l'Union européenne s'abaisse en se soumettant à la fameuse « pause environnementale » qui tend à tenir lieu de réponse à la détresse agricole et à la montée des mécontentements. Et voilà balayés trois ans d'efforts destinés à donner une dimension environnementale à la politique agricole commune ! Ce reflux est un grave renoncement…

Sur la PAC, l'accord de Paris, la décarbonation et la transition énergétique, s'il y a bien un moment où il faut tenir bon, c'est maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je serai bref au sujet de l'Ukraine, car on en a déjà beaucoup parlé ; effectivement, l'un des grands enjeux est d'affirmer avec force que nous sommes attachés à un ordre international fondé sur le droit et que nous refusons de basculer dans un monde où cet ordre reposerait sur la force.

En ce qui concerne le Proche-Orient, nous avons bon espoir que les conclusions du Conseil européen comportent un appel très clair à un cessez-le-feu durable ; nous espérons également que le Conseil appelle Israël à respecter le droit international et à prendre les mesures nécessaires pour permettre l'acheminement sans délai de l'aide humanitaire à la population gazaouie, qui n'a pas à être la victime des crimes terroristes du Hamas.

Pour ce qui est du rôle joué par la France dans l'aboutissement de ce grand texte qu'est la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, vous êtes un peu dur ! Notre pays a été le premier à adopter cette législation, avant de suggérer qu'elle puisse être " européanisée ", si je puis dire ; ensuite, nous avons systématiquement soutenu, jusqu'au stade du trilogue, l'adoption de ce texte, dont la version définitive vient d'être fixée. Pour ma part, je suis extrêmement satisfait et fier que l'Europe soit sur le point de l'adopter.

Pour ce qui concerne la PAC et les mesures récemment prises ou, du moins, proposées par la Commission européenne, je crois que l'on ne peut pas reprocher à la législature qui s'achève son manque d'ambition en matière écologique. Je pense au Green Deal, ainsi qu'aux objectifs extrêmement ambitieux et aux moyens alloués pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais aucune transition n'est possible contre les peuples. Si, dans le cadre des dispositifs que nous élaborons pour réussir ces transitions, certains pans de la population se sentent injustement traités, ils se révolteront inévitablement et exprimeront leur colère. C'est ce qui s'est produit avec les agriculteurs, qui ont appelé à l'aide la Commission, laquelle les a entendus ; je crois que l'on ne peut pas vraiment le lui reprocher.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique, pour la réplique.

M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, je rappelle que la France a contribué à ce que le secteur financier soit exclu du champ de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises pour toutes ses activités d'aval ; notre pays a également fait en sorte que 80% des entreprises en soient exonérées.

Je souhaite aussi revenir sur l'appréciation que vous avez portée, dans votre propos liminaire, sur la période que vit actuellement l'Europe. Cette période correspondrait, à vous entendre, à une « victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne », pour reprendre, me semble-t-il, les termes exacts que vous avez utilisés. (M. le ministre délégué hoche la tête en signe d'assentiment.)

À mon sens, monsieur le ministre, cette expression trahit une conception très tricolore de l'Europe. Je crois au contraire que les événements que nous venons de vivre et que ceux que nous affrontons aujourd'hui prouvent que l'Europe a besoin de cohésion et d'une plus grande détermination collective ; il importe également de renforcer la cohérence franco-allemande. C'est à l'aune de ces combats et de ces chantiers que le logiciel européen, que notre logiciel commun, doit être revigoré. Tout seul, on s'agite ; ensemble, on va loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Karine Daniel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les règles budgétaires de l'Union européenne s'appliquent de nouveau depuis janvier 2024 après avoir été suspendues en 2020. Un nombre important d'États membres, dont la France, risquent de faire l'objet d'une procédure pour déficit excessif.

L'exécutif communautaire a pourtant bien perçu l'urgence qu'il y a à assouplir les normes en vigueur : l'accord obtenu en février dernier sur une réforme du pacte fiscal européen est ainsi censé attribuer plus de flexibilité aux États membres. Le nouveau pacte de stabilité et de croissance conserve néanmoins les deux fameux critères totems des 3% de déficit et des 60% de dette publique.

Est-il utile de rappeler que ces règles budgétaires n'ont jamais été respectées ? L'Italie, la Grèce et la Belgique ont rejoint l'Union économique et monétaire, alors que leur dette publique excédait nettement le plafond qui avait été fixé et, pendant des années, le déficit de la France et de l'Allemagne a dépassé la limite des 3 % sans que ces États soient jamais sanctionnés.

Les réformes successives du pacte de stabilité et de croissance, en 2005 et en 2011, ont fini par conduire à un monstre de complexité, tout en conservant ces seuils déconnectés des conjonctures économiques des différents pays européens.

Le pacte de stabilité et de croissance a également démontré son inefficacité en période de crise. Ses règles budgétaires obligent en effet les États membres à maintenir leur déficit et leur dette sous les seuils, ce qui alimente le ralentissement de la croissance. De fait, les mesures d'austérité qui ont d'abord prévalu pendant les crises de 2007 et 2012 ont placé l'Europe au bord de l'implosion.

Pour faire face à la crise de la covid-19, l'Union européenne n'a cette fois-ci pas hésité à suspendre ses règles budgétaires, au printemps 2020, permettant aux gouvernements nationaux d'intervenir dans leurs économies. Les États membres de l'Union ont franchi un pas supplémentaire et opéré un changement de paradigme économique, en acceptant d'emprunter en commun pour financer le plan de relance européen.

Aujourd'hui, l'urgence climatique doit, au même titre que la crise de la covid-19, inciter à lever les freins à l'investissement. L'Europe sort fragilisée par une succession de crises dont les conséquences directes sont la hausse massive des dettes et l'accentuation de l'hétérogénéité des situations entre États membres. L'application de critères chiffrés uniformes – ceux de la dette publique et du déficit – paraît dès lors absurde, contre-productive d'un point de vue économique et dangereuse politiquement.

Un retour en arrière, vers une forme de conservatisme budgétaire, est impensable au moment où les États membres doivent plus que jamais investir dans la transition écologique, l'éducation, l'industrie verte et la défense. À l'extrême opposé du modèle européen, les États-Unis mènent une politique budgétaire expansionniste, qui n'est certes pas sans apporter son lot de problèmes, mais qui lui permet de creuser encore davantage l'écart en termes de croissance et d'innovation, et ce en défaveur du vieux continent.

Une véritable refonte du cadre et de la surveillance budgétaires, qui inclurait les investissements prioritaires européens et permettrait de tenir compte de la conjoncture économique de chaque pays, nous paraît aujourd'hui indispensable. Pouvons-nous réellement nous contenter des mesures cosmétiques de la réforme du pacte de stabilité et de croissance ? L'application automatique d'objectifs chiffrés a, par le passé, déjà conduit à la récession. Il ne s'agit pas de se passer de règles : il faut simplement faire en sorte que celles-ci garantissent la soutenabilité des finances publiques et cesser de les mettre en adéquation avec des plafonds définis arbitrairement.

Le Gouvernement promet que notre déficit public reviendra – à coups de rabot budgétaires – en dessous de 3 % du PIB en 2027. Le ministre Le Maire nous a ainsi déjà annoncé une coupe de 10 milliards d'euros. La Cour des comptes, de son côté, demande 50 milliards d'euros d'économies nouvelles pour tenir l'objectif, tout en nous alertant sur la priorité que constitue l'urgence climatique, car, selon elle, ne pas s'adapter pourrait se révéler bien plus coûteux.

Comme l'a écrit notre collègue Alexandre Ouizille dans une tribune parue dans la presse, nous devons refuser, une " nouvelle décennie perdue " et inventer un cadre budgétaire européen favorable aux investissements, souple et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Michaël Weber, comme vous, nous avons considéré que les règles du pacte de stabilité et de croissance présentaient le grand inconvénient d'être procycliques, c'est-à-dire d'ajouter l'austérité aux périodes de crise, faisant parfois s'enfoncer les économies dans la récession.

C'est la raison pour laquelle Bruno Le Maire, le gouvernement français, s'est fortement mobilisé pour aboutir à la révision de ce pacte de stabilité et de croissance, une réforme qui a été adoptée à l'unanimité et qui a donc supposé des discussions longues et particulièrement serrées avec nos partenaires, au premier rang desquels figurait notre voisin allemand. Je crois que cette évolution ne pourra pas nuire.

Je vous rejoins également sur le second constat que vous dressez : la transition verte, l'éducation, la défense – on pourrait ajouter la politique industrielle – doivent nous permettre d'assurer cette autonomie stratégique qui, je le revendique, je le confirme, est un concept que la France a progressivement fait entrer dans la grammaire européenne.

Atteindre cet objectif supposera évidemment la mobilisation de l'épargne et de financements privés, mais aussi de ressources publiques. Cela doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous pourrions – comme nous l'avons fait face à d'autres impératifs ou à d'autres urgences, en 2020 par exemple pour soutenir le plan de relance – créer une capacité commune d'emprunt au service du projet que nous portons pour l'Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber, pour la réplique.

M. Michaël Weber. Depuis maintenant plusieurs mois, nous constatons que les efforts budgétaires consentis par les États membres et l'Union européenne se font au détriment de la transition énergétique et climatique, qui est pourtant absolument indispensable. Vous avez le droit de le contester, monsieur le ministre, mais c'est pourtant bien le cas, notamment en France. D'ailleurs, les réactions qui ont suivi le déclenchement de la crise agricole en Europe montrent que l'essentiel de l'effort budgétaire a porté sur cette transition.

Encourager la transition environnementale et faire en sorte que nous disposions de moyens supplémentaires pour garantir notre défense nationale et européenne, tout en consentant des efforts budgétaires, voire en nous orientant vers une forme d'austérité, c'est la quadrature du cercle, c'est impossible, et cela nous mènera soit à la récession, soit à l'échec.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le conflit à Gaza s'enlise. Plus de six mois après la funeste journée du 7 octobre et le lancement des hostilités, la perspective d'un cessez-le-feu est encore lointaine.

Alors que le ramadan a débuté le 11 mars courant, sans que les négociations visant à obtenir une pause humanitaire immédiate aient pu aboutir, 1,1 million de Gazaouis se retrouvent donc confrontés à la faim, dans une situation catastrophique, proche de la famine selon l'ONU. Dans son dernier rapport, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, ou IPC) estime ainsi que la famine pourrait toucher la population à n'importe quel moment, et au plus tard d'ici au mois de mai prochain, si rien n'est fait pour l'empêcher. L'émeute de la faim survenue le 29 février dernier témoigne de l'imminence d'une telle situation.

Selon le Programme alimentaire mondial, 300 à 500 camions d'aide alimentaire seraient nécessaires chaque jour pour répondre aux besoins élémentaires des Gazaouis, quand à peine une dizaine parviennent à entrer quotidiennement. Israël ne laisse en effet passer ces camions dans la bande de Gaza qu'au compte-gouttes. D'après l'ONG Oxfam, seuls 20% de l'aide alimentaire quotidienne qui était distribuée avant le 7 octobre parvenait à ses destinataires ; or les besoins sont aujourd'hui bien plus élevés qu'auparavant.

La presse et l'ONU se sont également fait l'écho du blocage par Israël d'importants volumes de matériel médical dans des entrepôts à El-Arich, l'État hébreu considérant que ce matériel pourrait être utilisé à son détriment.

Alors que l'Union européenne et la France ont augmenté massivement les dépenses qu'elles allouent à l'aide humanitaire pour Gaza, les efforts engagés resteront vains si l'aide ne peut pas être distribuée. Il est donc impératif de poursuivre le dialogue avec Israël pour améliorer l'acheminement de cette aide par voie terrestre, solution qui demeure la plus efficace selon l'ONU et les ONG.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les mesures mises en oeuvre par l'Union européenne et la France pour qu'Israël facilite l'entrée des camions et la distribution des aides.

Dans l'attente d'une éventuelle amélioration de la distribution de vivres par voie terrestre, il n'était pas envisageable de rester les bras croisés face à la famine qui se profile. Hélas, les largages opérés par voie aérienne se sont révélés peu efficaces, les volumes concernés n'étant pas suffisants et les colis étant régulièrement pillés. L'un des parachutages de colis a en outre causé la mort de plusieurs Palestiniens, le parachute ne s'étant pas ouvert.

L'Union européenne, sur l'initiative de Chypre, a par ailleurs annoncé la création d'un corridor maritime entre Larnaca et la bande de Gaza. Un tel dispositif, plus coûteux que la voie terrestre, doit rester subsidiaire, mais il s'avère nécessaire au vu de la gravité de la situation. Un premier navire, chargé de 200 tonnes de nourriture, représentant environ 300 000 repas, est finalement arrivé à bon port vendredi dernier et sa cargaison a pu être déchargée. L'envoi d'un second navire a été annoncé dans la foulée.

Cela étant, la taille des bateaux et, donc, le volume de l'aide fournie restent limités face à l'ampleur des besoins, d'autant qu'il n'y a pas de port pour décharger la marchandise à Gaza. La donne pourrait cependant changer prochainement, car les États-Unis ont prévu la création d'un port flottant dont la construction devrait prendre soixante jours.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, si et comment la France envisage de soutenir cette initiative. L'établissement d'un couloir durable du côté de l'Union européenne est-il pérenne ? L'Union projette-t-elle de conjuguer ses efforts avec ceux des Américains ? Ni le président Biden ni la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n'ont en effet précisé les intentions de l'autre partie. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, je vous remercie d'avoir souligné l'importance considérable de l'aide humanitaire à acheminer vers Gaza par tous les moyens : terrestre, aérien et maritime.

Permettez-moi de rappeler à mon tour, mais vous le savez déjà, que la France a été le premier pays à larguer directement de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza, que nous y acheminons d'importantes quantités de fret – tentes, protections hygiéniques, nourriture –, et que nous soutenons par ailleurs le système de santé sur place, afin d'assurer l'accueil des personnes nécessitant des soins.

Je vous remercie également d'avoir cité l'initiative chypriote, baptisée Amalthée, qui fera l'objet d'une réunion spécifique entre les chefs d'État et de gouvernement. J'ai eu l'occasion de m'en entretenir aujourd'hui avec mon homologue chypriote, que j'ai remerciée pour ce projet et à qui j'ai fait part de notre conviction que cette solution spécifique d'un acheminement par voie maritime devait rester complémentaire d'un acheminement par voie terrestre et que chacune de ces voies devait être soutenue.

L'État chypriote a d'ores et déjà commencé à réfléchir à constituer un fonds pour soutenir cette initiative ; j'ai naturellement assuré mon homologue de l'accueil très bienveillant et du soutien de la France.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, de m'avoir communiqué tous ces éléments importants.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Cette citation de Jean Monnet illustre parfaitement notre état d'esprit à l'aube du Conseil européen qui se tiendra les 21 et 22 mars prochains.

Tout d'abord, permettez-moi de vous interpeller, monsieur le ministre, à l'occasion de ce premier débat préalable à un Conseil européen depuis votre nomination en tant que ministre délégué chargé de l'Europe, au sujet de l'élargissement de l'Union européenne.

Depuis l'entrée de la Croatie en 2013, l'Union n'a pas connu de nouvelles adhésions. Je note pourtant que, plus de dix ans après, dix États sont candidats à l'entrée dans le marché commun. Nous avons constaté que plusieurs de ces pays étaient parvenus à prendre des mesures pour se conformer aux critères de Copenhague, en vue de leur adhésion. Ces critères exigent notamment des pays candidats que ceux-ci respectent les principes démocratiques, l'État de droit et les droits de l'homme. Le respect de ces standards constitue une étape préliminaire fondamentale à l'ouverture des négociations d'adhésion.

Toutefois, il convient de rester attentif et de ne pas confondre vitesse et précipitation. Faire passer l'Union européenne de vingt-sept à trente-sept États membres implique vigilance et réformes.

Vigilance d'abord à l'égard des difficultés qui pourraient subsister en matière de corruption et de respect de l'État de droit dans nombre des pays candidats.

Vigilance également pour ce qui concerne les contributions financières des États, le budget de l'Union et la répartition des aides européennes, donc vigilance sur les conséquences économiques qui en résulteront. Notre pays et l'Allemagne sont contributeurs nets de l'Union européenne, c'est un fait qui illustre le rôle moteur que nous jouons dans la construction européenne. Cependant, un vaste élargissement pourrait faire croître le nombre des États contributeurs nets et, ainsi, poser un certain nombre de problèmes. Gageons que nous ne connaîtrons plus à l'avenir de sorties de l'Union européenne…

Vigilance enfin quant aux capacités institutionnelles de l'Union à trente-sept à gérer une telle diversité et à décider de manière efficace, notamment en matière de politique étrangère. Nous voyons bien aujourd'hui qu'un certain nombre de réformes institutionnelles sont indispensables si l'on veut renforcer l'efficacité de l'Europe. Or force est de constater que ce débat récurrent sur les réformes institutionnelles de l'Europe, pourtant vital pour sa continuité, est renvoyé à plus tard. Espérons que, cette fois-ci, il ne s'ouvrira pas trop tard.

Je souhaite aussi aborder la situation du Proche-Orient, monsieur le ministre. Vous allez devoir traiter la question de l'accord d'association conclu entre l'Union et Israël, dont plusieurs de nos partenaires demandent la suspension. Selon nous, l'intérêt de la France n'est absolument pas d'aller dans le sens d'une suspension de cet accord. Au contraire, l'Union européenne, même au-delà de ses frontières, doit rester particulièrement attentive à la situation en Israël et à Gaza. Nous devons veiller à ce que le droit international et humanitaire s'applique. À mon sens, ce n'est pas en suspendant cet accord que nous enverrons un signal positif. Pourriez-vous m'indiquer, monsieur le ministre, quelle sera la position de la France face à cette situation de crise ?

À la veille des élections européennes, certains partis extrémistes semblent s'accorder sur l'idée que l'Union européenne est la source de tous les maux et de tous les problèmes rencontrés par les Européens. Pourtant, nous voyons bien que l'Europe est désirée, et ce bien au-delà de nos frontières. Soyons conscients de la chance que nous avons, soyons fiers de l'Europe et soyons fiers d'être Européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur Claude Kern, vous avez raison d'appeler à la vigilance de la France sur le fait – c'est d'ailleurs un principe que nous réaffirmons très régulièrement – qu'il ne peut pas y avoir d'élargissement réussi si, en parallèle, il n'y a pas une triple réforme de l'Union européenne.

Tout d'abord, une réforme des politiques est primordiale, parce que la politique agricole commune et la politique de cohésion doivent permettre d'accueillir les pays candidats, sans déstabiliser les régions et les secteurs qui en sont bénéficiaires.

Il importe également d'engager une réforme budgétaire : il est très important de pouvoir se préparer et d'anticiper les élargissements à venir. J'étais tout à l'heure avec mon homologue slovène, ministre d'un pays niché au coeur des Balkans occidentaux, dont la plupart des voisins sont engagés dans un processus d'adhésion et qui, le moment venu, basculera sans doute du statut de bénéficiaire net à celui de contributeur net. Cela posera évidemment un certain nombre de problèmes sur le plan démocratique.

Enfin, une réforme du fonctionnement institutionnel de l'Union européenne est devenue indispensable. Si l'Union regroupe demain une trentaine d'États membres ou plus, la question du fonctionnement de l'institution se posera inévitablement. C'est du reste pourquoi il nous faut la traiter avant que ces élargissements n'aboutissent. Nous y veillerons au cours de la législature qui s'ouvre.

Vous m'avez également interrogé, monsieur le sénateur, sur l'accord d'association qui nous lie à Israël. L'étape qui, je le souhaite, pourrait être franchie les 21 et 22 mars prochains pourrait prendre la forme d'une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu durable, à l'acheminement de l'aide humanitaire et à la dénonciation de l'attentat terroriste du Hamas, ce qui permettrait de souder les Vingt-Sept autour d'un « langage commun », comme on le dit dans le jargon diplomatique.

Permettez-moi enfin de rebondir sur votre dernière remarque, celle de la fierté d'être Européen et du sentiment d'appartenance : je veux en profiter pour rendre hommage aux députés et aux sénateurs qui, au quotidien, font vivre ce sentiment d'appartenance…

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. … en s'intéressant tout simplement à ces questions et, notamment, aux problématiques fondamentales qui seront traitées par les dirigeants européens les 21 et 22 mars prochains.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.

M. Claude Kern. M. le ministre ayant répondu à toutes mes questions, je n'en dirai pas davantage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les vingt-sept chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne se retrouveront à Bruxelles les 21 et 22 mars, pour une réunion du Conseil européen avant tout consacrée à la guerre en Ukraine, avec en toile de fond les dernières déclarations du Président de la République, qui n'ont pas manqué de déconcerter nos alliés et d'inquiéter les Français.

Le sujet de mon intervention ne sera pas original, mais il ne se passe pas un seul jour sans que nous soyons interpellés par nos concitoyens préoccupés par le changement de discours du Président de la République. Alors que ce dernier affirmait voilà quelques mois encore qu'il ne fallait pas humilier la Russie, il n'exclut plus aujourd'hui l'envoi de troupes sur le front.

Bruno Retailleau a rappelé la semaine dernière la position claire et sans ambiguïté de notre groupe : tout faire pour que la Russie ne remporte pas ce conflit ; ne rien faire qui nous entraîne dans une guerre dont nous ne voulons pas.

Nous jugeons également que la promesse d'une adhésion rapide de l'Ukraine à l'Union serait prématurée, car cela entraînerait des conséquences sociales et économiques délétères pour la France, à commencer par une baisse du budget de la PAC du fait de l'importance de la surface agricole ukrainienne.

Nous voyons déjà aujourd'hui les conséquences de l'ouverture sans contrôle du marché européen aux produits agricoles ukrainiens : des prix cassés et nos agriculteurs en grande difficulté face à une concurrence déloyale, qui produit sans avoir à respecter les mêmes normes que nous.

Je profite de l'occasion, monsieur le ministre, pour réitérer la question que j'ai posée ici même il y a quinze jours à votre gouvernement et à laquelle je n'ai pas eu de réponse : êtes-vous ou non favorable aux clauses de sauvegarde pour limiter les importations de céréales ukrainiennes et protéger ainsi nos producteurs ?

Le Conseil européen se penchera aussi sur la politique agricole commune. Vendredi dernier, la Commission européenne a enfin accepté de briser le tabou de la réouverture de la PAC, en remettant pour la première fois en cause son architecture verte. La suppression de l'obligation de jachères, l'assouplissement des exigences de rotation des cultures et de couverture des sols en hiver, ou encore la réduction des contrôles sont autant de mesures qui vont dans le bon sens. Toutefois, que de temps perdu ! Toutes ces préconisations figuraient déjà dans de multiples résolutions et rapports publiés par le Sénat depuis 2017.

Reste désormais à savoir comment ces propositions seront appliquées. Nous appelons à une grande vigilance face au risque de renationalisation de la PAC et à la manière dont la France se saisira de cette nouvelle flexibilité. Ce sujet ne doit pas se cantonner à un simple discours de campagne pour les élections européennes.

Dans le domaine de la santé, je me réjouis qu'un compromis ait été trouvé à Bruxelles sur l'espace européen des données de santé. Il est essentiel de favoriser la recherche sur le territoire européen, tout en garantissant la protection des données à caractère personnel de nos concitoyens. L'accord qui a été conclu reprend d'ailleurs l'une des dispositions que nous proposions, à savoir la possibilité pour les patients de s'opposer au traitement de leurs données de santé à des fins de recherche.

Dans la résolution du Sénat du 17 juillet 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé, nous demandions également que les données de santé électroniques et les services associés soient hébergés sur le territoire de l'Union européenne, par une entreprise européenne. Aussi, je regrette que le gouvernement français s'obstine à vouloir confier à Microsoft l'hébergement des données de santé des Français…

Par ailleurs, un accord a également été trouvé sur les travailleurs de plateforme pour introduire une présomption de salariat en leur faveur. Il faudra néanmoins veiller à l'application de cette mesure et à sa sécurité juridique, puisqu'elle ne sera pas uniforme, chaque État membre pouvant adopter ses propres définitions. Nous savons que le Président de la République ne voulait pas de cette directive. Il serait intéressant que vous nous indiquiez comment vous entendez la transposer en droit français.

Pour conclure, mes chers collègues, j'insiste sur le fait que nous attendons de ce sommet européen des mesures fortes de soutien à l'Ukraine sans pour autant tomber dans le bellicisme ; nous attendons des mesures puissantes pour sauver nos agriculteurs ; nous attendons de la France plus de constance et de clarté pour continuer de tenir son rang ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice Pascale Gruny, permettez-moi de rectifier quelque peu vos propos : nous ne sommes pas les agresseurs, nous soutenons les agressés. D'une certaine manière, nous sommes d'ores et déjà victimes de l'agressivité de Vladimir Poutine.

Qui a fait flamber les prix du gaz pour nos concitoyens ? C'est Vladimir Poutine ! Qui inonde les marchés mondiaux de céréales à prix cassés, ce qui fragilise nos agriculteurs ? C'est Vladimir Poutine ! Qui a déclenché des cyberattaques sur les hôpitaux de Corbeil-Essonnes et de Versailles, ce qui les a paralysés pendant plus d'un an ? Ce sont des groupes russes ! Qui a, encore aujourd'hui, diffusé une fausse nouvelle sur l'envoi présumé de troupes françaises en Russie ? Ce sont les services de renseignement russes !

Bref, nous sommes soumis à une agressivité très forte de la part de la Russie, n'inversons pas les rôles !

Mme Frédérique Puissat. Ce n'est pas du tout ce qui a été fait !

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Jusqu'à présent, l'obsession de la France et de l'Union européenne a été de permettre aux Ukrainiens de se défendre.

En ce qui concerne la question que vous avez posée au Gouvernement il y a quinze jours, je vous confirme que lors des discussions qui ont eu lieu hier pour prolonger le règlement ATM, c'est-à-dire les mesures exceptionnelles de soutien à l'Ukraine, le représentant du gouvernement français a émis un avis favorable sur plusieurs propositions émanant des représentants d'autres pays, notamment celles qui consistent à instaurer des freins d'urgence sur des denrées alimentaires : la volaille, le sucre, ou encore certaines céréales. De tels amendements rejoignent le texte adopté par le Parlement européen, qui fait l'objet d'un trilogue en ce moment même. Nous verrons ce qu'il en sortira.

Pour ce qui est de la politique agricole commune, vous avez raison d'insister sur la nécessité d'appliquer les mesures de simplification proposées par la Commission le plus rapidement possible. C'est le message que portera le Président de la République jeudi et vendredi prochains à Bruxelles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Je n'ai pas eu toutes les réponses que j'attendais. Je ne sais toujours pas où nous en sommes sur les plateformes, mais j'attendrai…

Que l'on soit bien d'accord, mon discours n'était pas pro-Poutine. Nous défendons l'Ukraine.

En revanche, les propos du Président de la République ont véritablement effrayé les Français. Ceux que nous rencontrons sur les marchés, dans nos villes, nous le disent. Prenons garde d'effrayer nos concitoyens et nos alliés. Il convient de consulter les autres États membres avant de faire des annonces qui font peur.

Mme Frédérique Puissat. Tout à fait !


Source https://www.senat.fr, le 2 avril 2024