Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Construire une politique globale de prévention en santé : avec quels objectifs, quelles priorités, quels indicateurs, quelles données et quels financements ? ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention
Je remercie le groupe MODEM d'avoir pris l'initiative de ce débat fort intéressant. J'ai pris beaucoup de notes, parce que de nombreux propos pertinents ont été tenus par l'ensemble des orateurs. Je remercie tous ceux qui sont montés à la tribune. Ils se sont parfois montrés très critiques, mais la critique permet d'avancer. En tout cas, tous ont en commun d'avoir formulé des propositions intéressantes.
Vous l'avez dit, et j'en suis moi-même convaincu : face aux épidémies, au vieillissement de la population et au poids que représentent les maladies chroniques, notre pays ne tiendra que par la prévention. Notre système de santé ne tiendra durablement que si nous déployons un système de prévention efficace et reconnu pour sa pertinence dans de nombreux champs d'intervention. La prévention est la condition de la soutenabilité de notre système de santé. Nous sommes tous attachés à sa pérennité et à sa solidité.
La prévention est aussi le premier des combats contre les inégalités sociales et territoriales. Enfin, elle est une manière de protéger notre système de santé à très court terme : quand on parvient à réduire l'incidence de la bronchiolite ou de la grippe, on a moins besoin de médicaments, moins recours à l'hôpital, et on enregistre en définitive moins de décès. Notre ambition est donc d'opérer dans les prochains mois une transformation de notre politique de prévention en santé. Nous devons basculer d'un système historiquement axé sur le tout curatif à une société qui repose davantage sur la prévention, comme l'a rappelé le député Cyrille Isaac-Sibille, et je salue le combat qu'il mène de longue date pour que chacun prenne conscience de la nécessité d'opérer ce virage.
Parler de prévention, c'est aborder bien des sujets : la santé environnementale, la nutrition, l'alimentation – autant de sujets évoqués par les uns et les autres, et notamment par Jérôme Guedj. De nombreux acteurs participent à cette prise de conscience générale, à commencer par l'État, dont l'intervention en matière de santé et donc de prévention est prééminente, mais aussi les collectivités locales, le monde associatif et le monde sportif. Tous se mobilisent à cette fin.
Faut-il, comme l'a proposé Charles Fournier, encadrer l'intervention de chacun et clarifier le rôle des collectivités locales en les dotant de compétences strictes ? Je ne le crois pas. Chacun, me semble-t-il, a conscience de son rôle dans son champ de responsabilité – les départements avec les collèges, les régions avec les lycées, on pourrait allonger la liste… Chacun agit déjà en matière de prévention et a parfaitement conscience des enjeux, par exemple les maires qui composent les menus des cantines au sein des écoles maternelles et primaires.
Je rappellerai juste un chiffre : la nation consacre environ 15 milliards d'euros à la santé selon les études, soit 0,6 % du PIB, ce qui nous situe dans la moyenne des grands pays de l'OCDE. Ce n'est pas merveilleux, mais nous n'avons pas à rougir de ce classement. Nous devons nous améliorer et nous affirmer en la matière, mais ne rougissons pas de l'effort général que nous menons.
Des politiques de prévention ciblées ont été déployées, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de santé 2018-2022. Elles ont visé à renforcer la protection vaccinale de la population, ou encore à faciliter les actions de promotion de la santé dans tous les milieux de vie. Je pense par exemple au dépistage néonatal ou à l'extension de l'obligation vaccinale à onze vaccins pour les moins de 2 ans, qui permet d'atteindre une couverture vaccinale très élevée chez les enfants.
La mise en place du nutri-score a permis d'encourager des choix alimentaires plus sains et de réduire les risques de maladies liées à l'alimentation. Je suis d'accord avec Jérôme Guedj, il faut sans doute pousser les feux en la matière, mais notre pays peut au moins se glorifier d'avoir un tel dispositif – ailleurs, il n'existe même pas.
La prévention active et personnalisée s'est par ailleurs incarnée dans des objets numériques très concrets comme Mon espace santé, quotidiennement utilisé par 11 millions de Français.
Plus récemment, le virage de la prévention a connu une accélération : l'hiver dernier, le succès des campagnes de vaccination et d'immunisation a permis d'améliorer significativement la protection de la population. Dans les maternités, le traitement préventif du virus à l'origine de la bronchiolite des nourrissons s'est caractérisé par un taux d'adhésion élevé. L'évolution des mentalités est avérée et déjà enclenchée : les Français acceptent voire réclament de tels progrès et de telles innovations au service de la prévention. Je m'en réjouis et salue la mobilisation collective qui les permet et qui évite aux nourrissons d'être hospitalisés. Le travail se poursuit pour reproduire dès l'hiver prochain cette première campagne d'immunisation couronnée de succès et ces excellents résultats.
En parallèle se déploie depuis octobre dernier la campagne de vaccination contre les infections à papillomavirus humains pour les élèves de cinquième : plus de 117 000 élèves ont reçu leur première dose, entièrement prise en charge par l'assurance maladie ; la campagne se poursuivra en 2024.
Nous pourrions parler de nombreuses pathologies, mais permettez-moi d'évoquer quelques exemples significatifs à l'origine de décès : les cancers, le tabac, ainsi que les maladies cardiovasculaires évoquées par Yannick Neuder.
En matière de lutte contre le cancer, nous devrions atteindre d'ici à 2025 l'objectif de 10 millions de dépistages par an, contre 9 millions aujourd'hui.
Concernant la lutte contre le tabac, le programme national de lutte contre le tabagisme 2018-2022 s'est déjà traduit par de premiers résultats prometteurs : une baisse historique de la prévalence du tabagisme quotidien, passée de 28,5 % en 2014 à 24,5 % en 2022 – vous vouliez mesurer notre engagement en matière de prévention de certaines pathologies, voici des chiffres ! Ces résultats positifs nous encouragent à appliquer rapidement les mesures du nouveau PNLT annoncé il y a quelques mois, qui seront déployées dès cette année : interdiction de la vente des puffs ; élargissement des espaces sans tabac. D'autres mesures qui ont fait leurs preuves, comme le Mois sans tabac et la hausse des prix, sont par ailleurs reconduites : le prix du paquet de cigarettes atteindra ainsi 13 euros d'ici à 2027, avec un premier palier à 12 euros en 2025.
Ces dernières années, nous avons mis l'accent sur la santé sexuelle des jeunes. En 2023, 17 millions de préservatifs masculins ont été distribués gratuitement en pharmacie aux moins de 26 ans, soit quatre fois plus que l'année précédente. Pour cette classe d'âge, le dépistage des infections sexuellement transmissibles est désormais intégralement pris en charge.
Nous n'avons pas oublié la santé menstruelle : dès cette année, les protections menstruelles réutilisables sont remboursées pour les femmes de moins de 26 ans et sans limite d'âge pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire.
Enfin, parce que les politiques de prévention doivent toucher l'ensemble de la population, jeunes comme moins jeunes, le programme de détection précoce de la perte d'autonomie des plus de 60 ans fait l'objet d'une expérimentation jusqu'en 2025, dans le cadre de la stratégie Vieillir en bonne santé.
Je veux dire un mot des infirmières Asalée, puisque Sébastien Jumel et Yannick Neuder m'ont interpellé à ce propos. Le dispositif est soutenu par le Gouvernement. Une discussion – serrée, effectivement – est en cours entre l'assurance maladie et l'association Asalée sur l'utilisation par cette dernière des fonds publics qui lui sont affectés, soit un budget annuel de 80 millions d'euros. En effet, ces crédits ont vocation à financer la prise en charge des soins, en particulier l'activité des infirmières Asalée qui participent à cette prise en charge ; ils ne sont pas destinés à d'autres utilisations. Or l'association acquitte des frais de fonctionnement à l'aide de ces sommes.
Nous sommes tous, ici, attachés au bon usage des fonds publics, notamment ceux versés par l'assurance maladie. Que ceux-ci soient utiles aux Français, c'est une chose ; qu'ils financent le fonctionnement général de l'association, c'en est une autre. En tout cas, pour pérenniser le dispositif, une avance de trésorerie de 6 millions d'euros est faite chaque mois par l'assurance maladie à l'association Asalée, de manière à financer les salaires de ses infirmières. La survie du dispositif n'est donc pas remise en cause, bien au contraire : si nous pouvons l'étendre dans les prochains mois ou les prochaines années, nous le ferons.
En matière de dépistage des maladies cardiovasculaires, évoqué par Yannick Neuder, beaucoup a été fait. Prévenir ce type d'affections, c'est parler de tabac, d'alcool, de nutrition, d'activité physique, d'obésité, d'hypertension, de diabète… Je ne citerai pas l'ensemble des mesures prises dans ces différents domaines : elles sont nombreuses. Yannick Neuder le sait, qui a raison d'insister sur cet enjeu majeur.
Dans un contexte où les maladies chroniques progressent et où les inégalités sociales dans le domaine de la santé s'accroissent, il s'agit de franchir une nouvelle étape en matière de prévention. Celle-ci est en effet un enjeu essentiel, si nous voulons non seulement continuer à améliorer la santé des Français et leur espérance de vie sans incapacité, mais aussi alléger la pression sur le système de santé, dans un contexte de vieillissement de la population et de difficultés de recrutement.
Notre ambition est de prendre en compte, pour toute la population et tout au long de la vie, le plus de déterminants de santé possible – pour reprendre une expression employée par plusieurs orateurs. Qu'il s'agisse de facteurs familiaux, sociaux, économiques ou environnementaux, tout ce qui conditionne l'état de santé des individus doit être ciblé par la politique de prévention que nous entendons mener.
Le dispositif Mon bilan prévention constitue un pilier central de cette stratégie, comme l'a rappelé notamment Laurence Cristol. Il permettra, d'ici à quelques semaines, à chaque Français d'accéder à une nouvelle offre personnalisée et de prendre le temps, lors d'un échange avec un professionnel de santé, de faire le point sur sa santé et ses habitudes de vie, et ce à quatre âges clés. Chaque Français pourra ainsi bénéficier de conseils ciblés. L'objectif est de donner à chacun la possibilité de devenir acteur de sa propre santé. Plus de 20 millions de personnes sont concernées par le dispositif et recevront très rapidement une invitation de l'assurance maladie.
Celui-ci est particulièrement novateur, d'une part parce que ces rendez-vous inscrivent résolument notre action dans le temps long, d'autre part parce qu'ils seront pris en charge à 100 % par l'assurance maladie, sans avance de frais. Cette stratégie d'aller vers permettra de lutter efficacement contre les inégalités de santé.
Lors de ces bilans, des thématiques de prévention prioritaires définies en lien avec le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) seront abordées. Je pense à l'activité physique, au sommeil, aux habitudes alimentaires, aux addictions, mais aussi au bien-être mental et à la santé sexuelle et reproductive. Les consultations des 18-25 ans seront aussi l'occasion d'aborder avec les jeunes qui le souhaitent les questions de fertilité, qui feront par ailleurs l'objet d'un plan national dédié. Ces rendez-vous de prévention permettront enfin de lutter contre l'obésité, qui touche 8,5 millions de nos concitoyens – et dont il faut parler, monsieur Guedj. Une feuille de route dédiée sera prochainement déployée et territorialisée, en accordant une attention particulière aux départements et aux régions d'outre-mer.
Bien que central, le déploiement de Mon bilan prévention sera accompagné d'autres initiatives fortes dans les prochains mois. Ainsi, à la fin du mois d'avril – j'ai le plaisir de vous l'annoncer –, les assises de la santé de l'enfant et de la pédiatrie seront l'occasion de faire des annonces concrètes pour créer une dynamique préventive, des 1 000 premiers jours jusqu'à la fin de l'adolescence.
Qu'il s'agisse de l'exposition aux écrans, de l'exposition environnementale, du repérage précoce des handicaps, notre objectif est d'agir dès l'enfance et à tous les niveaux, à une période de la vie où les actions de prévention sont particulièrement efficaces. Nous voulons faire de l'enfant l'acteur principal de sa bonne santé autour de trois axes : bien dormir, bien manger et bien bouger. Le carnet de santé numérique, la promotion d'une bonne hygiène de sommeil ou les 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école sont autant de mesures qui contribuent à améliorer la santé des enfants.
Par ailleurs, dans les prochains mois, nous accorderons une attention toute particulière à la santé mentale – thème cher à Anne-Cécile Violland, qui l'a longuement évoqué –, notamment des jeunes. Le recours aux soins d'urgence pour troubles de l'humeur, idées et gestes suicidaires a fortement augmenté en 2021 et 2022, pour s'établir depuis à un niveau élevé. La situation est donc, vous l'avez rappelé, préoccupante. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, la hausse s'est même poursuivie de façon marquée en 2023. Une telle dégradation de la santé mentale des Français, en particulier des jeunes, appelle une réponse forte de notre part. Le Conseil national de la refondation (CNR) « santé mentale », qui débutera en mai et auquel je vous invite tous à participer, nous permettra, je l'espère, de proposer des réponses à la hauteur des enjeux.
En parallèle, et conformément aux engagements pris par le Premier ministre, une rénovation complète du dispositif Mon soutien psy sera opérée dans les prochaines semaines. Nous devons rendre le dispositif plus attractif pour les psychologues et plus facile d'accès pour les Français.
Enfin, nous mettrons l'innovation au service de la prévention, grâce au déploiement à venir d'une feuille de route dédiée à la prévention dans le cadre du volet santé de France 2030, doté de 170 millions d'euros. Cet investissement conséquent permettra de faire émerger des innovations de rupture au service de la prévention. C'est aussi grâce à des technologies de plus en plus personnalisées et prédictives – dans l'accompagnement des prescriptions et l'efficience des traitements, par exemple – que chacun pourra devenir acteur de sa santé.
Reste la question, abordée par plusieurs d'entre vous, d'un rendez-vous démocratique pour débattre de la prévention à la veille de l'examen du PLFSS. Pourquoi pas ? Je suis tout à fait d'accord pour débattre avec vous de cette question, que ce soit en commission ou en séance publique, pour répondre à toutes les questions qui se posent en la matière et préciser les axes qui méritent de l'être.
Sébastien Jumel, Martine Froger et d'autres ont également soulevé la question du financement. Nous nous efforçons, je le rappelle, de faire sortir progressivement le système de santé d'un financement à l'acte pour valoriser le financement par forfait. Tel est l'objet des discussions en cours entre l'assurance maladie et les syndicats de médecins au sujet de la médecine libérale. L'enjeu est d'adosser bien davantage le financement de la prise en charge à des objectifs de santé publique – c'est ce que l'on appelle la responsabilité populationnelle – et de mieux rémunérer au forfait ou les parcours de soins, plutôt que de financer l'acte.
Ce mode de financement suppose peut-être une meilleure lisibilité de ce qu'est la prévention. L'idée d'un sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) consacré à la prévention est régulièrement avancée. Cette solution ne me paraît cependant pas très opérationnelle, car il est très difficile d'isoler une part importante des dépenses de prévention dès lors que des opérateurs très divers participent à ladite prévention. En revanche, on pourrait réfléchir à une amélioration de la gouvernance du financement de la prévention institutionnelle, qui est éclatée entre différents fonds et opérateurs. Il y va de la lisibilité et de l'efficacité de la dépense et de l'action publiques.
Il faut également réfléchir à une meilleure articulation du rôle de l'assurance maladie obligatoire et des organismes complémentaires dans le financement de la prévention. C'est un enjeu majeur.
Toutes ces actions mises bout à bout visent un seul objectif, celui de convaincre chacune et chacun de l'intérêt de prendre soin de sa santé, sans attendre d'être malade ou d'aller mal. Avec Mon bilan prévention, reconnaissez que l'objectif est d'opérer, dans les prochains mois, un véritable changement culturel dans le rapport des Français à leur santé. De fait, ils pourront comprendre directement, lors d'un entretien avec un médecin, combien il est important de valoriser les opérations de santé au cours de sa vie, de son parcours, dans son quotidien. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
Nous en venons aux questions.
Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier (Dem)
Monsieur le ministre, Cyrille Isaac-Sibille a bien identifié l'enjeu. Nous ne pouvons pas nous en tenir à un système qui repose exclusivement sur le curatif et dans lequel le service public et le privé, qui ont tous deux en charge la santé publique, ne se rencontrent jamais. Nous ne pouvons pas nous passer d'une politique de prévention globale car, vous le savez très bien, 1 euro investi dans la prévention permet d'économiser 10 euros dans le curatif. La situation exige donc que nous changions de paradigme. Vous avez du reste abordé le débat dans votre conclusion, en indiquant que vous étiez prêt à discuter, avec le Parlement, d'une nouvelle approche. Sans cette nouvelle approche, nous serons obligés de colmater, çà et là, les brèches que nous connaissons – et toutes les bonnes volontés sont réunies sur ces bancs.
Je souhaite appeler votre attention sur trois questions.
S'agissant, tout d'abord, des infirmières Asalée, je vous demande de prendre le problème à bras-le-corps. Il y a des contraintes, que vous connaissez parfaitement, liées à la discussion entre l'association et l'assurance maladie. Le Gouvernement – en l'espèce, vous-même – peut avoir une position neutre et débloquer la situation de manière que l'on n'attende pas le 4 ou le 5 avril pour payer les salaires du mois de mars.
M. Sébastien Jumel
C'est vraiment important, monsieur le ministre !
M. Philippe Vigier
Sans ces infirmières, il n'y aura plus de politique de prévention dans ce pays. Elles ont fait un boulot formidable – j'y insiste. Or, elles sont en détresse. Il faut donc les aider – je suis convaincu que vous serez au rendez-vous.
Ensuite, Yannick Neuder l'a très bien dit, nous avons un problème de sensibilisation au dépistage du cancer colorectal – qui a fait l'objet d'une animation dans ma commune il y a quelques jours. On peut faire tout ce qu'on veut, installer des cars de détection… Nous sommes les derniers de la classe ! Il est grand temps de s'attaquer à ce problème, qui mérite une attention absolue.
Enfin, mettons le paquet sur la santé mentale des jeunes. Les infirmières scolaires pourraient être mutualisées au niveau des départements et des régions – nous avons tenté de le faire, à titre expérimental, entre un collège et une école élémentaire. Si nous ne sommes pas capables de mener une politique de prévention auprès des enfants, des ados et des pré-adultes, nous ne nous en sortirons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Que les choses soient claires – je le dis à l'intention de l'ensemble des députés : le Gouvernement soutient le dispositif des infirmières Asalée. Je suis le premier à reconnaître le caractère vertueux de leur rôle dans le système de santé, aux côtés des médecins, notamment dans le suivi des patients souffrant de pathologies chroniques. Le débat porte sur la gestion de l'association au niveau national, mais tout est fait pour pérenniser le versement des salaires de l'ensemble de ces infirmières, où qu'elles soient installées sur le territoire. Quant à l'avenir du dispositif, j'ai indiqué que nous irons plus loin si nous le pouvons.
S'agissant du cancer colorectal – je n'ai pas évoqué chacune des pathologies –, vous avez raison : nous continuons d'intensifier le dispositif installé depuis quelques années par l'assurance maladie. Celui-ci consiste à adresser régulièrement un courrier à toutes les personnes concernées, notamment les hommes,…
M. Yannick Neuder
Les femmes aussi !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
…pour les inciter à effectuer un test de dépistage – les femmes aussi, monsieur Neuder : j'ai parlé de toutes les personnes concernées.
Enfin, la santé mentale est un enjeu majeur. Le CNR « santé mentale » ne part pas d'une feuille blanche. Je l'ai rappelé, beaucoup a été fait à la suite des assises de la psychiatrie et de la santé mentale, lancées par le Président de la République en 2021, qui ont permis à de nombreux acteurs de travailler et de faire émerger des propositions. Il se trouve que la question était restée en suspens ; nous nous en saisissons à nouveau pour que, dans le courant du mois de mai, des propositions très concrètes permettent de remédier à la détérioration préoccupante de la santé mentale de nos concitoyens, notamment des jeunes.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Pradal.
M. Philippe Pradal (HOR)
Au cours des dernières années, nous avons constaté à la fois une dégradation de la santé mentale des Français et une meilleure prise en compte de l'importance de celle-ci au travail, en tant que facteur d'épanouissement ou de souffrance dans la vie professionnelle et personnelle des travailleurs. La crise sanitaire de 2020, les confinements et le développement du recours au télétravail ont marqué une évolution notable.
Il convient de souligner que la santé mentale est mentionnée dans le code du travail, aux articles L. 4121-1 et suivants, qui ont trait aux obligations des employeurs. Ceux-ci doivent ainsi prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ce soit en matière de prévention, d'information, de consignes de travail ou de mise à disposition de moyens. Toutefois, et c'est probablement là que le bât blesse, les employeurs ne sont pas toujours formés ou ne disposent pas toujours des outils et moyens nécessaires pour s'assurer de la bonne santé mentale de leurs salariés alors que la responsabilité leur en incombe, de même que celle d'évaluer les risques encourus par ces derniers.
J'appelle tout d'abord votre attention sur la nécessité de renforcer les missions de la médecine du travail, en développant la prévention en santé mentale, à la fois en direction des employeurs et des employés.
De nouvelles méthodes de travail se sont développées depuis la crise sanitaire liée au covid-19, en particulier le télétravail, ainsi que le recours massif au chômage partiel. De nouvelles propositions sont à l'étude, telles que la semaine de quatre jours ou une éventuelle modification de l'indemnisation du chômage.
Dans les premiers résultats de son étude sur l'estimation du fardeau environnemental et professionnel de la maladie en France, publiés le 12 mars 2024, Santé publique France ne mentionne pas la santé mentale. Quels sont les moyens dont dispose le Gouvernement pour mesurer l'incidence des nouveaux modes de travail sur la santé mentale des travailleurs, celle-ci étant désormais considérée comme déterminante ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Le CNR « santé mentale », qui se réunira en mai, placera la question de la santé mentale au travail au cœur de ses discussions. Il s'agit d'un sujet de préoccupation majeure, comme le montrent toutes les études. Les données fournies par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) pour 2021 – année encore marquée par la crise sanitaire – soulignent la dégradation très forte des conditions de travail, vécue par 40 % des personnes en emploi, et la montée d'angoisses liées à l'insécurité au travail. Ces problèmes ont perduré après la pandémie.
Il convient de redonner des moyens – et ses lettres de noblesse – à la médecine du travail, qui est une spécialité désormais peu courue par les jeunes professionnels de santé. Il faut réarmer la médecine du travail quant à ses objectifs, quant à son statut, et quant à son rôle central dans les relations de travail. Nous allons y travailler dans les prochains mois, en particulier dans le cadre du CNR « santé mentale ».
Mme la présidente
La parole est à Mme Chantal Jourdan.
Mme Chantal Jourdan (SOC)
La crise sanitaire a mis en exergue plusieurs priorités pour les politiques de santé publique. Des rapports récents déplorent leur insuffisance en matière de prévention, et ce sont les publics les plus fragiles qui en pâtissent davantage. Le rapport de la Cour des comptes de novembre 2021, intitulé « La politique de prévention en santé », invite à systématiser les approches de prévention dans les pratiques professionnelles, c'est-à-dire à impliquer de plus larges catégories de professionnels, et à leur permettre d'exercer de plus amples compétences en matière de prévention.
Compte tenu de ces préconisations, je souhaite vous poser, monsieur le ministre, trois questions précises. Tout d'abord, le rôle de l'école est déterminant en matière de prévention ; il s'agit d'un lieu privilégié pour diffuser l'information, anticiper et éviter l'aggravation de nombreuses difficultés. Pourtant, l'école peine à remplir cette fonction, notamment dans le domaine de la santé mentale, tant le manque de moyens humains et financiers est criant : des enfants présentant des troubles du comportement ne sont pas suffisamment accompagnés ; le phénomène du harcèlement prend de l'ampleur ; des jeunes en situation de handicap, mal pris en charge, se retrouvent dans des situations de souffrance qui peuvent renforcer certains troubles. Ne pensez-vous pas que la communauté éducative doit être prioritairement renforcée par des infirmiers, des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), des assistants sociaux et des psychologues ?
Ma deuxième question concerne les infirmières Asalée. Vous nous avez rassurés quant au soutien que le Gouvernement apporte à ce dispositif. Les 80 millions d'euros qui lui sont dédiés pour rémunérer les infirmières financent-ils également le travail de coordination entre ces dernières et les médecins ? Cela me paraît primordial.
Troisièmement, s'agissant du dispositif Mon soutien psy, nous avons réclamé à maintes reprises l'accès direct aux consultations psychologiques. Le Gouvernement envisage-t-il cette possibilité, qui marquerait un premier pas dans la reconnaissance du rôle spécifique des psychologues ? (M. Gérard Leseul applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
S'agissant de la médecine scolaire et de l'importance d'une prise en charge dès l'école, le problème est similaire à celui de la médecine du travail : il faut allouer davantage de moyens aux infirmiers et médecins scolaires, ainsi qu'à l'accompagnement des élèves. Cela fait partie des dossiers dont j'ai hérité lors de ma prise de fonction et sur lesquels je compte avancer. Cependant, en matière de prévention à l'école, nous ne partons pas d'une feuille blanche : le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école participe à la prise en charge des élèves.
Quant au dispositif Mon soutien psy, il fera l'objet d'une réorganisation et d'une révision de ses conditions. Nous travaillons à rendre possible l'accès direct aux consultations psychologiques ; il s'agit d'une demande légitime, et qui permettra de fluidifier l'accès à ce dispositif. Nous étudions également la possibilité d'une revalorisation du montant des consultations, afin de les rendre plus attractives pour les psychologues.
Enfin, s'agissant des infirmières Asalée, je le répète, ce dispositif est précieux, utile et soutenu par l'État. Son financement annuel par l'assurance maladie, qui s'élève à 80 millions d'euros, se poursuivra, même si une discussion est en cours avec l'association afin de veiller à ce que ces fonds publics soient bien utilisés. Ce montant est effectivement dédié à la rémunération des infirmières ainsi qu'au financement du travail de coordination.
M. Gérard Leseul
Et les problèmes de trésorerie ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES)
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser deux questions. Premièrement, la semaine passée, plus de 700 soignants vous ont lancé un appel rappelant les données effrayantes de l'Inserm – l'Institut national de la santé et de la recherche médicale : 18 pathologies touchant les professionnels du monde agricole sont liées à leur exposition aux pesticides ; dans la population générale, certaines maladies neurodégénératives, certains cancers et certaines leucémies, touchant les enfants, sont également liées aux pesticides. L'OMS prévoit, d'ici à 2050, une hausse de 77 % du nombre de nouveaux cas de cancer par rapport à 2022. Ce n'est pas une fatalité, mais le résultat de choix politiques. Dès lors, quelle sera la position de votre ministère sur la révision du plan Écophyto ?
Deuxièmement, une concitoyenne de ma circonscription, habitant la petite commune de Chamaret, m'a écrit il y a quinze jours : « Mon médecin traitant se déconventionne, et l'on va généreusement me rembourser mes prochaines consultations à 0,43 centimes la consultation de médecine générale. J'ai écrit à la CPAM de la Drôme, qui me laisse entendre tacitement que si je veux me faire rembourser, je n'ai qu'à prendre un médecin conventionné. Fort bien, alors qu'on m'en désigne un : tous les médecins généralistes sont saturés à 50 kilomètres à la ronde ! »
Monsieur le ministre, êtes-vous conscient de ce problème qui se pose partout dans nos campagnes ? Vous me direz que si le médecin demande à ne pas être remboursé par la sécurité sociale, cela le regarde. Mais les assurés sociaux ne sont pas responsables de ses choix, et ne doivent pas avoir à les payer, a fortiori dans le contexte de pénurie de médecins que nous connaissons. Le risque est connu : la pression accrue sur des services d'urgence déjà saturés ou, pire, le renoncement aux soins, alors que l'espérance de vie en zone rurale est inférieure de deux ans à celle en ville. Nous devons instaurer une régulation et interdire ce genre de pratiques. Comment comptez-vous conduire une politique globale de prévention en santé en laissant de côté 30 % de la population ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Le ministère de la santé participe aux réunions de suivi du plan Écophyto – deux jours seulement après ma prise de fonction, je participais à une réunion du Comité d'orientation stratégique et de suivi de ce plan. Pour le moment, nous prenons notre place dans cette réflexion. J'ai lu avec intérêt l'interpellation des soignants que vous mentionnez, mais nous continuons à suivre, avec cohérence, la stratégie qui est celle du ministère ces dernières années.
Je suis opposé au déconventionnement, qui est un pari perdant, à la fois pour les médecins et – vous l'avez bien décrit – pour les assurés sociaux, c'est-à-dire pour les patients, et donc pour les Français. Ce choix, que font certains médecins, de quitter le système solidaire de financement par l'assurance maladie est sans doute lié aux discussions en cours entre cette dernière et les syndicats de médecins à propos de la prochaine convention médicale. J'espère que ces discussions aboutiront et ramèneront tout le monde à la raison, afin d'endiguer le phénomène et de convaincre les médecins qui s'imagineraient que le déconventionnement a un avenir. Ce n'est pas du tout l'esprit de notre modèle de santé que d'organiser un système à deux vitesses : se déconventionner, c'est ne prendre en charge que ceux qui ont les moyens de payer les consultations ; ce n'est pas le choix historique qu'a fait la France après-guerre, et ce n'est pas le choix du Gouvernement.
J'ai évoqué la politique globale de prévention pendant un bon quart d'heure à la tribune ; j'espère vous avoir un peu convaincue quant à l'existence de certains dispositifs.
Mme la présidente
La parole est à M. Tematai Le Gayic.
M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES)
Je remercie le groupe Démocrate d'avoir permis la tenue de ce débat. Ma question concerne l'indemnisation des frais d'accompagnement pour les victimes des essais nucléaires réalisés en Polynésie. Le chef de l'État s'est exprimé sur le sujet – notamment lors de son déplacement en Polynésie, en juillet 2021 –, de même que la ministre Catherine Vautrin à l'occasion du débat qui a eu lieu à l'Assemblée le 19 janvier. Mon propos ne vise pas l'indemnisation des victimes de ces essais nucléaires, qui est prévue par la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, mais la prise en charge des frais médicaux de ces personnes. Ces derniers sont assumés, depuis 1977, par la collectivité de la Polynésie française – notre système de sécurité sociale, de santé et de prévention relevant de la compétence de cette collectivité, il est indépendant du système français.
Mme Catherine Vautrin a accepté d'ouvrir une discussion sur la prise en charge de ces patients, reconnus par l'État comme victimes des essais nucléaires ; mais aucune rencontre n'a encore eu lieu. Il s'agit du remboursement de la prise en charge, par la collectivité polynésienne, de ces victimes, ainsi que de la prise en charge des molécules onéreuses et de l'ensemble de la prévention des conséquences liées aux essais nucléaires, dans le cadre de l'Institut du cancer de Polynésie française, créé en novembre 2021. Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Monsieur le député, vous avez fait à la fois les questions et les réponses. Mme Catherine Vautrin s'est effectivement engagée sur plusieurs pistes lors du débat tenu dans cet hémicycle en janvier, et elle a répondu à votre question. Des moyens sont actuellement mobilisés pour rehausser le niveau des équipements sanitaires en Polynésie, et la nation prend en charge le dépistage et le traitement – y compris les traitements les plus lourds – des personnes atteintes d'un cancer. L'État est donc au rendez-vous, dans le cadre institutionnel qui est celui de la collectivité de la Polynésie française, dont les compétences incluent la politique de santé. Ma position est identique à celle exprimée par Catherine Vautrin.
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac (LIOT)
Je remercie le groupe Démocrate d'avoir inscrit la question de la prévention en santé à l'ordre du jour. Les politiques de prévention sont souvent moins visibles que les politiques de soins, sur lesquelles nos concitoyens nous alertent régulièrement. J'en profite pour saluer les élus locaux, syndicats et acteurs de la société civile qui se mobilisent actuellement en faveur de la rénovation de l'hôpital de Redon.
La prévention est un vaste sujet, qui inclut la sensibilisation aux conduites à risque, ainsi qu'à la nécessité d'une bonne hygiène de vie : l'activité physique et l'alimentation sont, en la matière, des leviers trop souvent négligés, ce qui engendre surpoids, diabète et hypertension.
Mais si je ne devais retenir qu'un sujet, ce serait celui des addictions. Drogues et alcool constituent un fléau dans notre société et l'on pense parfois qu'une politique répressive d'interdiction permet de diminuer la consommation, notamment chez les jeunes.
Selon Santé publique France, notre pays compte 12 millions de fumeurs, dont la moitié déclarent vouloir arrêter. Toutefois, il se trouve que la hausse des prix des produits du tabac n'a pas eu l'effet dissuasif escompté et que nous constatons toujours une consommation plus importante parmi les classes populaires.
Pire encore, avec 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis, la France occupe la bien triste première place en Europe dans ce domaine. Notre pays maintient pourtant un arsenal répressif qui, associé au trafic illégal qui en découle, contraste avec la politique menée par certains pays, parmi lesquels l'Allemagne, qui vient de légaliser la consommation récréative de cannabis.
Ainsi, pensez-vous qu'une évolution législative, liée à un accompagnement des consommateurs dans un cadre régulé, pourrait être de nature à limiter davantage le fléau du cannabis dans notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Je ne peux pas vous laisser dire que l'augmentation des prix des produits du tabac n'a pas eu d'incidence. Le nombre de consommateurs quotidiens a bien diminué en France. Je répète les chiffres que j'ai déjà donnés : la prévalence du tabagisme est passée de 28,5 % en 2014 à 24 % en 2022. Peut-être trouvez-vous que cette baisse n'est pas assez rapide, mais c'en est bien une.
Là où vous avez raison, c'est sur le fait que la hausse des prix ne saurait être qu'un levier d'action parmi tous ceux devant être mobilisés pour essayer de contenir les méfaits du tabac. Lorsque j'étais député, j'avais déposé une proposition de loi visant à mieux encadrer les livraisons de tabac, afin d'éviter le surapprovisionnement de pays – notamment les États limitrophes de la France – pratiquant des prix moins élevés. Nous savons bien que, du moins en matière de livraisons, c'est moins une stratégie nationale qu'une stratégie européenne qui doit être élaborée. Je ne désespère pas d'avancer dans ce domaine et, devenu ministre, je reste convaincu du bien-fondé de ce que je défendais en tant que député.
S'agissant des addictions aux drogues et plus particulièrement au cannabis, comme vous le savez, une expérimentation sur l'usage médical de cette substance est en cours. Elle prendra fin durant le printemps et sera évaluée par les autorités sanitaires. Nous disposerons ainsi d'éléments probants sur l'intérêt d'un tel recours médical, notamment pour lutter contre les douleurs réfractaires à certaines thérapies.
Enfin, soyez assuré que nous étudierons de près le choix de l'Allemagne, où l'ouverture de la consommation récréative du cannabis sera également suivie avec attention. Cet exemple nourrira les réflexions et les débats ayant cours dans notre pays.
Mme la présidente
La parole est à Mme Mireille Clapot.
Mme Mireille Clapot (RE)
Tout d'abord, je remercie notre collègue Cyrille Isaac-Sibille d'avoir permis ce débat, qui est très important.
La politique de prévention en santé a connu un développement important ces dernières années. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, des moyens y ont été consacrés. Et le nombre d'acteurs concernés est en hausse, ces derniers venant aussi bien des collectivités locales, de l'assurance maladie, des structures professionnelles dédiées, des établissements de santé, des équipes de soins primaires, des associations, des assureurs, que des mutuelles.
Cela étant, malgré cet effort public significatif, la Cour des comptes, dans un rapport de novembre 2021 sur la politique de prévention en santé, souligne que les résultats obtenus dans ce domaine au niveau national sont « éloignés de leurs cibles » et des « performances » de pays comparables.
Par ailleurs, cela a également été dit, les acteurs sont éclatés. Chacun œuvre avec détermination, mais de manière isolée, sans concertation et en silos. Certains ont une approche par âge : par exemple, des professionnels concentrent leur action sur les enfants, à l'instar de la PMI, que je salue. D'autres se chargent des salariés, ou des personnes âgées, avec la prévention des chutes. Certains acteurs ont une approche en fonction du genre, ce qui m'est cher en tant que féministe, ou de pathologies ciblées.
Je le répète, tous ces intervenants participent de façon dispersée aux différentes actions de prévention, comme le dépistage organisé, la vaccination, la lutte contre les addictions, l'incitation à bien se nourrir, à faire du sport, à veiller aux facteurs environnementaux, ou encore l'attention à la santé mentale.
Pareil constat a été fait par les comités que j'ai réunis dans ma circonscription de la Drôme. J'ai pu me rendre compte, au cours de ces réunions, qu'il y avait une véritable maturation, une sensibilité des citoyens sur cette question.
Il est temps d'établir une politique de prévention en santé beaucoup plus globale. Dès lors, ma question sera simple : si vous êtes le chef d'orchestre de cette politique au niveau national, monsieur le ministre, qui est l'interlocuteur au niveau territorial ? S'agit-il de l'hôpital, des médecins traitants, de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) ? Comment pouvons-nous décloisonner les actions entreprises et les centrer sur les bienfaits apportés aux citoyens ? Comment évaluons-nous leurs coûts ? Et comment en mesurons-nous les effets ? (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
M. Cyrille Isaac-Sibille
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Vous l'avez rappelé, les acteurs qui concourent aux actions de prévention sont nombreux, relèvent de statuts différents, et viennent aussi bien des administrations de l'État que de celles des collectivités locales, du monde associatif, ou encore du réseau des soignants. Notre stratégie est de faire en sorte que tous se parlent et se coordonnent, pour que les systèmes se décloisonnent.
C'est le sens de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, loi que j'ai défendue et qui a été votée assez largement dans cet hémicycle. Elle doit permettre de décliner, dans chaque territoire de santé, les grandes politiques d'intérêt général, ce qui comprend des actions très concrètes en matière de prévention. C'est par la présence de chaque acteur autour de la table que s'organiseront, que seront défendues, que se décideront les politiques de prévention adaptées aux différents besoins de la population, suivant les territoires. Voilà ce qui est essentiel.
Il ne peut y avoir un pilote unique, qu'il s'agisse de l'hôpital ou d'un autre acteur, qui impose ses vues ou assure la coordination à la place de tous les autres. Chacun apporte ses compétences, son financement, son expertise ou, en ce qui concerne les soignants, joue son rôle dans le système de santé. Et c'est parce que les uns et les autres se parleront dans les territoires que nous améliorerons la prise en charge de telle ou telle pathologie.
Nous savons en effet que les caractéristiques de santé de la population sont très différentes selon les territoires, ces derniers n'ayant pas toujours besoin des mêmes programmes de prévention. Ce sera aux acteurs de terrain de définir les priorités, d'identifier les besoins spécifiques des populations et, grâce au décloisonnement, de décliner les programmes qui permettront d'être collectivement plus efficients.
J'y insiste, ce sont l'efficience et l'intelligence collectives qui nous permettront d'avancer en matière de prévention, non la désignation de tel ou tel acteur qui, tout à coup, imposerait ses vues aux autres.
Mme la présidente
La parole est à M. Benoit Mournet.
M. Benoit Mournet (RE)
Avant toute chose, je tiens à mon tour à remercier notre collègue Isaac-Sibille d'avoir eu l'initiative de ce débat, qui est essentiel.
La semaine dernière, à Tarbes, je participais au village « promotion de la santé », organisé par une cinquantaine d'acteurs pour faire connaître la plateforme Mon espace santé et le dispositif Mon bilan prévention – qui est pris en charge par la CPAM –, afin d'établir des diagnostics de vaccination, ou encore d'inciter au dépistage du cancer colorectal, soit autant d'actions très utiles.
J'en viens à ma question qui, cela ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, concerne la prévention en santé mentale. Je souhaiterais en effet que vous exposiez la stratégie du Gouvernement en la matière, car vous n'ignorez pas que le constat établi par l'OCDE est terrible. Nous avons dix ans de retard diagnostique à partir de l'apparition des premiers symptômes, sachant que les coûts directs et indirects des maladies psychiatriques, qui pèsent sur la productivité, s'élèvent à plus de 163 milliards d'euros.
En matière de prévention en santé mentale, le premier étage est celui qui consiste à bien manger, bien dormir et faire du sport, ce qui n'est pas toujours connu, ni appliqué. Le deuxième étage est celui des premiers recours, fournis par nos médecins généralistes, lesquels sont parfois démunis et ont besoin d'appui pour le diagnostic des pathologies, en lien, bien sûr, avec les acteurs du secteur. Il me semble que la clé est bien d'essayer de consolider la formation des professionnels et de nous appuyer sur les psychologues et les infirmiers en pratique avancée.
Comment, dès lors, mieux cibler les populations à risque, à commencer par les enfants relevant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Et, plus globalement, pourriez-vous présenter les grands axes du Gouvernement dans le domaine de la prévention en santé mentale ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Vous répondre en deux minutes risque d'être compliqué, tant le sujet est vaste, majeur, essentiel.
Ne nous mentons pas et parlons-nous directement : la santé mentale a été un angle mort des politiques de santé pendant de trop nombreuses années. Nous avons donc pris du retard. La crise sanitaire a sans doute aggravé la situation, mais toujours est-il que la situation est encore plus préoccupante qu'elle ne l'était déjà.
C'est pourquoi la mobilisation doit être forte. C'est ce que j'attends de la part de l'ensemble des acteurs du secteur lors du CNR santé mentale qui aura lieu au début du mois de mai. Il faut que nous prenions certaines des mesures qui ont été évoquées lors de travaux préparatoires avec l'ensemble des acteurs et qu'elles s'inscrivent dans un système qui ne repose pas uniquement sur les professionnels de santé. En effet, aussi bien les collectivités locales que les institutions et les administrations de l'État ont un rôle majeur à jouer. J'insiste : il est essentiel d'assurer la mobilisation de l'ensemble des acteurs participant à la prise en charge de la santé mentale de nos concitoyens, et particulièrement des jeunes.
Je le répète, c'est à l'occasion du CNR santé mentale, mais aussi des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant qui auront lieu dans quelques semaines, que nous déploierons des mesures. Et c'est en établissant une relation de confiance avec les acteurs que nous libérerons les initiatives : j'évoquais celles issues des territoires, ainsi que leur accompagnement. Dans la perspective de la délégation des tâches, il convient aussi de reconnaître le rôle des autres professionnels du soin qui, aux côtés des médecins, contribueront à améliorer la prise en charge de nos concitoyens dans le domaine de la santé mentale.
Rendez-vous au CNR santé mentale : le mois de mai, c'est demain !
Mme la présidente
La parole est à M. Lionel Vuibert.
M. Lionel Vuibert (RE)
La construction d'une politique globale de prévention en santé doit impérativement tenir compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et des personnes âgées qui utilisent un fauteuil roulant. Ces personnes sont souvent confrontées à des difficultés particulières liées à leur mobilité réduite et à leurs conditions de vie spécifiques.
Ainsi, une approche inclusive de la prévention doit garantir l'accessibilité des services de santé et des programmes de prévention à ces populations, en tenant compte de leurs besoins en matière d'aménagements physiques, de communication et de prise en charge médicale adaptée.
C'est la raison pour laquelle je souhaite appeler votre attention sur les inquiétudes exprimées par les professionnels du secteur et par les personnes en situation de handicap, à l'heure de la réforme de la prise en charge des fauteuils roulants. De nombreux acteurs sont convaincus de la nécessité d'une telle évolution pour répondre efficacement aux besoins des personnes en situation de handicap et des personnes âgées en perte d'autonomie – évolution qui intégrerait des avancées technologiques à même d'améliorer leur qualité de vie.
Cependant, les discussions avec la direction de la sécurité sociale semblent ne pas aboutir, alors même que le Président de la République a annoncé, en clôture de la Conférence nationale du handicap (CNH) d'avril 2023, que les fauteuils roulants manuels et électriques seraient intégralement remboursés en 2024.
Plusieurs préoccupations persistent du fait de la possible cessation de la location de fauteuils roulants pour les personnes âgées dépendantes, de tarifs jugés insuffisants pour une location de six mois, et de la perspective d'une nouvelle classification susceptible de mettre fin aux locations traditionnelles. De plus, les professionnels craignent que le délai imparti pour l'élaboration d'une réforme efficace ne soit trop court. Enfin, la viabilité du modèle économique de certains fabricants et distributeurs est également en jeu.
Je souhaiterais donc connaître l'état d'avancement des discussions, les attendus, ainsi que le calendrier de la réforme à même de satisfaire l'ensemble des acteurs. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
M. Hadrien Ghomi
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
J'évoquerai d'abord quelques chiffres, afin de resituer le débat. En 2022, l'assurance maladie obligatoire a consacré 300 millions d'euros au remboursement des fauteuils roulants. Si l'on ajoute certaines autres prestations, le reste à charge des patients, ainsi que le financement fourni par les organismes complémentaires, ce sont même près de 400 millions d'euros qui ont été dépensés pour la fourniture de fauteuils roulants.
Le Gouvernement a engagé depuis longtemps une révision de la nomenclature des fauteuils roulants inscrits dans la liste des produits et des prestations pris en charge par l'assurance maladie. De plus, comme vous l'avez rappelé, le Président de la République s'est engagé à ce que les fauteuils roulants soient intégralement financés par l'assurance maladie d'ici à la fin de l'année.
Cet objectif, qui sera tenu, donne effectivement lieu à des discussions entre l'assurance maladie, Fadila Khattabi au nom du Gouvernement, mais aussi les associations de personnes handicapées, qui sont étroitement associées à ces discussions. Celles-ci n'aboutissent peut-être pas aussi vite que nous le souhaiterions, mais elles n'ont démarré qu'il y a quelques semaines. Nous ne sommes qu'au début du mois d'avril : l'engagement d'un financement organisé de manière transparente sera tenu d'ici à la fin de l'année.
Nous avons encore quelques semaines, si ce n'est quelques mois, pour faire aboutir cette discussion. Elle n'est pas anodine – les montants en jeu sont considérables – mais, même si cela prend du temps, la promesse sera tenue. C'est important pour les personnes concernées.
Mme la présidente
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Mme Edwige Diaz (RN)
Gouverner, c'est prévoir ; soigner, c'est prévenir.
Si la politique de prévention sanitaire passe évidemment par la sensibilisation, notamment à l'importance de l'alimentation, du sommeil et de l'activité physique, elle ne doit pas faire l'impasse sur la détection, le plus rapidement possible, des problèmes de santé.
Dans ma circonscription, le constat est alarmant : en Haute-Gironde, le taux de surmortalité est supérieur à la moyenne nationale tout comme celui des décès évitables par des actions de prévention ou de traitement. Tout aussi inquiétant, le taux de participation aux campagnes de dépistage des différents cancers y est inférieur à la moyenne. On peut ainsi lire sur le site du contrat local de santé (CLS) de la Haute-Gironde que près de la moitié des femmes âgées de 20 à 24 ans n'ont pas consulté de gynécologue dans les deux dernières années, malgré la nécessité d'un examen annuel.
Comment dépister et prévenir les maladies alors que le nombre de médecins généralistes diminue et que l'équipement médical fait défaut ? Les généralistes installés en Haute-Gironde sont de moins en moins nombreux depuis 2017 et la densité de presque tous les autres spécialistes est inférieure à la moyenne nationale.
Dans certaines zones, il est difficile d'accéder à un centre d'imagerie médicale, ce qu'illustre la récente fermeture du centre radiologique de Blaye. Ce type de décision contribue à éloigner encore davantage les malades des structures de santé alors qu'un quart des Français ont déjà renoncé à se soigner en raison de l'éloignement géographique.
Que comptez-vous proposer aux Français qui, comme ceux de ma circonscription, subissent de plein fouet la désertification médicale, qui les empêche de se soigner mais aussi de pouvoir faire dépister leur maladie assez tôt pour bénéficier d'une prise en charge adaptée ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Le bilan prévention permettra dorénavant aux Français de s'entretenir de leur santé avec un médecin aux quatre moments clés de leur vie. Ils pourront faire le point sur leur mode de vie, leurs besoins et leurs éventuelles pathologies. Les modalités de cette mesure voulue par le Gouvernement et qui entrera en application cette année seront rendues publiques dans quelques semaines. Les Français concernés recevront un courrier dans les prochains mois pour les inviter à prendre rendez-vous.
La prévention doit par ailleurs prendre en compte les caractéristiques et les besoins en santé des habitants de chaque territoire – ils ne sont pas identiques que l'on se trouve en Haute-Gironde, dans le Sud de l'Alsace ou dans le Nord de la Bretagne. En territorialisant l'offre de soins, nous faisons confiance aux divers acteurs – les soignants, les collectivités locales, le monde associatif, les administrations déconcentrées de l'État – pour mettre au point des programmes de prise en charge adaptés aux besoins des habitants mais aussi à l'offre médicale dont dispose chaque territoire.
C'est en alliant les uns aux autres et en décloisonnant leurs missions que nous verrons émerger des programmes de prévention adaptés aux besoins de chacun.
Mme la présidente
La parole est à Mme Joëlle Mélin.
Mme Joëlle Mélin (RN)
La prévention fait désormais partie intégrante de votre titre puisque vous en êtes officiellement chargé, avec la santé. Ce n'est que justice car la prévention est fondamentale à tous les âges. Elle est d'abord l'affaire des Français. Ils doivent en acquérir le réflexe dès leur plus jeune âge grâce à la médecine scolaire. Une fois salariés, c'est vers la médecine du travail qu'ils peuvent se tourner et lorsqu'ils sont retraités, ils doivent pouvoir consulter dès que le besoin s'en fait ressentir.
C'est aussi l'affaire des soignants et des pouvoirs publics. En l'espèce, le travail qui reste à accomplir est considérable, comme en atteste un rapport de la Cour des comptes de 2021 dans lequel elle souligne le retard que notre pays a pris par rapport à ses voisins européens en ce domaine.
La crise du covid-19 a mis en lumière les prérogatives de l'Union européenne s'agissant de santé publique. À Bruxelles, les dossiers relatifs à la santé et à la prévention ont fleuri, parmi lesquels le plan d'action « Une seule santé », qui vise à renforcer le rôle de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), tout en prenant en compte les risques transfrontières pour limiter la propagation des pathologies transmissibles. Ce triptyque réglementaire se targue d'agir en faveur de la prévention.
Si la coopération internationale intra-européenne est une évidence en matière de santé publique, certains souhaiteraient faire de la prévention un cheval de Troie pour attenter à notre souveraineté sanitaire, n'hésitant pas à appeler à la réforme, voire à la suppression, de l'article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui consacre la subsidiarité des États membres dans le domaine sanitaire.
Quel est le positionnement de la France vis-à-vis de l'article 168 du TFUE et de notre libre-arbitre national en matière de santé publique et de prévention ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Il ne faut pas avoir peur de l'Europe, notamment dans le domaine sanitaire. Souvenons-nous que nous étions bien contents qu'elle nous aide à développer notre stratégie vaccinale ou à financer la fourniture de masques à la population. L'Europe a alors joué un rôle essentiel.
Pour autant, la santé demeure une compétence nationale. Les décisions, les réflexions et les programmes pris au niveau européen viennent en appui aux stratégies et aux ambitions nationales, sans s'y substituer. Il n'y a pas de mélange des genres : chacun est dans son rôle.
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi (LFI-NUPES)
Pour mener une politique de prévention efficace, il faut disposer d'une vision claire des enjeux et des risques sanitaires, d'une surveillance sanitaire et d'une recherche de qualité pour établir des diagnostics fiables, et de moyens suffisants.
Je distingue cinq enjeux de santé publique. Le premier est le vieillissement de la population, qui augmente la prévalence des pathologies liées au grand âge comme les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson, et engendre des difficultés spécifiques de prise en charge des personnes âgées. Le deuxième est une épidémie d'obésité, avec une prévalence plus élevée des maladies cardiovasculaires. Viennent ensuite les addictions mortelles au tabac et à l'alcool ainsi que les pollutions de l'air, de l'eau et du sol, qui nuisent à la santé des travailleurs et des habitants. Les maladies émergentes causées par le réchauffement climatique représentent enfin le cinquième enjeu.
Pour relever ces défis, nous avons besoin d'une surveillance sanitaire qui couvre tout le territoire et d'un budget suffisant pour la recherche. Or la France est à la traîne dans au moins deux domaines : la santé environnementale et la santé au travail. Comment expliquer que nous ne disposions toujours pas d'études claires sur les effets de la pollution de l'étang de Berre pour la santé des riverains et des salariés ?
Enfin, il faut des moyens pour lancer une grande campagne d'information sur les ravages de l'alcool, du tabac et des autres drogues, des moyens et un peu de courage politique pour rendre obligatoire le nutri-score, des moyens pour renforcer le Planning familial et lancer un grand plan national de dépistage et de traitement du VIH, des moyens pour recruter des médecins du travail et redonner aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) toutes leurs prérogatives, des moyens pour financer convenablement la médecine scolaire et la PMI.
Comment comptez-vous dégager ces moyens alors que Bercy a décidé d'économiser 20 millions aux dépens de la prévention ?
La meilleure prévention reste une médecine générale de qualité, accessible à toutes et tous, capable d'identifier en amont les risques et les pathologies. Nous en sommes loin : près de 6 millions de nos concitoyens de plus de 18 ans n'ont plus de médecin traitant. Nous devons prendre exemple sur Marseille en construisant sans tarder des maisons publiques de santé rattachées aux hôpitaux de proximité ou aux centres hospitaliers universitaires (CHU), et en nous fixant des objectifs clairs de santé publique. Comptez-vous rapidement généraliser cette initiative ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
À vous entendre, l'État ne ferait rien et se contenterait de regarder la situation se dégrader. Pourtant, nous avons évoqué plusieurs programmes qui ont permis d'améliorer la prise en charge, les taux de dépistage de certaines pathologies et l'accompagnement des populations. Tout n'est pas parfait et je suis le premier à reconnaître qu'en matière de santé mentale notamment, beaucoup reste à faire.
Nous avons tout de même fait beaucoup de progrès dans la prise en charge et le dépistage de maladies comme le VIH.
Les moyens alloués à la prévention – 15 milliards, mais on peut toujours faire plus – proviennent de programmes de prévention institutionnels, mais aussi de divers organismes comme les complémentaires santé. Les ménages participent aussi à leurs propres dépenses de prévention.
S'agissant de l'État, deux fonds existent : le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS), géré par la Cnam et doté d'un budget de 480 millions d'euros pour financer des plans de santé publique, notamment des plans de prévention, et le fonds de lutte contre les addictions, qui dispose d'un budget de 130 millions d'euros. À ces sources de financement s'ajoutent les fonds d'intervention régionaux (FIR), gérés par les ARS, et une large part du budget de l'Agence nationale de santé publique (ANSP), qu'elle consacre à des programmes de prévention.
La prévention ne se cantonne pas à une case isolée du budget de l'État : elle dépend de nombreux dispositifs qui relèvent de l'État, bien sûr, mais aussi de l'assurance maladie ou d'autres organismes. L'État continuera de participer aux efforts engagés en faveur de la prévention, qui est une priorité.
Mme la présidente
La parole est à M. Damien Maudet.
M. Damien Maudet (LFI-NUPES)
« Là, on va mettre le paquet sur la prévention » : voilà ce qu'Emmanuel Macron a déclaré lors d'un discours à Toulouse en décembre 2023. Et d'ajouter : « [c']est au cœur de nos priorités en santé ». Le « paquet », la « priorité », « on va voir ce qu'on va voir » – sept ans que notre Président est aux responsabilités,…
M. Pierre Cordier
Déjà sept ans ?
M. Maxime Minot
Sept ans que rien ne va !
M. Damien Maudet
…sept ans que chaque ministre de la santé – et de la prévention ! – nous arrose de « vous allez voir ce que vous allez voir » en matière de prévention. Pourtant, voilà sept ans que la santé des Français se dégrade et que les maladies chroniques sont en hausse. Les prochaines années ne s'annoncent pas plus roses.
Les infirmières libérales, qui voient leurs patients tous les jours, ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention. Cette semaine, elles sont en grève : elles demandent du respect et des moyens pour remplir correctement leurs missions.
Sarah, moins de trente ans, infirmière libérale à Limoges, confie : « Ma génération et les suivantes, on aime notre métier mais nous ne sommes pas d'accord pour travailler autant et sans être reconnues ». Comme Sarah, Anne ou Sophie, les infirmières libérales traversent le pays, des routes de la Dombes jusqu'aux rues pavées de Paris pour prendre soin de nos sœurs et de nos papis, enfiler les bas de contention, mesurer le diabète, et faire prendre les médicaments, même les dimanches, les jours fériés et les lundis.
Les infirmières libérales sont essentielles : pas de soins à domicile, pas de politique de prévention sans elles. Comme Sarah, elles sont des milliers à en avoir ras le bol de ne pas se sentir reconnues : je crois qu'elles ont raison.
Parlons déjà du revenu : les actes infirmiers n'ont pas été revalorisés depuis 2009, ce qui correspond à une perte de pouvoir d'achat de 25 % en quinze ans. Le remboursement des frais kilométriques est aussi bien trop faible au regard de la hausse du prix du carburant.
Parlons aussi de la pénibilité : chaque jour, elles parcourent entre 100 et 200 kilomètres, voient entre vingt à quarante patients, montent 100 à 500 marches ; une fois arrivées, elles doivent soulever nos parents et accomplir toujours plus de missions. Elles sont 90 % à dire que leurs conditions de travail se dégradent. Pire, leur espérance de vie est inférieure à la moyenne française. Résultat : plus de la moitié des infirmières libérales envisagent de changer de métier.
M. Pierre Cordier
Eh oui !
M. Damien Maudet
Ce serait un drame absolu : il n'y a pas de système de soins, il ne peut y avoir de politique de prévention sans les infirmières libérales. Il est temps d'agir pour qu'elles soient payées à la mesure de leurs efforts. Que proposez-vous en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Maxime Minot
Pour une fois, je suis d'accord avec La France insoumise : il faut sortir le carnet de chèques !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
La priorité à la prévention du Président Macron, nous y sommes ! On ne change certes pas une situation du jour au lendemain. Cependant, la création des bilans de prévention, ces rendez-vous que l'on propose à 20 millions de Français aux quatre âges primordiaux de la vie, c'est bien de la prévention : aller voir un médecin alors que l'on n'est pas immédiatement malade pour faire un point sur sa santé au sens large du terme. Qui mène cette politique, si ce n'est ce gouvernement ? Vous pourriez au moins saluer la mesure !
Quant aux infirmières libérales, elles sont en effet essentielles à notre système de soins, que ce soit à l'hôpital ou en ville. C'est bien pour cette raison que le Gouvernement souhaite revaloriser leur rôle, leur place et leur statut.
Dans les prochains jours, des propositions concrètes seront faites, basées sur les demandes des syndicats qui portent la parole des infirmières libérales.
Le lancement d'une mission de l'Igas sur la pénibilité des métiers représente pour elles un premier motif de satisfaction. Grâce à cette mission, nous disposerons d'une photographie, à l'instant T, de la pénibilité du travail d'une infirmière libérale. Nous serons ainsi à même de la mesurer, afin de prendre les décisions qui s'imposent pour mieux la prendre en considération et l'accompagner. Grâce à cette mission, nous disposerons tous, y compris la représentation nationale, d'éléments objectifs qui nous permettront de nous saisir de ce débat spécifique.
Nous écoutons les demandes des infirmières libérales, nous tenons compte du rôle qu'elles jouent, et nous prendrons des mesures pour mieux reconnaître leur profession. J'espère que vous les soutiendrez car l'avenir du système de santé passe par la reconnaissance et la prise de responsabilités de nombreux professionnels de santé qui interviennent auprès des médecins. Ils auront à l'avenir une place encore plus importante à tenir.
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
Nous souscrivons tous au constat suivant : la prévention en santé est indispensable pour protéger les Français, réaliser des économies et préserver le système de santé.
M. Maxime Minot
Eh oui !
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
En matière de priorités et de financement, je rappelle que nous disposons d'un levier puissant, efficace et financé, pour prévenir et dépister des maladies, mais aussi pour accompagner une grande partie des Français : la médecine du travail.
M. Maxime Minot
Elle a raison !
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
Elle est un passage obligé pour tous les actifs. Le rôle des médecins du travail est primordial : ils surveillent l'état de santé des travailleurs en fonction de leur âge et des risques en matière de pénibilité, ils préviennent également les risques liés aux addictions, ils conseillent dans le cadre des campagnes de vaccination et de dépistage. Mais recruter un médecin du travail est devenu un exploit !
M. Maxime Minot
Eh oui !
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
À la crise démographique...
M. Maxime Minot
Et la crise des vocations !
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
...s'ajoute l'emprise administrative et normative exercée par nos chères ARS. Permettez-moi d'illustrer mon propos par une situation ordinaire vécue la semaine dernière dans mon département de l'Aube. L'organisme chargé de la médecine du travail a, par miracle, trouvé un médecin souhaitant intégrer le service de prévention de santé au travail interentreprises. Mais au moment de signer la promesse d'embauche, ce recrutement n'a pu être concrétisé : dans l'Aube, il n'y a plus de place à l'issue de la procédure d'autorisation d'exercice.
M. Maxime Minot
On marche sur la tête !
Mme Valérie Bazin-Malgras (LR)
À l'heure où vous souhaitez faire des économies, cet exemple me semble révélateur. Il faudrait déverrouiller et simplifier le système, et faire confiance aux acteurs de terrain plutôt qu'aux ARS. Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous appliquer pour accompagner la médecine du travail, qui est un acteur essentiel de la prévention en santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Maxime Minot
Très bonne question !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Madame Bazin-Malgras, vous avez raison.
M. Maxime Minot
Elle a toujours raison !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
La médecine du travail souffre d'un manque d'attractivité, et peut-être aussi de reconnaissance. Au cours des études de médecine, elle n'est sans doute pas valorisée comme d'autres spécialités le sont et elle attire trop peu de jeunes médecins. Sa place dans les relations sociales et la responsabilité des médecins dans les organisations de travail mériteraient une plus grande reconnaissance.
Quant à l'emprise administrative des ARS – pour reprendre votre expression –, je partage votre volonté de simplifier et de déverrouiller. Nous devons parvenir à lever les obstacles et les verrous, parfois réglementaires, qui se sont empilés et qui provoquent quelquefois des incohérences.
Je ne sais pas si le cas précis que vous avez évoqué, que je ne connais pas, découle de ces problèmes, mais il est vrai qu'après quelques semaines au ministère de la santé et de la prévention, j'ai identifié des incohérences bureaucratiques et j'ai constaté que des règles pouvaient s'amonceler, parfois en contradiction les unes avec les autres.
L'une de mes missions consistera à favoriser la simplification et le décloisonnement, afin de rétablir la confiance entre les acteurs du territoire et de faire émerger des projets correspondant à l'état des forces en présence et aux besoins de la population. Pour ce faire, l'engagement de tous est nécessaire. Plutôt que de jouer les censeurs, ce qui leur arrive rarement, les ARS devraient faire œuvre d'ingénierie.
Mme Valérie Bazin-Malgras
Oui, ce serait bien.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Elles permettraient ainsi aux acteurs de terrain de bâtir juridiquement et financièrement les projets qu'ils souhaitent défendre.
Mme Valérie Bazin-Malgras
Merci !
Mme la présidente
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard (NI)
L'abandon de la médecine de ville et les carences du système hospitalier ne sont plus à démontrer. Les déserts médicaux ne cessent de progresser, et pas seulement dans les zones rurales. Outre les soixante à soixante-dix heures de travail par semaine des médecins généralistes, un sondage de l'observatoire de l'Ordre des médecins publié en février 2024 révèle que 75,9 % des médecins libéraux en Occitanie déclarent avoir été victimes de violence au cours des trois dernières années. Vous en conviendrez avec moi : pour rendre le métier attirant, on peut mieux faire.
Dans une étude traitant de la démographie médicale, l'UFC-Que choisir déplore une situation catastrophique : plus d'un enfant sur deux vit dans un environnement déserté par les pédiatres, 59,3 % des Français ne trouvent pas d'ophtalmologiste et onze départements sont dépourvus de gynécologue. Dans 20 % des communes les plus défavorisées, il faut attendre en moyenne vingt-cinq jours pour qu'un généraliste rende visite à un patient et six mois pour faire réaliser une mammographie de contrôle. Six mois, c'est long et c'est parfois trop tard.
À Béziers, 86 % des médecins généralistes ont plus de 60 ans et approchent de l'âge de la retraite. Malheureusement, nous formons le même nombre de médecins qu'en 1970, alors que notre population compte 15 millions de Français supplémentaires. C'est en outre une population vieillissante, ce qui induit une augmentation du nombre de maladies chroniques. Autant dire que le compte n'y est pas.
La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a publié en mai dernier une étude qui révèle que plus de 80 % des médecins généralistes libéraux jugent insuffisante l'offre de médecine générale dans leur zone d'exercice ; 65 % d'entre eux ont déclaré avoir refusé de nouveaux patients en 2022, contre 53 % en 2019.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : qu'attendez-vous pour supprimer le numerus apertus ? Qu'attendez-vous pour ouvrir les portes des universités aux étudiants et pour leur donner les moyens d'étudier en France ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué
Comme je l'ai dit tout à l'heure, les étudiants en deuxième année de médecine sont 20 % de plus qu'en 2019. Ce sont les premiers résultats d'un mouvement que nous avons amorcé, qui nous permettra de former progressivement plus d'étudiants. On ne peut pas, du jour au lendemain, doubler le nombre d'étudiants dans les filières d'enseignement, pour différentes raisons : il faut suffisamment de professeurs et de terrains de stage, ainsi que des conditions d'accueil et d'études satisfaisantes.
On crierait à l'hérésie si on doublait d'un coup la fréquentation des amphithéâtres sans anticiper la problématique des stages. Nous devons procéder progressivement ; en tout état de cause, nous formons plus de médecins qu'il y a deux ans.
Vous souhaitez que les médecins se concentrent davantage sur le temps médical, la prise en charge des patients – ce pour quoi ils ont été formés –, plutôt que sur les tâches administratives. Permettez-moi de rappeler que nous avons amélioré la reconnaissance de certains professionnels du secteur médical. Nous avons parlé des infirmières tout à l'heure : qui a créé le statut d'infirmière en pratique avancée, qui permet de prescrire et de prendre en charge les malades aux côtés des médecins ? C'est bien la majorité ! Une plus grande place sera progressivement accordée à ces infirmières.
Nous pourrions également évoquer les 6 000 postes d'assistants médicaux qui ont été financés et mis à disposition de cabinets de ville, pour que les médecins se déchargent des temps administratifs dont ils se plaignent et qui représentent, selon eux, 20 % de leur temps de travail – prises de rendez-vous, rédaction de comptes rendus, transmission d'informations à l'assurance maladie.
Ces postes d'assistants médicaux continueront à être financés ; nous en avons créé 6 000 sur un objectif de 10 000 d'ici à la fin de l'année. La nation fournit cet effort, à travers l'assurance maladie, pour permettre aux médecins de se concentrer sur la prise en charge effective des patients.
Le système de santé évoluera, progressivement. Compte tenu des difficultés et des dysfonctionnements existants, nous ne pouvons améliorer la situation du jour au lendemain ; il s'agit d'une mobilisation de long terme.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 avril 2024