Déclaration de M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention sur la situation de l'hôpital, au Sénat le 2 avril 2024.

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Circonstance : Questions posées au Gouvernement, au Sénat le 2 avril 2024

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la situation de l'hôpital.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l'opportunité d'échanger sur la situation de nos hôpitaux.

À l'hôpital travaillent plus d'un million de personnes, qui participent à la prise en charge de 12 millions de patients hospitalisés chaque année, dans 1 400 établissements de toute taille, sur tout le territoire.

L'hôpital est à la croisée des chemins, comme en témoigne l'organisation de ce débat. Il sort à peine de la crise sanitaire, pendant laquelle il a assuré majoritairement la gestion de l'urgence et la continuité des soins.

Il fait face à de nombreux défis, notamment des attentes très fortes, légitimes et croissantes de la population partout sur le territoire, auxquelles nous devons répondre, et une crise des ressources humaines liée au manque d'attractivité de l'hôpital et des métiers de la santé, qui a pris le relais de la crise du covid-19 et qui oblige le Gouvernement.

Pour autant, nous devons veiller collectivement à la façon dont nous décrivons la situation de l'hôpital : il nous faut être lucides sans être misérabilistes.

Certes, l'hôpital rencontre des difficultés structurelles, mais nous pouvons être fiers de ce service public ! En tout cas, moi, je le suis. Il est bien sûr le lieu où l'on soigne – on peut discuter des conditions dans lesquelles on le fait –, mais c'est aussi le lieu où l'on forme et où l'on fait de la recherche. C'est également le lieu de nombreuses premières mondiales et d'innovations, qui portent les entreprises du secteur de la santé et que nous oublions pour nous focaliser sur ce qui ne fonctionne pas.

L'année 2023 fut une année charnière pour l'hôpital. De nombreuses mesures ont été mises en place ou annoncées pour relancer l'attractivité des métiers du soin. L'activité repart à la hausse dans le secteur public, mais la situation reste assez tendue malgré la reprise, notamment dans certains services d'urgence. En réponse à ce constat, ma priorité en tant que ministre chargé de la santé et de la prévention est de continuer à soutenir l'hôpital et à lui donner les moyens d'assurer la qualité des soins et la sécurité des patients.

Pour cette année 2024, je vous confirme que le Gouvernement est plus que jamais attentif à la situation financière des établissements, préoccupante dans le secteur public, mais également dans les établissements de santé privés. Deux explications peuvent être mises en avant : premièrement, l'impact de l'inflation ; deuxièmement, le redémarrage peu dynamique de l'activité en sortie de crise, notamment dans le public, l'activité de l'hôpital étant freinée par les problématiques de ressources humaines.

J'entends souvent que l'hôpital ne bénéficierait pas de moyens suffisants. Je dénonce un tel constat, à mes yeux totalement faux. En effet, depuis 2017, les gouvernements successifs ont augmenté l'Ondam, c'est-à-dire le budget que la Nation consacre aux dépenses de santé, qui est passé de 191 milliards d'euros en 2017 à 255 milliards en 2024, soit un effort de plus de 60 milliards d'euros.

Par ailleurs, les hôpitaux publics comme les cliniques privées verront, une fois de plus, leurs tarifs augmenter cette année. Cela représente une augmentation de 3,2 milliards d'euros des ressources des établissements. Cette hausse des tarifs, qui explique sans doute la différence entre public et privé, permet de financer près d'un milliard d'euros de mesures de revalorisations salariales et d'attractivité pour les professionnels des hôpitaux publics. Elle permet enfin d'accompagner la reprise d'activité, pour que les établissements puissent répondre au mieux aux besoins de santé de la population.

En outre, la période actuelle est aussi celle de la mise en place de réformes de financement structurantes sur les urgences, la psychiatrie, ainsi que les soins médicaux et de réadaptation (SMR).

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a posé les bases d'une réforme du financement de l'hôpital et de la tarification à l'activité.

L'autre chantier majeur pour l'année à venir concerne les ressources humaines en santé. Il est nécessaire d'arrêter la fuite des soignants, personnels médicaux comme non médicaux, et de les faire revenir à l'hôpital. Pour ce faire, de nombreuses actions ont été mises en œuvre pour rémunérer les personnels hospitaliers à la hauteur de leur engagement et susciter des vocations.

Le Gouvernement s'est engagé, depuis plusieurs années, dans une augmentation significative du nombre de professionnels formés, en supprimant le numerus clausus et en augmentant le nombre d'infirmiers diplômés.

Nous avons aussi annoncé l'année dernière des mesures de revalorisation du travail de nuit et de week-end. En effet, travailler à l'hôpital, c'est accepter des sujétions particulières et des contraintes horaires qui doivent être mieux reconnues et valorisées. Ces revalorisations s'ajoutent évidemment aux efforts historiques réalisés depuis 2020, en particulier grâce au Ségur de la santé.

Améliorer les conditions de travail, c'est aussi le sens du Ségur investissement, doté de 15,5 milliards d'euros. Cet effort inédit, qui n'est pas une avance de trésorerie, contrairement aux plans Hôpital 2007 ou Hôpital 2012, a permis d'accompagner la modernisation de 3 000 établissements.

Par ailleurs, pour fidéliser nos professionnels de santé, nous devons travailler pour faire évoluer les métiers. Ainsi, pour les personnels non médicaux, un chantier global sur la profession d'infirmière a été lancé ; il doit aboutir la semaine prochaine. Pour les personnels médicaux, les études médicales sont en cours de réforme, et des points restent à approfondir sur la quatrième année de médecine générale. La loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels permettra également de répondre aux difficultés rencontrées par les praticiens à diplôme hors Union européenne.

Parallèlement, l'amélioration de la situation aux urgences reste évidemment une priorité du Gouvernement. On le sait, les urgences ne fonctionnent bien que lorsque le parcours des patients, en amont et en aval, est fluide. Cela renvoie aux enjeux du nombre de lits ouverts, d'attractivité des métiers et de fidélisation des professionnels.

Mais il existe d'autres leviers d'amélioration, comme l'organisation des parcours des patients, la gestion de l'activité non programmée, ou encore le partage de la contrainte de la permanence des soins entre les établissements. Avec la loi du 27 décembre 2023, nous avons décidé une augmentation concrète de l'implication de tous les acteurs dans la permanence des soins.

De plus, conformément aux engagements du Premier ministre, le service d'accès aux soins (SAS) sera généralisé dans tous les départements d'ici à l'été 2024. Avec le SAS, nous organisons le système de santé pour que, à toute heure de la journée, les citoyens puissent trouver une réponse, par un appel téléphonique, pour des soins non programmés.

Aujourd'hui, nous avons 63 SAS actifs, qui couvrent 80 % de la population. D'ici à la fin de l'été, 100 SAS auront été ouverts. C'est un outil formidable pour l'égalité d'accès aux soins, et c'est aussi le témoin des nouvelles relations de confiance et de soutien qui se nouent entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. En effet, pour soulager l'hôpital, il faut que la médecine de ville prenne toute sa part.

La loi que j'ai portée, en tant que député, vise justement à mieux coordonner l'organisation territoriale des soins, et à mieux répartir les compétences et les responsabilités de chacun des acteurs, en fonction des besoins, dans les territoires.

Plus largement, la réforme des autorisations ou de la permanence des soins en établissement constitue un moyen de faire évoluer l'offre sur le territoire, pour s'adapter et mieux répondre aux besoins des patients.

Outre ces chantiers incontournables, nous sommes enfin pleinement engagés dans la transition écologique et la digitalisation du système de santé.

Le Gouvernement s'est engagé à réduire de 5 % par an les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé. Cela passe par plusieurs axes : le bâtiment, des achats plus durables, une meilleure valorisation des déchets ou encore le développement de soins écoresponsables.

Concernant le numérique, le ministère poursuit son programme de modernisation des systèmes d'information hospitaliers.

L'intelligence artificielle (IA) et les opportunités ouvertes par l'utilisation des données de santé nous obligent également. Ce sont des chantiers majeurs des prochaines années, qui auront un impact très fort sur l'organisation et le fonctionnement de notre système de soins.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que nous pouvons dire des défis que doit aujourd'hui relever l'hôpital.

Je souhaiterais conclure mon intervention en rappelant plusieurs points.

Ne considérer que les quatre murs de l'hôpital, c'est ne voir qu'une partie du sujet. Car, de plus en plus, l'hôpital joue un rôle structurant de l'offre de soins dans les territoires et de coopération avec la médecine de ville. Cette responsabilité territoriale doit être prise en compte.

Permettez-moi également d'évoquer les choses formidables qui se passent tous les jours à l'hôpital. Je citerai ainsi les résultats de la campagne de recrutement lancée ces derniers mois. Ils sont encourageants et nous confirment que l'attention portée à la rémunération et aux conditions de travail porte ses fruits. Grâce à ces recrutements, notre objectif est de rouvrir des lits, dès maintenant, un peu partout en France.

Je veux aussi rappeler que l'activité repart à la hausse dans le secteur public, dépassant même en volume les prévisions qui avaient pu être faites.

Bien évidemment, l'hôpital représente bien plus que des chiffres et des statistiques. Il incarne le dévouement et le professionnalisme de milliers de soignants qui travaillent au quotidien pour assurer la santé de nos concitoyens. La mobilisation du Gouvernement est pleine et entière pour continuer à soutenir et moderniser notre système hospitalier, et lui garantir un avenir solide et pérenne.


Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Anne-Sophie Romagny.

Mme Anne-Sophie Romagny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 14 février dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu publics les résultats de l'évaluation de la certification des établissements de santé qu'elle mène tous les quatre ans. Si 85 % d'entre eux répondent aux exigences de qualité des soins, 12,8 % doivent « faire preuve d'une amélioration rapide », et 2,8 % n'ont pas été certifiés en raison d'une qualité insuffisante. Ce dernier chiffre n'a jamais été aussi élevé.

Ces résultats varient largement en fonction de la taille des établissements. Selon la HAS, « les petits établissements qui ont un faible niveau d'activité, ou les établissements moyens avec un large éventail de services ont des difficultés pour être au rendez-vous de la qualité ». Ils témoignent également de fortes disparités régionales. Ainsi, un tiers des établissements des Pays de la Loire n'obtiennent pas la certification, ainsi que 20 % de ceux de Nouvelle-Aquitaine et de Normandie, et jusqu'à plus de la moitié des établissements de Guadeloupe et de Guyane.

Monsieur le ministre, vous le comprendrez, une telle situation nous interpelle. Qu'il s'agisse des critères directement liés à l'acte médical ou de ceux qui traduisent la qualité de la prise en charge – je pense notamment au respect des droits des patients ou à la prise en charge de la douleur –, ces résultats appellent des mesures correctrices en urgence.

Quelles sont les causes de ces chiffres alarmants, notamment en termes d'équité territoriale ? Les petits établissements disposent-ils véritablement des moyens nécessaires pour remplir les nouveaux critères institués en 2020 et 2021 ?

Ne craignez-vous pas qu'un cercle vicieux soit en train de s'installer, entre image dégradée dans l'esprit des patients et qualité des soins, faute pour ces établissements de disposer des personnels nécessaires au maintien de leur activité dans les meilleures conditions possibles ? Comment comptez-vous les accompagner concernant les critères qui leur posent problème ? Je pense, par exemple, au nouvel enjeu de la cybersécurité auquel plusieurs établissements ont déjà été confrontés.

Les Français sont évidemment attachés à disposer de soins de qualité en tout point du territoire. Pour ne rien sacrifier à cette exigence, comment comptez-vous mettre en œuvre sans attendre les mesures nécessaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, il est clair que nous n'abaisserons pas les exigences assignées aux établissements et que nous n'adapterons pas les critères en fonction des difficultés rencontrées par les établissements.

En revanche, il convient d'aider l'ensemble des établissements en jouant sur la dimension des groupements hospitaliers de territoire (GHT), institués de manière obligatoire voilà une dizaine d'années. Ces derniers visent à organiser des coopérations permettant, du centre de proximité jusqu'au plateau technique intégré, de dessiner des parcours de prise en charge les plus fluides possible.

Par ailleurs, les établissements principaux, qui possèdent une expertise sur beaucoup de sujets, doivent venir en appui, dans un esprit de coopération, des établissements de leur propre GHT. Ainsi la certification est-elle de plus en plus celle du groupement hospitalier de territoire, plutôt que celle de chaque établissement. La procédure de certification, qui remonte à une vingtaine d'années, a fait ses preuves en apportant des standards de qualité dans l'ensemble des établissements.

Sur les sujets que vous avez évoqués, notamment la sécurité informatique, surtout à l'approche des jeux Olympiques – nos établissements de santé feront très certainement l'objet d'attaques plus importantes qu'auparavant –, nous souhaitons continuer à améliorer le niveau d'intervention des établissements.

La mission doit être coordonnée à l'échelle des GHT, de manière à y adosser des financements liés à la qualité. Une telle évolution a eu lieu pour les urgences et la psychiatrie. Nous continuerons, domaine par domaine, à travailler avec les établissements et la HAS. L'absence de certification n'est pas un couperet qui tombe : on ne ferme pas un établissement pour une telle raison ! En revanche, on met les moyens pour l'accompagner et obtenir les standards souhaités par la HAS.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, huit Français sur dix ont le sentiment que l'hôpital public est en danger et estiment que la qualité des soins qu'il fournit se détériorera à l'avenir. Un tel sentiment est partagé par neuf soignants sur dix, à raison.

En effet, nous manquons de professionnels de santé. Le nombre de patients par soignant augmente sans cesse. En théorie, 12 à 14 patients sont hospitalisés par infirmière, mais en pratique souvent davantage, ce qui met en danger les patients et les soignants.

Pourtant, nous pouvons agir. En février 2023, le Sénat adoptait une proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé. Le Gouvernement se saisira-t-il de ce texte et l'inscrira-t-il à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ?

Vous me direz peut-être qu'avec un tel ratio, de nombreux établissements devraient être fermés… Mais s'ils devaient fermer avec ratio, quid de la situation actuelle, sans ratio ? Nous faut-il assumer que la situation de l'hôpital met en danger patients et soignants ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, les ratios existent déjà à l'hôpital, dans de nombreux services : activité de soins critiques, obstétrique, néonatalogie, réanimation néonatale, dialyses, grands brûlés. Systématiser les ratios pour l'ensemble des services n'est pas une formule satisfaisante, pour des raisons que nous avons expliquées l'année dernière lors de l'examen de la proposition de loi déposée par Bernard Jomier.

Imposer des ratios en chirurgie ne permet pas d'encadrer et d'accompagner de manière saine l'activité d'un service, car le taux d'encadrement nécessaire varie : certains patients entrent à l'hôpital la veille d'une opération ; d'autres en sortent le jour même d'une intervention ; d'autres encore passent trois ou quatre jours à l'hôpital après avoir été opérés. Dans ces conditions, comment définir un taux d'encadrement standard ? On risquerait ainsi de désorganiser certains services, en apportant un éclairage partiel sur leurs activités, alors même qu'ils fournissent un travail de qualité.

Les certifications mises en œuvre par la HAS me paraissent plus adaptées à ce qu'est l'activité hospitalière, en tout cas pour des services qui n'ont pas besoin d'être normés – j'ai cité les cinq ou six services faisant aujourd'hui l'objet de normes d'encadrement.

Par conséquent, la systématisation des ratios me paraît constituer une approche quelque peu décalée, déconnectée, à tout le moins bureaucratique. Je suis toujours étonné d'entendre des critiques sur la trop grande bureaucratie de l'hôpital, alors même que certains souhaitent la renforcer. Je le répète, pour les activités les plus critiques, des normes existent et sont respectées ; si elles ne l'étaient pas, l'effectivité du service serait remise en cause. Dans d'autres services, il serait totalement illusoire d'imaginer une telle approche.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Monsieur le ministre, vous le savez, cette demande n'est pas d'ordre bureaucratique puisqu'elle émane des soignants eux-mêmes, qui la réclament avec insistance et persistance, en tout cas depuis que je suis une élue. Par ailleurs, le fait d'instaurer un ratio ne signifie pas qu'il doive être identique dans tous les services.

Le ratio, appliqué en Californie depuis 2004, de six patients par soignant a permis d'améliorer les conditions de travail du personnel soignant et, in fine, d'augmenter le nombre d'infirmières recrutées. Comme vous pouvez le constater, une telle mesure répond à un double enjeu.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. À un moment donné, il faut faire confiance aux soignants, c'est-à-dire d'abord au dialogue social dans l'établissement, pour porter la question des effectifs et organiser le soin le plus adapté. Les soignants, cela veut dire le directeur d'établissement, le président de la commission médicale d'établissement (CME), la communauté médicale.

L'approche par ratio et tableau Excel ne me paraît pas correspondre à une nécessité majeure. Cette demande émane non pas des soignants, mais de certains syndicats, qui veulent ainsi dénoncer le manque de soignants à l'hôpital. Or nous connaissons la situation et travaillons à y remédier par le biais de recrutements, qui sont de plus en plus importants, ce dont je me félicite.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris, pour la réplique.

Mme Anne Souyris. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Mais vous le savez aussi bien que moi, cette demande émane non pas uniquement des syndicats, mais aussi des collectifs Inter Hôpitaux et Inter Urgences.

Du fait du manque de soignants, ceux qui exercent, qui sont amenés à changer sans cesse de service, sont victimes de burn-out et peinent à trouver un sens à leur travail. Il s'agit d'instaurer non pas des tableaux Excel, mais une humanité !

C'est la raison pour laquelle cette question revient aussi fréquemment. Elle vous sera certainement posée de nouveau. Peut-être pouvons-nous discuter de modalités permettant d'adapter ces ratios, lesquels ne doivent pas être systémiques. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas pour l'instant un ratio suffisant de soignants dans chaque unité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre restrictions budgétaires, fermetures de lits et manque de personnel, l'hôpital public est à bout de souffle. La tarification à l'activité l'a placé dans une logique de rentabilité. L'Ondam, est constamment inférieur au budget dont auraient besoin les hôpitaux, qui se retrouvent contraints à faire des économies.

Les fermetures de lits se poursuivent : 40 000 lits d'hôpitaux ont disparu depuis dix ans, et les hôpitaux ont perdu un quart de leur capacité d'accueil depuis 2000.

Partout sur le territoire, les centres hospitaliers universitaires (CHU) constatent une aggravation inédite de leur déficit. Le déficit cumulé des 32 CHU a triplé entre 2022 et 2023, pour s'établir à 1,2 milliard d'euros.

Les hôpitaux de l'océan Indien souffrent du désintérêt de l'État. L'hôpital de Mayotte est sous-doté par rapport aux besoins sanitaires de la population mahoraise.

Le CHU de mon département, La Réunion, aurait besoin de moyens importants en tant qu'établissement pivot de l'océan Indien. À chaque exercice, on peut constater combien les équipes sont performantes, avec une offre de soins qui s'élargit. Parallèlement, les dotations que vous accordez sont décevantes.

L'unité de formation et de recherche (UFR) et le CHU affichent un manque préoccupant d'enseignants-chercheurs hospitaliers, avec un effectif hospitalo-universitaire quatre ou cinq fois inférieur à celui des UFR hexagonales comparables en termes d'effectifs d'étudiants. Il faut donc que des postes soient créés afin de renforcer les études médicales et de former les futurs médecins de La Réunion. Cette région n'a d'ailleurs pas attendu la volonté de l'État pour rendre possible un cursus complet d'études de médecine sur son territoire.

Monsieur le ministre, quand cessera-t-on de considérer l'hôpital de La Réunion comme un hôpital de seconde zone ? Quand ouvrirez-vous les droits à la santé aux Français de l'océan Indien ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Corbière Naminzo, j'ai bien entendu vos remarques sur les difficultés de l'hôpital, que je ne méconnais pas. Pour autant, je suis toujours étonné que, au nom de la défense de l'hôpital, on systématise l'hôpital-bashing. Tout ne va pas mal à l'hôpital ! (Mme Émilienne Poumirol ironise.)

Certes, beaucoup de patients attendent trop longtemps dans les services. Mais il convient également de reconnaître que les personnels hospitaliers font le maximum pour faire face à leurs missions et apporter les meilleurs soins possible aux Français !

L'établissement de La Réunion que vous avez évoqué est effectivement en difficulté, avec 49 millions d'euros de déficit. Ce déficit s'est aggravé au cours des trois ou quatre dernières années. (Mme Evelyne Corbière Naminzo opine.) Il convient de réinterroger la politique d'emploi. Depuis la période covid, les effectifs ont énormément grossi sans pour autant que l'activité ait augmenté de manière linéaire en suivant la courbe des emplois.

Une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée pour essayer de comprendre pourquoi la situation à La Réunion s'était rapidement détériorée en deux ou trois ans, et pour établir si les causes de ce dérapage des finances de l'hôpital étaient structurelles ou conjoncturelles.

Quant à Mayotte, l'île n'est pas sous-dotée en matière d'offre sanitaire. Nous avons annoncé récemment un investissement de 127 millions d'euros pour rénover l'hôpital. Par ailleurs, un deuxième site hospitalier sera créé, en complément du premier.

Mayotte reste la première maternité de France, pour les raisons que l'on connaît et que je n'évoquerai pas ici. Quoi qu'il en soit, des moyens ont été alloués pour que chaque personne entrant à l'hôpital – et pas simplement les femmes venant accoucher – soit prise en charge dans les mêmes conditions que dans tous les hôpitaux français. Il existe également à Mayotte un réseau de soins primaires adossé à l'hôpital, qui fonctionne très bien : il permet à tous les Mahorais de bénéficier d'une offre de soins de proximité, et d'éviter ainsi de solliciter l'hôpital.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le ministre, il y a un an, j'interrogeais votre prédécesseur sur le rapport, largement adopté par l'Académie nationale de médecine et grandement commenté par la presse et les élus locaux, préconisant le regroupement des petites maternités et la fin des accouchements dans les établissements à moins de 1 000 naissances par an. Il m'avait été répondu que ces propositions n'étaient pas à l'agenda du Gouvernement.

Deux mois plus tard, en mai 2023, le ministre de la santé François Braun annonçait, lors du Conseil national de la refondation (CNR) consacré à la santé, le lancement d'une mission conjointe d'élus et de professionnels de santé consacrée aux maternités. L'objectif était « d'étudier les organisations innovantes qui fonctionnent dans une approche territoriale, pour que les femmes enceintes puissent accoucher partout en France dans les meilleures conditions, en trouvant un équilibre entre proximité et sécurité ». À ma connaissance, cette mission n'a jamais vu le jour.

M. Jean-François Husson. Ce n'est pas bien !

Mme Véronique Guillotin. Aujourd'hui, les difficultés s'accumulent dans le champ de la périnatalité, avec un indicateur particulièrement inquiétant : la hausse de la mortalité néonatale.

Un seuil a été atteint en 2023, avec le taux le plus élevé depuis vingt ans. Nous sommes passés d'une situation d'excellence à la vingt et unième place au sein des pays de l'OCDE. Cette situation est évidemment multifactorielle, allant du manque de personnel dans les maternités à la santé des mères – âge plus élevé de la première grossesse, augmentation de l'obésité, facteurs de précarité.

Pour faire un état des lieux précis de la situation et envisager des réformes, le groupe RDSE a souhaité la création d'une mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, dont j'ai été nommée rapporteure. L'Académie nationale de médecine ainsi que tous les soignants que nous avons auditionnés ces dernières semaines parlent d'urgence.

Dans le contexte actuel, tout projet de réarmement démographique nécessite que l'on se penche d'abord sur l'accès et la qualité des soins pour la mère et l'enfant. Monsieur le ministre, cette piste de réflexion a-t-elle bien été identifiée par vos services ? Le cas échéant, quelles sont les mesures envisagées et selon quel agenda ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, je me réjouis que le Sénat ait lancé une mission sur les maternités. Vos travaux viendront éclairer un débat rendu compliqué, d'une part, par la baisse de la natalité et, d'autre part, par la nécessité d'adapter l'offre capacitaire de prise en charge et les tensions en termes de personnels dans tous les secteurs de l'hôpital.

Notre pays n'a pas à rougir de ses maternités, mais, pour ce qui concerne les accouchements, on observe en France une fragilisation liée – je le répète – à un manque de ressources médicales.

Ces derniers mois, nous avons revalorisé les tarifs d'obstétrique, notamment dans le cadre de la récente campagne tarifaire, pour le privé comme pour le public. Le secteur public supporte davantage l'activité obstétricale que le secteur privé, mais l'application de ces nouveaux tarifs est importante pour valoriser ces actes et les rendre plus attractifs.

Nous voulons également soutenir au maximum les maternités dès lors qu'elles offrent des soins de qualité. La qualité et la sécurité sont donc bien au cœur de notre réflexion sur l'organisation des maternités, et elles doivent le rester.

M. Jean-François Husson. Quelle est la réponse ?

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Le problème de la pérennité de certaines maternités se pose dès lors qu'elles ne sont plus en mesure d'offrir une sécurité minimale aux femmes qui viennent accoucher.

Quant aux préconisations de l'Académie nationale de médecine dans son rapport de février 2023, que j'ai lu avec attention, elles n'engagent qu'elle et ne reflètent pas forcément l'avis du Gouvernement.

M. Jean-François Husson. Que l'on ne connaît toujours pas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, nous manquons de médecins, notamment hospitaliers. Nous le savons, certains territoires en souffrent plus que d'autres. Face à ce constat, notre majorité agit.

Il y a quatre ans, le numerus clausus qui limitait depuis cinquante ans le nombre annuel d'étudiants en médecine a été remplacé par le numerus apertus, qui a permis l'ouverture de 13 000 places supplémentaires d'ici à 2025. Il s'agit d'une avancée majeure, mais elle ne produira ses effets que dans quelques années puisque le temps de formation est long.

Il faut aussi rappeler les investissements colossaux réalisés dans le cadre du Ségur : nous le voyons aujourd'hui, ces milliards se concrétisent !

Je veux ce soir aborder le cas des médecins français ou résidents installés avec leurs familles sur le sol français, titulaires d'un diplôme hors Union européenne. J'ai été interpellée à plusieurs reprises sur ce point ces dernières semaines. Leur intégration ressemblerait encore trop souvent à un parcours du combattant, alors qu'ils contribuent de façon essentielle à améliorer les parcours de santé des patients.

Des milliers de ces professionnels travaillent aujourd'hui dans nos hôpitaux. Comme l'avait déclaré Mathias Wargon, chef de service des urgences du centre hospitalier Delafontaine, « s'ils n'étaient pas là, ce serait le chaos ». Ils sont importants en Seine-Saint-Denis comme dans le Finistère, et une réforme de leur statut a donc été votée en 2019, visant à raccourcir le délai pour devenir praticien associé et à mettre en place un nouveau système d'affectation.

Il existe aussi une procédure dérogatoire permettant à certains médecins de déposer leur dossier auprès des agences régionales de santé (ARS), sans passer par le concours. Il semblerait que de nombreux dossiers ne soient pas instruits. Une pétition vient d'être mise en ligne prévoyant des mesures concrètes. Elle se conclut par cette phrase : « J'adore la médecine, je ne me reconvertirai pas. J'aime la France, je ne la quitte pas. »

Monsieur le ministre, comment faire pour accompagner et reconnaître ces professionnels mieux que nous ne le faisons actuellement, et surtout plus rapidement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, pendant des années, la France n'a pas bien traité les praticiens à diplôme hors Union européenne, les Padhue, et s'est satisfaite d'une zone grise. Ces praticiens intervenaient sans reconnaissance statutaire, parfois sans rémunération, en étant limités dans leurs pratiques, alors qu'ils rendent des services essentiels à nos établissements.

Il y a quelques années, le Gouvernement a eu la volonté de sortir de cette zone grise et d'accorder un statut à ces professionnels. Il s'agissait d'une juste reconnaissance de ce qu'ils apportent à l'hôpital.

En 2022 et 2023, nous avons clarifié le statut des Padhue qui travaillaient déjà dans nos établissements. Nous avons également simplifié les épreuves permettant aux nouveaux arrivants de valider leurs connaissances professionnelles.

Dans le cadre de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, nous avons mis en place un passeport talent pour les métiers médicaux afin d'intégrer au plus vite les professionnels dont nous avons besoin en France. Ceux qui veulent venir travailler dans notre pays doivent pouvoir le faire rapidement.

Nous avons également simplifié les épreuves permettant à ces professionnels d'exercer dans nos établissements, les diplômes des praticiens à diplôme hors Union européenne n'étant pas reconnus en France, excepté pour le Québec – mais ce pays n'est qu'une province du grand monde… Il fallait donc reconnaître la validité de leur savoir-faire professionnel.

Ce sera désormais chose faite à partir de 2025, le concours étant remplacé par un examen devant une commission constituée de pairs à l'échelle d'un GHT. Il s'agissait d'éviter ainsi que les personnes encadrant les Padhue dans les services soient amenées à juger de leurs qualités, l'objectif étant toujours néanmoins de simplifier les procédures et de reconnaître le plus rapidement possible le rôle et la place de ces personnels dans le système.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Monsieur le ministre, le 25 mars 2020, le Président de la République annonçait un plan massif d'investissement et de revalorisation pour l'hôpital. Le Ségur de la santé a concrétisé cette annonce avec un projet d'investissement et une revalorisation des rémunérations des soignants. Ces mesures étaient une réponse à la crise aiguë sans précédent de l'hôpital public.

Pourtant, quatre ans après, l'actualité montre qu'il y a toujours un fort mécontentement des professionnels de santé, des difficultés persistantes de l'hôpital public, des déficits qui bloquent l'investissement des établissements, une crise des vocations à tous les niveaux et dans des spécialités majeures. Les lits ferment, les maternités sont suspendues ou fermées, les urgences sont en survie. Bref l'hôpital public ne répond plus aux besoins de la population, malgré le dévouement sans faille des personnes qui y travaillent.

« On doit sortir de la T2A dès le prochain PLFSS pour aller vers un nouveau financement qu'on doit rebâtir en profondeur », affirmait le 6 janvier 2023 le Président de la République dans ses vœux aux soignants – promesse déjà faite en 2017.

De nombreux tarifs sont en décalage par rapport à la réalité des coûts. L'augmentation des tarifs que vous venez de citer permet à peine de couvrir l'inflation, et en aucun cas elle ne permet de faire face à la hausse des charges. Ces contraintes pèsent surtout sur l'hôpital public, qui ne choisit pas ses patients en fonction de ce qu'ils vont lui rapporter et se doit de prendre soin de tout le monde.

Face à ces difficultés, les gouvernements successifs ont souvent attribué les problèmes de l'hôpital public à des questions de statuts et d'organisation territoriale ou des services, ignorant les appels à un financement basé sur les besoins réels en soins plutôt que sur des objectifs budgétaires.

Face à cette situation catastrophique et à ce constat partagé, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour réformer le financement de l'hôpital public afin de mieux répondre à ses besoins spécifiques et de garantir la pérennité de notre système de santé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Le Houerou, je ne peux pas vous laisser dire que l'hôpital ne répond pas aux besoins de la population (Mmes Annie Le Houerou et Émilienne Poumirol protestent.), alors que 21 millions de personnes sont prises en charge chaque année dans les services d'urgence !

Je rappelle que l'hôpital soigne des millions de personnes par an, et procède à de multiples interventions de traitement et de suivi de la population. On peut parler de dysfonctionnements, de difficultés ou encore de tensions, mais on ne peut pas dire que l'hôpital ne répond pas aux besoins de la population. Je m'inscris donc en faux.

Vous dites que tout va mal et vous évoquez notamment les rémunérations. Or le Ségur de la santé a engagé 8 milliards d'euros en faveur des hôpitaux – sur les 10 milliards d'euros budgétés –, soit un effort de 10 % de hausses de salaire net en bas de la fiche de paie tous les mois. Jamais aucun gouvernement n'avait augmenté ainsi les rémunérations au sein de l'hôpital public !

Le Ségur a également prévu 15,5 milliards d'euros d'aides à l'investissement. Contrairement aux différents plans d'investissement proposés aux hôpitaux, qu'il s'agisse d'Hôpital 2007 ou d'Hôpital 2012, ce ne sont pas cette fois des avances de prêts remboursables, qui pèsent sur les comptes hospitaliers, mais bien 15,5 milliards d'aides directes pour favoriser la création de certains établissements, parfois financés à 100 % par la solidarité nationale. Je pense au CHU de la Guadeloupe, qui est en train de sortir de terre sans que cela pèse sur les comptes de l'hôpital, si ce n'est pour l'exploitation du bâtiment.

Ces 15,5 milliards d'euros d'aides concernent plus d'une centaine d'établissements. L'effort de modernisation est donc bel et bien présent !

Par ailleurs, la T2A à l'hôpital représente 50 % du financement. Non, la tarification à l'activité n'a pas tué l'hôpital, d'autant que sa part régresse un peu plus chaque année à la faveur des financements au forfait et des financements pour les autres activités.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, je comptais vous poser une question sur les arbitrages budgétaires et les investissements, mais vous venez d'y répondre. Je vous interrogerai donc plutôt sur la démographie médicale.

La suppression du numerus clausus et son remplacement par un numerus apertus ont permis d'augmenter le nombre de médecins formés de 15 %. Néanmoins, l'ancienne ministre de la santé Agnès Firmin Le Bodo rappelait que, au regard des évolutions à l'œuvre et des attentes des jeunes professionnels, il fallait désormais plus de deux médecins pour remplacer un départ à la retraite.

Par ailleurs, aucune analyse prospective n'est partagée quant aux besoins en nombre de médecins par spécialité d'ici à quinze ans, en fonction des évolutions des besoins de santé. L'évolution des compétences des professionnels paramédicaux ne suffira pas à répondre à cet enjeu.

Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour former davantage de médecins ? Allez-vous créer plus de postes hospitalo-universitaires, la Fédération hospitalière de France (FHF) en demandant 1 000 de plus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Alain Milon, vous êtes fin connaisseur de ces sujets. Je tâcherai donc de vous apporter une réponse qui soit la plus précise possible.

On peut certes discuter de la suppression du numerus clausus, mais vous avez cité un chiffre important : il y a aujourd'hui 15 % d'étudiants en deuxième année de médecine en plus par rapport à 2019, ce qui permet d'entrevoir une hausse du nombre des médecins pour les prochaines années, car le temps de formation est long.

On m'a reproché cet après-midi, à l'Assemblée nationale, de former autant de médecins qu'en 1970. C'est exact, mais cela ne signifie pas grand-chose, car il y avait suffisamment de médecins dans les années 1970 et 1980. Quel sens cela aurait-il de comparer la situation d'aujourd'hui et celle d'il y a cinquante ans ? Je préfère m'en tenir à ce seul constat : on compte aujourd'hui davantage de jeunes dans les filières de formation.

Mme Annie Le Houerou. La population a augmenté !

Mme Émilienne Poumirol. Et elle vieillit…

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Par ailleurs, nous enregistrons une montée en puissance de la reconnaissance des autres professionnels de santé, aux côtés des médecins, la prise en charge des patients s'effectuant différemment aujourd'hui. Nous sommes passés d'un système basé sur le tout-médecin à un système fondé sur une équipe de soins.

Le médecin conserve évidemment le rôle prééminent qui est le sien puisqu'il orchestre l'intervention des différents professionnels paramédicaux ou des nouveaux professionnels – je pense, par exemple, aux infirmières en pratique avancée – qui officient aussi bien dans les services d'urgence et les différents services hospitaliers que dans les maisons de santé pluridisciplinaires et les cabinets de ville, pour assurer l'accompagnement des patients, y compris ceux touchés par des affections de longue durée (ALD).

Notre système de santé repose donc sur un ensemble de mesures. Ne jugeons pas de sa qualité en tenant compte uniquement du nombre de médecins formés ou qui s'installent ! Il faut aussi prendre en considération la façon dont nous avons su adapter les nouveaux modes de prise en charge, en répartissant les soins entre les différents professionnels qui ont un rôle à jouer aux côtés des médecins.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, la semaine dernière, j'ai assisté avec Mme Doineau à un petit-déjeuner avec votre prédécesseur Mme Agnès Buzyn – chacun sait ici à quel point j'aimais travailler avec cette dame. Elle nous a dit qu'il manquerait d'ici à quelques années entre 10 et 12 millions de professionnels de santé sur l'ensemble du globe en raison de l'arrivée de ressortissants des pays émergents, qui auront des exigences importantes en termes de santé, du vieillissement de la population et de l'apparition de maladies nouvelles liées à ce vieillissement, mais aussi de l'émergence de pratiques nouvelles chez les jeunes médecins, qui abordent différemment le métier. À cela viendra s'ajouter le coût extrêmement élevé de l'ensemble des nouveaux soins.

Il importe donc de réfléchir à tous ces enjeux afin de mettre progressivement en place un nouveau type de financement de la santé en France, sans nuire aux malades. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Monsieur le ministre, de discussion en discussion, de débat en débat, de rapport en rapport, le temps avance et l'hôpital public souffre, continuant de se dégrader. L'accès aux soins pour nos compatriotes recule, les temps d'attente s'accumulent, que ce soit aux urgences ou pour l'accès à un spécialiste.

L'attractivité des métiers du soin est en perdition. Le Ségur de la santé a certes été une avancée financière pour les professionnels. Mais si la question de la rémunération a un impact sur l'attractivité de la profession, car elle offre une reconnaissance face à la complexité de leur tâche, elle ne saurait être la seule solution.

Il faut revoir les organisations de travail pour réduire la pénibilité de ces métiers. La formation des professionnels de santé doit être repensée pour mieux préparer les étudiants à la réalité du terrain. L'hôpital, mais aussi tout le système de soins, a besoin d'être réformé, repensé et rebâti.

Comme nous l'avions proposé pendant la campagne présidentielle, il faut supprimer les ARS, qui ont conduit à cette gestion bureaucratique. Il est urgent de libérer la santé d'une logique purement comptable et financière, des coupes budgétaires incessantes, des baisses tarifaires qui ne permettent pas l'amortissement de certains équipements et qui ne sauraient être compensées par des forfaits.

Les indicateurs comptables doivent céder la primauté aux indicateurs de qualité et de pertinence des soins, ce dernier critère permettant de réaliser d'importantes économies de santé.

Anticiper et prévoir, voilà ce qui devrait guider nos gouvernants. Monsieur le ministre, quand allez-vous revoir le fonctionnement de l'hôpital, des ARS et de la T2A ? Vous avez parlé en préambule de l'hôpital dans les murs et hors les murs, et notamment des infirmiers libéraux. Quand entendrez-vous leurs revendications ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Votre question est un tout-en-un et comprend de nombreuses interrogations.

Certes, l'hôpital souffre et les Français connaissent des difficultés d'accès aux soins. Mais ce n'est pas uniquement parce que l'hôpital est dans cette situation que les Français rencontrent ces problèmes : l'hôpital n'est qu'une seule partie du sujet et tout le système de santé est en crise.

Ce sont tous les métiers du soin qui sont aujourd'hui moins attractifs. Les modes d'exercice anciens – en ville ou à l'hôpital – intéressent moins les jeunes. Ces problématiques ne sont pas propres à l'hôpital !

Pour ma part, je ne pratique pas l'hôpital-bashing et je ne mets pas sur le dos de l'hôpital des difficultés qui concernent plus largement l'ensemble du système de santé.

Certes, depuis dix, vingt ou trente ans les tâches administratives ont pris une place beaucoup trop importante dans notre système de santé. C'est vrai à l'hôpital, mais aussi en ville, comme pourraient en témoigner les médecins généralistes de votre département. Il faut améliorer ce point. C'est pourquoi l'assurance maladie finance des assistants médicaux chargés de se concentrer sur les tâches administratives, afin que les médecins puissent se consacrer à leur cœur de métier : 6 000 postes ont été créés, l'objectif étant de parvenir à 10 000 postes d'ici à la fin de l'année.

Vous évoquez la suppression des ARS. Or nous avons besoin d'un mécanisme de régulation de l'offre de soins. Le tout-libéral ne saurait exister ! Les ARS ont peut-être trop de poids, alors que le ministère n'a pas suffisamment déconcentré ses services… Nous pourrions y réfléchir.

Quoi qu'il en soit, les ARS permettent aussi d'apporter de l'ingénierie dans les territoires lorsqu'il s'agit d'ouvrir une maison de santé ou de mettre sur pied des projets. Elles ont également vocation à donner un éclairage sur la faisabilité budgétaire et juridique.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Vous évoquez des baisses de tarifs : pour ma part, je ne vois que des hausses depuis des années, comme en attestent les chiffres de l'Ondam. Je ne comprends pas à quoi vous faites allusion…

Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réplique.

M. Joshua Hochart. Considérer seulement la situation de l'hôpital ne permettra pas de résoudre les problèmes d'accès aux soins… Les indicateurs du département du Nord sont parmi les plus faibles de France. Pourtant, on y ferme des services d'urgence ! Les services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) ne peuvent plus intervenir. En parallèle, le conseil départemental réduit, voire supprime, les interventions des infirmiers et des sapeurs-pompiers. Rien de cela ne va dans le bon sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre, malgré l'Ondam en hausse de plus de 50 milliards d'euros depuis 2019, la situation financière de nombreux hôpitaux est déficitaire, notamment en raison de l'inflation qui touche l'alimentation et l'équipement, et de dotations insuffisantes, même si les salaires médicaux et paramédicaux ont été augmentés.

La situation des urgences reste souvent difficile, mais nous enregistrons une amélioration grâce à la mise en place du service d'accès aux soins et la mobilisation des médecins libéraux.

Cependant, il existe toujours un engorgement important des urgences lié à un manque de lits d'aval en médecine polyvalente. Les patients sans diagnostic précis, mais nécessitant des hospitalisations, sont très souvent récusés par les services de spécialité. Ils patientent ainsi des heures aux urgences alors qu'ils auraient leur place dans le service de médecine polyvalente, où ils bénéficieraient d'un bilan et seraient orientés, le cas échéant, vers un service de spécialité.

La situation de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie nécessite également un effort particulier. Dans certains départements, il n'y a pas de service de pédopsychiatrie – les demandes sont parfois faites pendant vingt ans ! – alors que les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) souffrent de troubles graves du comportement ; ils ont besoin de lieux de rupture et d'une hospitalisation.

Monsieur le ministre, malgré les difficultés de la sécurité sociale, pouvez-vous soutenir l'hôpital en obtenant un financement complémentaire pour certains hôpitaux, en créant des services de médecine polyvalente pour désengorger les urgences, en renforçant la psychiatrie et en mettant en place des lits de pédopsychiatrie ?

Mme Corinne Imbert. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Chasseing, permettez-moi de rappeler les chiffres d'accompagnement des hôpitaux.

J'ai cité l'augmentation de l'Ondam à hauteur de 60 milliards d'euros depuis 2017. Au titre notamment de l'inflation, nous avons également prévu 800 millions d'euros d'accompagnement exceptionnel en 2022 et nous avons décidé en janvier dernier d'accorder 500 millions d'euros de soutien exceptionnel pour 2023.

Pour autant, l'hôpital doit continuer à faire des efforts. Notre système de santé doit mieux valoriser la pertinence des soins. Ce faisant, il s'agit de dégager des fonds pour mieux financer les salaires à l'hôpital et le tarif des consultations en secteur 1 pour la médecine libérale. Ce sera l'un de mes chevaux de bataille.

Ce débat, qui n'aura pas lieu entre les quatre murs de l'hôpital, vaudra pour l'ensemble des opérateurs de soins, qu'ils soient libéraux, publics, privés ou privés à but non lucratif. La pertinence des soins doit être valorisée : ceux qui sont utiles à la santé des Français doivent passer avant les autres !

Je partage votre constat sur la santé mentale, qui a longtemps été un angle mort des politiques de santé. La situation s'est malheureusement aggravée depuis la crise du covid-19. Nous enregistrons une très forte augmentation des besoins en termes de prise en charge et d'accompagnement, et sommes en retard en raison de la conjonction de ces deux phénomènes.

À la demande du Président de la République, j'organiserai à la fin du mois d'avril un CNR sur la santé mentale. Il s'agit non pas de partir d'une page blanche, mais au contraire de faire aboutir les travaux engagés depuis dix-huit mois, qui ont mobilisé de nombreux professionnels en santé mentale. Nous espérons des avancées sur ces questions.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le ministre, je me permets de rappeler la nécessité d'ouvrir des lits d'aval, pour que les personnes qui se rendent aux urgences soient immédiatement orientées vers un service de médecine polyvalente. Ainsi, une fois le bilan réalisé, les patients peuvent rentrer chez eux ou être admis dans le service de spécialité adapté.

Je vous remercie pour votre réponse sur la pédopsychiatrie. Ce sujet est très important, car certains enfants pris en charge par les services de l'ASE sont atteints de graves troubles du comportement.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. N'oublions pas que dans le cadre de la hausse des tarifs hospitaliers pour 2024, qui a suscité une forme de débat public, nous avons revalorisé les actes de médecine, notamment pour favoriser la création des lits d'aval, dans le but de désengorger les urgences. Le tarif des actes de maternité a également été augmenté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Mme Anne-Sophie Romagny applaudit.)

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de l'organisation de ce débat sur l'initiative du groupe Les Républicains, deux ans après la publication du rapport intitulé Hôpital : sortir des urgences, issu des travaux de la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France.

Je salue les interventions des orateurs précédents, car elles reflètent les différentes opinions des Français et sont l'expression de leurs angoisses, auxquelles nous devons répondre.

Que nous soyons parlementaires ou ministres, nous avons une mission : lutter contre la dévalorisation des métiers exercés au sein de l'hôpital, et apporter des solutions aux problématiques de ce secteur.

Étant rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ma question portera – cela ne vous étonnera pas – sur le financement de l'hôpital.

L'Ondam pour 2024 a été voté à près de 255 milliards d'euros. Dans ce montant, une enveloppe de 105,6 milliards d'euros est destinée aux établissements de santé. Ce montant paraît colossal, et susceptible de garantir une forme de confort au système hospitalier ; ce n'est pas le cas, et nous venons d'en avoir la démonstration par plusieurs de nos collègues.

Nous connaissons tous les difficultés de l'hôpital, qui ont été rappelées par Philippe Mouiller et par d'autres collègues. Le déficit des hôpitaux a atteint en 2022 puis en 2023 des records successifs, atteignant le milliard d'euros. Malgré cette somme, les établissements d'excellence que doivent être nos CHU ont enregistré l'an dernier un déficit de 1,2 milliard d'euros. Ainsi, alors que 13 milliards d'euros de dette ont été transférés à la Cades pour améliorer la situation financière des hôpitaux, le financement actuel reconstitue à une vitesse préoccupante une dette hospitalière abyssale.

Aussi, monsieur le ministre, qu'allons-nous faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargée de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Doineau, permettez-moi d'insister sur un sujet que j'ai rapidement évoqué. L'avenir du financement de notre système de santé, qui dépasse le seul champ de l'hôpital, dépend de notre capacité à mieux financer ce qui est pertinent, autrement dit ce qui est utile.

En raison du manque de communication entre les acteurs, que ce soit entre le public et le privé, ou entre la médecine de ville et la médecine hospitalière ou d'établissement, et du fait de cette organisation en tuyaux d'orgue, les pertes sont importantes. Une étude de l'OCDE datant de la fin des années 2010 estimait à 20 % la part de dépenses inutiles dans le système de santé français. Ce taux pourrait même atteindre 30 %, à en croire d'autres études. Rapportés à un budget de 255 milliards d'euros, ces taux représentent d'énormes gisements.

Il ne s'agit en rien de dénoncer une quelconque malversation. Ces dépenses ne sont pas liées à des abus, mais à des redondances, à des actes inutiles ou à l'ancrage de certaines habitudes. Elles sont parfois aussi le fait d'un codage trop ancien d'actes dont la valeur économique ne correspond plus à leur coût réel, en raison des progrès de la médecine.

Il est donc nécessaire de remettre ce système à plat. J'ai souhaité ouvrir un débat sur la valeur des actes avec la direction de la sécurité sociale. La classification commune des actes médicaux (CCAM) de la sécurité sociale répertorie plus de 2 000 actes et détermine leur tarif : nous devons vérifier que chaque acte est financé à sa juste valeur économique. Ces situations de rentes sont généralement d'une ampleur limitée, mais les petits ruisseaux faisant les grands fleuves, ces dépenses coûtent cher à la sécurité sociale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, des événements dramatiques ont eu lieu au mois de février 2024 au sein des urgences psychiatriques de l'hôpital Purpan du CHU de Toulouse : deux patientes ont été victimes d'agressions sexuelles et un jeune patient s'est suicidé dans les locaux de consultation après dix jours d'attente pour être hospitalisé.

Le personnel avait pourtant donné l'alerte sur les difficultés rencontrées et sur le fonctionnement dégradé des urgences face au manque de moyens humains et financiers accordés aux services psychiatriques de l'hôpital public. Des lits avaient même été fermés dans mon département, la Haute-Garonne, qui attire pourtant chaque année près de 17 000 habitants supplémentaires…

À Toulouse, le secteur privé, qui dispose de 75 % des lits d'hospitalisation en psychiatrie, se réserve le droit de refuser certains patients, en particulier ceux qui relèvent de mesures de soins sans consentement. Par conséquent, le secteur public se retrouve contraint d'accueillir des patients dans des conditions inacceptables. Nous en avons observé le résultat au mois de février.

Ces problématiques se posent sur l'ensemble du territoire français, où tous les établissements de psychiatrie décrivent des difficultés majeures et déplorent un fonctionnement dégradé en raison du manque de moyens humains ou bâtimentaires consacrés au développement de la psychiatrie publique.

En psychiatrie adulte, dans plus de la moitié des établissements, le délai moyen d'accès aux services ambulatoires est d'un à quatre mois, aggravant ainsi la situation et les pathologies de nombreux patients. Je ne reviens même pas sur la situation plus dramatique encore des services de pédopsychiatrie, qui a été évoquée par mon collègue Chasseing.

Monsieur le ministre, quels moyens entendez-vous déployer à long terme pour garantir l'accès aux soins psychiatriques et sauvegarder la psychiatrie publique dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Émilienne Poumirol, avant de répondre à votre question, je veux, comme vous l'avez fait, revenir sur la situation à Toulouse. Vous avez raison, celle-ci est emblématique de nombre de dysfonctionnements de notre système de santé. Je me suis rendu sur place pour comprendre ce qui a rendu possible cette aberrante succession de drames aux urgences psychiatriques du CHU, alors même que le nombre de lits d'accueil en santé mentale dans l'agglomération et dans l'ensemble du département semble suffisant.

J'ai découvert que les dysfonctionnements étaient liés à l'inadaptation des locaux dans lesquels sont accueillies les urgences psychiatriques, à la difficulté des services d'orienter les patients vers des lits d'aval pour désengorger les urgences, et au manque de communication entre l'hôpital privé et l'hôpital public. Cette absence de coopération, en particulier, est dramatique dans un bassin de vie où 75 % de l'offre hospitalière en santé mentale relève du secteur privé, et où les urgences sont assumées par le service public. Le secteur privé, en outre, ne respecte pas la carte de secteur, ce qui oblige l'hôpital à prendre en charge des patients issus du même territoire.

L'ensemble de ces facteurs a conduit à ces drames insupportables.

Un rapport de l'Igas permettra d'éclairer cette situation particulière. Mais au-delà du cas de Toulouse, vous soulevez la difficulté de faire coopérer des systèmes qui fonctionnaient jusqu'à maintenant de manière déconnectée. Ce n'est pas normal ! Les autorisations que nous accordons ont aussi pour objectif que les établissements assument leur mission de prise en charge des patients, quels que soient leur pathologie et leur état.

L'accueil des patients dans les services psychiatriques sera l'un des sujets du CNR sur la santé mentale qui sera organisé fin avril. Il est essentiel que le public et le privé communiquent davantage : l'exemple de Toulouse est éclairant à cet égard.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, je sais bien que vous êtes venu à Toulouse et que vous avez constaté cette absence de dialogue entre le public et le privé. Mais la loi du 27 décembre 2023 précise que les établissements de santé sont responsables collectivement de la permanence des soins en établissements de santé (PDSES). Or aucune contrainte ne pèse sur le secteur privé. Le texte prévoit que l'ARS pourra désigner des établissements pour contribuer à la PDSES en cas de « carences persistantes ».

Mme la présidente. Chère collègue, il faut conclure.

Mme Émilienne Poumirol. C'est d'ailleurs ce qui a permis, à Toulouse, de mettre en place une cellule de crise pour avancer sur ce sujet. La situation s'améliore depuis quelques jours, mais ce n'est pas la bonne solution.

Mme la présidente. Le temps de parole est écoulé.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Comme par hasard, le lendemain de ma venue, l'hôpital privé avait des lits disponibles et a pu accueillir des patients qu'il ne prenait pas en charge jusqu'alors !

S'agissant de la PDSES, la loi que vous évoquez date du 27 décembre dernier : laissez-nous quelque temps pour rédiger les décrets d'application. Nous ferons preuve d'une très grande vigilance sur la participation effective des établissements privés à la permanence des soins, en matière de santé mentale comme dans les autres domaines.

Enfin, lorsqu'une autorité publique accorde une autorisation de prise en charge de patients, celle-ci est assortie de contreparties parmi lesquelles figure la permanence des soins.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Vous dites qu'une contrepartie est nécessaire. Ce qui est anormal, c'est qu'il ait fallu un drame pour que les différents services dialoguent enfin à Toulouse, et que, soudainement, les cliniques s'aperçoivent qu'elles pouvaient ouvrir quarante lits et non seulement seize !

Nous devrions prévoir cette contrainte, quitte à l'assortir d'une contrepartie, pour que le partage entre le public et le privé se fasse en permanence sur l'ensemble des soins – outre la psychiatrie, je pense notamment à la répartition de la prise en charge des soins ambulatoires (PDSA) entre la ville et l'hôpital, et entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, car le problème est le même.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Sol. Monsieur le ministre, les services d'urgence, véritables vitrines de nos établissements hospitaliers, ont décidé de baisser leurs rideaux la nuit à Perpignan et ailleurs en France. Quelle image ! Quel symbole de la dégradation de nos hôpitaux !

Nos urgences sont à bout de souffle, les personnels sont très éprouvés moralement et physiquement, les médecins de ville désemparés, les usagers angoissés à l'idée de se rendre aux urgences, et nos élus impuissants. Ce n'est pas une vision alarmiste, mais alarmante, monsieur le ministre !

La réalité des urgences, c'est cet usager qui souhaite passer devant un enfant en situation d'urgence vitale. Ce sont ces familles qui attendent sans information pendant des heures et des heures. Ce sont, encore, ces personnes âgées qui restent parfois vingt-quatre, quarante-huit ou soixante-douze heures sur des brancards dans un couloir et que l'on renvoie à deux heures du matin chez elles, par manque de place…

Les urgences font aujourd'hui face à l'incapacité de réguler l'augmentation exponentielle des appels, ce qui entraîne une perte de chance pour les patients et, dans le pire des cas, des décès, comme plusieurs exemples récents l'attestent. En résulte aussi une carence criante de lits d'aval, tandis que le personnel, qui manque d'effectifs comme de compétences, croule sous une charge administrative chronophage tout en devant faire face à des agressions verbales ou des menaces !

La désertification médicale amplifie naturellement cette situation inacceptable qui rompt l'accessibilité de tous aux soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que devrait assurer le service public.

L'été arrive, avec ses traditionnels flux saisonniers. Monsieur le ministre, laisserez-vous encore longtemps se délabrer le fonctionnement de nos services d'urgence ? Qu'envisagez-vous pour y remédier ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur, votre question est primordiale. Il est vrai que les Français voient souvent l'hôpital au travers du prisme des urgences.

Beaucoup a été fait, même si cela ne suffit malheureusement pas. La question des urgences est liée à celle des lits d'aval. Il faut donc faciliter la création de ces lits, qui permettent de désengorger les urgences.

De même, la régulation doit être mieux coordonnée. La création des services d'accès aux soins doit y contribuer d'ici à la fin du mois d'août. Soixante-cinq des cent départements français en sont déjà dotés, ce qui a permis une amélioration de la régulation de la médecine de ville. Les SAS visent en effet à orienter les personnes qui ne sont pas dans une situation d'urgence avérée vers la médecine de ville, avec un rendez-vous dès le jour même ou sous un très bref délai.

Par ailleurs, le décret n° 2023-1376 du 29 décembre 2023 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l'activité autorisée de médecine d'urgence a permis la création de Smur paramédicaux, qui n'embarquent pas de médecin, lorsque la situation le permet. Nous pourrions également envisager la création d'antennes d'urgence, fonctionnant sur une base de douze heures et non de vingt-quatre heures, la très faible activité en nuit profonde sur certains territoires ne rendant pas toujours nécessaire la mise à disposition de personnels soignants à ces horaires.

Ces ajustements doivent permettre de répondre au mieux à la problématique lancinante des urgences. Cependant, cette question reste liée à celle de l'accès aux soins de premier recours. Un travail doit donc être mené avec la médecine de ville. La négociation conventionnelle en cours entre l'assurance maladie et les syndicats de médecine a précisément pour objectif d'améliorer la réponse de la médecine de ville aux soins primaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol, pour la réplique.

M. Jean Sol. Monsieur le ministre, j'entends bien votre réponse, mais ne croyez-vous pas que la situation dramatique de nos établissements, publics et privés, mérite mieux qu'une forme d'indifférence ou des annonces qui n'y répondent pas ou seulement partiellement, et qui divisent, plus qu'elles ne fédèrent, autour de la qualité et de la sécurité de la prise en charge des urgences que nous devons à nos concitoyens ? Je vous demande donc un véritable plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), un plan d'urgence pour panser nos urgences !

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Bélim. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Bélim. En France, la couverture et l'organisation des systèmes de santé demeurent très hétérogènes d'une région à l'autre. À ces disparités s'ajoutent dans les outre-mer des problématiques territoriales spécifiques qui peuvent constituer des barrières ou retarder l'accès aux soins pour les patients.

Si l'on évoque les disparités démographiques, la Martinique deviendra en 2050 le plus vieux département de France. Cette singularité doit nous obliger à prendre en compte les nouveaux besoins en santé, telle que la prise en charge des polypathologies ou encore des mesures d'accompagnement pour maintenir l'autonomie des personnes.

On peut aussi évoquer les disparités épidémiologiques. En 2005, lors de l'épidémie du chikungunya, la population réunionnaise avait été infectée à hauteur de 35 %.

Ces spécificités sont nombreuses, et appellent à des considérations propres à chaque territoire et bassin régional. Or les financements dont dépendent nos établissements répondent à des règles prétendument égalitaires, mais qui ne permettent pas d'établir une réelle égalité. L'hôpital public a pourtant toute sa place dans nos bassins régionaux. L'isolement géographique doit être un levier pour le rayonnement du savoir-faire français en matière de recherche et de soins.

Le CHU de La Réunion, hôpital de référence de l'océan Indien, a besoin d'un soutien pérenne pour faire face aux défis du territoire réunionnais, avec un potentiel développement lucratif à destination de la clientèle au sein du bassin océanique.

Si l'ensemble des acteurs ont accueilli avec satisfaction les annonces de novembre et février dernier, des questions se posent néanmoins. La revalorisation prévue sera-t-elle conduite en un seul temps ? Le Gouvernement travaille-t-il à une actualisation pour 2025 ? Les évacuations sanitaires, marqueurs de solidarité nationale, seront-elles enfin prises en compte parmi les charges ?

Plus généralement, alors que les outre-mer rassemblent plus de 2,8 millions d'habitants, des actions adaptées sont nécessaires pour réduire les écarts et améliorer l'accès aux soins des patients, quel que soit leur lieu de prise en charge. Le Gouvernement travaille-t-il à une véritable vision pour ces populations ultramarines en matière de santé ?

Oui à la continuité des soins, mais nous exigeons également de la qualité et des politiques adaptées ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice, on ne peut pas dire que l'outre-mer soit délaissé en matière d'investissements publics destinés à accompagner le développement de l'offre de soins.

J'ai cité la rénovation du centre hospitalier de Mayotte et la création d'un deuxième hôpital sur ce même territoire. La reconstruction du CHU de la Guadeloupe est l'un des plus gros investissements hospitaliers de notre territoire, avec celle du CHU de Nantes. La création d'un CHU en Guyane représentera en outre un effort de modernisation important pour ce département.

L'État accompagne également le CHU de La Réunion, au travers d'une aide en trésorerie pour aider cet établissement à faire face aux difficultés financières aiguës qu'il traverse. La mission de l'Igas devra nous permettre de comprendre les causes du dysfonctionnement de cet hôpital dont la situation s'est très fortement et rapidement dégradée, bien plus que dans tous les autres CHU de France, outre-mer compris. Le rapport de l'Igas nous aidera à tirer un constat clair, précis et transparent.

Tous les gouvernements précédents ont agi de la sorte : jamais l'État n'a abandonné un hôpital, que ce soit en outre-mer ou en métropole. L'État sera au rendez-vous de l'urgence financière, mais aussi des restructurations à opérer si cela est nécessaire. L'hôpital n'est pas une entreprise, mais il doit tout de même répondre à des critères de gestion, ce qui n'est pas le cas actuellement : il faut donc remettre la rivière dans son lit.

Mme la présidente. La parole est à M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Khalifé Khalifé. Monsieur le ministre, nous avons une chose en commun : vous étiez président de la FHF, j'ai été pendant plus de quarante ans médecin hospitalier et près de vingt ans président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier régional de Metz-Thionville. Je peux donc, comme vous, saluer le travail quotidien des hospitaliers, mais aussi mesurer le malaise qui les affecte ces derniers temps.

Néanmoins, mon intervention concernera la formation paramédicale et médicale. Grâce aux efforts des conseils régionaux, la formation paramédicale est territorialisée : ainsi, même les plus petites communes de France comptent des infirmières, notamment libérales.

C'est loin d'être le cas des formations médicales. Vous avez évoqué une augmentation de 15 % du nombre d'étudiants par rapport à 2019. Cependant, vous savez comme moi que les facultés de médecine dépendent très peu du ministère de la santé, mais bien davantage d'un autre ministère. Nous aimerions vous entendre sur ce sujet, car si l'on part de zéro, une augmentation de 15 % ne représente pas grand-chose ! Aussi, cette augmentation est plus théorique qu'autre chose.

Par ailleurs, les épreuves classantes nationales (ECN) favorisent certains territoires ; elles ont ainsi entraîné des disparités territoriales dans la répartition des médecins. Du temps de la régionalisation, moins de médecins étaient formés, mais leur répartition sur le territoire était plus homogène. L'avis du ministère de la santé sur cette question mériterait d'être entendu, notamment par les autres ministères. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Khalifé, je connais votre investissement dans la cause hospitalière depuis des années, et l'expertise pointue qui est la vôtre au sein de cet hémicycle.

Sur la formation, vous avez raison de pointer la difficulté de concilier l'intention d'augmenter massivement le nombre d'étudiants formés et la propre dynamique des universités, qui fonctionnent de manière autonome. Nous devons obtenir de celles-ci qu'elles ouvrent les vannes de la formation pour accueillir des promotions bien plus importantes.

Je me réjouis de constater que nous comptons 15 % à 20 % d'étudiants en médecine de plus qu'en 2019. Ce n'est pas un miroir aux alouettes : ces étudiants, dans une dizaine d'années environ, selon la spécialité, pourront prendre en charge la santé des Français. Néanmoins, il faut aller plus vite et plus loin. Nous devons travailler avec les doyens afin de favoriser l'accélération de l'ouverture des filières de formation.

Par ailleurs, nous devrions aussi nous pencher sur le cas des étudiants français partis suivre une formation ailleurs en Europe, du fait de la rigueur des épreuves, et parce qu'ils étaient exclus, pour quelques dixièmes de points parfois, des filières françaises. Pour autant, ils reviendront en France dans quelques années, après avoir achevé leurs études en Belgique, en Roumanie, en Espagne ou ailleurs. Cela vaut d'ailleurs aussi pour les paramédicaux.

Une réunion aura lieu prochainement avec les doyens, au plus haut niveau du Gouvernement, afin de fédérer l'ensemble du corps enseignant autour de cette ambition. En effet, nous devons nous assurer d'avoir suffisamment de professeurs et de terrains de stage – quitte à ouvrir ces derniers dans d'autres établissements que les seuls hôpitaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, pour garantir le service public hospitalier, c'est-à-dire l'accès de tous à des soins de qualité, sans dépassements d'honoraires, l'État ne peut pas faire tout seul !

Je veux ici rendre hommage aux établissements de santé privés sans but lucratif, qui font tenir le service public, en particulier dans certaines disciplines comme la psychiatrie ou la réadaptation, et dans toutes les grandes métropoles. Je pense à Paris, bien sûr, avec l'hôpital Saint-Joseph, l'Institut mutualiste Montsouris et le groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon, ou encore l'hôpital Foch de Suresnes. À Bordeaux, à Marseille, à Lille : comment les urgences seraient-elles assurées sans ces établissements ?

Pourtant, plus de 80 % de ces établissements sont en déficit – un taux qui atteint 90 % en région parisienne. Et quand il n'y a plus de trésorerie, plus de soutien bancaire, il n'y a pas d'actionnaire, il n'y a pas l'État, il n'y a rien ! Plusieurs établissements, dont certains fleurons de l'hospitalisation reconnus comme des exemples de bonne gestion, risquent d'aller au tapis.

S'ils souffrent, c'est parce que l'État a organisé une concurrence totalement déloyale au sein même du service public hospitalier. À missions égales, à activité égale, les établissements de santé privés sans but lucratif sont systématiquement pénalisés. J'en veux pour preuve les coefficients de pondération et de minoration qui leur sont appliqués. Les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), qui représentent 10 % de l'activité, n'ont bénéficié que de 2 % des crédits consacrés aux établissements en difficulté.

J'en appelle, monsieur le ministre, à des mesures d'urgence et à une réforme globale visant à garantir l'égal traitement des acteurs du service public hospitalier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Madame la sénatrice Carrère-Gée, vous avez raison de rappeler le rôle éminent des établissements privés à but non lucratif. Dans beaucoup de spécialités, ce sont des établissements d'excellence, qui sont des références dans le monde entier – je pense notamment à l'hôpital Gustave-Roussy. Il faut donc soutenir ces établissements, au même titre que les hôpitaux publics.

Je serai moins sévère que vous sur les différenciations de traitement que vous évoquez. Prenons l'affaire des tarifs hospitaliers, que plusieurs orateurs ont évoquée. Les établissements privés à but non lucratif bénéficieront des mêmes augmentations de tarif que les établissements publics. Il n'y a pas de différenciation.

Le coefficient de majoration mis en œuvre de manière temporaire durant la crise sanitaire sera diminué de 50 % cette année et disparaîtra en 2025. C'était un engagement du Président de la République : il sera tenu. J'y ai veillé, afin de corriger l'anomalie de la période covid, durant laquelle le Gouvernement a beaucoup plus aidé les établissements qui étaient en première ligne – à savoir les hôpitaux publics. Ces mécanismes de financement sont en train de disparaître.

Il n'y a donc pas de différence de traitement. Au contraire, nous nous efforçons d'accompagner tous les établissements qui participent à la prise en charge des Français : c'est le cas de nombre des établissements privés à but non lucratif, qui se démarquent dans beaucoup de domaines par leur excellence.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour la réplique.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Le coefficient de minoration a effectivement été réduit de moitié cette année, monsieur le ministre, mais son maintien même demeure injustifiable.

Au reste, la réduction du coefficient de minoration est de la poudre aux yeux, car, dans le même temps, le coefficient de pondération – cette autre règle à laquelle les hôpitaux publics ne sont pas soumis – a lui été augmenté de 0,7. En clair, ce que l'on a donné aux établissements privés sans but lucratif d'une main, on leur reprend de l'autre. Ce n'est pas acceptable !

Il faut au contraire prendre des mesures d'urgence pour soutenir les établissements qui en ont besoin, ainsi que tous leurs soignants. Ces derniers se dévouent à l'extrême pour garantir le service public au plus près des territoires. Ils travaillent dans l'urgence partout, sans dépassement d'honoraires, et, eux, ils ne peuvent compter sur le back-up de l'État.

Pour éviter que ces soignants n'aillent au tapis, il faut les soutenir et cesser de les décourager, voire de les accabler ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Pour vous rassurer, madame Carrère-Gée, je rappelle que la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap), qui représente les établissements privés non lucratifs à l'échelon national, a récemment publié un communiqué pour se féliciter des arbitrages de la campagne tarifaire.

Si la Fehap est satisfaite, c'est bien que ces établissements se sentent soutenus et reconnus. C'est en tout cas ce que leurs représentants m'ont indiqué il y a quelques jours quand je les ai reçus.

Soyez donc rassurée, madame la sénatrice : il n'y a pas de différence de traitement, et s'il a pu en exister pendant la covid-19, ces règles vont disparaître, de manière que s'applique le droit commun, c'est-à-dire la pleine reconnaissance du rôle et de la place éminente de ces établissements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. La Fehap s'est en effet réjouie que les tarifs des établissements privés non lucratifs augmentent de 4,3 % comme pour l'hôpital public, ce qui est une très bonne chose.

Toutefois, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre, un coefficient de minoration, certes réduit de 50 %, et un coefficient de pondération demeurent. Les règles ne sont donc, hélas ! pas les mêmes.

Certains établissements dont la trésorerie est affectée et qui connaissent une situation très difficile ne s'en remettront pas sans votre soutien et des mesures urgentes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Un État qui ne peut plus prendre soin de ses malades, c'est une nation qui faillit à sa mission.

Personne ici ne peut le nier, l'hôpital français est en crise : fermetures de lits subies, notamment dans les services de pédiatrie, postes vacants, majoritairement en pédopsychiatrie, démissions, déficits… Des symptômes qui se sont aggravés depuis la crise sanitaire et que le Ségur de la santé n'a, hélas ! pas fait disparaître.

Le rapport sénatorial de mars 2022 intitulé Hôpital : sortir des urgences, confirme d'ailleurs ce malaise : une crise qui s'éternise et des soignants qui s'épuisent.

Je défends une institution que vous connaissez par cœur, monsieur le ministre, la FHF, notamment celle de Provence-Alpes-Côte d'Azur, où les attentes sont nombreuses.

Si les enjeux inhérents à la situation budgétaire et au modèle de financement irriguent nos débats ce soir, je souhaite attirer votre attention sur la question de l'investissement, qui est tout aussi cruciale.

Dans le département des Alpes-Maritimes, dont je suis élue, plusieurs projets sont aujourd'hui bloqués, comme la reconstruction du bâtiment médico-technique de l'hôpital d'Antibes. Cette modernisation, indispensable pour s'adapter au nombre exponentiel de demandes, permettrait notamment un agrandissement des urgences. Comme vous le savez, monsieur le ministre, ce sujet cristallise une grande partie des tensions.

Ce n'est toutefois pas le seul exemple. Les urgences du centre hospitalier de Menton, dont la structure date de 1979, doivent aussi absolument être rénovées. Ce sont les seules urgences publiques françaises présentes sur un territoire transfrontalier ne comptant pas moins de 100 000 habitants. Ce projet essentiel, je dirais même vital, n'a pas bénéficié du Ségur, l'intégralité des crédits ayant d'ores et déjà été épuisés.

Plus qu'une question financière, être capable d'accueillir aux urgences nos concitoyens et de les soigner est une question de dignité.

Je sais quels efforts ont déjà été consentis, monsieur le ministre. Ils sont toutefois insuffisants pour permettre à nos établissements de fonctionner correctement et à nos hospitaliers de travailler décemment. Il est donc urgent de mettre en place un « Ségur II » pour soutenir l'investissement, afin de remettre nos hôpitaux à niveau, c'est-à-dire de placer leurs moyens à la hauteur des enjeux.

L'adaptation à l'évolution des besoins de santé n'est pas une option : c'est une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. J'ai été fier et honoré de présider la vénérable institution qu'est la Fédération hospitalière de France, madame la sénatrice. Deux de mes prédécesseurs, Gérard Larcher, qui préside désormais vos débats dans cet hémicycle, et Jean Leonetti, auquel j'ai immédiatement succédé, m'ont tous deux beaucoup appris.

J'en viens au plan d'aide à l'investissement du Ségur de la santé. Avant d'envisager un « Ségur II », madame la sénatrice, il nous faut aller au bout du volet investissements du Ségur actuel.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres. Le volet investissements emporte un financement de 15,5 milliards d'euros. Sur les 36 projets qui ont été validés, 23 sont en cours d'instruction nationale. Une grande partie des fonds n'a toutefois pas encore été affectée.

Je n'ai pas en tête les données relatives aux projets d'Antibes et de Menton. Certains montants méritent peut-être d'être ajustés, car, depuis que les coûts ont été estimés, il y a quelque mois, l'inflation est passée par là.

En tout état de cause, soyez assurée que je souhaite accélérer le déploiement des projets d'investissement, tels qu'ils ont été prévus. Il nous faut pour cela faciliter l'instruction administrative des dossiers, qui est parfois pénalisante et qui emporte des allers et retours sans fin, de manière à pouvoir trancher rapidement. Comme je l'indiquais, il nous faut sans doute aussi réajuster les coûts pour tenir compte de l'inflation.

Je vais examiner l'ensemble des dossiers, de manière que nous puissions avancer très rapidement. Dès demain, j'étudierai les projets de Menton et d'Antibes, cette dernière commune étant particulièrement chère à mon cœur, pour les raisons que vous devinez.

Mme la présidente. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Clément Pernot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, nous pouvons le dire, l'hôpital se moque de la charité ! Il n'est plus le lieu de compassion, de bienveillance, d'attention et de soins que nous avons connu dans un trop lointain passé.

Cela, c'était la France d'avant, quand la population rurale pouvait compter sur un service public médical de proximité, construit autour d'hôpitaux vivants et respectés. Maternité, chirurgie et urgences œuvraient avec humanité. Nos anciens, un peu soigneurs dans l'âme, avaient sûrement compris que la présence des proches était médicamenteuse.

Votre France d'après, du sud au nord, d'est en ouest, accentue, elle, l'agonie de nos hôpitaux ruraux. Nous sommes les tristes témoins de la poursuite de la dégénérescence de la compétence régalienne de votre ministère.

L'hôpital de la commune dont je fus élu, Champagnole, dans le Jura, dont le territoire embrasse un bassin de vie de 50 000 habitants, voit, après la disparition de sa maternité et de son service de chirurgie, ses urgences fermées et remplacées par une unité mobile hospitalière paramédicale, naturellement dépourvue de médecin urgentiste !

La main sur le cœur, vos hommes de main, les responsables des ARS, nous promettent que c'est bien suffisant pour le bon peuple rural. De qui se moque-t-on ? La perte de chance est une réalité. Vous pouvez ne pas entendre la représentation nationale, mais gare à vous, monsieur le ministre, car le peuple des mal-soignés gronde.

De nombreuses associations se créent, les lettres de plainte prolifèrent, la judiciarisation de masse se profile. Vos directeurs d'hôpitaux ne pourront pas tout vous dissimuler encore bien longtemps.

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous justifier que, dans notre pays, l'accès aux véritables soins d'urgence dépende du code postal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur, j'ai moi-même été maire durant dix-sept ans dans le sud de la Seine-et-Marne, qui est le 97e ou le 98e département du pays en termes de densité médicale ; en tenant compte de sa population, toutefois, sans doute le Jura a-t-il de quoi en conter à la Seine-et-Marne.

En tout état de cause, je ne méconnais pas la situation des territoires et je ne m'informe pas uniquement au travers des directeurs d'hôpitaux ou de fonctionnaires cachés je ne sais où.

La mortalité infantile a beaucoup reculé en France depuis plusieurs décennies.

Mme Émilienne Poumirol. Elle augmente désormais !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Aussi, quand vous faites référence à « la France d'avant », j'ignore si vous pointez la France d'il y a quarante ans, cinquante ans ou soixante ans, monsieur le sénateur.

Les progrès de la médecine nous permettent de prendre en charge les femmes dans des conditions de sécurité qui n'étaient pas assurées pour nos mères ni a fortiori pour leurs aïeules.

Il nous faut aujourd'hui concilier le progrès médical, les normes de sécurité souhaitées par la population et l'enjeu de la proximité, qui est essentiel.

Je souhaite que les hôpitaux de proximité soient réinvestis. Il ne s'agit pas de promettre que nous les transformerons tous en CHU ou en maternités, car, pour les naissances comme pour tout acte médical, en particulier chirurgical, la sécurité doit primer.

Je préfère pour ma part me faire opérer par un chirurgien qui effectue le geste dont j'ai besoin à longueur de journée, quitte à parcourir 300 kilomètres, plutôt que par un chirurgien de proximité qui ne réaliserait ce même geste que deux fois par an.

Mme Annie Le Houerou. Les plus vulnérables n'ont pas les moyens de se déplacer pour se faire soigner !

M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. Il faut donc parvenir à graduer les soins. Et comme vous, monsieur le sénateur, je crois que cela passe par un réinvestissement de la proximité, de manière à faire des hôpitaux de proximité des lieux de vie, de soins et de prise en charge qui soient des lieux d'humanité.

Contrairement à vous, j'estime toutefois que l'humanité n'a pas quitté l'hôpital. Si les hospitaliers sont soumis à des pressions et à des rythmes qui peuvent les éloigner de l'humanité, nous entendons tous, autour de nous, de nombreux patients hospitalisés témoigner du dévouement des personnels qui les ont pris en charge.

Si je suis donc moins sévère que vous, je vous rejoins sur la nécessité de réinvestir les hôpitaux de proximité pour les doter d'un véritable statut, de missions définies et des financements suffisants.

Mme la présidente. La parole est à M. Clément Pernot, pour la réplique.

M. Clément Pernot. Je me réjouis de vos propos sur l'hôpital de proximité, monsieur le ministre, mais après les mots, il convient de poser des actes. Nous avons connu six ministres en six ans. Il est temps d'agir pour corriger cette incurie sanitaire dans les territoires.

Le XVIIe siècle a inventé le malade imaginaire ; ne devenez pas le ministre imaginaire ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)


Source https://www.senat.fr, le 12 avril 2024