Interview de M. Frédéric Valletoux, ministre délégué, chargé de la santé et de la prévention, à France Inter le 24 avril 2024, sur l'étude sur les délais d'obtention d'un rendez-vous médical, la "taxe lapin", l'accès aux soins et la pénurie de médecins.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Sonia DEVILLERS, votre invité ce matin est ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention.

SONIA DEVILLERS
Bonjour Frédéric VALLETOUX.

FREDERIC VALLETOUX
Bonjour Sonia DEVILLERS.

SONIA DEVILLERS
La Fondation Jean-Jaurès publie une étude sur les délais avant obtention d'un rendez-vous médical, à partir des données du site Doctolib. Je rappelle que c'est 200 millions de consultations en France en 2023. La moitié des rendez-vous chez un généraliste sont obtenus en moins de 3 jours et chez un pédiatre en moins de 7 jours. C'est rassurant ?

FREDERIC VALLETOUX
Eh bien, les chiffres qui ont donnés, en tout cas, montrent un paysage qui est équilibré, avec des chiffres qui effectivement, paraissent, si rassurants, en tous les cas montrent que sur l'accès aux généralistes, les choses se passent plutôt bien. Plutôt bien. Je ne dis pas que c'est évidemment formidable, et il faut regarder territoire par territoire, bien sûr, la réalité de ce que vit chaque patient. Par contre, elle pointe une difficulté sur les spécialistes, donc on voit bien que c'est…

SONIA DEVILLERS
Les spécialistes, en effet, il y a une vraie disparité, Monsieur le Ministre.

FREDERIC VALLETOUX
On le sait, que c'est un système tendu.

SONIA DEVILLERS
Le délai médian pour consulter un ophtalmo : 25 jours. 36 jours pour un dermatologue, 42 jours pour un cardiologue, c'est un délai médian. Ça signifie que dans certaines zones, c'est 3 mois d'attente.

FREDERIC VALLETOUX
Bien sûr, mais vous savez, il y a une dizaine de départements français où il n'y a plus de pédiatres. Enfin, je pourrais, la liste, malheureusement…

SONIA DEVILLERS
Les Côtes d'Armor, un mois pour emmener son enfant chez un pédiatre, quand on a des enfants, c'est interminable, un mois !

FREDERIC VALLETOUX
Bien sûr, mais la liste est malheureusement longue. Un chiffre, simplement, on sait qu'un quart des spécialistes est sur 5 % du territoire. Donc on peut tourner autour de cette réalité dans tous les sens, mais c'est une réalité qui fait qu'effectivement, la concentration des spécialités sur certains territoires, qui peut s'expliquer parfois, parce que sur certaines spécialités, il ne faut pas être loin d'un plateau technique pour l'exercer, et donc évidemment on ne peut pas s'installer tout seul au milieu de nulle part, si on peut dire ça comme ça. Et puis…

SONIA DEVILLERS
Oui, enfin, dans les Deux Sèvres, c'est trois mois pour un rendez-vous, pour faire vérifier sa vue.

FREDERIC VALLETOUX
Mais vous avez raison. On travaille depuis longtemps pour, j'allais dire, inverser ces réalités, en tous les cas, rendre plus accessible l'offre de soins, en faisant travailler ensemble l'ensemble des forces médicales, qu'elles soient publiques ou privées, l'hôpital et la médecine de ville, en favorisant les coopérations, en favorisant aussi les délégations de tâches. C'est-à-dire qu'on a peut-être pendant longtemps un système de santé qui a été trop tourné autour du médecin et de la seule figure du médecin. Il est important, il est incontournable et il restera essentiel dans la prise en charge des Français. On ne soigne pas sans médecins et on ne soignera jamais sans médecin. Mais néanmoins, on peut faire monter en reconnaissance des professionnels autour, c'est ce qu'on fait, pour permettre effectivement que sur une prise en charge qui soit différente, une pathologie de longue durée qu'on doit suivre, et bien on puisse le faire par d'autres professionnels.

SONIA DEVILLERS
Vous dites, Monsieur le Ministre, « on y travaille depuis longtemps ». Le sondage Ipsos Radio France d'il y a 10 jours, à la question : quels sujets vous poussent à voter aux élections européennes ? La santé arrive en deuxième position…

FREDERIC VALLETOUX
Bien sûr.

SONIA DEVILLERS
En deuxième position. Or, l'extrême droite caracole à 38 % des intentions de vote. Vous entendez, à la fois le mécontentement et l'inquiétude ?

FREDERIC VALLETOUX
Bien sûr. Mais je l'entends. Et ça fait quelques années que toutes les enquêtes d'opinion montrent que la santé s'est installée parmi les premières préoccupations des Français, et l'accès aux soins…

SONIA DEVILLERS
Depuis le Covid, en gros, c'est ça ?

FREDERIC VALLETOUX
Mais même…

SONIA DEVILLERS
Même avant ?

FREDERIC VALLETOUX
Pardon, mais même avant le Covid. Et on voyait les tensions sur la démographie médicale bien avant. Et donc pour cela, eh bien c'est, le système de santé, pour le remettre à flot, c'est des années d'efforts. On forme déjà plus de médecins. Il faut donner les chiffres. Il y a 10 000 médecins aujourd'hui qui sont en deuxième année, il y a 10 000 étudiants qui sont en deuxième année de médecine. Il y en avait 8 000 en 2019. Donc progressivement, on va, simplement il faut 10 ans, 15 ans pour un spécialiste, pour être formé, et donc…

SONIA DEVILLERS
Et cette fameuse taxe lapin, alors, qu'évoquait Dominique 27 millions de consultations perdues chaque année. 5 € de pénalité pour sanctionner le patient qui n'honore pas un rendez-vous. Il a été demandé à Doctolib de demander des coordonnées bancaires au patient qui prend rendez-vous, et de le prélever. Refus tout net de Doctolib, qui…

FREDERIC VALLETOUX
Non, la réponse de Doctolib est plus nuancée que ça. C'est-à-dire que Doctolib fera ce que la loi lui dit de faire, d'une part. Et deuxièmement, le système n'est pas un prélèvement obligatoire en cas de rendez-vous raté, il est sur la décision du médecin. C'est le médecin qui décidera, qui effectivement, la personne qui aura laissé une empreinte bancaire, devra être prélevée de 5 €, parce que, eh bien, manifestement, ce n'est peut-être pas la première fois que cette personne rate des rendez-vous. Ce n'est pas la première fois que cette personne rate des rendez-vous sans prévenir le médecin. L'objectif ce n'est pas, j'allais dire, d'augmenter les caisses ici ou là, d'abord, c'est une taxe qui irait dans la poche du médecin, et qui serait à la liberté du médecin, c'est-à-dire libre à lui de pénaliser ou pas le patient qui abuseraient. Donc…

SONIA DEVILLERS
Et donc, vous allez contraindre Doctolib par la loi.

FREDERIC VALLETOUX
Non, on va simplement, et techniquement, ce n'est pas très compliqué…

SONIA DEVILLERS
Parce que Doctolib est devenu quand même très très puissant. C'est 75 000 médecins, professionnels de santé…

FREDERIC VALLETOUX
Oui, c'est à peu près une petite moitié des rendez-vous qui sont pris chaque jour. Donc ça n'est pas la totalité. Et ceux qui n'ont pas Doctolib, pourront aussi prendre cette empreinte bancaire. L'idée, si vous voulez, c'est de responsabiliser les patients. On peut prendre un rendez-vous, on peut avoir à annuler un rendez-vous simplement, il ne faut pas l'oublier de l'annuler, parce que le temps médical est rare, et donc on veut permettre aux médecins de dégager du temps médical. C'est quand même une vingtaine de millions, plus d'une vingtaine de millions de rendez-vous par an qui sont non honorés.

SONIA DEVILLERS
C'est ça, 27 millions.

FREDERIC VALLETOUX
On ne parle pas de quelque chose de totalement marginal.

SONIA DEVILLERS
Frédéric VALLETOUX, autre sujet qui a beaucoup suscité de remue, l'IVG.

FREDERIC VALLETOUX
Oui.

SONIA DEVILLERS
L'interruption volontaire de grossesse. Le décret qui autorise les sages femmes à pratiquer des IVG à l'hôpital, a suscité, je l'ai dit, pas mal de colère et d'incompréhension, parce qu'il imposait la présence d'un médecin spécialisé, gynécologue et anesthésiste. Or, on vient de le dire, il y a beaucoup de régions où il n'y en a pas, et il n'y en a pas assez.

FREDERIC VALLETOUX
C'est exactement ce que je décrivais, de faire confiance à des professionnels de santé qui ne sont pas forcément que des médecins. Même si les sages femmes, est une profession médicale, il ne faut jamais l'oublier. Eh bien, la loi avait changé en 2022, en permettant aux sages femmes de pratiquer des IVG chirurgicales qui sont à peu près 20 % des IVG qui sont pratiquées en France. Le décret qui avait été fait, peut-être, bon, par l'administration, renforcer les conditions pour que finalement c'était plus compliqué quasiment avant qu'après, pour les sages femmes. Non, il s'agit de leur faire confiance et il s'agit de les mettre en responsabilité. Donc cette nuit est paru un décret, qui effectivement autorise et facilite surtout, simplifie les procédures pour les sages femmes, pour pratiquer des IVG chirurgicales. C'est-à-dire que, à partir du moment où elles le font dans un établissement qui a l'autorisation de ce type d'actes, il n'y a pas besoin d'avoir à côté d'elle un médecin qui, au-dessus de leur épaule, vérifierait ce qu'elles feraient. Et donc c'est un acte aussi pour faciliter l'accès à l'IVG et c'est avec la revalorisation financière, de l'acte IVG qui avait été décidé au mois de mars, et en même temps, vous vous souvenez que l'inscription de ce droit dans la Constitution, l'a facilité, qui est faite pour les femmes, de recourir plus facilement à l'IVG.

SONIA DEVILLERS
Alors, je m'adresse à l'ancien président de la Fédération des hôpitaux de France. Le livre de l'infectiologue Karine LACOMBE, l'enquête de Paris Match, la culture machiste du milieu hospitalier, ses comportements sexistes voire des agressions sexuelles, sortent au grand jour. Les présidents des commissions médicales des établissements et des CHU se sont engagés il y a quelques jours à appliquer une tolérance zéro. Il faut voir la réponse du syndicat des internes, Monsieur le ministre, en médecine, elle est cinglante. Combien de signalements, disent-ils, restés désespérément sans suite depuis des années ? Ma question est la suivante : à l'hôpital public, quand on a repéré des comportements abusifs de certains médecins ou chefs de services, quels moyens l'administration a-t-elle pour agir, pour les déplacer, pour les sanctionner ? Qu'est-ce qu'on fait concrètement ?

FREDERIC VALLETOUX
La question qui est posée par les internes, c'est est-ce que les règles en place sont mises en oeuvre ? Et c'est la question à laquelle moi je veux apporter aussi une réponse et de manière très transparente. La culture de l'impunité, si tant est qu'elle existe ici ou là, c'est terminé. Et effectivement, il y aura une tolérance zéro de ce point de vue-là. Moi, je réunis l'ensemble des acteurs, dont les internes mais pas seulement, le 29 avril. Je réunis l'ensemble des ordres début mai, je vois Karine LACOMBE dans quelques heures.

SONIA DEVILLERS
Ah bon ? Vous la rencontrez tout à l'heure ?

FREDERIC VALLETOUX
Oui, bien sûr. Je la connais par ailleurs, mais pour parler de ce sujet précisément, je n'avais pas eu l'occasion. Donc l'idée est qu'effectivement, on veille à ce que, dans les établissements et on ne part pas de zéro parce qu'il y a déjà des choses qui se font, dans les hôpitaux, eh bien effectivement, tout le monde puisse mettre fin à cette ambiance, à cette culture, à ces comportements, à ces violences sexistes et sexuelles qui effectivement a sans doute trop caractérisé certains établissements. Alors je ne veux pas jeter la pierre uniquement sur l'hôpital parce que c'est le système de santé en général qui doit être regardé et je veillerai à ce que ce soit le système de santé qui soit effectivement évoqué. Mais en tout cas, on part sur des pistes concrètes, des propositions concrètes d'ici quelques semaines que je vais travailler avec les acteurs pour effectivement tourner la page de cette triste période.

SONIA DEVILLERS
Un dernier mot sur les cliniques privées qui ont appelé à une grève totale à partir du 3 juin, annonçant même des déprogrammations d'actes médicaux et de soins. En cause, votre annonce de la revalorisation des tarifs : 4,3 % pour les hôpitaux publics et seulement 0,3 % pour ceux du privé. Les cliniques privées crient à l'injustice. Que leur répondez-vous ?

FREDERIC VALLETOUX
Oui. Alors les cliniques essaient de faire d'un débat technique un sujet de polémique public. Moi, je n'ai aucun état d'âme à débattre avec les cliniques, effectivement, de l'accompagnement par l'Etat depuis des années de leur activité. Simplement leur rappeler que pour la campagne tarifaire, ce qu'on appelle la campagne tarifaire, comment on répartit les 105 milliards d'euros que le Parlement a votés pour aider les établissements, qu'ils soient publics, privés ou de lutte contre le cancer, tous les établissements qui existent en France ? Eh bien on applique des critères qui sont les mêmes à tous et il se trouve que quand on valorise la pédiatrie, quand on valorise les maternités, quand on valorise les greffes, quand on valorise les soins palliatifs, ce sont surtout des activités portées par le public. Donc en fait, c'est les mêmes critères qui, appliqués aux caisses mixtes de chacun, donnent des résultats différents, tout ça parce qu'on raisonne dans une enveloppe qui est fermée, qu'on ne peut pas dépasser, qui est les 105 milliards votés par l'Assemblée nationale. Donc je les appelle à la raison et leur dis « Allez, tout le monde au boulot ! En ce moment, les Français ont besoin d'être soignés d'abord et avant tout ».

SONIA DEVILLERS
Merci Monsieur le ministre.

FREDERIC VALLETOUX
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 avril 2024