Texte intégral
Bonjour à toutes et à tous.
Je suis très heureux d'ouvrir vos débats sur la remise du rapport que va présenter dans quelques instants Christian Noyer sur l'Union des marchés de capitaux.
Je voudrais d'abord remercier Christian Noyer et ses équipes pour la qualité du travail qui a été exécuté, pour leur engagement sur ce sujet qui peut paraître aride et qui est en fait un sujet dont dépend la prospérité et le caractère fructueux de l'Europe dans les décennies qui viennent.
Et quand je vois le nombre et la qualité des personnes qui sont présentes, le gouverneur de la Banque de France, Madame la présidente de l'AMF, les représentants de l'Autriche, de l'Italie, des Pays-Bas, de la Commission européenne, les représentants des banques, des fonds d'investissement, d'Europlace.
Je me dis que tout ça montre à quel point toute la communauté financière nationale et internationale est mobilisée sur l'Union des marchés de capitaux.
Et je ne vais pas déflorer le discours important que fera le Président de la République dans quelques instants, mais cela ne m'étonnerait pas que le Président de la République en parle lui-même dans son discours.
Il a eu l'occasion de l'évoquer au prochain Conseil européen et nous sommes tous mobilisés jusqu'au plus haut niveau de l'Etat pour que cette Union de marchés de capitaux devienne une réalité, pas dans les années, mais dans les mois qui viennent.
Et pour être maintenant depuis 7 ans en fonction et m'être battu depuis 7 ans pour cette Union des marchés de capitaux, je sens que le moment est venu où nous allons enfin voir émerger une Union des marchés de capitaux et que nous allons enfin arriver à dépasser les réticences de certains Etats membres qui ont encore des doutes. Et ces doutes, nous arriverons, j'en suis certain, à les surmonter.
Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes à un moment très particulier de l'histoire européenne, à un moment de grande bascule géopolitique, technologique et climatique ; géopolitique avec le retour de la guerre en Europe et l'agression du régime russe contre l'Ukraine ; technologique, avec l'intelligence artificielle, avec la recherche des réacteurs à fusion, avec le développement du calcul quantique qui me donne le sentiment, je peux me tromper, mais c'est ce que je crois profondément, que nous connaîtrons plus d'inventions révolutionnaires dans les 20 prochaines années que nous n'en avons connu dans les 50 dernières. Climatique, avec une accélération du changement climatique qui soulève des problèmes humains, économiques et financiers absolument considérables.
Cette bascule géopolitique, technologique, climatique, elle appelle des investissements massifs qui se chiffrent en centaines de milliards d'euros. Face aux bouleversements géopolitiques, il faut évidemment investir dans la défense, investir dans les moyens militaires. Et comme l'a parfaitement dit Enrico Letta, il est temps que l'Europe produise ses propres capacités militaires et qu'elle arrête d'acheter 80% de ses capacités militaires aux Américains.
Des investissements technologiques parce que si nous n'investissons pas très rapidement et beaucoup plus massivement dans l'intelligence artificielle, et notamment dans les supercalculateurs, dans le stockage des données, demain, nous serons une colonie des Etats-Unis ou de la Chine. L'Europe n'a pas vocation à devenir une colonie numérique des Etats-Unis ou de la Chine.
Investir massivement aussi contre le réchauffement climatique et pour l'industrie verte, tout simplement parce que nos compatriotes exigent légitimement que nous changions de modèle économique pour avoir un modèle économique durable. Ces centaines de milliards d'euros, inutile de vous dire que vous ne les trouverez pas sur les comptes du Trésor français ou du Trésor italien ou du Trésor autrichien ou du Trésor néerlandais.
Nous, nous devons rétablir nos finances publiques. Cela ne veut pas dire que nous ne gardons pas une capacité d'investissement, c'est dans les dépenses de fonctionnement qu'il faut faire des économies. Il faut garder les dépenses d'investissement et nous en gardons.
Mais soyons lucides, ce n'est pas là que vous trouverez la manne financière indispensable pour financer ces investissements. Ces investissements, vous ne pourrez les trouver qu'en mobilisant massivement l'épargne des Européens.
Cette épargne, c'est 33.000 milliards d'euros. Sur ces 33.000 milliards d'euros, un tiers, un tiers vont financer des projets à l'étranger, vont financer des entreprises à l'étranger. Pour faire un raccourci et me faire comprendre, l'Europe épargne pour les pays étrangers qui investissent.
Ça ne peut pas durer comme ça. Et c'est ça l'enjeu de l'Union des marchés des capitaux. Dans le fond, c'est une union pour la mobilisation de l'épargne et l'investissement dans nos entreprises.
Mais ça suffit d'avoir notre argent, l'argent des épargnants qui part d'Europe pour aller financer des projets sur des continents étrangers ! Ça suffit cet argent qui dort sur des comptes bancaires et qui ne sert à rien à un moment où nous avons tant besoin d'investissements ! Ça suffit de voir des mobilisations de fonds étrangers sur une épargne qui devrait servir au financement de nos propres objectifs et de nos propres intérêts !
L'Union européenne doit devenir un géant des marchés de capitaux. Aujourd'hui, elle n'occupe qu'une part négligeable, 11% de la valeur mondiale, contre 45% pour les Etats-Unis. Voilà donc l'enjeu, il est très simple : soit nous faisons l'Union des marchés de capitaux, soit l'Europe ne trouvera pas sa place de puissance politique entre la Chine et les Etats-Unis au XXIe siècle.
On peut toujours critiquer la finance. Mais sans finance, il n'y a pas de projet, il n'y a pas d'investissement, il n'y a pas d'innovation et il n'y a pas de puissance. Et quand vous faites un rapide regard sur le passé, vous vous apercevez qu'il n'y a pas de puissance de nations ou de continents sans mobilisation de la finance.
L'Union des marchés de capitaux, c'est la mobilisation de notre épargne et de notre finance au service de la puissance technologique, scientifique, militaire, européenne. Voilà l'enjeu.
Une fois qu'on a posé cet enjeu et qu'on voit à quel point il est essentiel, comment est-ce que nous allons pouvoir avancer ? C'est très simple, nous avons maintenant une feuille de route. Elle a été définie parfaitement par Christian Noyer, et moi, je recommande de suivre la feuille de route qui a été proposée et mise en place par Christian Noyer.
Le premier objectif doit être d'abord de réduire la fragmentation réglementaire entre les pays. Si on veut une union, il faut une seule règle. Aujourd'hui, il y a 27 séries de règles. Il y en a autant qu'il y a de membres de l'Union européenne.
Première recommandation, elle est indispensable à suivre : réduire la fragmentation réglementaire entre les pays.
Qu'il s'agisse des droits des faillites, qu'il s'agisse des règles qui s'appliquent aux produits financiers, qu'il s'agisse des règles portant sur les services bancaires ou sur les services commerciaux, nous devons avoir les mêmes règles partout en Europe.
Alors, je sais que c'est long. On a mis des années avant de parvenir à avoir une seule règle pour les prises et les commutateurs. Nous avons mis des années pour parvenir à une seule règle sur les formats de batteries électriques. On doit faire exactement la même chose pour les produits financiers que ce que nous avons fait pour les produits industriels.
Il faudra ensuite, deuxième étape, diversifier les sources de financement avec un développement de l'offre de financement de marché en fonds propres ou par la dette qui pourra augmenter les volumes de financement disponibles et compléter le crédit bancaire qui, lui aussi, ne pourra évidemment pas suffire. Tout cela doit nous permettre de franchir les deux premières étapes indispensables pour la mobilisation des capitaux.
Troisième chose, il faut que nous ayons un objectif chiffré. L'objectif chiffré, c'est d'atteindre, d'ici 2030, 600 milliards d'euros de levée de fonds chaque année en Europe. Voilà ce que doit nous permettre d'atteindre l'Union des marchés de capitaux.
Je le dis, l'Union des marchés capitaux est trop théorique, il faut arriver à la rendre pratique, concrète, lisible pour nos compatriotes. J'ai mentionné le montant des investissements indispensables pour réussir la transition climatique, réarmer le continent européen et investir dans l'innovation des centaines de milliards d'euros.
Fixons-nous comme objectif, avec l'Union des marchés de capitaux, de mobiliser chaque année 600 milliards d'euros. 600 milliards d'euros, ce n'est pas loin de ce qui est estimé par la Commission européenne pour mener les seules transitions écologiques et numériques, 800 milliards d'euros.
Il restera la question du financement de la défense et de l'industrie de défense qui est fondamentale et dont j'ai peur qu'elle devienne de plus en plus nécessaire dans les mois et dans les années à venir, au fil de l'augmentation des risques géopolitiques.
Mais si déjà, nous atteignons chaque année, en 2030, 600 milliards d'euros de levée de fonds avec l'Union des marchés de capitaux, on est tout près de la cible de 800 milliards d'euros pour financer les investissements à la transition écologique et les investissements dans la transition numérique.
Après, concrètement, il faut mettre en place des produits qui nous permettront de mobiliser cette épargne et de répondre aussi aux attentes de nos concitoyens qui doivent écouter nos débats avec stupéfaction en disant : mais le ministre de l'économie et des finances, de quoi il parle ? Qu'est-ce que c'est que son truc ?
Nous avons des marchés de capitaux, comment ça va fonctionner ? Et pour moi, qu'est-ce que ça veut dire ? Pour moi, citoyen européen, qu'est-ce que ça veut dire ?
Ça doit dire une chose : un nouveau produit d'épargne. Et c'est mon premier objectif. Mon premier objectif comme ministre de l'économie et des finances, c'est que d'ici 2027, nous soyons en mesure de proposer dans le réseau bancaire européen un produit d'épargne pour que, concrètement, le citoyen européen voit ce que ça veut dire. Il a son livret A et son livret de développement durable, il a son produit d'assurance vie ou d'autres produits qui peuvent exister en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche, en Belgique ou ailleurs.
Mais imaginez ce que ce sera le jour où il y aura un produit d'épargne européen avec les mêmes règles, avec le même retour, avec la même fiscalité qui sera proposée à l'ensemble des citoyens européens. Tout d'un coup, l'Union des marchés de capitaux prendra corps. Elle aura une forme, elle aura une vie, elle sera tout simplement dans la poche de chacun des citoyens européens. Donc c'est pour moi un objectif absolument majeur.
Je l'ai déjà proposé à un certain nombre d'Etats membres. Je propose que nous retenions la fiscalité la plus avantageuse de chacun des Etats membres lorsque nous mettrons en place ce produit d'épargne pour qu'il soit extrêmement attractif ; il faut le faire décoller. Et pour faire décoller un produit d'épargne, c'est très simple : vous prenez la fiscalité la plus avantageuse et vous mettez les critères de déblocage les plus simples possibles.
J'ai une petite expérience dans le sujet. J'ai créé ici le produit d'épargne retraite. On a rassemblé une douzaine de produits d'épargne retraite qui existaient, qui avaient tous une fiscalité, des règles de déblocage qui étaient différents, la sortie en rente, la sortie en capital.
Je me souviens très bien, Monsieur le Directeur général du trésor, vous ne l'étiez pas à l'époque, de l'opposition totale des agents du Trésor à mes propositions. Votre fiscalité est trop avantageuse. Il faut impérativement décider à la place de l'épargnant s'il sort en rente ou s'il sort en capital parce que l'épargnant est imprévoyant.
J'ai dit : écoutez, l'épargnant fait bien ce qu'il veut ; sortir en capital ou en rente, c'est lui qui décide. La fiscalité, on va prendre la plus avantageuse. On avait fixé 3 millions d'objectif pour le produit d'épargne retraite, on en a aujourd'hui 11 millions.
Donc, nous allons appliquer aux produits d'épargne européens exactement la même méthode : la fiscalité la plus avantageuse, les règles les plus simples, la sécurité la plus grande. Et vous verrez que ce produit d'épargne européen sera le visage concret de l'Union des marchés de capitaux. C'est mon objectif d'ici 2027.
Et je rassemblerai d'ici quelques semaines les acteurs européens qui sont prêts à avancer dans ce domaine.
Le deuxième sujet est plus technique, mais il est fondamental, c'est la supervision unique. Il y a trop de supervisions des marchés financiers. Enfin, quel sens ça a de dire qu'on a une union des services, une union des biens, une libre circulation des personnes, mais que sur les marchés financiers qui sont, je le redis, fondamentaux pour le développement économique, nous avons quasiment autant de supervision qu'il y a d'Etats membres. Il faut donc que nous engagions, sans délai, une revue des besoins de supervision.
Je souhaite que cette revue des besoins de supervision permette d'instaurer une supervision directe, unique, de tous les acteurs financiers européens : bourses, dépositaires centraux ou grands gestionnaires d'actifs. Le superviseur unique est la condition du succès de l'Union des marchés de capitaux.
Alors, je connais les réticences sur ce sujet d'un certain nombre d'Etats membres, en particulier d'Etats qui sont particulièrement proches de la France. Mais je suis quelqu'un de très entêté quand je pense qu'une idée est bonne. Il ne peut pas y avoir d'Union des marchés de capitaux sans supervision unique.
Nous devons donc lever les obstacles à cette supervision directe, unique. Je suis convaincu que nous pouvons y parvenir, là aussi, d'ici 2027.
Troisième étape essentielle, là aussi, elle est technique, mais pour tous nos amis banquiers qui sont présents, ils savent à quel point c'est une condition du succès de l'Union des marchés de capitaux, c'est la titrisation. La titrisation, pour refaire simple, c'est la transformation de créances toutes diverses, variées, de tailles diverses et variées, en produits uniformes qui peuvent être attractifs pour les marchés.
Cela permettra de valoriser l'expertise des banques dans la sélection du risque.
Cela permettra d'accompagner les projets, d'augmenter leur capacité de financement. Cela permettra de mobiliser les marchés financiers. Il est donc indispensable d'ajouter à notre shopping list la titrisation en plus de la supervision et du produit d'épargne unique Européen.
Je veux donc que nous réformions en profondeur le cadre réglementaire européen de la titrisation. C'est un élément de mobilisation de l'argent des banques absolument fondamental.
Voilà pour les étapes que je vous propose. D'abord, un produit d'épargne. Il doit être disponible le plus vite possible et être le plus attractif possible. La supervision unique sur laquelle l'union des marchés de capitaux restera bancale. Et la titrisation qui permettra de mobiliser l'argent des banques.
Reste ensuite la question de la méthode. Comment est-ce que nous arrivons à convaincre chacun d'avancer ? D'abord, en expliquant ce que je viens de faire là, et je suis très heureux de voir qu'au niveau des chefs d'Etat, au dernier Conseil européen, il y a eu une véritable avancée sous l'impulsion du Président de la République et du Chancelier Olaf Scholz.
Je continue à penser qu'une unité des Vingt-Sept est possible sur ce sujet. Les conclusions du conseil du 17 et 18 avril sont très claires sur ce point. Un nouveau conseil en juin permettra de se pencher à nouveau sur la question de l'Union des marchés de capitaux.
Je veux néanmoins être très clair : si tout le monde ne veut pas avancer, nous avancerons à quelques-uns. Mais il n'est pas question de laisser maintenant ce chantier de l'Union des marchés des capitaux en jachère.
Et je ne laisserais pas quelques Etats prendre en otage l'avancée indispensable de l'Union des marchés de capitaux pour l'économie européenne, pour la puissance politique européenne, pour la transition climatique européenne et pour la puissance militaire de l'Union européenne. Il y a urgence.
Nous avons trop attendu, trop discuté et pas assez décidé, trop échangé et pas assez progressé sur des réalisations concrètes.
Soit nous avançons à 27 dans les mois qui viennent, soit je proposerai que nous avancions à quelques-uns, les plus déterminés, les plus lucides sur les enjeux européens pour garantir aux 450 millions de citoyens européens qu'ils pourront vivre une vie aussi prospère et aussi sûre que les citoyens du continent chinois ou du continent américain.
Merci à toutes et à tous.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 30 avril 2024