Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 19 avril 2024, sur la délinquance des mineurs.

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Média : RTL

Texte intégral


AMANDINE BEGOT
Bonjour Monsieur le ministre et bienvenue sur RTL. Merci d'être avec nous ce matin. Vous avez une carrière d'avocat exceptionnelle, 36 ans au barreau, 145 acquittements. Vous avez passé votre vie à expliquer, à comprendre, à défendre des délinquants ou des criminels présumés. Quand vous avez entendu hier le Premier ministre dire " la culture de l'excuse, c'est terminé ", vous approuvez ? Vous dites banco ?

ERIC DUPOND-MORETTI
J'ai défendu beaucoup de victimes aussi, madame. Tant qu'à retracer une carrière, autant le faire complètement. Mais la culture de l'excuse, ça signifie quoi ? Ça ne signifie pas qu'on oublie qu'un gamin est un gamin. Ça ne signifie pas qu'on oublie que certains sont privilégiés par rapport à d'autres. Ça ne signifie pas que l'on oublie des différences sociologiques que l'on retrouve dans une traduction judiciaire. Le gamin qui a été en général aimé, qui vient d'un milieu culturel favorisé, il a moins de risques d'être délinquant qu'un autre. Ça ne signifie pas cela dans la bouche du Premier ministre, mais ça signifie en revanche qu'il faut regarder les choses avec lucidité. Que la délinquance des mineurs a évolué, qu'elle est plus violente qu'autrefois, qu'il y a un certain nombre de facteurs auxquels nous n'avions pas été confrontés : les réseaux sociaux peuvent expliquer un certain nombre de choses. Le malaise psychologique, psychiatrique des adolescents qui est un vrai problème, donc il y a un certain nombre de facteurs nouveaux qui nous conduisent vers une délinquance nouvelle et on ne peut pas rester les bras ballants.

AMANDINE BEGOT
Il faut de nouveaux instruments et parmi les pistes évoquées hier, il y a la question d'abord des parents. On va reprendre chacune des pistes et des mesures annoncées par le Premier ministre et les détailler, les expliquer. Réprimer les parents démissionnaires, Eric DUPOND-MORETTI, ça fait des mois qu'on en parle ; vous notamment, ici même après les émeutes l'été dernier. On avait parlé de sanctions, de travaux d'intérêt général pour les parents démissionnaires. Ça existe, on est d'accord. Vous souhaitez que ce soit systématique aujourd'hui ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, on ne peut pas le résumer comme ça. Pardonnez-moi de vous le dire, c'est par trop manichéen et un peu caricatural, si vous me permettez cela comme réponse. Bien sûr qu'on a déjà travaillé, évidemment, et on ne part pas de rien. S'agissant des mineurs, je veux rappeler qu'on a fait voter et qu'on a porté le code de justice pénale des mineurs qui a pour premier effet de juger beaucoup plus vite. Et le taux de réponse pénale, s'agissant des mineurs, il est de 99% donc ça n'est pas rien. On a déjà travaillé. Il y a un certain nombre de mesures, vous avez raison de le dire, qui existent. Il faut qu'on en mettre d'autres en place et moi, je suis tout à fait favorable à cette idée du président de la République qui est d'insérer cette réflexion dans un cadre. Pourquoi dans un cadre ? D'abord parce que nous sommes en majorité, et vous le savez, aujourd'hui relative, et qu'il faut qu'un certain nombre de ces mesures soient évidemment consensuelles pour avoir une chance de passer. Je parle bien sûr des mesures législatives. Et enfin, parce que la délinquance des mineurs et les phénomènes auxquels nous assistons, ça concerne tout le monde. Donc nous distinguons en réalité les parents défaillants et il faut rappeler que tout commence dans la famille. Dans la famille, puis dans l'école, puis dans la société, le travail, etc etc. Donc il faut que l'on sanctionne davantage les parents défaillants et que l'on aide davantage les parents dépassés en faisant un vrai distinguo entre les deux.

AMANDINE BEGOT
Les parents dépassés, on les aide notamment avec cet internat. C'est ça l'une des solutions ? Vous serez à Nice lundi, aux côtés du Premier ministre, pour visiter l'un de ces établissements. On a bien compris le principe : l'idée, c'est d'extraire un jeune avant qu'il ne tombe dans la délinquance, de soulager des mamans qui sont souvent seules à éduquer leurs enfants. Mais comment ça va se passer ? Qui va décider de ce placement et surtout, ce sont des internats dédiés où il n'y aura que des adolescents dans cette situation-là ou ça peut être des places un peu partout en France ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Vous avez résumé en quelques mots l'idée mais cette idée, elle nous est venue à la suite d'une vraie réflexion. Le président de la République m'avait interpellé un jour, et c'était bien légitime, en me disant " mais comment on appréhende aujourd'hui un gamin de douze ans qui n'a pas encore commis d'infraction ? " Ça, c'est très important parce que s'il commet une infraction…

AMANDINE BEGOT
Il est pris en charge, judiciarisé.

ERIC DUPOND-MORETTI
Il est pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse d'abord, ou qui n'est pas totalement en danger, et c'était une vraie question. Et la réponse que nous apportons à cette question, c'est l'autorité parentale. Parce que vous élevez votre gamin, vous êtes seul par exemple, et d'ailleurs on a vu que 60% des émeutiers étaient élevés par une maman solo qui peut avoir besoin d'aide. Ça, c'est le volet social des mesures. Donc on va voir cette maman et on lui dit " Madame, est-ce que vous souhaitez que l'on vous aide ? " Si la réponse est oui et si on a au bas d'une page une signature de délégation de l'autorité parentale, on peut prendre ce gamin et puis le placer dans un internat. On a 50 000 places qui sont disponibles…

AMANDINE BEGOT
Mais ce sont des internats dédiés ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Attendez, non. Non Madame, on a 50 000 places qui sont disponibles. Le Premier ministre l'a dit depuis longtemps dans sa déclaration de politique générale. Et ce gamin, qu'est-ce qu'on lui donne au fond ? D'abord, on l'extrait d'un milieu qui peut être criminogène et on le fait avant qu'il entre en délinquance. Et puis on lui rappelle quelques valeurs de la République. C'est une autorité que je veux à cet âge-là évidemment bienveillante. On aura des militaires, on aura des policiers, on aura des gendarmes, on aura de l'éducatif. On aura bien sûr, et c'est un rôle important, de la protection judiciaire de la jeunesse mais c'est un autre encadrement. Et on dit à cette femme " Madame, est-ce que vous voulez un coup de main ? " Et les mamans disent oui. Et c'est ça qu'avec le Premier ministre, on va aller voir à Nice parce que c'est d'ores et déjà mis en place mais on est pour le moment, j'allais dire, à titre expérimental. Donc moi j'ai l'honneur, lundi, de descendre avec le Premier ministre. On va aller voir ce qu'on a mis en place.

AMANDINE BEGOT
Qui est déjà en fonctionnement aujourd'hui ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais à Nice pour le moment, et on va l'étendre partout en France. Et on va dire aux parents, et je profite de ma présence à ce micro pour dire aux mamans qui sont dépassées : on est à vos côtés et on va vous donner un coup de main. Parce qu'on a des mamans qui nous disent " mais moi, je n'y arrive plus " ; et en général, ce sont des femmes modestes. Ce sont des femmes qui peuvent travailler la nuit dans les bureaux pendant que nous, nous dormons - Pardon de le dire mais les femmes de ménage en particulier, qui ont du mal - et on vient en aide. Et puis il y a un volet répressif, responsabilisation des parents qui ont démissionné.

AMANDINE BEGOT
Sur le principe, vous l'avez déjà dit, un enfant de douze ou treize ans n'a rien à faire dans la rue à 21 heures ou 22 heures sans un adulte, on est d'accord. Pourquoi ne pas décréter un couvre-feu partout, tout le temps ? C'est ce que réclament beaucoup d'élus.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais, on envisage un placement de nuit pour les mineurs. Ça n'existe pas, ça fait partie des mesures.

AMANDINE BEGOT
Mais pour ceux qui ont déjà un problème. Mais pourquoi on ne dirait pas " un enfant n'a pas à être dans la rue à 22 heures seul " ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, le juge des enfants pourra décider. Qu'il intervienne dans le cadre civil ou dans le cadre pénal, un placement de nuit ça n'existait pas. Et les émeutes, pardon de le rappeler mais les auditeurs le savent, elles se sont déroulées la nuit. On ne va pas fracasser des magasins en plein jour. Donc ça, c'est une mesure nouvelle, elle est importante. Je pense que c'est bien plus efficace que le couvre-feu, voyez-vous, même si le couvre-feu est un outil dont on peut se servir.

AMANDINE BEGOT
Donc chaque maire peut se servir.

ERIC DUPOND-MORETTI
Et pas de façon systématique.

AMANDINE BEGOT
Le Premier ministre s'est dit prêt à ouvrir, par ailleurs, le débat sur l'excuse de minorité. Ça, c'est l'autre gros volet qui va concerner votre ministère. Face à la délinquance de masse, nos règles pénales doivent s'adapter, tout ça dans le respect de la Constitution. Est-ce que c'est vraiment possible ? Est-ce que c'est souhaitable surtout ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors Madame, on va dire ce qu'est l'excuse de minorité d'abord, pour les auditeurs qui nous écoutent.

AMANDINE BEGOT
Oui. On divise la peine par deux - je simplifie avec un raccourci – mais on divise la peine par deux…

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, Madame.

AMANDINE BEGOT
Mais effectivement, les mineurs délinquants aujourd'hui sont punis quand il faut qu'ils le soient.

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, il faut que j'y ajoute une autre nuance, pardon : on ne peut pas déroger à cette excuse de minorité pour les mineurs entre treize et seize ans, d'accord ; on ne touche pas. Pour les mineurs de 16 à 18, il y a cette règle : on divise la peine par deux sauf si le juge…

AMANDINE BEGOT
Le décide.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, sauf si le juge décide de ne pas accorder. Alors il y a eu par le passé…

AMANDINE BEGOT
C'est très rare.

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est très rare mais ça arrive. Ça prend en considération à la fois la gravité des faits et la personnalité de l'auteur. Savoir s'il a déjà été condamné, etc, ça existe.

AMANDINE BEGOT
Mais vous êtes favorable à ce qu'on évolue sur ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Attendez deux minutes, ce n'est pas tout à fait fini puisqu'il faut être clair, il faut être précis. J'imagine que tous les auditeurs qui sont là et qui vont au boulot ne savent pas ce que c'est que l'excuse de minorité. On a déjà dérogé à ce principe en 2007 notamment, en disant quoi ? En disant désormais il n'y a plus d'excuse de minorité pour les 16-18, mais le juge peut l'accorder. On a inversé le principe, vous voyez, et la Constitution n'a pas été, comment dirais-je, violée. On a une décision du Conseil constitutionnel qui est très claire à ce propos. Tout ça, ça s'examine. Tout ça, ça se regarde.

AMANDINE BEGOT
Mais vous, votre conviction à vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ma conviction à moi, Madame, moi je rentre dans un processus auquel j'adhère totalement. Le président de la République a rappelé la concertation indispensable, mon avis pour le moment a peu d'importance parce que si je vous dis " voilà toutes les mesures qui ont été arrêtées ", vous allez me dire et vous aurez raison " mais enfin, Monsieur le ministre, vos concertations, c'est du pipeau ". Donc ce n'est pas du pipeau que l'on veut faire, on veut faire de vraies concertations, on veut discuter de l'ensemble des sujets. Rien n'est exclu, tout est sur la table. Ce que l'on veut, Madame, 8 semaines a dit le Premier ministre, c'est avoir un panel de mesures efficientes, efficaces et applicables.

AMANDINE BEGOT
Et d'un mot, parmi les mesures qui seront prises avant ces 8 semaines, il y a celles qui concernent la lutte contre les séparatismes. Quand on agresse quelqu'un en raison du non-respect de principes religieux, ce doit être retenu comme une circonstance aggravante. Le Premier ministre l'a dit, vous allez prendre une circulaire en ce sens. C'est pour quand ? Ces prochains jours ? Aujourd'hui, demain ?

ERIC DUPOND-MORETTI
C'est en train d'être préparé. Ce sera à la signature dans quelques jours, oui.

AMANDINE BEGOT
Ça veut dire que ça peut concerner des cas des affaires récentes. Je pense au jeune Shamseddine par exemple à Viry-Châtillon.

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui. Très clairement, on agresse quelqu'un parce qu'il est juif, cette discrimination est une circonstance aggravante. Mais on agresse quelqu'un parce qu'il n'a pas fait le ramadan par exemple…

AMANDINE BEGOT
Ou pas porté le voile.

ERIC DUPOND-MORETTI
Ça peut être retenu mais ça ne l'est pas toujours, et c'est ce que je vais rappeler aux procureurs dans cette circulaire qui va sortir dans les, j'allais dire dans les heures qui viennent. Elle est en préparation. On a déjà évoqué ces questions dans les nombreuses réunions qu'on a eues sur cette question fondamentale d'une meilleure prise en charge de la délinquance des mineurs.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup Eric DUPOND-MORETTI.

YVES CALVI
" La délinquance des mineurs est plus violente qu'autrefois, on ne peut pas rester les bras ballants ", vient de nous dire le garde des Sceaux, Eric DUPOND-MORETTI.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2024