Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Bilan des politiques publiques de défense et de promotion de la laïcité ".
Ce débat, organisé à la demande du groupe Socialistes et apparentés, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être auditionnées. La conférence des présidents a décidé de l'organiser en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, puis, après une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Monsieur Guedj, je vous remercie pour votre invitation qui me permet de prendre la parole sur la laïcité, ce que j'ai rarement eu l'occasion de faire. Cette thématique relève pourtant de mon portefeuille citoyenneté, qui est très large, même si elle concerne tous les ministères – peu de sujets sont aussi transversaux.
La laïcité ne doit pas être perçue comme une accumulation de règles contraignantes, polémiques et visant à lutter contre une religion, un culte ou une communauté – c'est évident mais cela va mieux en le disant.
En France, la laïcité s'est construite pour donner un socle solide, une assise commune à l'idéal républicain : liberté – l'État garantit à tous la liberté de croire, de ne pas croire, de ne plus croire et de changer de religion –, égalité – l'État laïque est un État impartial, qui n'avantage ni ne désavantage personne du fait de son appartenance religieuse –, fraternité – la laïcité impose le respect par tous des choix et des croyances de chacun, dans un idéal partagé de citoyenneté. La laïcité est donc le socle des valeurs qui nous réunissent.
Pourtant, force est de constater que ce modèle de vivre-ensemble est malheureusement mal connu, mal compris, souvent malmené ou instrumentalisé. Le consensus social autour de la laïcité s'érode, ce qui l'expose à des attaques communautaristes qui le fragilisent. Les administrations, les services publics – l'école, l'hôpital public – sont des sanctuaires républicains où la neutralité est de mise – c'est la loi. L'université est aussi en proie à des tentatives de pressions communautaires. Je l'affirme avec force : l'université est non le lieu de la prise en otage idéologique,…
M. Jean-Paul Lecoq
C'est le lieu du débat !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
…mais celui du partage, des savoirs, de la mesure et du discernement. Les pressions doivent être combattues, les règlements des établissements respectés et la loi appliquée. Le voile intégral est interdit partout sur le sol français, tout comme les lieux de prière non déclarés : c'est la loi de la République, qui s'applique à tous.
Si le consensus social autour de la laïcité tend à s'éroder, il continue malgré tout à exister. La dernière étude de l'institut de sondage Viavoice le prouve : plus de sept Français sur dix se déclarent attachés à ce principe républicain. La variation générationnelle est toutefois très marquée : si 85% des 65 ans et plus se déclarent attachés à la laïcité, ils ne sont que 65% chez les 18-24 ans. Par ailleurs, près de 40 % des Français souhaiteraient que le sujet soit plus fréquemment abordé et expliqué. Il y a donc une demande de l'opinion publique pour davantage de pédagogie.
Pour répondre à cette exigence d'action et de clarté des Français à notre égard, nous disposons désormais d'outils pour protéger, promouvoir et diffuser le principe de laïcité plus efficacement. Pour rester un trait d'union et garantir la concorde civile et républicaine, la laïcité doit s'adapter aux évolutions de la société française.
Sur le plan juridique, la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République met en place un nouveau cadre destiné à assurer la pleine application de la laïcité à l'ensemble des missions de service public, y compris celles confiées à des entreprises privées sélectionnées lors de marchés publics. Elle permet aussi d'apporter une réponse pragmatique à chaque problème constaté sur le terrain – je pense au déféré laïcité ou au réseau des 17 000 référents laïcité chargés de relayer cette politique publique au sein de leur administration. La création de nouveaux délits, comme celui de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle, répond à notre stratégie visant à améliorer la protection des élus et des agents publics menacés dans leur activité quotidienne. Cela participe à la défense du socle des valeurs essentielles auxquelles nous sommes tous profondément attachés.
Depuis 2021, nous disposons de nouveaux outils dont nous encourageons l'utilisation, y compris par les services de l'État. Je citerai un seul exemple, récent : dans une circulaire adressée aux membres du parquet le 29 avril 2024, le garde des sceaux a rappelé la nécessité d'assurer un traitement prioritaire aux infractions commises à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une religion, dans un contexte séparatiste ou d'atteintes au principe de laïcité.
La laïcité n'est pas qu'un principe juridique, c'est aussi une politique publique, que l'État mène tant au niveau du Gouvernement que de l'administration. En juin 2021, le Gouvernement a créé le comité interministériel de la laïcité, placé sous l'autorité du Premier ministre. Cette instance politique, décisionnelle et opérationnelle réunit les ministres concernés afin d'orienter et de promouvoir la politique publique de la laïcité au sein des administrations de l'État et des collectivités territoriales. Ce comité interministériel pourrait être utilement complété par la nomination d'un référent laïcité au sein de chaque cabinet ministériel pour nourrir ce dialogue qui suscite de fortes attentes – c'est une proposition que je formule.
Le secrétariat d'État placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé de la citoyenneté, s'occupe du suivi proprement politique – j'ai l'honneur d'être à sa tête. Il permet de piloter au quotidien la politique publique de la laïcité et de lui offrir une visibilité auprès du grand public mais aussi auprès des partenaires concernés par les questions de laïcité.
Troisième acteur, administratif celui-ci, le bureau de la laïcité relève de la sous-direction des cultes et de la laïcité au sein de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Ce bureau fondé fin 2021 anime et coordonne le travail interministériel mené sur la laïcité, ce qui permet de la promouvoir en fournissant une expertise juridique, politique et sociale au ministère de l'intérieur et des outre-mer, aux autres administrations et au grand public. Il administre aussi le site officiel du Gouvernement laicite.gouv.fr.
Le comité interministériel de la laïcité s'est réuni pour la première fois le 15 juillet 2021 pour valider les orientations de l'action du Gouvernement. À cette occasion, dix-sept décisions ont été prises – plusieurs découlaient directement de la loi CRPR. Elles constituent désormais la feuille de route commune des ministères. Ce plan d'action ambitieux esquisse des mesures que nous devons prendre pour renforcer la connaissance et la compréhension du cadre que fixe la laïcité.
Deux nouvelles obligations s'imposant aux administrations sont particulièrement importantes : former l'ensemble des agents publics au principe de laïcité et nommer un référent laïcité dans chaque administration, qu'elle relève de la fonction publique d'État, territoriale ou hospitalière, ainsi que dans les autres établissements publics.
La formation des agents publics est un sujet majeur ; ce sont les premiers à incarner et à défendre la laïcité dans le service public. Depuis 2021, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) met à la disposition de tous les agents publics la formation à distance Mentor. Une formation plus spécifique, en présentiel, est proposée aux agents les plus exposés aux problématiques de laïcité dans l'exercice de leurs fonctions. Cette formation très efficace, associant mises en situation et analyses pragmatiques de cas pratiques, est saluée.
Depuis 2021, tous les nouveaux agents se sont vu proposer une formation sur les fondamentaux de la laïcité. S'agissant des agents déjà en poste, le bureau de la laïcité du ministère de l'intérieur et des outre-mer comptabilise environ 570 000 agents formés entre 2021 et 2024. L'objectif est de former 100 % des agents d'ici à 2025, ce qui est ambitieux et inédit. Nous maintiendrons le rythme et garderons le cap pour continuer à atteindre cet objectif au-delà de 2025. En outre, depuis 2015, pas moins de 120 000 agents ont suivi la formation Valeurs de la République et laïcité dispensée par 2 200 formateurs habilités par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
Le bureau de la laïcité remplit son rôle d'animateur de l'action interministérielle portant sur la laïcité en éditant des guides pratiques sur le sujet à l'usage des professionnels. Le " Guide de la laïcité dans la fonction publique " est devenu un outil de référence, facilement accessible et concret – il a vocation à être actualisé le plus souvent possible. Ce guide commence par poser le cadre théorique grâce à des fiches telles que " Qu'est-ce que la laïcité ? ", " Qu'est-ce que la neutralité de l'État ? " ou " Qui sont les acteurs de la laïcité au sein de la fonction publique ? ". Il apporte ensuite des éléments de réponse aux problèmes les plus fréquemment rencontrés à travers une série de cas pratiques : " L'agent peut-il porter un signe religieux dans l'exercice de ses fonctions ? ", " Le comportement prosélyte d'un agent public envers ses collègues est-il permis ? ", " L'obligation de neutralité s'applique-t-elle durant le temps de pause ? " ou " Un candidat peut-il se présenter à un entretien de recrutement en portant un signe religieux ? ". Un autre document, intitulé " Comprendre la laïcité dans la fonction publique " et destiné aux agents publics, complète ce premier guide.
D'autres ministères que celui de l'intérieur et des outre-mer se sont emparés du sujet et ont produit d'autres guides, tout aussi utiles, à destination de leurs agents. En 2016, l'académie de Paris a ainsi publié le guide " Comprendre, enseigner et faire vivre la laïcité ", constamment remis à jour par les services du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse. La Conférence des présidents d'universités (CPU) – devenue France Universités – édite le " Guide de la laïcité à l'université ", dont la dernière actualisation date de 2023. Ces productions montrent que l'État et les administrations publiques sont plus que jamais mobilisés pour faire de la laïcité un cadre de pensée, d'action et de cohésion sociale connu et compris de tous. Il faut que ce concept revête le même sens pour tous.
Les professionnels ne sont pas le seul public visé par la politique publique de la laïcité. Parce qu'il est composé de citoyens de tous âges et toutes origines, aux parcours de vie divers, le grand public est une cible prioritaire. Les pouvoirs publics soutiennent et renforcent la pédagogie de la laïcité qui lui est destinée. Il me paraît fondamental de faire en sorte que le grand public comprenne mieux la laïcité pour qu'il puisse y adhérer davantage – c'est un principe exigeant, mais qui protège la liberté de conscience. À la fin de l'année dernière, j'ai présidé la remise d'un prix de la laïcité qui a mis en valeur de très belles initiatives, comme un concours d'éloquence dans un collège alsacien, ou une mallette pédagogique imaginée par les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Il y a quelques semaines, j'ai demandé au bureau de la laïcité du ministère de l'intérieur et des outre-mer de mettre en place un label des ressources en matière de laïcité, pour constituer un vade-mecum des bonnes pratiques qui fonctionnent concrètement sur le terrain. Ce vade-mecum rassemblera les supports, les contenus et les initiatives reconnus pour leur qualité et leur facilité d'accès ; ceux-ci seront mis à disposition de tous ceux qui souhaitent organiser des actions de sensibilisation, de promotion et d'échange autour de la laïcité. Cela va dans le sens de la pédagogie citoyenne de la laïcité.
L'année 2025 marquera les 120 ans de la loi de 1905. Un cycle mémoriel ponctué de nombreux événements marquants pourrait incarner aux yeux de nos concitoyens, en particulier pour les plus jeunes, une laïcité heureuse, source d'apaisement, de cohésion et de communion nationale.
Vous l'aurez compris, je suis pleinement déterminée à faire en sorte que la laïcité continue d'être le cadre collectif de notre liberté à tous ; une laïcité juste, apaisée, exigeante et bienveillante, pour reprendre les mots du Président de la République.
Depuis 2021, nous avons consolidé la prise en charge et l'organisation administrative et gouvernementale de l'action publique en matière de laïcité ; les résultats sont là. Nous devons poursuivre ces efforts dans tous les domaines, avec la société civile et le tissu économique, car c'est collectivement et non séparément que nous parviendrons à préserver les acquis républicains qui nous sont si chers.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions, dont la durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj (SOC)
Madame la ministre, vous êtes connue pour votre franc-parler : permettez-moi d'user ici du mien. Nous avons suscité ce débat précisément pour aller au-delà des paroles et voir comment elles se traduisent. Vous avez mentionné le comité interministériel de la laïcité : installé en 2021, il s'est réuni deux fois, en juillet et en décembre de la même année. Jean Castex, qui le présidait, avait alors annoncé qu'il se réunirait deux fois par an. Or il ne s'est réuni ni en 2022, ni en 2023, ni en 2024. Dès lors, comment accorder du crédit à une quelconque volonté politique en la matière ?
S'agissant des dix-sept mesures qui avaient été mises sur la table à l'époque de cette création, il nous a été confirmé, au cours de la table ronde précédente, qu'aucune réunion n'a été organisée pour mobiliser les associations d'élus locaux. Par ailleurs, le rapport des sénatrices Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien indique que l'objectif de formation de 100% des agents de la fonction publique d'ici à la fin de l'année 2025 est hors de portée. À peine 10% des agents des fonctions publiques territoriale, hospitalière et d'État ont été formés à ce jour. Quid des référents laïcité dans les fédérations sportives, que nous avons évoqués tout à l'heure ? Ce sujet irrigue d'autres secteurs que les seuls services publics.
Vous avez évoqué la politique en matière pénale, que nous avons également abordée avec Patrick Weil au cours de la table ronde précédente. L'article 31 de la loi de 1905 permet de sanctionner ceux qui font pression sur un individu qui croit ou qui ne croit pas ; vous l'avez toiletté dans la loi de 2021, mais aucune circulaire de politique pénale ne mentionne cet article – pas même celle que vient de prendre le garde des sceaux, le 29 avril dernier. Nous sommes pourtant convaincus que cet article constitue le levier adéquat. Nous avons le sentiment d'un recommencement permanent. Disposerons-nous d'un bilan complet des activités du comité interministériel de la laïcité, concernant les différents volets de son action ?
Enfin, je vous pose une dernière question, qui nous fait faire un léger pas de côté, mais qui est liée à ce débat. Le 29 mars dernier, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel Paty, s'est adressée au Premier ministre et à la ministre de l'éducation pour demander la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans la mort de son frère. L'État doit donner sa réponse avant le 17 mai. À ce stade, Nicole Belloubet a laissé entendre qu'elle ne voulait pas reconnaître la responsabilité de l'État dans l'assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste. Une réponse sera-t-elle bien apportée ? Correspondra-t-elle aux attentes des enseignants ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Monsieur Guedj, nous nous connaissons un peu : nous n'allons pas jouer à celui qui a la parole la plus directe. Vous m'avez demandé pourquoi le comité interministériel à la laïcité ne s'était pas réuni depuis 2021 : je ne saurais vous répondre. En revanche, je vous annonce que j'ai demandé au Premier ministre de présider sa prochaine réunion, qui se tiendra en fin d'année. Comme vous, j'ai été frappée de constater qu'il ne s'était pas réuni depuis 2021. Sans vouloir fournir des explications maladroites ou politiques, reconnaissons tout de même que des événements, comme la guerre en Ukraine, contribuent à expliquer cet état de fait. Quoi qu'il en soit, dès ma nomination, c'est l'une des premières choses que j'ai constatées. Je vous garantis qu'un CIL se réunira d'ici à la fin de l'année, ce qui nous permettra d'établir un bilan global.
Avec Stanislas Guerini, nous avons travaillé de concert à la formation des fonctionnaires à la laïcité. L'éducation nationale est l'administration qui compte le plus d'agents formés, avec un taux de 40% de formation. Cela montre que la volonté politique d'un ministre produit des résultats. Si nous sommes parvenus à ce taux de formation concernant les agents chargés de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous pouvons y parvenir dans les autres administrations.
Puis-je faire référence à mon ancien métier ? Afin de sensibiliser les jeunes et le grand public, mais aussi les administrations, j'ai proposé de réfléchir à la question suivante : que serait notre vie sans laïcité ? Nous ne devons plus avoir peur de montrer ce que serait notre société sans laïcité.
Vous avez évoqué Mickaëlle Paty, qui demande la reconnaissance par l'État de sa responsabilité dans la mort de son frère. Je laisserai bien évidemment ma collègue Nicole Belloubet lui répondre. À titre personnel, j'estime que le risque zéro n'existe pas ; j'aurais tout donné pour qu'un tel drame ne survienne jamais. Après…
Mme la présidente
Il faut conclure.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Votre question est vaste. Il est difficile de vous répondre en deux minutes. Le 17 mai, je suis sûre que l'État apportera une réponse assez ferme à cette sollicitation.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES)
Depuis la loi du 24 août 2021, l'octroi de subventions publiques aux associations et aux fondations est subordonné à la signature d'un CER. Force est de constater les dérives successives dans l'utilisation de ce dispositif par des préfectures et des collectivités qui décident, grâce à la marge d'appréciation laissée par le décret d'application, de retraits de subventions qui soulèvent des interrogations, quand ils ne sont pas retoqués en justice.
Il y a quelques mois, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté une demande du préfet visant à couper des subventions, y voyant un usage détourné et illégal de la procédure. En février 2022, le Planning familial a été visé par un maire, simplement pour avoir collé une affiche sur le droit des femmes où figurait, entre autres, une femme voilée. Là encore, le tribunal administratif a donné raison à l'association ; le Conseil d'État a confirmé cette décision.
Des associations ont attaqué le décret d'application en raison de cet usage manifestement illégal. Toutefois, le Conseil d'État s'est borné, sans plus de précisions, à rappeler l'obligation figurant dans la loi. Cette motivation est un peu légère, alors que le Conseil constitutionnel a considéré que l'obligation figurant dans la loi « vise les actions susceptibles d'entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques ».
Au-delà de notre appréciation sur la pertinence de la possibilité de retirer des subventions à une association, il faut reconnaître que le décret d'application est manifestement contraire à cette décision du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement compte-t-il, à tout le moins, revoir ce décret d'application pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel de ne viser que les troubles graves et non une simple affiche collée par une association ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Nous demandons en effet aux associations financées par de l'argent public de signer un contrat d'engagement républicain. Si elles ne le respectent pas, elles doivent rembourser les subventions versées.
S'agissant de l'affiche dont vous avez parlé, on peut penser à du prosélytisme ou du moins à un défaut de neutralité. Le critère que constitue le trouble à l'ordre public a été rappelé par le Conseil constitutionnel. Quoi qu'il en soit, il me semble judicieux que les associations, notamment sportives, conservent un cadre de neutralité.
Il n'a été fait recours à la procédure de déféré qu'une seule fois, parce que les préfets sont capables de déterminer à quel moment les associations ne respectent pas la loi et à quel moment recourir à cette procédure – ils assurent cette mission.
Coller une affiche justifie-t-il une sanction ou l'arrêt d'une subvention ? Oui, manifestement, puisque cette situation est survenue. Il faut en appeler à la nuance : si cette affiche a été signalée, c'est pour une raison précise. Ainsi, on a pu voir, dans des associations sportives, des actions relevant du prosélytisme ; on en a vu aussi à l'université. Porter un voile est autorisé par la loi, mais sortir un tapis de prière ou prier ne l'est pas, quelle que soit la religion – ne parlons pas uniquement de l'islam.
Le cadre de la loi est suffisamment clair et les membres du Conseil constitutionnel jugent en leur âme et conscience. En tout état de cause, je ne peux revenir sur de telles décisions, mais j'estime qu'il est important de respecter la loi.
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.
Mme Laure Miller (RE)
Ces derniers mois, l'actualité nous a durement rappelé à quel point il ne suffit pas d'inscrire dans le marbre une valeur pour qu'elle soit respectée, et à quel point notre démocratie, pour se défendre contre ses détracteurs, doit sans cesse se remettre en question pour rendre pleinement effectifs ses principes fondamentaux.
Bien sûr, la laïcité n'est pas le refus de la religion, pas plus que la neutralité n'en est la négation. Cependant, l'État est le protecteur de notre liberté de conscience. Lorsque la religion devient, pour certains, un véritable projet politique ; lorsqu'elle est utilisée comme un instrument de repli identitaire ; lorsqu'elle menace l'égalité entre les sexes, l'État doit intervenir pour marquer clairement et fermement la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.
Fort heureusement, il y a eu depuis vingt ans des évolutions juridiques : je pense non seulement aux actions conduites par Jean-Michel Blanquer en matière d'éducation, mais aussi à la loi de 2021, qui porte aujourd'hui ses fruits. Toutefois, deux freins majeurs entravent l'application pleine, entière et sereine de la laïcité en France.
Tout d'abord, certaines de nos élites, par lâcheté ou par rejet de la conception de la laïcité à la française, affaiblissent la bonne application de ce principe dans nos politiques publiques. Deux exemples récents en sont l'illustration : à la suite du retrait du proviseur du lycée Maurice-Ravel, le communiqué du rectorat de Paris évoque des convenances personnelles, alors que le proviseur était menacé de mort. Ce communiqué démontre que le " pas de vague ", reposant sur une certaine forme de lâcheté, existe toujours. Le second exemple est la présence, jusqu'à une date récente, de M. Alain Policar au sein même du Conseil des sages de la laïcité ; celui-ci considère le voile comme " […] souvent, un vecteur d'émancipation pour les jeunes filles ". Ces deux exemples démontrent que tout le monde n'a pas pris – ou ne veut pas prendre – la mesure de la pression fondamentaliste qui s'exerce, en particulier sur notre jeunesse.
La seconde entrave provient à l'inverse de la base. De toute évidence, l'État et les collectivités locales rémunèrent des personnes, pour des missions associatives, préventives et sociales exercées dans les quartiers, qui jouent contre la République et qui en contestent, sciemment ou non, les principes fondamentaux.
Comment soutenir et former davantage ceux qui font ce qu'ils peuvent dans ces quartiers, au quotidien ? Comment amplifier et systématiser les contrôles des structures accueillant des mineurs, afin de s'assurer que leurs intervenants respectent la laïcité et les valeurs de la République ? Enfin, que pensez-vous de l'idée d'élargir à ces structures l'application de la loi de 2004 sur le port de signes religieux ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
J'ai déjà évoqué la formation des agents du service public. Dans les politiques de la ville, les adultes-relais exercent le rôle de médiateurs. J'ai demandé qu'ils soient formés à la prévention de la délinquance, à la lutte contre la radicalisation, à la lutte contre les dérives sectaires et à la laïcité, dans le cadre de leur formation initiale. Parce qu'ils ont affaire à de jeunes publics, nous devons être certains de leur capacité à transmettre les valeurs de la République. Je suis très heureuse de pouvoir répondre ainsi à votre question.
Mme Amélie Oudéa-Castéra a annoncé l'amplification des contrôles dans les associations et les fédérations sportives. L'école en premier lieu et le cadre sportif ensuite, sont les deux secteurs dans lesquels les coups de boutoir portés aux valeurs de la République, notamment à la laïcité, sont les plus puissants. Bien évidemment, la préparation des Jeux olympiques a pu créer des retards, mais les contrôles, commencés en fin d'année dernière, vont s'amplifier dans ces structures.
Vous avez évoqué l'entrisme. Sans doute pensiez-vous à l'entrisme frériste, que j'identifie mieux qu'un autre et qui vise l'instruction, ainsi que les associations culturelles et sportives.
La lutte contre celui-ci est un enjeu important, tout comme la liberté de pratiquer un culte ou le fait de n'avoir pas à justifier de sa religion. Prenons mon cas : je suis de confession musulmane ; ce fait, tout à fait personnel, ne regarde personne.
Mme la présidente
Votre temps de parole est écoulé depuis longtemps, madame la ministre.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
J'y serai très attentive par la suite, madame la présidente, mais les questions fort intéressantes qui me sont posées invitent à de longues réponses.
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Odoul.
M. Julien Odoul (RN)
Il est véritablement choquant qu'une ministre de la République française fasse état de sa religion devant la représentation nationale. Votre confession vous appartient, madame la ministre, et vous êtes entièrement libre de la choisir, mais, comme vous le disiez à l'instant, elle ne regarde personne.
Je souhaitais vous poser une question au sujet de l'islamisme, problème qu'en quinze minutes de propos liminaire, vous n'avez pas du tout abordé : vous avez parlé de la laïcité, non de la principale menace pour nos valeurs républicaines. La laïcité n'est pas mise en péril par les vœux de joyeux Noël ou par les crèches, mais par l'avancée d'une idéologie mortifère qui s'attaque à notre école, à nos institutions, à nos associations, au monde du sport.
Je souhaitais évoquer avec vous les atteintes que subit l'école de la République. Le lycée Maurice-Ravel de Paris n'en est pas le seul théâtre : au collège Jean-Bertin de Saint-Georges-sur-Baulche, dans l'Yonne, le principal a voulu faire respecter le principe de laïcité en demandant à trois femmes qui s'étaient présentées voilées à une journée portes ouvertes et refusaient de se découvrir de bien vouloir quitter l'établissement. Il a été désavoué, lâché, par le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen), qui lui a demandé de s'excuser. Le recteur s'en est fort heureusement mêlé et a pris fait et cause pour lui, mais l'événement a jeté le trouble et fourni aux représentants locaux de La France insoumise l'occasion de le taxer de racisme et d'islamophobie, accusations qui reviennent à placer une cible dans le dos d'un directeur d'établissement.
Quand apporterez-vous votre soutien aux établissements, à leur direction, pour mettre un terme à de telles situations ? En outre, compte tenu des contournements manifestes et généralisés de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, estimez-vous nécessaire une étape supplémentaire : l'interdiction des signes religieux et politiques dans le cadre des activités, sorties et événements sportifs liés à l'éducation nationale ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je vois ce que sont les signes religieux, mais qu'entendez-vous par des signes politiques ?
M. Julien Odoul
Ma question était très claire.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
La loi de 2004 et la circulaire qui en a traduit l'esprit, seules références valables, interdisent les signes religieux à l'école, c'est-à-dire dans les écoles primaires, collèges et lycées. Rappelez-vous ce que disait de l'abaya le Premier ministre, alors ministre de l'éducation nationale. Si les signalements concernant le port de cette tenue ne nous sont pas parvenus par millions, leur nombre a été suffisant pour que Gabriel Attal prenne le problème au sérieux. Il s'est montré ferme ; vous ne pouvez me reprocher de ne pas en avoir fait autant. La religion relève du cadre privé, personnel ; elle se manifeste à la maison, et ce n'est là que pudeur. Nul ne saurait prétendre que nous n'avons pas apporté notre soutien aux proviseurs, aux instituteurs, à tous les représentants de la communauté éducative qui ont été agressés, bousculés ou menacés, et condamné les agissements dont ils ont été victimes.
Vous avez évoqué les signes religieux vestimentaires, parfois désignés sous l'appellation de modest fashion, qui permettraient de contourner les dispositions de 2004 : c'est une bonne chose que de laisser aux proviseurs, aux principaux et aux rectorats l'appréciation des faits et la responsabilité d'appliquer la loi.
M. Julien Odoul
C'est tout le problème !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Enfin, si je n'avais pas évoqué l'islamisme, c'est parce que je n'avais pas non plus été interrogée à ce sujet. J'ai préféré concentrer mon propos liminaire sur des aspects techniques de la question, car je souhaitais laisser de la matière au débat avec les parlementaires.
Mme la présidente
La parole est à Mme Ersilia Soudais.
Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES)
À la lecture du titre de ce débat, je me suis demandé de quelle laïcité il était question et quand la laïcité avait été pratiquée en France.
M. Maxime Minot
Oh !
Mme Ersilia Soudais
Pour moi, en tant que républicaine, la laïcité est celle de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, appliquée à la lettre : la garantie du libre exercice des cultes. Or, trop souvent, elle est invoquée pour masquer une forme d'islamophobie.
M. Éric Poulliat
L'islamophobie n'existe pas.
Mme Ersilia Soudais
Des maires issus du Rassemblement national refusent à des enfants un repas sans porc : islamophobie.
M. Éric Poulliat
Parler d'islamophobie, c'est reprendre un mot utilisé par les islamistes !
Mme Ersilia Soudais
Gabriel Attal fustige, à la dernière rentrée scolaire, le port de l'abaya et du qamis et détourne ainsi l'attention des véritables problèmes rencontrés par l'école ; la Fédération française de football s'en prend aux collants, aux casques ou à l'observation du ramadan par ses adhérents : islamophobie ! À force d'être instrumentalisée, la notion de laïcité s'abîme. La laïcité est censée permettre à tous de trouver leur place dans l'espace public, non de stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane. Certes, dans une société fragilisée par le capitalisme, il est toujours bon de désigner des boucs émissaires. Le mythe du choc des civilisations permet de faire oublier qu'un petit nombre d'individus possède autant que des millions d'autres.
M. Maxime Minot
Sommes-nous dans une caméra cachée ? Dans " Surprise sur prise " ?
Mme Ersilia Soudais
Cette instrumentalisation n'est pas sans conséquences : elle ferme à des jeunes filles de nombreuses portes, quand elle ne détruit pas leur avenir. La brillante Aya, qui étudie à Sciences Po, se passionne pour la politique. On lui dit qu'avec son voile, elle n'a aucun avenir dans ce domaine : même se présenter sur une liste aux élections municipales est impensable ! Pourquoi un bout de tissu devrait-il ruiner ses rêves ?
M. Éric Poulliat
C'est un signe religieux, pas un bout de tissu !
Mme Ersilia Soudais
Pendant ce temps, le réseau des Parents vigilants – chapeauté par l'extrême droite – infiltre l'école, mais qui s'en soucie ? Chers collègues, tant que vous resterez prisonniers de votre peur de l'étranger, de votre racisme primaire et de l'illusion d'une culture française qui n'a jamais existé, la laïcité ne sera qu'un synonyme de votre islamophobie.
M. Éric Poulliat
Encore une fois, ce terme est celui des islamistes.
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
M. Éric Poulliat
Bon courage !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Votre question me surprend : au nom de quoi parlez-vous des musulmans ? À quel titre vous faites-vous leurs défenseurs, leurs porte-drapeaux ?
Premièrement, vous mettez tout le monde dans le même panier. Deuxièmement, il me semble bien avoir rappelé que la loi autorise le port du voile, comme celui d'une croix ou d'une kippa, au sein des établissements d'enseignement supérieur. Cette disposition ne pose aucun problème, puisqu'elle s'applique à des citoyens libres et éclairés, qui ont obtenu le baccalauréat, premier diplôme du supérieur.
Troisièmement, vous mélangez absolument tous les sujets. Ne pas consommer de porc n'empêche en rien de manger autre chose. La liberté de penser, de croire, de manger ou de boire ce qu'on veut ne regarde personne, dans la mesure où elle s'exerce à la maison. Il en va autrement lorsqu'on se place, en France, dans le cadre de l'école et plus largement dans celui de la République. Vous appelez le voile " un bout de tissu " : je vous invite à vous rendre – j'ai vécu quelques années au Maroc – dans un pays où les femmes sont oppressées, menacées, condamnées, afin de les obliger à le porter.
M. Éric Poulliat
Un pays comme l'Iran, par exemple ?
M. Jean-François Coulomme
On ne parle pas de la burqa !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je ne peux vous laisser dire que ce n'est qu'un tissu, ni vous improviser porte-parole de celles qui ont choisi de le porter – ou de ne pas le porter. La législation impose un cadre. Vous parliez de la loi de 1905 : il est bon de la respecter. Je le répète, vous mélangez tout, vous empilez tout, à tel point que je ne sais comment vous répondre. Je me contenterai donc de réitérer ma question : de quel droit vous considérez-vous comme les porte-parole de la communauté musulmane ?
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane Viry (LR)
C'est une bonne chose que de parler de laïcité à l'Assemblée nationale, de faire le bilan des actions visant à promouvoir et à défendre l'un de nos universalismes. À l'heure où certains la contestent, voire s'y opposent, les mots d'un président de la République prônant une laïcité juste et apaisée paraissent faibles : la laïcité doit partout être puissante et proclamée.
Vous avez évoqué l'action du Gouvernement auprès des administrations d'État ou des collectivités territoriales : dont acte, des formations sont ainsi suivies et des guides publiés.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
Tout à fait !
M. Stéphane Viry
Je tenais à revenir sur les actions menées dans le monde de l'éducation, qu'elle soit nationale ou populaire. Les associations sont trop souvent le lieu d'un entrisme qui permet à certains de se livrer à un prosélytisme inacceptable : la laïcité est en effet plus qu'une valeur, elle constitue l'un des principes sur lesquels repose l'autorité de l'État. Dès lors que nous nous refusons à transiger à son sujet, qu'au contraire nous voulons nous en faire les hérauts, comment pourrions-nous, en dehors de quelques communications, disposer d'éléments portant sur le contrôle par les pouvoirs publics de leurs délégataires ? Je parle ici des associations, fondations, fédérations, structures d'éducation populaire, qui doivent se sentir protégées, aidées ou accompagnées. Ces contrôles doivent être objectifs, ne pas tourner à la chasse aux sorcières, mais il conviendrait que leurs résultats soient régulièrement, méthodiquement portés à la connaissance de l'opinion publique et à la nôtre. Il y va de l'acculturation à la laïcité.
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Vous avez raison : le principe de laïcité doit être proclamé, affirmé, parfois hurlé. En guise de bilan de l'action du Gouvernement et d'esquisse de celle qu'il continuera de mener, j'évoquerai la révision de la gouvernance des associations gérant un lieu de culture, prévue par la loi CRPR. Tous les décrets d'application de cette loi ont été pris et les avancées juridiques ont fait l'objet d'une circulaire d'application, afin de guider les services confrontés à l'application opérationnelle du texte – la désignation d'un référent laïcité, par exemple. Je crois beaucoup au réseau des référents. Ils sont déjà 17 000, et cet effectif pourrait croître, puisque ledit réseau a vocation à accompagner des millions de fonctionnaires. J'ai demandé au Premier ministre de présider le prochain CIL, car je suis convaincue que chaque ministère doit développer des actions de promotion et de défense de la laïcité. Je l'ai d'ailleurs déjà rappelé, 40% des agents du ministère de l'éducation nationale ont été formés.
Ce développement est d'autant plus important que tout relâchement encourage coups de boutoir, mises en cause, attaques et même viols – n'ayons pas peur de désigner la réalité telle qu'elle est – du principe de laïcité, des valeurs de la République. Vous l'avez rappelé, ces enjeux ne concernent pas seulement les administrations et le monde politique : la laïcité nous permet de vivre libres. J'ai proposé au ministre chargé de la fonction publique une campagne de sensibilisation, qui montrerait à chacun ce que serait sa vie sans les valeurs de la République, sans la laïcité. Quand bien même vous prendriez les pays anglo-saxons pour contre-exemple, je vous rappellerais que nous sommes français. À cet égard, vous voyez bien que…
Mme Hélène Laporte
Madame la ministre, votre temps de parole est écoulé.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Mon Dieu ! (Sourires et exclamations sur les bancs des groupes LFI-NUPES et GDR-NUPES.) Pardon, madame la présidente. Pour résumer, mieux le principe de laïcité est appliqué, moins nous faisons de concessions, plus nous sommes forts.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Brun.
M. Philippe Brun (SOC)
Ma question sera courte et simple. Le Président de la République a choisi, le 7 décembre dernier, de célébrer Hanoucca au palais de l'Élysée, en présence du grand rabbin de France. Cette célébration est-elle conforme au principe de laïcité, que votre ministère a vocation à défendre ?
M. Maxime Minot
Malin !
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je vous remercie de votre question, monsieur le député. Nous n'allons pas faire semblant de ne pas nous connaître ! Si vous me demandez mon avis, le Président a jugé bon…
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
On vous demande votre avis !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je ne vous rappellerai pas les dispositions de la loi, que vous connaissez aussi bien que moi. Après les attaques terroristes du Hamas, le contexte était tellement particulier – un moment de communion, empreint d'émotion – que le Président a souhaité envoyer à la communauté juive un message de paix. Je vous entends et je suis tout à fait consciente des réactions que cet événement a entraînées, alors que nous parlons séparation entre le fait religieux et la République. Cette réponse vous convient-elle ?
M. Jérôme Guedj
Je ne sais pas à qui elle conviendrait !
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Poulliat.
M. Éric Poulliat (RE)
Alors que l'on parle très régulièrement du rôle de l'école en matière de défense et de promotion de la laïcité, celui de l'université est plus rarement évoqué – vous l'avez néanmoins mentionné dans votre propos liminaire. Les étudiants étant majeurs, ils peuvent porter des signes religieux, créer des associations liées à leur croyance, mais non utiliser les locaux universitaires pour pratiquer leur religion. La promotion et la défense de la laïcité dans l'enseignement supérieur ne constituent-elles pas un enjeu ?
Les récents événements qui se sont déroulés à Sciences Po n'ont fait que démontrer la montée en puissance des tensions communautaires au sein des universités. Des minorités agissantes aux revendications religieuses et aux modes d'action radicaux ont recours à l'intimidation, à la violence, afin d'empêcher d'autres étudiants de participer au débat en les essentialisant, en les réduisant à leur identité. Ce sont nos principes républicains – la laïcité au premier chef – qui sont attaqués. L'université est un lieu de fabrication de la pensée, d'émancipation du citoyen. Il est de notre devoir de protéger les enfants, les chercheurs, les fonctionnaires et, plus globalement, nos principes face à la croissance de la place du fait religieux, qui s'impose de plus en plus dans le débat public. Seule la loi doit prévaloir et les étudiants qui refusent de s'y plier doivent être sanctionnés sans hésitation.
Comment rappeler qu'être majeur ne constitue pas une excuse pour s'exonérer des principes républicains ? Comment, tout en respectant le principe d'autonomie des universités, peut-on mieux y combattre les pressions communautaristes qui battent ces principes en brèche – car le guide de la laïcité dans l'enseignement supérieur est insuffisant ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Les signes religieux, notamment le voile et la kippa, sont autorisés à l'université. Les étudiants, majeurs, peuvent venir comme ils sont.
M. Maxime Minot
C'est bien le problème !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
C'est là toute la subtilité.
M. Jean-Paul Lecoq
Heureusement que Dieu est là !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Les recteurs, les présidents d'université, les doyens, que je connais bien, savent parfaitement faire respecter la loi. Il suffit de parler avec eux : ils font la distinction entre port d'un signe religieux et prosélytisme, comme le fait d'imposer aux autres le spectacle d'une prière ou d'ablutions. En vertu du principe d'autonomie des universités, les présidents et les doyens ont la capacité juridique de convoquer des conseils de discipline, et de sanctionner, notamment d'exclure, un étudiant.
S'agissant des blocages, le Président de la République et le Gouvernement ont condamné de manière très ferme ce qui s'est passé à Sciences Po. Il y a une différence entre soutenir une cause palestinienne…
M. Jean-Paul Lecoq
La cause palestinienne !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
En effet ! Il y a, disais-je, une différence entre le fait de soutenir cette cause et celui d'empêcher les autres d'entrer dans l'établissement, ou de les stigmatiser. Au sein de l'enseignement supérieur, les étudiants se construisent intellectuellement et philosophiquement. L'université doit rester un sanctuaire, un lieu de débat où toutes les opinions peuvent se confronter, à condition de respecter la loi.
M. Éric Poulliat
Sauf qu'il n'y a pas eu de débat !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Vous avez raison : c'est la raison pour laquelle j'ai parlé de Sciences Po.
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Odoul.
M. Julien Odoul (RN)
Je vais préciser et compléter ma première question. Depuis 2004, on constate des tentatives d'encerclement de nos établissements scolaires. En effet, les signes religieux sont interdits dans leur enceinte, mais autorisés lors des sorties et des activités scolaires.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Excusez-moi, je n'ai pas entendu le début de votre intervention.
M. Jean-Paul Lecoq
Laissez parler l'orateur, madame la ministre !
M. Julien Odoul
Depuis le début, la loi des 2004 est contournée, puisque les signes religieux et politiques – le voile manifestant également l'idéologie politique qu'est l'islamisme – sont autorisés lors des activités scolaires organisées en dehors de l'établissement. Lors de cérémonies, des prix sont ainsi remis par le recteur, le sous-préfet ou le préfet à des élèves voilées.
M. Jérôme Guedj
C'est autorisé !
M. Julien Odoul
En effet, et cela arrive tout le temps, ce qui pose un vrai problème. Compte tenu du flou entourant les dispositions de la loi de 2004 et de leur interprétation large, les atteintes sont de plus en plus fréquentes. Tout le monde – tous ceux qui veulent bien faire preuve de lucidité – connaît l'objectif final, à savoir la remise en cause de la loi elle-même. Dès lors, ne serait-il pas plus simple, clair et efficace d'interdire les signes religieux, notamment le voile islamique – ne nous leurrons pas, ce ne sont pas les kippas et les croix qui constituent un problème dans notre société –, lors de toutes les activités scolaires, y compris les remises de prix ? Par ailleurs, ce débat ayant été organisé à l'initiative de nos collègues Socialistes, que pensez-vous de l'attitude du maire socialiste des Lilas, Lionel Benharous, qui organise, au sein de la mairie, le comité consultatif lilasien de la jeunesse, auquel participent de jeunes filles voilées ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
La loi de 2004 ne porte pas atteinte à la liberté de conscience – vous le savez parfaitement, mais cela va toujours mieux en le disant. Elle n'interdit pas les signes religieux ostentatoires mais la manifestation ostensible d'une appartenance religieuse ; elle est subtile, c'est là tout son intérêt. Elle n'est ni discriminante ni excluante : les élèves refusant de s'y soumettre s'excluent eux-mêmes de l'école. Je l'avais dit, je le répète.
Le fait que le voile soit pour vous un signe à la fois religieux et politique pose problème. Certaines jeunes femmes portent le voile sans appartenir – allons droit au but– à la mouvance frériste. Il est curieux de faire un tel amalgame. Tout le monde connaît ma position très ferme sur la laïcité.
M. Jean-Paul Lecoq
On connaît votre position !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Il est dangereux de considérer le voile comme un signe politique. Il atteste une appartenance religieuse ; porté dans des lieux où il est interdit, notamment à l'école, il devient ostentatoire. Par ailleurs, je crois comprendre – je n'ai pas suivi cette affaire de près – que vous reprochez au maire des Lilas d'avoir reçu des jeunes filles voilées ?
M. Julien Odoul
D'avoir créé un comité consultatif dans une mairie !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Lors des sorties scolaires, la loi autorise les signes religieux. Vous pouvez n'être pas d'accord avec le fait que des mamans voilées accompagnent les enfants. Je fais la distinction entre l'enceinte de l'école, qui est un sanctuaire, et l'extérieur, et je ne peux commenter chaque décision des élus ; ils prennent leurs responsabilités.
M. Jean-Paul Lecoq
C'était une provocation à l'adresse des camarades Socialistes !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES)
Je vais préciser la pensée de notre collègue Julien Odoul : lorsqu'il parle de l'incursion du politique dans les universités, il fait certainement allusion à ses amis de la Cocarde étudiante, groupuscule d'ultradroite qui a décoré l'université de Chambéry avec des portraits de Pétain.
M. Julien Odoul
C'est un syndicat !
M. Jean-François Coulomme
Je reviens à votre question : que serait notre vie sans la laïcité ? Les élus de Savoie ont reçu une invitation aux commémorations du 8 octobre 1945, au bas de laquelle était indiqué qu'ils étaient également conviés à un office religieux célébré en la cathédrale de Chambéry. Nos compatriotes juifs, musulmans, agnostiques ou athées, qui ont également combattu sous le drapeau français lors de la Libération, ne sont pas pris en considération. Le Président de la République est chanoine de la basilique Saint-Jean-de-Latran ; coprince d'Andorre avec l'évêque d'Urgel ; chanoine honoraire des cathédrales Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Julien du Mans, Saint-Maurice d'Angers, Saint-Jean de Lyon, Saint-Étienne de Cahors, des églises Saint-Hilaire de Poitiers et Saint-Germain-des-Prés à Paris ; proto-chanoine de la basilique Notre-Dame de Cléry et de la cathédrale d'Embrun. Imagine-t-on que le président d'une république réputée laïque, rémunéré par de l'argent public, accepterait d'être nommé proto-mufti d'Alsace, rabbin honoraire de Corse ou co-imam du Finistère ? Comment expliquez-vous que le représentant de tous les Français sans exception, persiste à s'affranchir de la loi de 1905 et de la loi " séparatisme " qui a créé l'hypocrite contrat d'engagement républicain, censé s'imposer à toutes les associations françaises ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Pour répondre à votre première observation, encore une fois, si mon travail consistait à commenter toutes les décisions des élus, je ne parviendrais pas à l'accomplir.
M. Jean-François Coulomme
Une telle invitation respecte-t-elle la loi ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Selon vous, une invitation à une cérémonie catholique ne s'adresserait donc pas à nos compatriotes musulmans.
M. Jean-François Coulomme
Manifestement !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Il est bizarre de considérer que seuls les chrétiens peuvent entrer dans une église.
M. Jean-François Coulomme
Pour une messe !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Une personne de confession musulmane ou juive ne peut-elle se rendre dans une église ? Je vois bien où vous souhaitez m'emmener, mais je n'irai pas.
M. Jean-François Coulomme
À l'application de la loi !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je m'en tiens aux dispositions légales. Si un élu décide d'envoyer une telle invitation, il prend ses responsabilités. Tous ceux qui souhaitent assister à cette cérémonie peuvent s'y rendre. Vous me demandez s'il a eu tort de le faire : si personne n'a saisi le juge, c'est qu'il a eu raison.
S'agissant du Président de la République, ses titres lui sont octroyés lorsqu'il accède à cette fonction. Je ne peux commenter votre propos, je ne sais que vous répondre.
M. Jean-François Coulomme
Parlez-nous avec vos tripes !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État
Je vous parle avec mes tripes, c'est ce que je sais faire de mieux. (Sourires sur les bancs des groupes RN et SOC.) Selon moi, la laïcité, c'est lorsqu'on laisse Dieu se reposer. Il s'agit pour chacun de garder sa croyance dans son cœur, de ne l'exprimer que dans la sphère privée, de vivre en liberté, sans en être empêché par les convictions des uns et des autres. C'est la liberté absolue de croyance. Le Président de la République est victime d'attaques incessantes : on lui conteste des titres portés par tous ses prédécesseurs !
M. Jean-François Coulomme
Il est libre de les refuser !
Mme la présidente
Monsieur Coulomme, ce n'est pas un dialogue : laissez répondre Mme la ministre – qui a terminé, du reste.
Le débat est clos. La séance reprendra dans l'hémicycle, dans une dizaine de minutes.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 13 mai 2024