Interview de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à France Inter le 30 avril 2024, sur les mobilisations pro-palestiennes dans les universités, l'agression de Samara dans un collège à Montpellier et la question de la levée de l'"excuse de minorité".

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Texte intégral

Nicole BELLOUBET 
Ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse

France Inter, Nicolas Demorand – 8h20

30 avril 2024

 

NICOLAS DEMORAND
Et avec Yaël GOOSZ nous recevons ce matin la ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse, dans « Le Grand entretien » du 7/10, questions et réactions au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter. Nicole BELLOUBET, bonjour.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. On va parler dans un instant du sursaut d'autorité voulu par Gabriel ATTAL pour lutter contre la délinquance des mineurs, sujet qui passe évidemment aussi par l'école, on évoquera la question des jeunes et des écrans, la revalorisation du métier d'enseignant, mais d'abord quelques mots sur ces blocages qui ont eu lieu dans certaines universités, hier après-midi la police est intervenue pour évacuer une cinquantaine de militants de la cause palestinienne qui avaient installé leurs tentes dans la cour de la Sorbonne à Paris, vendredi c'est Sciences-Po Paris qui était bloqué. Quel regard portez-vous, pour commencer, sur ces mobilisations-là ?

NICOLE BELLOUBET
Moi je comprends que, pour reprendre l'expression de Pierre HASKI, les vents de folie qui soufflent au Proche et au Moyen-Orient suscitent des débats, suscitent des interrogations, et c'est le lieu-même de l'université que de débattre. Ce que je ne comprends pas, et je trouve, ce qui est inacceptable, c'est que ces débats se transforment en blocages, en intimidation, qu'il y ait d'ailleurs des exploitations politiques, politiciennes, de ces situations, et ça je trouve que c'est difficilement acceptable.

YAËL GOOSZ
Pour vous ces mobilisations c'est l'activisme d'une minorité agissante et dangereuse, pour reprendre les mots de Gabriel ATTAL, ou simplement la liberté de s'engager, de manifester comme on l'a déjà vu par le passé pour le Vietnam par exemple ?

NICOLE BELLOUBET
Je pense que beaucoup d'étudiants ont envie de débattre de ces situations et de débattre très librement, et c'est le lieu-même de l'université, en revanche on voit bien qu'une partie de ces mobilisations relève d'exploitations politiques.

YAËL GOOSZ
Vous pendez à qui, à Rima HASSAN, aux Insoumis, à Jean-Luc MELENCHON ?

NICOLE BELLOUBET
Non… Si vous voulez, quand j'entends Jean-Luc MELENCHON tenir les propos qu'il a tenus, je pense qu'il y a une instrumentalisation et que c'est difficilement audible au sein de l'université.

YAËL GOOSZ
Vous redoutez que ces mouvements prennent de l'ampleur ou vous estimez que c'est marginal ?

NICOLE BELLOUBET
A ce stade il me semble que c'est marginal, je pense qu'il y a la nécessité de débattre, je le redis ici, mais il me semble que nous pouvons, par le débat, interrompre ces situations.

YAËL GOOSZ
On a appris hier soir que la présidente de Région Ile-de-France, Valérie PECRESSE, allait suspendre les financements de Sciences Po tant que la sécurité, dit-elle, ne serait pas revenue dans l'établissement. Est-ce que vous partagez ce type de mesure, suspension des financements publics à Sciences Po ?

NICOLE BELLOUBET
Je pense que, la direction l'a dit d'ailleurs, je l'ai lu ce matin sous les mots du directeur actuel de Sciences Po, c'est évidemment regrettable pour l'institution. Il me semble qu'il ne faut pas surréagir immédiatement à une telle situation.

YAËL GOOSZ
Elle surréagit Valérie PECRESSE ?

NICOLE BELLOUBET
Je pense qu'il est nécessaire de laisser les événements, et la direction, agir comme elle l'a proposé dans la semaine qui vient, et ensuite les mesures qui devront être prises pourront l'être.

NICOLAS DEMORAND
Venons-en au plan contre la violence des mineurs, priorité du Premier ministre Gabriel ATTAL dans son « Printemps des urgences », des consultations avec les groupes politiques ont démarré hier soir, cette phase doit durer deux mois, qu'en attendez-vous comme ministre de l'Education nationale ?

NICOLE BELLOUBET
Moi, si vous voulez, comme ministre de l'Education nationale, je suis aussi ministre de la Jeunesse, comme ministre de l'Education nationale ce que je dis évidemment c'est que l'école c'est le réceptacle de ces violences et c'est aussi l'antidote à ces violences, c'est-à-dire que la mission première de l'école c'est évidemment l'éducation, et l'éducation ça passe par le respect, parce qu'on ne peut pas évidemment développer l'apprentissage des savoirs, on ne peut pas développer le savoir-être social, s'il n'y a pas un minimum de règles et que ces règles soient respectées. Donc vraiment, l'autorité pour moi est un élément du respect des règles, et de ce point de vue-là, évidemment, tout ce qui est proposé mérite d'être étudié.

YAËL GOOSZ
Il y a beaucoup de propositions sur la table, internat pour les élèves ayant de mauvaises fréquentations, le retrait de points au brevet et au bac en cas de perturbation grave dans les établissements scolaires, les travaux d'intérêt éducatif qui seraient l'équivalent des travaux d'intérêt général pour les mineurs de moins de 16 ans, comment est-ce que vous décrivez la philosophie de toutes ces mesures, on serre la vis ?

NICOLE BELLOUBET
Tout ne relève pas du ministère de l'Education strictement parlé, n'est-ce pas ?

YAËL GOOSZ
La preuve, là c'est l'Intérieur, c'est la Justice et c'est vous.

NICOLE BELLOUBET
Absolument, donc… oui, mais, pour ce qui me concerne, moi je le redis ici, la priorité pour moi c'est de faire réussir tous les élèves. Pour cela, il faut un cadre, il faut des règles, il faut que ces règles soient respectées. Donc il y a des éléments qui seront pris en compte. Je pense par exemple, dans le premier degré, il faut que nous ayons un mécanisme de punitions, qui existe déjà, qui soit harmonisé, qui soit clair, il faut également que…

YAËL GOOSZ
Conseil de discipline, c'est ça que vous voulez dire ?

NICOLE BELLOUBET
Non, pas du tout, j'ai dit harmonisation des punitions, c'est-à-dire que tous les parents sachent que, voilà, face à un fait, et tout fait mérite réponse, eh bien les punitions seront les suivantes, c'est une harmonisation qui aujourd'hui n'existe pas, chaque école gère les choses comme elle l'imagine. Donc, je pense qu'il y a des éléments sur lesquels nous devons progresser pour que les règles soient claires pour tous. On a même envisagé, c'est d'ailleurs, je crois, une proposition du Premier ministre, que les parents puissent signer une charte, ou un contrat, lorsque leur enfant s'inscrit à l'école, ça me semble relever du bon sens. Donc, il y a des éléments qui méritent vraiment d'être pris en compte, d'être traités, et ce sera l'objet de la concertation.

NICOLAS DEMORAND
Ces réflexions sur l'autorité, vous l'avez dit, sont au carrefour de différents ministères, le gouvernement se dit prêt à débattre de la levée de l'excuse de minorité, c'est-à-dire ce principe qui fait qu'un mineur est sanctionné moins sévèrement qu'un majeur, y êtes-vous favorable, vous qui avez été ministre de la Justice il n'y a pas si longtemps quand même, avant d'être ministre de l'Education et de la Jeunesse, vous avez quand même… ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne veux pas du tout empiéter sur le terrain de mon collègue garde des Sceaux…

YAËL GOOSZ
Bien sûr, mais ça vous concerne aussi.

NICOLE BELLOUBET
Mais je dois dire que lorsque j'étais garde des Sceaux, j'ai porté vraiment la réforme, la dernière réforme du code de justice pénale des mineurs, avec, me semble-t-il, beaucoup d'évolutions positives, je m'étais opposée à cela, c'était déjà une question qui était arrivée sur le débat et je m'y étais opposée. Je considère en effet que le mineur c'est toujours un être en devenir et que donc l'éducation, c'est d'ailleurs la philosophie de l'ordonnance de 45, l'éducation doit primer. Je ne suis pas naïve, je ne suis pas naïve, c'est-à-dire que je me rends bien compte qu'il faut réagir de manière systématique dès lors qu'il y a un fait de violence, pour autant, en tant qu'ancienne garde des Sceaux, je ne reviens pas sur les positions que j'avais alors défendues.

YAËL GOOSZ
Donc vous ne partagez pas cette idée de Gabriel ATTAL d'ouvrir le débat sur la levée de l'excuse de minorité ?

NICOLE BELLOUBET
Non, le Premier ministre a raison d'ouvrir le débat, je vous donne ma position.

YAËL GOOSZ
Sur le cas de la jeune Samara, 13 ans, agressée sauvagement par un groupe d'adolescents le 2 avril devant son collège de Montpellier, cinq mineures sont mises en examen pour tentative d'homicide, la mère de Samara avait accusé l'équipe pédagogique de ne pas avoir pris assez de mesures pour protéger sa fille et les profs, indignés à l'époque, du collège Arthur Rimbaud, avaient refusé de donner cours le jour de la rentrée, vous aviez déclaré que votre main ne tremblerait pas, que dit l'enquête administrative que vous avez diligentée ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien écoutez, l'enquête administrative dit deux choses, me semble-t-il très importantes, elle dit d'une part que ce collège, le collège Arthur Rimbaud, est très engagé dans la lutte contre le harcèlement, et que sur le cas particulier de la jeune Samara, qui est un drame pour nous tous, il faut quand même le dire, j'ai eu l'occasion d'être en contact à plusieurs reprises avec sa maman, sur ce drame-là le collège, au vu des éléments qui étaient portés à sa connaissance, a fait tout ce qui était en sa possibilité de faire, c'est-à-dire qu'il y a eu un suivi de l'élève, elle a été entendue plusieurs fois, je veux dire par les équipes éducatives, avant le drame qui s'est produit, et au vu des éléments qui étaient portés à leur connaissance les équipes éducatives ont fait ce qu'elles pouvaient faire.

YAËL GOOSZ
Pas de négligence du collège ?

NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas relevé, et l'enquête administrative n'a pas relevé de négligence, mais en revanche ce qui clairement a été relevé… et d'ailleurs juste simplement pour dire aussi, il est très important que les chefs d'établissement des collèges où sont scolarisés les enfants agresseurs prennent les mesures disciplinaires, d'exclusion sans doute, qui s'imposent, c'est-à-dire que vraiment il faut être très ferme vis-à-vis des élèves qui sont considérés comme agresseurs. Le deuxième point qui est relevé par l'enquête administrative, bien que nous n'ayons pas pu avoir accès aux téléphones portables des élèves parce que ça relève de l'autorité judiciaire, le deuxième point qui est à relever c'est évidemment le fait que les réseaux sociaux, et notamment ces fameux comptes fisha, sont sans doute à l'origine de ce qui s'est passé, avec des images qui ont circulé, qui étaient considérées comme porteurs de mépris, de haine, etc.

NICOLAS DEMORAND
Y a-t-il une dimension religieuse dans ces actes dont Samara a été victime, l'enquête le dit ou pas ?

NICOLE BELLOUBET
Ce que dit l'enquête administrative, que je rendrai publique d'ailleurs, en tout cas en enlevant les données personnelles qui n'ont pas à être publiques, mais ce que dit l'enquête c'est qu'il y a certainement un contexte communautaire, mais que celui-ci s'est sans doute trouvé accentué par les images qui ont été véhiculées sur ce compte fisha.

YAËL GOOSZ
Selon son avocat, la mère de Samara souhaite maintenant scolariser sa fille dans le privé, est-ce que ce n'est pas un échec pour l'école publique ?

NICOLE BELLOUBET
Je considère que la situation est tellement particulière qu'on ne peut pas parler d'échec. Nous le savons, il y a plusieurs modalités de scolarisation, qui ont d'ailleurs été proposées à Samara, c'est-à-dire à la fois l'instruction aux familles, je crois qu'elle est d'ailleurs actuellement toujours dans sa famille, ou bien l'instruction en établissement, c'est le choix de la mère que je respecte en l'occurrence, mais d'autres collèges publics pouvaient l'accueillir et nous l'avons proposé, bien sûr.

NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET, pour couper un jeune de ses mauvaises fréquentations, Gabriel ATTAL propose aux parents un hébergement en internat, soit pendant les vacances scolaires, soit toute l'année. Sur le fond, est-ce que l'accord des parents ne va pas limiter la portée d'une telle mesure puisqu'il faut l'accord des parents évidemment pour envoyer un enfant en internat ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, j'étais hier à Toulouse et justement je suis allée voir des internats, et l'internat, au fond, c'est fait, je le redis ici, pour assurer la réussite éducative de tous les jeunes, et donc nos internats permettent d'accueillir des jeunes qui sont soit distants géographiquement, soit qui ont des difficultés sociales, et avec le reste à charge zéro que nous mettons en place c'est un élément important, soit pour prendre en charge des jeunes qui veulent se couper de leur environnement, mais dans cette triple dimension, éloignement géographique, éloignement social, éloignement comportemental, l'objectif c'est toujours celui de la réussite éducative et c'est ce que nous voulons faire avec les internats, dont j'ai la responsabilité, qui sont les internats pendant le temps scolaire. L'internat, que j'appelle Dupond-Moretti pour simplifier, a une autre visée dans laquelle je suis moins partie prenante, je suis moins acteur de ce schéma-là


source : Service d'information du Gouvernement, le 13 mai 2024