Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, à RTL le 15 mai 2024, sur l'attaque meurtrière d'un fourgon pénitentiaire, le narcobanditisme et les violences en Nouvelle-Calédonie.

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Média : RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Amandine BEGOT, vous recevez le Ministre de l'Intérieur Gérald DARMANIN.

AMANDINE BEGOT
Bonjour Monsieur le ministre.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

AMANDINE BEGOT
Et merci beaucoup d'être avec nous en studio ce matin. L'actualité est extrêmement chargée. On va parler de la Nouvelle-Calédonie dans un instant, de cette attaque aussi sur ce fourgon pénitentiaire hier. Deux agents pénitentiaires ont été tués, trois autres grièvement blessés. Le pronostic vital était engagé hier soir encore pour l'un d'entre eux. Est-ce que vous avez de leurs nouvelles ce matin ?

GERALD DARMANIN
Non, je n'ai pas plus de nouvelles que ça. Je sais que tout le monde est extrêmement choqué. Au Ministère de l'Intérieur, nous sommes choqués par la violence de cette attaque. D'abord dire effectivement nos condoléances à ces familles, à ces pères de famille qui vivaient dans le Calvados, qui faisaient leur travail, qui servaient la République. Nous avons mis beaucoup de moyens pour retrouver non seulement la personne qui s'est évadée, qui est un criminel, mais pour retrouver le gang qui l'a libéré dans des conditions ignobles. Et je peux vous dire qu'à la fois des moyens de police et de gendarmerie mais des moyens de coopération internationale et de police judiciaire ont été mis, à la demande du président de la République, sans précédent.

AMANDINE BEGOT
Beaucoup de moyens, ça veut dire combien de personnes mobilisées aujourd'hui ?

GERALD DARMANIN
Alors je ne vais pas rentrer trop dans le détail mais hier, pour vous donner une idée, il y avait plus de 450 policiers et gendarmes rien que pour le département de l'Eure qui faisaient un travail de recherche. Désormais, il y a énormément de traces judiciaires qui vont nous permettre de faire ce travail d'identification, et je l'espère, dans les jours qui viennent, pouvoir non seulement ré-interpeller la personne qui était dans ce fourgon, mais qui devait répondre de ses actes devant la justice, mais évidemment du gang de meurtriers qui l'a accompagné.

AMANDINE BEGOT
Ce gang, on sait combien il y a de personnes ? Quatre, cinq ?

GERALD DARMANIN
Non, je ne suis pas en mesure de le dire. Comme les vidéos que les gens voient sur Internet, je ne suis pas obligé de vous donner toutes les informations que nous avons. Ce qui est certain, c'est qu'il est extrêmement violent, pour une personne qui certes était un délinquant criminel, qui était soupçonné d'avoir commandité un meurtre dans le cas du narcobanditisme à Marseille, avec d'autres joyeusetés dans son CV de délinquant, mais moi je veux aussi le constater, qui n'était pas le plus gros délinquant que nous connaissions. Il était dans une maison d'arrêt de province, il répondait devant un juge d'instruction de ses actes précédents, mais la violence, la tuerie, les moyens disproportionnés mis en place pour pouvoir libérer cette personne ne correspondent sans doute pas aux plus grands délinquants que nous ayons dans nos prisons. Et je pense que ce qu'il faut dénoncer, c'est la barbarie avec laquelle ces personnes s'e, sont pris à ces pères de famille, à ces agents de l'administration pénitentiaire de sang-froid. Et ce qui est intéressant de souligner, c'est que non seulement quand on les interpellera, il faudra faire aussi le procès de cette sauvagerie qui touche notre société et qui vient tuer des pères de famille, pour quelqu'un qui devait simplement répondre de ses actes devant la justice et qui avait été condamné quelques mois avant.

AMANDINE BEGOT
Un mot encore de ce gang, comme vous l'appelez. L'enquête, bien sûr, est en cours et vous ne pouvez pas tout nous dire et les auditeurs qui nous écoutent le comprennent évidemment. Mais est-ce qu'ils ont été identifiés ? Vous savez qui sont ces hommes ?

GERALD DARMANIN
Je ne peux pas répondre à cette question. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on y met des moyens considérables parce que nous avançons beaucoup, que nous devons comprendre que le narcobanditisme, ce n'est pas simplement pour les films où on s'échange quelques dizaines de millions d'euros et qu'on part ensuite dans un pays étranger quelques mois, et on revient heureux et applaudi par sa famille ou sa communauté ou son quartier. Le narcobanditisme qui touche le monde entier, on le voit avec nos amis néerlandais ou belges par exemple, c'est désormais des possibilités pour des gangs criminels - et encore en France, ils sont moins développés que les autres, c'est pour vous dire le danger qui existe ailleurs - et qui peut nous toucher pour assassiner des hommes politiques, des avocats, des journalistes, des juges, faire de la corruption de fonctionnaires et utiliser l'immense masse de cet argent sale que nous faisons vivre en fumant un joint ou en prenant un rail de coke avec des commanditaires de meurtres qui parfois ne font même pas partie de ces groupes criminels-là.

AMANDINE BEGOT
Mais ce qu'on voit dans les films aujourd'hui, c'est ce qui se passe en vrai dans la vraie vie. C'est ce que vous nous dites.

GERALD DARMANIN
Mais c'est pire dans la vraie vie. C'est pire dans la vraie vie parce qu'il n'y a pas de romantisme dans le trafic. Il n'y a que des meurtres, des massacres, des enfants de 14-15 ans qu'on torture dans des caves parce qu'ils ne veulent pas faire le guet pour le chouf, pour lutter contre la police en utilisant le fait que les mineurs sont moins condamnés que les autres.

AMANDINE BEGOT
C'est un terrible aveu d'échec ça, Monsieur le ministre, un échec collectif disait hier François-Xavier BELLAMY.

GERALD DARMANIN
Oui, mais je pense que c'est un aveu d'échec mondial, français bien évidemment, mais mondial. La première cause de mortalité aux États-Unis, c'est le fentanyl. C'est une drogue de synthèse qui, aujourd'hui, pour un cent est produit et pour un dollar, vous la consommez et c'est la première cause de mortalité du plus grand pays au monde.

AMANDINE BEGOT
Mais comment les États, comment les gouvernements n'ont pas pu agir ?

GERALD DARMANIN
Non, mais ils agissent et nous faisons énormément d'efforts pour limiter la capacité de la pieuvre à grandir. Et encore en France, nous sommes parmi les législations les plus dures contre les trafiquants de stupéfiants. Simplement, il y a dans la société - il y a moins de 10% de consommateurs de drogue en France, ce n'est pas énorme non plus - mais ces moins 10% de consommateurs font naître une telle masse d'argent que désormais il y a de la recherche et développement pour faire des laboratoires, notamment drogue de synthèse, ce qu'on vit aujourd'hui aux Etats-Unis, qui touche notre jeunesse. La drogue de synthèse explose par exemple. Il y a la baisse du produit. Pourquoi ? Parce qu'en Afghanistan, nous sommes partis collectivement avec les Américains ; et du coup, la première production pour un Etat terroriste pour avoir de l'argent, c'est de la drogue, c'est de l'héroïne, c'est des…

AMANDINE BEGOT
Mais comment on lutte contre ça ? On a l'impression d'être complètement impuissant. Il y a ces opérations Place nette par exemple.

GERALD DARMANIN
Non mais, c'est très important de diminuer les points de deal, de faire comme on l'a fait hier encore à Nice, 30 interpellations, d'arrêter des grands trafiquants internationaux.

AMANDINE BEGOT
Mais ça ne suffit pas.

GERALD DARMANIN
Non mais il faut comprendre que la drogue, c'est la consommation de la société. Les trafiquants ne vendent qu'un produit que des gens achètent. On ne peut pas à la fois, c'est ce que je veux vous dire en quelques instants, pleurer les veuves et les orphelins sur le péage de l'Eure et continuer à fumer son joint. Ce n'est pas possible. Ça s'appelle la schizophrénie et chacun est responsable. Toutes les sociétés occidentales sont touchées par cela. Le narcobanditisme tue, tue énormément, bien plus que le terrorisme même si le terrorisme, c'est évidemment une priorité pour chacun des Etats, mais tue bien plus que le terrorisme. Et ce qui s'est passé au péage de l'Eure, c'est désormais - j'espère pour que tout le monde le comprenne, j'ai parlé moi-même d'ensauvagement quand j'étais Ministre de l'Intérieur, j'ai été très critiqué pour ça - la violence désinhibée pour des personnes qui prennent tous les risques, ils ne sont pas très âgés souvent, ils ne sont parfois même pas dans le trafic de drogue parce qu'ils ont une commande d'un trafiquant de drogue pour libérer un voyou. Cette violence désinhibée où on tire à la Kalachnikov sur des pères de famille, il faut bien comprendre qu'elle a une source, c'est la consommation de drogue.

AMANDINE BEGOT
Tous ceux qui consomment sont responsables de la mort de ces deux agents pénitentiaires.

GERALD DARMANIN
Ils participent à la violence extrême - extrême - autour du trafic de drogue. Rien n'est récréatif dans la drogue, tout est mortel.

AMANDINE BEGOT
Encore un mot, Gérald DARMANIN, de ce détenu qui s'est évadé. Pourquoi n'était-il pas escorté par des forces de police ou par des gendarmes ? On nous dit qu'il était particulièrement surveillé, qu'il avait visiblement tenté de s'évader en sciant les barreaux de sa cellule deux jours auparavant. Est-ce qu'il n'y a pas une faille là-dedans ?

GERALD DARMANIN
Ecoutez, il sera toujours évidemment le temps de faire les enquêtes au ministère de la Justice et au ministère de l'Intérieur. Je pense que c'est le moment du deuil. De ce que j'en comprends, il n'y a pas eu de demande d'escorte policière, que l'acte qui était fait était un acte quotidien, quelqu'un qui quittait son sa prison. Encore une fois, la maison d'arrêt d'Evreux, ce n'est pas la plus grande prison française, ce n'était pas un quartier de haute sécurité. J'ai lu des bêtises. Donc ce n'était pas le cas, la justice ne l'avait pas considéré, comme je vous le dis, comme étant l'ennemi public numéro un. Ce n'était pas l'ennemi public numéro un, il allait à Rouen voir un juge d'instruction, il revenait dans un fourgon blindé avec plusieurs personnes de l'administration pénitentiaire qui sont de grande qualité. Donc c'est un acte quotidien, des choses comme ça, il s'en passe des centaines par jour. Donc il n'était pas particulièrement suivi de ce que j'en sais, je ne suis pas Ministre de la Justice, pas de l'Administration pénitentiaire. Il était protégé par des fonctionnaires armés et ceux-là ont été abattus comme des chiens par des criminels qu'on va retrouver et qu'on fera condamner. Et j'espère que ce sera aussi le procès de la criminalité et de la violence autour de la drogue.

AMANDINE BEGOT
Retrouvés, vous l'espérez, vous nous le disiez, en quelques jours…

GERALD DARMANIN
Mais la police gagne toujours, madame. En République française et c'est vrai, je peux en témoigner depuis quatre ans que je suis ministre de l'Intérieur, la police gagne toujours. Elle met parfois du temps, c'est vrai, mais elle gagne toujours. On retrouvera ces personnes, ils termineront leur vie, je l'espère, derrière les barreaux.

AMANDINE BEGOT
Autre dossier, Gérald DARMANIN, sur lequel vous êtes en première ligne, c'est la Nouvelle-Calédonie. Trois jours d'émeutes et on a appris ce matin qu'une personne avait été tuée par balles. Est-ce que vous avez des informations sur les circonstances de ce décès ?

GERALD DARMANIN
D'abord, je voudrais adresser mes condoléances à la famille de cette personne. Je ne connais pas son identité, ça s'est passé manifestement, voilà, il y a quelques dizaines de minutes à Nouméa où il n'est pas le même fuseau horaire. J'ai eu Monsieur le Haut-Commissaire au téléphone. Manifestement, ce n'est pas un tir de policiers ou de gendarmes, des forces de l'ordre, qui ont tué cette personne dans des circonstances que nous ne connaissons pas. Dans une zone industrielle, une personne a été retrouvée décédée manifestement par balles.

AMANDINE BEGOT
Qui a voulu se défendre, dit le Haut-Commissaire qui est l'équivalent du préfet.

GERALD DARMANIN
Il vient de faire une conférence de presse. Je pense que ce qui est important de dire non seulement, c'est qu'évidemment il faut que le calme revienne absolument. Il y a des centaines de blessés en Nouvelle-Calédonie, des dizaines de maisons, d'entreprises qui sont brûlées, incendiées. On envoie le GIGN depuis trois jours désormais pour faire des sauvetages.

AMANDINE BEGOT
Et on entendait un témoin nous raconter, qui vit à Nouméa, que ça tirait partout, que tout le monde avait des armes à feu. Sonia BACKES, qui est l'ancienne secrétaire d'Etat, demande, réclame l'Etat d'urgence. Elle est présidente de la province Sud. L'État d'urgence, c'est ça la solution ?

GERALD DARMANIN
Il faut d'abord peut-être, puisqu'il y a beaucoup de policiers et de gendarmes qui sont actuellement en Nouvelle-Calédonie ou qui arrivent puisqu'il y a 48 heures, j'ai décidé l'envoi non seulement de quatre escadrons de gendarmerie mobile, mais de renforts du GIGN et du RAID, il faut désormais que nous respections le couvre-feu qu'il y a à Nouméa.

AMANDINE BEGOT
Il va être maintenu ?

GERALD DARMANIN
Oui, il sera maintenu par le Haut-Commissaire. Je sais qu'un appel au calme sera fait dans les minutes qui viennent par les responsables politiques, notamment indépendantistes. C'est heureux, il faudrait qu'il soit fait parce que la violence en démocratie n'est jamais une bonne manière de s'exprimer. Aujourd'hui, il y a un mort dans des circonstances qu'il nous appartiendra de préciser. Il y a aussi plusieurs blessés et il y a aussi une centaine de policiers et de gendarmes blessés, dont on a évacué des familles avec des enfants, des bébés alors qu'on attaquait à la hache leurs casernes de gendarmerie ou leur tirer dessus à balles réelles. Je regrette profondément que dans le débat parlementaire que l'on a eu, la France insoumise notamment mais pas qu'eux, n'a pas eu un mot pour les forces de l'ordre qui faisaient quoi ? Respecter - respecter - le vote démocratique des Calédoniens qui par trois fois ont voulu rester Français et respecter le débat parlementaire pour que quelqu'un -il faut bien comprendre ce qu'on fait - qui est en Nouvelle-Calédonie, né en Nouvelle-Calédonie de parents calédoniens puisse voter à des élections locales. Ce n'est pas la révolution.

AMANDINE BEGOT
Il n'aurait pas fallu reporter ce projet de réforme ? C'est ce que demandait une partie de la gauche.

GERALD DARMANIN
On ne reporte pas la démocratie. Qu'est-ce que je peux dire aux citoyens calédoniens lorsqu'on leur dit qu'ils ne peuvent pas voter aux élections locales alors qu'ils sont Calédoniens, nés de parents calédoniens ? En revanche évidemment, la main est toujours tendue et nous avons invité à la demande du président de la République tous les leaders indépendantistes à venir nous voir à Paris pour un accord de paix.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup, Monsieur le ministre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mai 2024