Texte intégral
Madame la Présidente, Monsieur le président de la commission des lois, Madame la Sénatrice, chère Samantha Cazebonne, Monsieur le rapporteur, cher Christophe-André Frassa, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je suis très heureux d'être devant vous cette après-midi pour débattre de la proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Je tiens tout d'abord à remercier Mme Samantha Cazebonne, sénatrice représentant les Français établis hors de France, ainsi que les collègues qui l'ont accompagnée, d'avoir pris l'initiative de déposer ce texte.
Je salue également le travail accompli en commission par M. le rapporteur, qui a enrichi cette proposition de loi.
Le présent texte poursuit une expérimentation législative menée depuis 2019 par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ; expérimentation qui - je le rappelle à mon tour -, sans nouveau vote du Parlement, se terminerait le 10 juillet prochain.
La question qui nous est posée aujourd'hui est très simple : faut-il poursuivre ou non l'expérimentation, engagée il y a cinq ans, de dématérialisation de l'état civil du ministère ? Avant d'y répondre au nom du Gouvernement, je tiens à retracer l'histoire de ladite expérimentation.
Ce projet n'est pas nouveau. Il s'est concrétisé en 2018, avec la loi Essoc. L'ambition était alors simple : dépoussiérer notre vieil état civil, fait de registres en papier et de documents envoyés par courrier, et permettre ainsi à des millions de Français de simplifier leurs démarches administratives, les libérer du carcan bureaucratique grâce à la dématérialisation et à la numérisation progressive de leur état civil, dans la lignée du mouvement de simplification engagé par le Président de la République.
Il s'agissait également d'en finir avec les coûts engendrés par des procédures trop lourdes, qu'il s'agisse de l'achat de papier, des frais d'envoi postal ou encore des coûts de transport et d'archivage des registres, d'autant que, grâce aux progrès technologiques récents - je pense notamment à l'essor de la signature électronique -, le papier n'est tout simplement plus nécessaire pour garantir l'authenticité d'un document : plus besoin d'avoir un registre dans un placard ou un feuillet dans une enveloppe, signé à la main, pour pouvoir dire : "Ce document est authentique."
La dématérialisation de l'état civil n'en est pas moins un chantier complexe ; et elle l'était probablement plus encore en 2018 qu'elle ne l'est aujourd'hui. La sensibilité des données d'état civil imposait en effet de prendre toutes les garanties nécessaires pour s'assurer de la viabilité d'un tel changement de paradigme. Le choix d'une expérimentation était alors le plus évident ; et le choix de confier cette expérimentation au ministère de l'Europe et des affaires étrangères l'était aussi.
Ce ministère est habitué aux expérimentations en matière d'action publique. En proposant ces dernières aux Français de l'étranger, dont il a la charge, il fait en quelque sorte office de laboratoire du service public de demain. On pense bien entendu au vote par internet ; on l'a constaté plus récemment encore avec le renouvellement à distance des passeports, lancé au Canada et au Portugal, ainsi qu'avec d'autres mesures d'innovation et de modernisation dont la mise en oeuvre repose sur le travail et l'engagement des services consulaires du ministère, que je tiens tout particulièrement à saluer.
Ce n'est pas tout. Le ministère détient le plus grand fonds de documents d'état civil en France, avec plus de 16 millions d'actes. Tous les actes d'état civil des Français nés, mariés ou décédés à l'étranger sont conservés par le service central d'état civil, établi à Nantes.
Le ministère était ainsi le candidat idéal pour mener cette expérimentation, lancée quelques mois après le vote de la loi Essoc, par une ordonnance de juillet 2019.
La création d'un registre d'état civil électronique a fait partie des projets prioritaires du Gouvernement lors du premier quinquennat. Elle a bénéficié d'un fort appui interministériel, en particulier via plusieurs cofinancements, à hauteur de 4,8 millions d'euros, notamment au titre du fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) et de France Relance.
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, après cinq ans de travail, il est temps de dresser un premier bilan des deux volets de cette expérimentation : d'une part, la délivrance dématérialisée des copies et extraits d'actes d'état civil ; de l'autre, la création d'actes d'état civil électroniques.
La délivrance dématérialisée a fait l'objet d'un examen détaillé de la part des inspections générales des affaires étrangères et de la justice, dont le rapport d'évaluation vous a été remis au début de l'année 2024.
Monsieur le Rapporteur, vous l'avez souligné et je vous en remercie : ce bilan est sans appel.
Tout d'abord, cette expérimentation a permis à l'administration de dégager d'importantes économies, dans une période de forte contrainte budgétaire.
La diminution du recours au courrier pour transmettre les documents aux usagers a permis de dégager onze postes de travail au service du courrier. Elle a aussi engendré des économies pour l'achat de papier et d'enveloppes ainsi que pour l'affranchissement. Au total, ces économies sont aujourd'hui évaluées à plus de 1,3 million d'euros par an.
Surtout, le bilan est sans appel pour l'usager. Avant cette expérimentation, si votre acte se trouvait au service central d'état civil, vous demandiez votre document en ligne et vous le receviez par courrier. Si vous résidiez en France, l'envoi postal arrivait à destination en cinq jours ; mais si vous résidiez à l'étranger, c'était une tout autre histoire... Tout dépendait du lieu d'habitation : souvent, l'acheminement du courrier exigeait quinze jours au minimum ; dans certains cas, c'était même un mois ; et parfois, malheureusement, le courrier n'arrivait jamais, pour différentes raisons.
Avec la solution développée et mise en oeuvre par le ministère, tout est beaucoup plus simple : la dématérialisation de la délivrance permet désormais d'assurer une égalité de traitement entre tous les usagers concernés. Qu'ils résident en ville ou à la campagne, en Europe ou à l'autre bout du monde, nos concitoyens reçoivent leur document dans les mêmes conditions et dans les mêmes délais.
Les Français de l'étranger bénéficient ainsi d'une procédure unique et rapide. Elle prend trois jours en moyenne, soit un délai plus court que ce que la plupart des mairies de France sont en mesure de proposer pour la délivrance de leurs actes.
Les usagers ont bien saisi l'intérêt de cette démarche : en 2023, plus de 93% d'entre eux ont opté pour la dématérialisation. Depuis 2021, ce sont ainsi plus de 2,5 millions de documents signés électroniquement qui leur ont été délivrés.
Bien sûr, nous avons laissé et nous laisserons la possibilité aux usagers, notamment à ceux qui sont les plus éloignés du numérique, de demander leur acte par courrier. Mais - on le constate - l'immense majorité d'entre eux sollicitent à présent leurs documents sous forme dématérialisée. Quant aux équipes du service central d'état civil, que l'envoi des documents accaparait, elles ont gagné un temps considérable.
L'entrée dans le droit commun qu'assure le premier article de la proposition de loi apparaît dès lors comme une nécessité : il faut conserver et pérenniser ces bénéfices, tant pour l'administration que pour les usagers.
Le bilan était sans appel pour le premier volet de l'expérimentation ; il est aujourd'hui prometteur pour son second volet. En effet, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a établi en janvier 2024 les premiers actes d'état civil électroniques. Mais - il faut l'avouer - cinq années n'ont pas été suffisantes pour faire aboutir ce chantier. D'importants développements applicatifs sont encore nécessaires pour généraliser la création et la mise à jour électroniques des actes. En outre, nous devons disposer d'un recul suffisant pour être certains que le registre d'état civil électronique doit devenir la solution de droit commun.
Le chantier a été plus long que prévu pour plusieurs raisons. Tout en soulignant, si besoin en était, la pertinence dudit chantier, la crise sanitaire a ralenti les développements informatiques. De plus, la grande complexité technique du dossier et la sensibilité des données d'état civil nous ont conduits à renforcer nos standards de sécurité.
Les mesures prises pour protéger ces données sont multiples, qu'il s'agisse du cloisonnement, de la réplication des sauvegardes dans un système d'archivage électronique sécurisé ou encore du traçage des accès et des modifications apportées. Ces processus sont coûteux, mais ils permettent aujourd'hui d'offrir toutes les garanties nécessaires pour protéger les données à des niveaux très élevés, peut-être jamais atteints avec le papier.
Finir l'expérimentation de dématérialisation de l'état civil est un objectif majeur du chantier "Améliorer la qualité du service rendu aux Français de l'étranger", mené par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères dans le cadre des projets prioritaires du Gouvernement.
À cette fin, le présent texte accorde trois années supplémentaires aux services compétents : nous en sommes convaincus, ce délai sera suffisant. Les développements applicatifs pourront ainsi être achevés et déployés dans l'ensemble de notre réseau consulaire. Les agents disposeront d'un outil performant ; ce dernier leur assurera une productivité à même de permettre, à terme, de nouveaux redéploiements d'effectifs au sein du ministère.
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, le vote de cette proposition de loi est une étape nécessaire afin de poursuivre au-delà du 10 juillet prochain cette expérimentation ambitieuse, suivie de près par M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Il nous évitera de perdre tous les bénéfices déjà constatés, tant par nos administrations que par les usagers eux-mêmes.
En menant à terme cette expérimentation, nous achèverons le vaste chantier de modernisation de notre état civil. Le travail accompli à ce titre répondra pleinement à l'ambition du Président de la République et du Premier ministre d'accélérer la simplification des démarches administratives pour tous les Français.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mai 2024