Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur le rétablissement de l'ordre, la reconstruction économique et le dialogue politique en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, le 23 mai 2024.

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Texte intégral


Merci beaucoup mesdames et messieurs d'être là. Je souhaitais, à l'issue de cette journée, et après avoir justement rendu compte à l'ensemble des forces politiques, élus, monde économique, ici réunis, des conclusions et des décisions que je prenais à l'issue de cette journée, je voulais vous rendre compte.

D'abord, je veux ici redire que nous sommes, avec le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, le ministre des Armées et la ministre déléguée aux Outre-mer - je remercie de leur présence - arrivés ce matin pour apporter notre plein soutien au Commissaire, à l'ensemble du service de l'Etat, des élus, mais pour dire aussi le soutien de la nation toute entière, celles et ceux qui sont tombés depuis le début de ces violences - et j'ai eu l'occasion, ce matin, de faire un moment de recueillement pour à la fois nos deux gendarmes et pour toutes les victimes depuis le début des violences.

L'objectif qui est le nôtre est double. Premièrement, ne rien céder à la violence qui s'est installée depuis maintenant 11 jours, parce qu'elle n'a pas cours en République ; trouver un chemin d'apaisement pour que le dialogue revienne au plus vite et que donc, la place à la concertation et la construction d'un accord d'ensemble puisse permettre de sortir par le haut de la situation dans laquelle nous sommes.

Le premier élément est un élément de sécurité et de rétablissement de l'ordre. J'ai eu l'occasion, ce matin en arrivant, de survoler les communes du Grand Nouméa et plusieurs quartiers de Nouméa, où des barrages et des zones de tension existent encore. Et je sais ici la grande détresse, la fatigue dans laquelle sont plongés plusieurs de nos compatriotes - qu'ils protègent leurs commerces, leurs entreprises ou tout simplement leur logement, ou qu'ils tiennent des barrages pour éviter la violence. C'est une situation qui n'est pas admissible, qui n'est pas tenable. Elle perdure depuis plusieurs jours et notre objectif est de restaurer l'ordre dans les jours à venir.

Nous le faisons simplement dans un cadre d'exigence de professionnalisme dont je remercie le ministre et l'ensemble des forces de sécurité intérieure. Deux de nos gendarmes ont été abattus, ce qui est inexcusable. Mais je le dis ici, aucune des victimes qui sont à déplorer depuis le début de ces violences n'est du fait des gendarmes, des policiers ; c'est le fruit de leur sang-froid, de leur professionnalisme et de la force de leur engagement.

Nous allons donc reprendre pas-à-pas, chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage. C'est pourquoi nous avons — et dans les heures prochaines, ils finiront de se déployer — 23 EGM qui seront sur le sol de Nouvelle-Calédonie, ce qui représente au total - avec les forces qui étaient déjà présentes - 3 000 forces de sécurité intérieure, ce qui est un niveau extrême et supérieur à ce que nous avions connu, par exemple lors des émeutes de l'usine du Sud lors du deuxième référendum. À cela s'ajoutent 130 membres du GIGN et du RAID ; ils sont indispensables parce que plusieurs de ces quartiers sont tenus par, aujourd'hui, des émeutiers qui ont décidé d'adopter des techniques quasi-insurrectionnelles, avec des équipements lourds, des positionnements en haut des toits et donc des situations qui ne permettent pas de rétablir l'ordre de manière classique. À côté de cela, nous avons 60 OPJ qui sont déjà déployés pour permettre de mener les procédures et d'avoir un suivi judiciaire optimal et en particulier des incarcérations qui s'imposent. Nous avons aussi déployé des magistrats en soutien de ceux qui sont présents et je remercie ainsi l'ensemble de nos forces de sécurité intérieure ici déployées, ainsi que nos magistrats, pour le bon suivi. Ceci sera complété par le déploiement de blindés et d'hélicoptères supplémentaires dans les prochaines heures. Notre objectif est, avec sang-froid professionnalisme, de reprendre l'intégralité, aujourd'hui, des points qui sont encore dans le désordre, la violence, les principaux quartiers encore touchés – Rivière salée, Kaméré mais aussi Ducos, Dumbéa ou les sites miniers.

À cela s'ajoute tout le travail qui va se poursuivre en matière de ravitaillement et d'accès à la santé, deux sujets essentiels pour nos compatriotes - je le disais ce matin - en particulier nos compatriotes qui sont dialysés. Plusieurs compatriotes qui ont des maladies lourdes et qui supposent des soins ont été des victimes très claires de ces barrages et de ces situations de blocage dans l'accès aux soins. C'est pourquoi, avec l'ensemble des forces de l'ordre, le concours aussi des polices municipales et de l'ensemble des personnels compétents des collectivités locales, nous allons finaliser le travail pour permettre le ravitaillement partout et l'accès à la santé.

Je vais ici aussi remercier les forces armées qui, dans le cadre des missions qui sont les leurs, strictement définies et rappelées dans le premier Conseil de défense et de sécurité que j'ai eu à présider, jouent un rôle absolument déterminant, à la fois pour sécuriser des emprises stratégiques mais aussi pour permettre le ravitaillement et l'accès aux médicaments.

L'objectif, vous le comprenez, c'est le retour au calme, à l'ordre, dans les meilleurs délais, mais en tenant cette ligne d'exigence que j'évoquais tout à l'heure, ce qui explique aussi que, dans le contexte actuel et si des appels au calme - j'y reviendrai - ne sont pas aujourd'hui pris par certains responsables, ceci prendra plusieurs jours. Je veux dire aussi ici à toutes les personnes qui en sont victimes notre plein soutien et notre détermination absolue.

Deuxième élément qui a fait l'objet de nombreuses discussions à la fois ce matin avec l'ensemble des élus, les maires - dont je veux saluer vraiment l'engagement, et de jour et de nuit aux côtés de leur population - mais l'ensemble des forces économiques et le président du CESE est évidemment sur la question économique et celle de la reconstruction.

À ce titre, la ministre déléguée restera dans les jours qui viennent, jusqu'en toute fin de semaine, et nous avons installé une mission compétente sur la reconstruction, présidée par Monsieur REQUIN ; une dizaine de hauts fonctionnaires viendront encore renforcer les équipes déjà présentes et une équipe dédiée à Paris travaillera sur ce sujet.

Aujourd'hui, les dommages sont en train d'être chiffrés, c'est l'un des objectifs de cette mission, ils sont colossaux dans le Grand Nouméa. Et donc, la priorité ira vers une aide d'urgence pour payer les salaires, pallier aux problèmes de trésorerie - des engagements ont déjà été pris lors des deux réunions qu'a présidées le ministre de l'Économie et des Finances - avec des délais de paiement, des reports de charges et de créances, avec un engagement des assureurs - et des équipes dédiées seront justement déployées - avec aussi des prêts à taux zéro pour accompagner l'ensemble des professionnels. Ce qui sera structuré dans les prochains jours, c'est la mise en place d'un fonds de solidarité pour venir en aide au monde économique et aider tout à la fois les salariés, mais aussi les gérants et indépendants qui sont dans une situation critique.

L'État, pour ce qui le concerne et pour ses bâtiments, procédera à des mesures d'exception pour une reconstruction dans les meilleurs délais des bâtiments publics et avoir une politique d'exception et d'urgence pour les écoles et collèges - même si la compétence n'est pas étatique en la matière, mais avoir une politique d'exception auprès des collectivités. Pour les collectivités locales, nous mettrons en place des dispositifs d'aide. D'abord, il y aura un système de responsabilisation dans le fonds que j'évoquais, nous le financerons pari passu, un pour un avec collectivités territoriales compétentes. Et puis, pour ce qui est des compétences des collectivités, nous viendrons compléter l'effort qui est fait sur l'activité partielle et les exonérations de charges.

Au-delà de la reconstruction d'urgence et de l'accompagnement, tout un travail doit être structuré pour reconstruire dans les meilleurs délais et de manière pertinente. À ce titre, les prochains jours seront utilisés pour définir la gouvernance de la reconstruction économique, établissements publics, organisations, pour que les choses soient le plus efficace et rapide possibles. Mais l'ensemble des parties prenantes - ça renvoie, je vais y venir, aux accords qui sont à négocier - devra aussi définir une stratégie économique plus largement pour la Nouvelle-Calédonie qui pense sa diversification et qui pense aussi l'avenir du nickel - ce qui est indispensable dans le contexte qui est le nôtre. Ces questions se posaient déjà avant ces violences ; elles sont encore plus aiguës et urgentes.

Enfin, le troisième pilier, après la sécurité et la reconstruction économique, c'est évidemment le chemin politique, la question politique qui est derrière une grande partie de ces violences et qui est aujourd'hui une de nos priorités. Je le dis avec beaucoup d'humilité, parce que la situation est complexe, elle est aussi l'héritage historique - je vais y revenir - d'accords mais c'est notre responsabilité, et je l'évoquais tout à l'heure en concluant devant toutes et tous. J'ai passé une heure - plusieurs d'entre vous étaient là - avec des jeunes de toutes conditions, vivant en Nouvelle-Calédonie ; j'ai été frappé à la fois par leur découragement dans les mots qu'ils ont utilisés, parfois leur peur, d'autres fois leur colère, leur découragement, leur angoisse du jour d'après et leur besoin d'avoir une vision d'avenir. Évidemment, ils ont aussi à la construire et je les ai incités à le faire, mais la responsabilité aujourd'hui de tous ceux qui sont en charge est vraiment de bâtir ce chemin.

Nous ne partons pas d'une page blanche. Le chemin qui est le nôtre, et je le dis ici, parce que cela demeure, est évidemment celui qui a été constitué dans les accords de Nouméa et de Matignon, en particulier le préambule qui a permis des avancées historiques, tout particulièrement sur le passé, la reconnaissance de la Nouvelle-Calédonie, le peuple kanak, cette histoire commune, les ombres et les lumières, mais qui a aussi posé les termes d'un destin commun, du rééquilibrage, des transferts de compétences, de la question minière, des trois référendums, et qui, durant les décennies passées, par l'engagement de plusieurs générations, a permis des avancées importantes : un retour au calme, plusieurs avancées.

Pour autant, il n'a pas tout purgé. Force est de constater qu'il n'y a pas aujourd'hui une vision d'avenir commune ; force est de constater que le rééquilibrage n'a pas permis de réduire les inégalités économiques et sociales, elles se sont même accrues. Et que les discussions que j'ai pu avoir avec les responsables politiques, économiques, comme la société civile, disent clairement que les inégalités sociales ont continué de s'accroître et que, pour partie, sans rien le justifier, elles nourrissent aussi une part du racisme qui a réémergé depuis onze jours et en quelque sorte d'une manière inédite dans son caractère désinhibé et assumé. De la même manière, ayons l'honnêteté de reconnaître que les référendums qui étaient prévus par ces accords n'ont pas pacifié les choses. En remettant une logique de bloc à bloc, de vu ou non, ils ont conduit les camps à se recompter et s'opposer.

Et donc, c'est aussi fort de ces enseignements, que nous devons penser la méthode pour l'avenir. Nous avons strictement appliqué ces accords - et je veux ici d'ailleurs le rappeler quand j'entends ce qui est parfois dit ou commenté. Ces accords prévoyaient trois référendums : le premier a été demandé par l'Etat, le deuxième a été demandé par les forces politiques non-indépendantistes, dites loyalistes, le troisième a été demandé par les indépendantistes en avril 2021 - que ça ne soit pas oublié non plus. Et donc nous avons suivi un chemin qui avait été tracé.

Pour autant, nous n'avons pas collectivement suffisamment pensé le jour d'après. Je l'ai dit le soir même des résultats du premier référendum : que ceux qui ont voté oui pensent à une vie commune avec ceux qui ont voté non et réciproquement. Ceci n'a pas été fait, et ce dos à dos, ce face à face, ce bloc à bloc a réapparu avec encore plus de force. Néanmoins, nous avons fait ce chemin, y compris celui des référendums qui étaient bien prévus par les accords, dans les conditions et aux initiatives que je viens de rappeler, malgré les temps difficiles et la gestion que nous avons réussie face au Covid et une politique de vaccination inédite dans la région, face aux crises qui ont pu apparaître comme celle de l'usine du Sud.

La question aujourd'hui est donc de retrouver la confiance, confiance entre les parties prenantes et les forces politiques, confiance entre les forces politiques et les élus, en particulier les maires, confiance entre le monde politique et les forces économiques qui ont exprimé toutes leurs défiances ce matin, et confiance collective dans l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, j'avais au fond dessiné une trajectoire qui demeure pleinement valide, celle tout à la fois d'un chemin de pardon dont j'ai confié la responsabilité au président MAPOU - et qui a très largement engagé ces travaux, et nous l'aiderons à les poursuivre et les parachever - et un chemin d'avenir. Et c'est bien celui-là dont il est question aujourd'hui.

Celui-ci est évidemment mis en danger, bloqué par cet embrasement de violence depuis douze jours maintenant. Ces violences sont multifactorielles, pour partie politiques ; elles sont aussi appuyées par des délinquants qui ont parfois dépassé leurs commanditaires - ça a été dit ce matin, d'ailleurs, très clairement dans le débat par plusieurs responsables - et puis une délinquance, je dirais, opportuniste qui s'est agrégée sur ces derniers. Et donc les facteurs sont multiples.

Mais il y a un désaccord politique qui s'est cristallisé, qu'il faut regarder en face, en sous-jacent celui du dégel du corps électoral pris comme un élément séparé du reste. Cette réforme - je veux ici le rappeler - j'en ai parlé en juillet dernier, quand j'étais ici, en indiquant ma préférence pour un accord global mais la nécessité, conformément aux accords précités et au chemin qui avait été prévu par les signataires même, de la nécessité de, passés les trois référendums, d'un dégel du corps, avec des critères et des restrictions qui préservent d'ailleurs la solidité et la continuité de l'île et la reconnaissance pleine et entière du peuple kanak. J'avais donc dit que ma préférence allait à un accord complet, mais que si celui-ci n'était pas trouvé dans un délai raisonnable, nous devrions au moins aller en vue des provinciales vers ce dégel.

Cette réforme ensuite, même si elle a fait l'objet d'un rejet par certains ici et a pu nourrir les violences, elle a une légitimité démocratique ; le texte proposé par le Gouvernement a été voté avec une majorité claire, et à l'Assemblée et au Sénat. Et je le dis en tant que Président de la République : on ne dispose pas de la souveraineté populaire comme d'un simple papier. Néanmoins, dans le contexte actuel, j'ai appelé ce soir tous les responsables à, au fond, une forme d'engagement collectif et volonté d'aller de l'avant pour tenir cet équilibre que j'évoquais : ne rien céder à la violence, mais ouvrir le dialogue et l'apaisement.

Aussi après avoir écouté tout le monde successivement et après avoir tenu des trilatérales ou multilatérales élargies et ce matin et cet après-midi, puis des bilatérales et des réunions avec les jeunes, avec aussi nos forces de l'ordre, j'ai pris un engagement très clair ce soir avec un processus très précisément défini. Je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas en force aujourd'hui dans le contexte actuel et que nous nous donnions quelques semaines afin de permettre l'apaisement, la reprise du dialogue en vue d'un accord global.

Ceci doit suivre les étapes suivantes. La première, c'est que, fort de cet engagement, j'ai demandé, et je demande ici, à ce que tous les responsables appellent explicitement à la levée des barrages et des points fixes. C'est la demande que j'ai formulée, en particulier, au FLNKS et au CCAT, et que cela se fasse dans les heures qui viennent, que ça se déploie dans les heures et jours qui viennent.

Deuxièmement, dès que les retraits seront effectifs et observés, l'état d'urgence sera levé.

Troisièmement, le dialogue politique doit reprendre immédiatement. C'est pourquoi j'ai décidé, écoutant la demande de plusieurs, d'installer une mission de médiation et de travail, installée aujourd'hui avec Messieurs BASTILLE, POTIER et THIERS, qui m'ont accompagné, et ils vont rester pour lancer le travail. L'Etat, à travers ces trois hauts fonctionnaires fins connaisseurs de cette question et des questions institutionnelles, jouera ici un rôle impartial pour permettre la reprise du dialogue et l'avancée des travaux pour un accord global.

Quatrièmement, je ferai d'ici un mois au maximum un point d'étape pour regarder en conscience les choses et prendre des décisions sur la suite institutionnelle à donner et je considérerai évidemment le retour au calme, mais également l'engagement sincère des partis à la reprise des négociations en vue d'un accord.

Cinquièmement, l'objectif est de parvenir à un accord global qui doit couvrir au moins les questions suivantes : celle du corps électoral et du dégel, celle de l'organisation des pouvoirs, avec des éléments de simplification indispensables entre le Gouvernement et les provinces en particulier, celle de la répartition des sièges, celle de la citoyenneté, code de citoyenneté, celle du nouveau contrat social et en particulier, la manière de régler les inégalités économiques, mais aussi les inégalités femmes-hommes, la question de l'avenir économique, de la diversification et du nickel, avec des pistes d'évolution pour les usines à court, moyen et long terme, et la question du vote d'autodétermination. Ma volonté est que cet accord global soit celui qui intègre notre Constitution.

Après avoir écouté l'ensemble des forces engagées, je suis confiant sur leur capacité à reprendre ce dialogue et à bâtir un accord global dans les semaines et les tout prochains mois. Cet accord doit être négocié évidemment par les forces politiques, légitimes pour le faire, mais doit aussi associer les maires, les forces vives, en particulier économiques, de la Nouvelle-Calédonie - à la fois compte tenu de ce qu'ils ont supporté ces derniers jours et au fond du fait qu'ils sont les premières victimes de l'incapacité à trouver un accord aujourd'hui, mais compte tenu aussi de leur légitimité et de leur esprit de responsabilité. On souhaite aussi que cet accord puisse être soumis au vote des Calédoniens.

Voilà, mesdames et messieurs, ce que je voulais ce soir vous dire, les décisions que j'ai prises à l'issue de cette journée de concertation, en redonnant ici le sens de tout cela.

La responsabilité qui est la nôtre collectivement est immense, c'est celle de réaffirmer l'ordre républicain, mais d'ouvrir ce dialogue dans lequel je crois et d'appeler l'ensemble des parties prenantes à l'esprit de responsabilité, parce que notre jeunesse le mérite, parce que la Nouvelle-Calédonie le mérite.

Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.


Journaliste
Monsieur le Président, vous parliez d'un vote sur cet accord des Calédoniens, est-ce à dire un quatrième référendum ? Quelle autre forme cela prendrait ? Ensuite, pour éclaircir votre calendrier, est-ce dans un mois que vous déciderez si la réforme du corps électoral tel que votée par les deux chambres ira au Congrès ou pas en fonction des avancées??

Emmanuel MACRON
Mon souhait est que nous ayons un accord global et que nous puissions constater d'ici à un mois que les violences ont cessé et que l'accord avance. C'est ce que je souhaite. J'espère en effet aller, du coup, dans le sens que vous évoquez. Je ne peux pas le préempter aujourd'hui. Cela dépend des 3 étapes qui précèdent, c'est-à-dire la levée des barrages, levée de l'état d'urgence et la reprise des négociations. Mais c'est bien le souhait qui serait le mien.

Pour ce qui est du référendum, il sera à définir dans le cadre de la réforme constitutionnelle pour pouvoir s'organiser dans les bons termes et avec les bons quorums. Mais l'objectif est bien d'un référendum à l'échelle de la Nouvelle-Calédonie.

Journaliste
Monsieur le Président, vous avez entendu tout à l'heure les jeunes parler de leur détresse, de leur découragement, de la difficulté qu'ils ressentent à éventuellement renouer entre eux, justement, les fils du dialogue. Comment ça peut se passer, d'après vous, après de tels traumatismes??

Emmanuel MACRON
Moi, j'ai été comme vous, frappé, en effet, par cet accablement et cette inquiétude du jour d'après. Et c'est pour ça que je le redis : tous ceux qui ont pris la responsabilité de gérer un désaccord politique par d'abord la montée des tensions verbales, puis des manifestations, enfin et surtout par la violence, ont une responsabilité immense à l'égard de leurs contemporains et des plus jeunes. La violence, on sait toujours comment on y rentre. C'est très dur de revenir en arrière. Donc, c'est aussi pour ça que j'ai appelé ce soir à la responsabilité.

Je me suis engagé en venant, ce qui est inédit dans une telle crise, parce que j'avais la conviction que c'était ce qu'il fallait faire pour essayer ce réengagement, cette ouverture. Je leur ai proposé un chemin d'apaisement. Mais ma conviction, c'est que pour répondre à l'inquiétude, l'angoisse de ces jeunes, la seule réponse qui vaille, c'est véritablement l'appel immédiat à lever des blocages et le retour au calme. Parce que nos jeunes, où qu'ils vivent, quels qu'ils soient, n'ont qu'un avenir, c'est en Nouvelle-Calédonie, et c'est en y trouvant la formation, l'emploi qui leur ira, pas en détruisant les capacités de formation et de production. Ça ne mène à rien.

Ensuite, il y aura un travail important de discussion, d'accompagnement. Il nous faudra trouver, là aussi, la forme politique pour le faire. Je pense que la capacité à lever et stopper les violences et à réenclencher l'accord sera déjà un signe. J'ai aussi quand même été frappé par leur volonté de vivre ensemble et de continuer à être là, et j'ai été frappé par la même volonté chez les maires et les forces économiques.

Donc, je suis confiant, mais je ne sous-estime pas le temps que ça prendra.

Journaliste
Monsieur le Président, qu'est-ce qui ressort de ces échanges avec les indépendantistes en particulier?? Ce temps qui a été, j'imagine, aussi assez fort, avec des visions qui ne sont pas forcément les mêmes aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous a frappé et quel est le message que vous leur avez envoyé??

Emmanuel MACRON
Écoutez, nous connaissons les accords et les désaccords. Moi, j'ai du respect pour toutes les forces politiques. Ils ont une légitimité. Et j'ai surtout cherché avec eux à voir comment engager ce chemin de désescalade. C'est en discutant avec les uns et les autres que j'ai bâti ces différentes étapes que je viens de vous exposer. Ils ont affiché une volonté, en tout cas claire et assumée, de bâtir un accord global. Ils ont marqué leur capacité à le bâtir, avec l'ensemble des parties prenantes, dans un délai raisonnable et à vouloir faire avancer le sujet de la levée des barrages.

Journaliste
Tous ?

Emmanuel MACRON
Oui, tous ceux qui étaient avec moi dans le cadre de cet apaisement que j'évoquais.

Maintenant, les questions qui sont devant eux et devant nous, c'est d'abord que j'attends la démonstration de la sincérité de cet engagement, c'est la première étape, et de leur capacité à le faire parfois auprès de groupes qui se sont peut-être autonomisés. Mais j'ai confiance en eux. C'est le choix que j'ai fait ce soir.

Ensuite, je leur ai dit et redit que je ne remettrai pas en cause et je ne reviendrai pas sur le troisième référendum. C'est un point de désaccord, mais il est assumé et que c'est dans l'accord global qu'ils pouvaient trouver un chemin qui corresponde à leur téléologie, puisqu'ils restent sur un objectif d'indépendance. Donc voilà, il y a des accords, des désaccords. C'est ça vivre ensemble dans un projet commun.

Je pense que ce qui est aujourd'hui surtout très important, c'est que pour notre jeunesse, pour aussi tout ce qui va être fait pour la reconstruction, il faut très rapidement revenir au calme. Il faut redonner un cap et de la visibilité pour tout le monde. Parce que s'il n'y a pas d'accord global, d'avenir, comme un projet pour la Nouvelle-Calédonie, avec aussi des délais décents qui donnent du calme, de la stabilité, qui réinvestira ? Qui rebâtira l'avenir ? Donc, je crois qu'ils sont conscients de leur responsabilité, ils ont pu exprimer leur désaccord. Je leur ai indiqué que l'Etat serait dans ce rôle d'impartialité.

Maintenant, je veux leur faire confiance. Ceci commence d'abord et avant tout par une exigence, celle du retour au calme et à la tranquillité.

Journaliste
Monsieur le Président, pourquoi n'ont-ils pas associé la parole aux actes ? Pourquoi ici même ils ne se sont pas réunis ce soir pour commencer ce dialogue ? Ils s'y sont engagés. Pourquoi ça marchera mieux demain, quand vous serez parti plutôt que ce soir ? Pourquoi aussi avoir invité la CCAT qui a été désignée comme responsable de ces émeutes ? Qu'ont-ils apporté à cette table ?

Emmanuel MACRON
D'abord, il y a eu tout ce monde pour une partie ne se parlait pas. Il y avait des discussions qui existaient entre certaines composantes. Mais l'intérêt de la très longue réunion de ce matin que nous avons eu, c'est que de manière ouverte, tous se sont parlés. Pas simplement sous le format trilatéral connu, mais à dessein. Je l'ai élargi parce que c'était la demande des maires et des forces économiques et parce que c'est le cadre que je veux pour bâtir le prochain accord. Et il est bon, y compris en associant d'autres forces politiques.

L'Eveil et d'autres ont un rôle important à jouer pour faire connaître. Ils se sont engagés sur ce chemin. Maintenant, ils ont leurs propres procédures Donc, sur la base de l'engagement que j'ai pris vis-à-vis d'eux, que j'ai tenu à expliciter devant leur représentant compétent qui était à la réunion élargie, juste avant que je vous retrouve. Ils sont en train de mener les concertations et l'engagement qu'ils ont pris vis-à-vis de moi, c'est de passer ces messages dans les heures qui viennent, selon leur procédure et leur organisation. Elle a ses complexités, je les respecte. J'ai demandé que ça se fasse dans les meilleurs délais et ils m'ont expliqué que ça se ferait dès demain.

Ensuite, à leur demande, j'ai en effet associé le responsable du CCAT. Parce que là aussi, c'est une question simple puisqu'ils me disent que le CCAT est une organisation politique, qui a eu recours à la violence, aux blocages, ce que nous désapprouvons, que nous condamnons, que nous poursuivons, que nous judiciarisons. Mais puisque c'est une organisation politique, ils ont souhaité que soit autour de la table, auprès d'eux aussi, pour qu'elle puisse s'engager.

J'ai considéré qu'il était plus efficace d'accéder à leur demande que d'y opposer un non. Et je considère avoir fait le maximum d'efforts possibles pour permettre un retour au calme. J'attends maintenant de l'esprit de responsabilité, tenir les engagements pris à mon endroit et les tenir jusque sur le terrain.

Journaliste
Monsieur le Président, vous avez rappelé ce matin, je crois, encore le poids de l'histoire ici. Est-ce que vous considérez que ce mouvement actuel est une révolte kanake, une insurrection kanake ? Comment vous définissez ce mouvement avec les complexités que vous avez aussi évoquées ? Et si c'est une insurrection kanake, est-ce qu'il faut continuer ce que vos ministres appellent la CCAT une organisation terroriste ou est-ce qu'il faut être plus précis dans la désignation des commanditaires comme on les a appelés ?

Emmanuel MACRON
D'abord, je pense que les ministres font attention à ce qu'ils disent et n'ont pas utilisé ce terme. Nous étions tout à l'heure avec nos forces de sécurité intérieure, plusieurs ont parlé d'insurrection, d'autres d'émeute, de grande violence. Je pense que la question n'est pas de savoir quel est le bon mot, parce que la réalité va nous le dire. Je suis extrêmement prudent et humble au moment où je vous parle.

Il y a eu des mots d'ordre politique. Les responsables et les fondateurs de la CCAT, ce sont des responsables politiques liés au FLNKS. Il y a en même temps des éminents responsables du FLNKS qui ont dit ce matin que des gens multirécidivistes sortant de prison, se sont joints, dont ils disent eux-mêmes qu'ils sont peu contrôlables et qui ont commis des exactions gravissimes et parfois des meurtres. Donc ce mouvement est protéiforme au moment où je vous parle.

Le pari que nous faisons collectivement, en responsabilité, c'est de dire si c'est un mouvement politique, alors apportons une réponse politique, celle que je viens de donner et mettons en responsabilité ces décideurs de suivre un chemin politique. Les prochains jours nous diront la nature de ce mouvement en fonction de sa réaction et de la capacité des dirigeants à le tenir ou pas. Je serai prudent à ce stade.

Ce qui m'importe, c'est qu'ils cessent et après, je serai le premier à vous répondre avec la plus grande précision sur le nom. C'est encore aujourd'hui, je dirais, trop protéiforme. Mais dans la République, que ce soit d'ailleurs politique, pas politique, je le redis ici : rien ne justifie la violence. Rien. Rien. Et moi, je ne sais pas expliquer aux maires et aux familles de gendarmes qui sont venus si loin pour défendre l'ordre républicain, pourquoi ils sont tombés.

Je pense que ceux qui ont appelé à ces violences ne savent pas davantage comment l'expliquer. Et ils ne sauront pas expliquer aux familles qui ont vu leurs jeunes ou moins jeunes tomber les 4 autres noms que j'évoquais ce matin, ou ceux qui sont morts parce qu'une dialyse ne pouvait leur être délivrée ou autre.

Donc c'est ça le problème de la violence, c'est quand elle arrive, elle sort et jaillit. Elle ne se justifie pas, même politiquement. Donc, c'est le retour au calme absolu.

Journaliste
Juste par rapport au dégel du corps électoral. Est-ce à dire qu'actuellement, dans l'état actuel des choses, vous renoncez à convoquer le Congrès fin juin ?

Emmanuel MACRON
Ça veut dire qu'aujourd'hui mon souhait est de pouvoir obtenir l'arrêt des hostilités et donc la levée des barrages et des points fixes, le retour au calme, la fin de l'état d'urgence, la reprise du dialogue. Et que sur cette base, à ce moment-là, je serais le premier à proposer qu'on prenne plus de temps pour avoir un accord global qui rentre dans la Constitution. Au moment où je vous parle, j'ai exprimé ma volonté d'aller dans ce sens et cet engagement. Mais dans la mesure où je n'ai reçu aucun engagement ferme en retour et je n'ai rien constaté, j'attends, je donne mon intention.

Journaliste
Et vous reviendrez sur place dans un mois pour ce point d'étape où vous laisserez votre Premier ministre ?

Emmanuel MACRON
Nous verrons les voies et moyens. Je pense que les constats seront assez factuels. C'est-à-dire qu'il sera assez simple de savoir si le calme est revenu et si des discussions ont commencé.

Journaliste
Justement, si le calme n'est pas revenu, si les barrages sont encore là, comment vous voyez les choses très concrètement ?

Emmanuel MACRON
Je verrais dans un mois. Ma conviction, si on croit dans l'apaisement et qu'on engage ce chemin, c'est qu'on a confiance. Donc, j'ai confiance dans toutes les parties prenantes. Dans un mois, je ferais ce constat en lien avec le Haut-commissaire et des missionnaires. Et puis, nous verrons les voies et moyens de faire.

Je ne veux pas ici m'engager à tel ou tel déplacement d'autorité ministérielle. Moi-même, je pense que le constat, il sera assez simple à établir et c'est à ce moment-là qu'il faudra prendre des décisions institutionnelles. Je les prendrai aussi en concertant avec l'ensemble des responsables politiques. Je rappelle simplement un cadre constitutionnel simple, cette réforme dont j'ai dit que je ne souhaitais pas la passer en force aujourd'hui et que je voulais nous donner la chance de ce processus d'apaisement.

Dans la mesure où elle a été votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, il appartient au Président de la République, de par notre Constitution, soit de la soumettre au Congrès, soit de la soumettre au référendum.

Journaliste
Avez-vous été surpris par le changement de ton de Marine LE PEN justement à propos de son référendum ?

Emmanuel MACRON
Je n'ai pas pour habitude de commenter les changements de ton de madame LE PEN parce qu'ils sont quotidiens et sur tous les sujets. Donc qu'il s'agisse de la sortie de l'euro, de la politique agricole commune, comme de la Nouvelle-Calédonie, sans doute demain de Mayotte, dès que ça devient difficile, c'est un vol d'étourneaux. Donc il ne vaut mieux pas compter sur elle.

Merci beaucoup.