Texte intégral
SONIA DEVILLERS
Bonjour Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Bonjour.
SONIA DEVILLERS
Après dix jours d'examen, parfois houleux, et plus de 4000 amendements, le projet de loi d'orientation agricole a été voté hier après-midi à l'Assemblée, il suscite de vives critiques à gauche et chez les écologistes, quelques-unes à droite aussi, on y reviendra. Selon vous cette loi répond-elle d'abord à l'énorme crise des agriculteurs au mois de janvier, qui a entraîné, on s'en souvient, manifs, barrages et destructions en tous genres ?
MARC FESNEAU
Ecoutez, la crise on y a répondu dans l'urgence sur un certain nombre de mesures, je pense à la crise viticole, la crise de la MHE, la maladie hémorragique épizootique, qui touche les bovins, on y a répondu par un certain nombre de mesures fiscales, on y a répondu par des mesures sur l'agriculture biologique, c'est plus de 600 millions d'euros qu'on a mis sur la table pour répondre à une crise, conjoncturelle souvent, structurelle parfois, je pense à la viticulture. Deuxième élément, ce texte il avait été préparé depuis une quinzaine de mois, en amont de cette crise, sur un sujet central qui était pour nous le renouvellement des générations. Juste un chiffre, 40 à 50% des agriculteurs, d'ici 2030, pourront partir à la retraite, c'est 200 000 exploitations qui vont chercher un repreneur, dans un contexte de crise, et dans un contexte, aussi, de trouver des outils, donc ce texte il a d'abord visé à répondre à ce sujet-là, le renouvellement des générations, et c'est du moyen et du long terme, deuxièmement, à répondre à des sujets de crise. Et l'un des sujets de crise, pour moi il y avait deux sujets de crise au-delà des sujets conjoncturels que j'ai évoqués, mais deux sujets principaux, un, le sens qu'on donne à l'agriculture, c'est qu'est-ce qu'on attend des agriculteurs, et peut-être qu'on avait un peu perdu le fil collectivement de qu'est-ce qu'on attendait, qu'est-ce qu'on veut avec des injonctions contradictoires, et puis deux, les sujets de simplification, et c'est ça qui est venu s'adjoindre au texte, article 1, plutôt sur la souveraineté, qu'est-ce qu'on entend par la souveraineté, et donc qu'est-ce qu'on attend de l'agriculture, et puis les articles de simplification à la fin du texte.
SONIA DEVILLERS
Monsieur le ministre, précisément, c'est-à-dire en termes de quelle vision le gouvernement a-t-il de l'agriculture et quelles sont les conséquences de la simplification, est-ce que les grandes exploitations, et notamment les céréaliers, en sortent vainqueurs, c'est la critique qui revient le plus, est-ce que ça favorise une vision productiviste de l'agriculture ?
MARC FESNEAU
J'entendais ça sur votre antenne ce matin, alors j'ai du mal à discerner, mais je vais relire le texte qui a été adopté hier, dans les 45 articles, ce qui accréditerait la thèse que c'était une loi pour les gros céréaliers, comme on dit…
SONIA DEVILLERS
Alors, par exemple, le texte facilite les grands projets, on va donner des exemples très concrets, la construction des retenues d'eau, l'agrandissement des élevages, qui seront désormais plus simples puisque les recours administratifs, les contentieux, vont être accélérés et vont être restreints. Est-ce que vous n'avez pas entendu les alertes du Conseil d'Etat à ce sujet ?
MARC FESNEAU
Mais… alors, d'abord premier sujet, ce n'est pas les grands projets, c'est… les projets de retenues collinaires, qui sont parfois, et souvent pour de petites exploitations, l'objectif ce n'est pas d'en rabattre sur les nécessités environnementales, les études d'impact, simplement c'est ; quand vous êtes éleveur ou quand vous êtes producteur et que vous avez besoin, y compris pour faire du maraîchage, d'avoir une retenue collinaire, si on vous donne entre trois et sept ans pour que votre projet aboutisse, compte tenu du contentieux, en fait vous abandonnez, et c'est ça ce qui se passe. J'étais l'autre jour dans le Finistère, où il y avait un projet d'élevage, ce n'est pas un projet d'agrandissement, un projet d'un jeune, avec 100 truies, ce qui n'est quand même pas, me semble-t-il, un élevage hyper industriel, qui n'avait pas pu s'installer sept ans plus tard, bon ! on a fait ça, donc l'objet il est un objet de tenir compte des questions environnementales, parce qu'on a besoin d'études d'impact, on a besoin de voir ce que ça donne, mais on a besoin de le faire…
SONIA DEVILLERS
Alors, autre exemple…
MARC FESNEAU
Quand c'est oui, c'est oui, quand c'est non, c'est non, mais vite.
SONIA DEVILLERS
Les haies, parce que c'est une question cruciale, les haies, supprimer les haies, déplacer les haies, jusqu'ici les démarches étaient multiples, elles étaient complexes, désormais un guichet unique, moins de paperasse, qui en sort gagnant ?
MARC FESNEAU
Elles étaient tellement efficaces, ces mesures-là, que c'était 20 000 kilomètres linéaires de haies qui disparaissaient chaque année, on avait sans doute la réglementation la plus compliquée du monde, donc ça ne marchait pas. Par ailleurs, on met 100 millions d'euros chaque année, c'est dans le budget du ministère de l'Agriculture, c'est moi qui l'ai souhaité parce que c'est un peu une obsession chez moi, la haie, certains disent que c'est une obsession et que j'en fais trop sur la haie, on peut avoir des obsessions, ce n'est pas une obsession malsaine…
SONIA DEVILLERS
D'autres vous répondent que les grands céréaliers aussi ont des obsessions sur les haies parce qu'ils ont besoin d'agrandir…
MARC FESNEAU
Mais il n'y en n'a pas des haies, il n'y en n'a pas des haies, dans les plaines céréalières, l'objectif c'est qu'il y en ait et qu'on ne soit pas dans un process où, quand on plante une haie, le premier réflexe qu'on a c'est les ennuis, pour pas prendre un autre mot, commencent, et que quand on a une haie, on se dise j'ai une haie, c'est bien, parce que la haie c'est bien pour la biodiversité, c'est bien pour l'eau, c'est bien pour les sols, c'est bien pour le climat, le stockage carbone, etc., mais si vous passez votre temps à dire à quelqu'un « quand tu plantes une haie, la première chose qu'on va faire c'est t'ennuyer », je répète, pour ne pas employer un autre mot, eh bien vous ne plantez pas de haie, parce que personne peut obliger quelqu'un à planter des haies, donc on a fait un mécanisme dans les haies qui est, avec un guichet unique, de faire en sorte… on a 14 réglementations sur la haie, donc vous plantez une haie, vous ne savez pas à quoi…
SONIA DEVILLERS
Oui, oui, Dominique SEUX c'était passionné pour le sujet pendant la crise des agriculteurs.
MARC FESNEAU
Je n'avais pas vu, mais c'est un vrai sujet en plus…
SONIA DEVILLERS
Les espèces protégées, Marc FESNEAU, parce que là aussi ça secoue beaucoup. On reconnaît un droit manifestement à l'erreur, aux agriculteurs, lorsque des espèces protégées, des oiseaux, des gibiers, des grenouilles, leurs habitats naturels sont atteints, sont abîmés, sont détruits, on crée une sorte de présomption de non-intentionnalité, si j'ai bien compris. Est-ce que c'est supposer, l'innocence a priori, est-ce que ça ne risque pas de tourner à l'impunité ?
MARC FESNEAU
Non mais, enfin, c'est le droit français. Enfin, tout justiciable il est présumé innocent. Il n'est pas présumé coupable en France. Or, le mécanisme était le suivant, c'est qu'on commençait par préjuger d'une intentionnalité, ce qui donnait lieu à des procédures qui étaient extrêmement lourdes pour des gens dont on ne savait pas à l'issue s'ils étaient intentionnels. Donc on ne remet pas en cause la question intentionnelle ou non, on ne remet pas en cause cette question-là. On dit simplement qu'on juge et qu'on jauge la gradation des peines en fonction de l'intentionnalité. Quand vous avez un acte qui est un acte non intentionnel, il n'est pas normal, me semble-t-il, que la peine soit la même que pour quelqu'un qui sciemment, y compris parfois en récidive, acte l'intentionnalité. On n‘aura pas non plus, je le répète, et on a eu des débats assez nourris sur ce sujet-là…
SONIA DEVILLERS
Très nourris. Vous voyez la colère que ça fait monter, les critiques que ça suscite.
MARC FESNEAU
Oui, mais je demande juste…
SONIA DEVILLERS
Quand Delphine BATHO, qui est députée écologiste, dit « C'est un permis de détruire la nature ».
MARC FESNEAU
Ça n'est pas un permis d'être la nature, parce que ça voudrait dire qu'on donnerait droit à ceux qui intentionnellement détruisent la nature, et vous me trouverez dans le texte ceux qui intentionnellement détruiraient la nature et qui ne seraient pas confrontés à la justice.
SONIA DEVILLERS
En tout cas, en cas de négligence grave, aucune sanction pénale.
MARC FESNEAU
Mais la négligence grave est une question, effectivement on verra dans la navette parce que je pense que la question de la négligence grave, mais ce n'est pas la non-intentionnalité, la négligence grave. La négligence grave, c'est ‘je m'en fiche', ce qui n'est pas pareil que ‘je ne savais pas vraiment' ou ‘je n'avais pas vu que je produisais cet acte-là'. Vous avez des gens, l'autre jour on me le signalait, qui ont pu mettre des produits phytosanitaires sur ce qu'ils pensaient être un fossé et pas un cours d'eau. De bonne foi manifestement, des gens qui n'ont jamais eu de problème avec qui que ce soit, y compris la police de l'environnement dont on a aussi besoin pour faire respecter la loi. C n'est peut-être pas pareil que celui qui le fait exprès. Peut-être qu'on peut distinguer dans la société française, y compris chez les agriculteurs, ceux qui font des actes intentionnels et ceux qui ne le font pas.
SONIA DEVILLERS
400 000 exploitations agricoles, c'est votre objectif, et 500 000 exploitants qui travaillent sur ces terres d'ici 2035. Est-ce que c'est un chiffre magique sachant que, vous l'avez dit, la moitié des agriculteurs auront atteint l'âge de la retraite dans dix ans, que le nombre d'exploitations a lourdement baissé ? Comment vous incitez les jeunes à s'installer ?
MARC FESNEAU
Alors, c'est la question de la rémunération, c'est la question de l'image du métier, et moi je m'attache à essayer de donner une image du métier qui soit pondérée. D'abord, c'est ma nature plutôt mais…
SONIA DEVILLERS
Là, c'est les critiques de la droite. Les critiques de la droite disent que le texte est trop faible sur la dignité, sur le revenu, sur l'image.
MARC FESNEAU
Non, sur la dignité je ne crois pas. Je pense qu'on a essayé d'avoir un débat. Sur le revenu, on a les lois EGalim il faut les parfaire, ce n'était pas l'objet du texte pour les raisons que je viens d'évoquer. Il faut les parfaire sans aucun…
SONIA DEVILLERS
Donc ça viendra.
MARC FESNEAU
Ça viendra dans l'été, comme conformément à ce qu'on a dit. 3 / Il faut essayer de leur simplifier la vie, de faire en sorte que ceux qui ont des projets puissent les porter. Il me semble que c'est important. Et puis 4/, on n'en a pas beaucoup parlé mais c'est un élément très important pour moi, il faut qu'on assume les transitions. Le système sur lequel les agriculteurs seront peut-être appelés à s'installer et à produire, c'est un système sous dérèglement climatique entre un et quatre degrés. Et je vois tous les jours des exploitations qui sont en situation d'impasse. Donc ceux qui disent qu'il n'y a pas de transition à faire se trompent. On a eu des débats avec l'extrême-droite sur ce sujet-là, c'est une erreur de faire croire qu'un à quatre degrés, moi je le vois tous les jours dans les fonctions que j'exerce, des gens qui sont en situation d'impasse, qui ne peuvent plus produire. Et donc, ça prouve d'ailleurs que la transition et la production, ça peut se combiner.
SONIA DEVILLERS
Marc FESNEAU, je ne résiste pas. Vous êtes du MoDem.
MARC FESNEAU
C'est vrai, depuis longtemps.
SONIA DEVILLERS
François BAYROU, Yaël GOOSZ vient de le rappeler, disait à notre micro dimanche " Je plaide pour qu'à partir du 10 juin, on dessine un paysage politique nouveau ". Et vous, vous plaidez pour un paysage politique nouveau dès le 10 juin ?
MARC FESNEAU
Oui, mais sans faire de jeu de mots, ce n'est pas très nouveau qu'au MoDem, on pense qu'il y a un moment où on a besoin de dépasser un certain nombre de clivages. J'ai essayé de le faire d'ailleurs sur ce texte. Sans revenir au texte lui-même, je pense qu'à un moment est-ce qu'il y a des sujets sur lesquels on ne pourrait pas essayer de trouver un terrain de compromis, un terrain d'entente, compte tenu des défis internationaux, européens…
SONIA DEVILLERS
Donc ça veut dire un remaniement ?
MARC FESNEAU
Mais ça, c'est l'écume des choses. Le remaniement, alors, on peut en être tous victimes d'un remaniement, mais ça c'est plutôt l'écume des choses. Le sujet, c'est quels sont les grands sujets qu'on a à traite et est-ce qu'on peut essayer, entre républicains si je peux dire, de trouver des terrains d'entente ?
SONIA DEVILLERS
Merci Marc FESNEAU.
MARC FESNEAU
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 mai 2024