Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à RMC le 20 juin 2024, sur le viol d'une jeune fille de 12 ans, juive, et ses agresseurs présumés de 12 et 13 ans, et sur l'antisémitisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Apolline de Malherbe - Journaliste

Média : RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions. Vous êtes ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, et vous êtes aussi en charge de la Lutte contre les discriminations. Est-ce que quand vous voyez le drame absolu qui s'est passé donc à Courbevoie, une jeune fille de 12 ans, violée parce que juive, ses deux agresseurs présumés ont 12 et 13 ans. Elle a été violée, torturée, insultée. Est-ce que vous vous dites : il y a quand même un truc qu'on n'a pas réussi à arrêter ?

AURORE BERGE
Oui, bien sûr, et puis, c'est la quintessence de beaucoup de choses qui dysfonctionnent en vérité, c'est à la fois l'antisémitisme qui a explosé depuis le 7 octobre, et qui est tout sauf résiduel dans notre pays. On avait présenté une étude, il y a quelques semaines, qui démontrait qu'il était encore plus présent chez les jeunes générations, à la fois chez les victimes, et chez les auteurs, qu'un tiers des Français juifs, de 18 à 24 ans disaient avoir vécu un acte antisémite depuis le 7 octobre. Donc on a cette prévalence-là qui est extrêmement importante, on l'a vu aussi pour les étudiants, qui l'ont subi à Sciences-Po, mais en vérité, dans tellement d'autres lieux. Et ça, c'est insupportable. On a la question du viol, on voit que le viol, ce n'est pas ce qui se produit uniquement dans une ruelle sombre, avec quelqu'un qu'on ne connaît pas, là, en l'espèce, d'après les faits en tout cas tels qu'ils ont été révélés, c'est aussi un ancien petit ami, donc ça veut dire des gens qu'on connaît, qui sont dans notre intimité…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui reproche à la jeune fille de ne pas l'avoir prévenu qu'elle était juive.

AURORE BERGE
Et vous voyez que c'est le carrefour des deux, c'est-à-dire le caractère insupportable d'un viol, et d'un viol parce qu'une enfant, parce qu'à 12 ans, on est une enfant, est juive.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc on est à la croisée effectivement de la question de l'hyper violence des très jeunes, de la relation entre les garçons et les filles…

AURORE BERGE
De la violence des jeunes, la relation garçons/filles…

APOLLINE DE MALHERBE
Et de la question de l'antisémitisme…

AURORE BERGE
Je me dis qu'en sous-jacent, au regard des abominations que cette enfant a vécues, il y a peut-être aussi la question de la capacité à avoir accès à des images auxquelles nos enfants ne devraient pas avoir accès. Parce qu'à 12 ans, ça ne vient pas de nulle part de se dire qu'on peut posséder comme ça le corps d'une petite fille, d'une jeune fille, qu'on peut lui faire subir ce qu'elle a subi, ça veut dire qu'on a peut-être vu des images…

APOLLINE DE MALHERBE
On ne va pas rentrer dans les détails, mais, effectivement, le récit est atroce…

AURORE BERGE
Terrible, et ces images, elles circulent, c'est pour ça qu'il faut en prémunir nos enfants pour qu'ils n'y aient pas accès. Parce qu'encore une fois, ils n'ont pas la capacité à avoir du recul, parce que ça entraîne chez eux cette espèce de culture du viol, de culture où on se dit que, encore une fois, on peut posséder, parce qu'on est un homme, parce qu'on est un jeune homme, le corps d'une fille, le corps d'une femme. Et en plus, à tout ça, on ajoute l'antisémitisme. Bref, tout ça est abominable et à la croisée malheureusement de beaucoup de choses qu'il faut qu'on arrive à réparer dans la société…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez dit, Aurore BERGE, l'antisémitisme qui est tout sauf résiduel. Le mot que vous utilisez, évidemment, n'est pas anodin. Il fait référence à la déclaration de Jean-Luc MELENCHON, une semaine tout juste avant les élections européennes, qui minimisait la question de l'antisémitisme en disant : il n'y a en France qu'un antisémitisme résiduel. Est-ce que vous estimez qu'aujourd'hui il y a une part de responsabilité de ce point de vue-là de La France Insoumise ?

AURORE BERGE
Sur l'antisémitisme, je ne me permettrai évidemment pas de le dire, sur l'abomination qu'a vécue cette enfant, évidemment. Mais il y a un antisémitisme qui existe dans tous les pores malheureusement de la société, et je l'ai déjà dénoncé. Vous en avez beaucoup parlé aussi depuis le 7 octobre, mais encore une fois, le 7 octobre, c'est des attentats terroristes qui ont été perpétrés. Ce sont des milliers de victimes, ça aurait dû immédiatement provoquer un acte d'empathie, ça a été l'inverse, ça a été la recrudescence de l'antisémitisme, c'est-à-dire, des Français juifs qui ont été pris pour cibles, parce qu'ils étaient juifs, alors que d'autres juifs avaient été pris pour cibles d'attentat.

APOLLINE DE MALHERBE
En l'occurrence, Aurore BERGE, on parle du viol, du viol d'une jeune fille juive. On ne peut pas s'empêcher de se dire qu'au fond, il y a eu aussi la question du viol comme une arme. Et ça a été démontré par les experts du monde entier, et notamment par une grande étude du New York Times. Le viol des jeunes, des femmes juives par les membres du Hamas a été théorisé. C'était une stratégie du Hamas, considérant que c'est véritablement une arme de guerre…

AURORE BERGE
Parce que le viol, c'est la stratégie de puissance absolue. Le viol, c'est le crime que les auteurs ne reconnaissent jamais, qu'ils n'avouent jamais. C'est le crime de possession, c'est celui qui vous détruit. C'est celui qui laisse des traces, celui qui peut laisser des traces parce qu'ensuite, les femmes tombent enceintes. Ce qui pose évidemment des problèmes majeurs, ensuite, et bouleversants à la société israélienne aujourd'hui, notamment sur la question des otages. Le viol, c'est ça. C'est se dire qu'une femme peut être la propriété d'un autre.

APOLLINE DE MALHERBE
La jeune fille en question, d'après les informations de BFMTV, a expliqué qu'elle avait caché donc en effet sa confession juive, justement parce qu'elle craignait des violences. Ça veut dire qu'une jeune, une petite fille, une fille de 12 ans, a intériorisé le fait qu'il fallait qu'elle cache être juive.

AURORE BERGE
Moi, ce que j'ai entendu des personnes que j'ai rencontrées, notamment depuis le 7 octobre, me disent qu'elles ont pris conscience qu'elles étaient juives, parce que pour la première fois de leur vie, elles ont subi l'antisémitisme. Et c'est à ce moment-là finalement qu'elles ont compris que peut-être, ça devenait pour certains un problème. Ce sont des enfants qui m'ont témoigné qu'on ne voulait pas partager leur chambre dans des classes de découverte, parce que ces enfants étaient juifs. Vous voyez, enfin, c'est ça, en fait. Donc, quand je dis : ça n'est pas résiduel en faisant référence à ces propos, c'est qu'on voit bien que, aujourd'hui aussi, dans les deux parties que nous affrontons, on a, d'un côté, ceux qui disent que c'est résiduel, et on a de l'autre, ceux qui considèrent normal de pouvoir investir des candidats sans vérifier en vérité leur passé et leur confier des responsabilités immenses. Et on ne peut pas accepter, dans notre société, au regard de ce que vivent nos concitoyens de confession juive, qu'elle soit réelle d'ailleurs ou supposée, on ne peut pas accepter que les deux blocs aujourd'hui que nous affrontons, considèrent que l'antisémitisme…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi réelle ou supposée ?

AURORE BERGE
Eh bien, parce qu'il y a des gens qui sont pris à partie au regard de leur patronyme, par exemple, donc qu'ils soient juifs…

APOLLINE DE MALHERBE
Ah, vous voulez dire, oui…

AURORE BERGE
Qu'ils aient telle ou telle religion…

APOLLINE DE MALHERBE
Qu'ils soient juifs ou non…

AURORE BERGE
Telle ou telle identité…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est au prétexte qu'au minimum leur nom serait juif…

AURORE BERGE
Au prétexte de leur patronyme qu'on les prend pour cibles.

APOLLINE DE MALHERBE
Aurore BERGE, l'une des réponses apportées un peu dans l'urgence hier par la ministre de l'Éducation, c'est de demander à ce qu'il y ait 1 h d'échanges sur la question du racisme et de l'antisémitisme en classe d'ici la fin de l'année. Ça veut dire peut-être aujourd'hui, demain ou la semaine prochaine. Je voudrais qu'on puisse donner la parole à Slim, qui nous a appelés au 32 16. Bonjour Slim.

SLIM, 59 ANS, ENSEIGNANT CHIMIE (VAL-DE-MARNE)
Bonjour Apolline.

APOLLINE DE MALHERBE
Slim, Vous êtes professeur, enseignant aujourd'hui, vous êtes enseignant dans le centre de Paris. Mais longtemps, dites-vous, vous avez été enseignant en ZEP en banlieue. Vous vouliez témoigner ce matin, vous nous avez appelés au 32 16, parce que vous avez constaté, en effet, cette montée de l'extrême, l'extrême violence et des injures, notamment antisémites, entre jeunes.

SLIM
Oui, je disais à votre secrétaire tout à l'heure qu'il ne fallait pas confondre, il y a Paris et Paris, et banlieue et banlieue. Il y a des établissements à Paris où j'ai remarqué qu'il y avait des propos antisémites de la part de certains enfants, et dans d'autres banlieues, je ne l'ai pas remarqué. Je ne fais pas la différence entre Paris et banlieues. Il y a Paris et Paris et banlieue et banlieue. Ce que je constate, c'est que, je vis en France depuis 41 ans…

APOLLINE DE MALHERBE
Parlez bien dans le téléphone, pardon, Slim, j'ai du mal à vous entendre. Allez-y…

SLIM
Là, vous m'entendez ?

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, oui.

SLIM
Je vis en France depuis 41 ans. J'ai vécu en Tunisie pendant 18 ans, j'ai vu plus d'antisémitisme à Paris qu'en Tunisie. Je le dis tout de suite, j'ai vu plus d'antisémitisme en France qu'en Tunisie…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous l'avez vu comment, c'est-à-dire, vous l'avez vu entre enfants, vous l'avez vu entre…

SLIM
Entre adolescents, entre adolescents, par exemple, vous avez un adolescent qui dit des propos antisémites, les juifs sont riches, ils passent à la télévision, nous, on ne passe pas à la télévision, et son meilleur copain est juif, il s'appelle BENSOUSSAN… il ne sait pas que son copain est juif parce qu'ils sont antisémites, mais ils ne savent même pas ce que c'est que le conflit israélo-arabe. Ils ne savent pas ce que c'est qu'un juif…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais alors, ça vient d'où ? Mais alors ça vient d'où ?

SLIM
Ah, ça vient des parents ! Ça vient des parents. Quand vous parlez à table de propos antisémites, les enfants deviennent antisémites. Quand vous parlez de propos homophobes à table, les enfants deviennent homophobes, moi, ma fille, je ne l'ai pas éduquée sur ça, moi, ma fille, si je fais une blague raciste ou antisémite, elle m'arrête tout de suite, elle me dit : papa, ça ne me fait pas rire. C'est ma fille qui m'éduque, moi. Donc, j'ai remarqué ça dans la rue, et j'ai remarqué même ça chez certains adultes, certains adultes, ils sont à table : ah, oui, un telle, elle s'est bagarrée, parce qu'elle a de l'argent, elle est juive… (inaudible) de la banque…

APOLLINE DE MALHERBE
Je vous entends mal, Slim. Mais je décrypte ce que vous dites pour ceux qui effectivement ne l'auraient pas forcément compris, Slim, vous dites : le problème aussi, c'est presque à table, c'est-à-dire que c'est devenu presque une banalité, y compris entre adultes, dites-vous, de dire : eh bien, untel, de toute façon, comme il est juif, il doit avoir de l'argent. Merci Slim de votre témoignage. Ce que je retiens quand même, c'est cette phrase terrible, quand vous dites : je vois plus d'antisémitisme ici, et vous l'entendez aussi entre jeunes. Les parents, Slim, qui insistent sur la responsabilité des parents. Vous parliez des réseaux sociaux à l'instant, mais est-ce que quand on a deux jeunes de 12 et 13 ans qui violent une autre jeune fille, et qui lui reprochent même de leur avoir caché qu'elle était juive, sous-entendu : si j'avais su que tu étais juive, je ne serais même pas sorti avec toi. Est-ce que les parents à un moment doivent aussi répondre de ces actes de leurs enfants ?

AURORE BERGE
Bien sûr. Nos enfants, ils sont poreux, ils sont poreux à nous, aux familles, aux entourages, aux réseaux sociaux, ça ne vient pas de nulle part, l'antisémitisme. On n'est pas naturellement antisémite à 12 ans, on n'est pas naturellement un violeur à 12 ans. Parce que si cette victime est une enfant, ceux qui l'ont violée ont le même âge, ils ont 12 et 13 ans. Donc ça veut dire que, évidemment, la question de la responsabilité parentale, elle doit évidemment se poser, la question, je le disais, d'images auxquelles sans doute ils n'auraient pas dû avoir accès et qui a, à mon avis, peut-être encouragé, ou en tout cas, les a acculturés, les a acculturés au fait de viol, encore une fois ; on trouve, moi, je me bats là-dessus depuis des mois, on trouve en quelques clics aujourd'hui des millions et des millions de contenus pornographiques où on a des vraies femmes qui se font vraiment violer, qui se font vraiment torturer. Ce n'est pas du cinéma, ce n'est pas du spectacle. Et donc quand nos enfants à 10 ans, à 11 ans, à 12 ans, ils ont accès à ces millions de contenus, eh bien, ils se disent que c'est normal, et que les femmes aiment ça, que les femmes veulent ça, que les jeunes filles veulent ça. Et là, en plus, vous ajoutez le climat antisémite…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, là, j'ai un petit peu du mal à vous suivre, parce que, en l'occurrence, quand même, on voit bien qu'ils ne font pas ça pour lui faire plaisir, enfin, je veux dire…

AURORE BERGE
Non, mais, ce que je dis, c'est que le viol est insupportable, est un crime abominable. Ce que je dis, juste, c'est que quand nos enfants ont accès à des contenus, dès le plus jeune âge, sur lesquels ils n'ont aucun recul, avec une telle facilité d'accès, évidemment qu'à un moment, ça infuse dans leur esprit, et on leur dit que, finalement, c'est normal aussi. Donc il faut reposer des limites. C'est le rôle des parents, c'est le rôle de la société, c'est le rôle de l'école, c'est notre rôle aussi de régulation. C'est pour ça qu'on a demandé, enfin, qu'il y ait une régulation sur l'interdiction d'accès des mineurs à des contenus auxquels ils ne devraient pas avoir accès. Et c'est enfin lutter pied à pied contre l'antisémitisme qui, encore une fois, existe dans toutes les sphères de la société, à tous les âges et est même encore plus prévalant chez les plus jeunes.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Aurore BERGE d'être venue dans ce studio…

AURORE BERGE
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et en charge de la Lutte contre les discriminations.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juin 2024