Déclaration de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur le soutien à l'Ukraine, le conflit au Proche-Orient, la réponse aux défis migratoires, la préparation de la COP29 et de la COP16 et les défis de politique étrangère liée à la Moldavie, la Géorgie, le Venezuela et le Soudan, au Sénat le 9 octobre 2024.

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Circonstance : Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024, au Sénat

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2024.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi, même s'il s'agit de faire une infidélité à mon hémicycle de cœur, de m'exprimer pour la première fois ici, au Sénat, afin de vous présenter les principaux sujets qui seront traités lors du Conseil européen des 17 et 18 octobre prochains.

J'ai toujours attribué beaucoup d'importance à la diplomatie parlementaire et au rôle des commissions sur les questions internationales. Sachez donc que l'exercice de ce soir m'est particulièrement cher. J'espère qu'il est le début d'un échange régulier entre nous dans le cadre de la culture de dialogue et de respect avec toutes les forces politiques que promeut le Premier ministre. Sachez que je me ferai un plaisir de continuer à échanger régulièrement avec vous.

Ce Conseil européen d'automne sera un moment important pour l'Europe, notamment du fait de la phase de renouvellement institutionnel qui s'est engagée à l'issue des élections européennes.

Les chefs d'État et de gouvernement aborderont des sujets majeurs pour notre pays et je constate que ces thèmes – nous pouvons nous en féliciter – reflètent les priorités de l'agenda d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne décliné depuis 2017.

L'Europe commence enfin à être moins naïve et moins dépendante. Elle défend ses frontières et ses intérêts économiques, en investissant dans la réindustrialisation. Elle développe son outil militaire pour assurer sa défense.

Alors que nos partenaires rechignaient à utiliser l'expression "autonomie stratégique", c'est aujourd'hui une évidence dans le débat public européen. Notre priorité est maintenant de décliner cette avancée sur toutes les grandes thématiques qui seront à l'agenda de la Commission européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la semaine prochaine, les chefs d'État et de gouvernement aborderont les sujets prioritaires suivants : le soutien à l'Ukraine ; le conflit au Proche-Orient ; la compétitivité, dans la lignée du rapport remis récemment par Mario Draghi ; la réponse aux défis migratoires ; la préparation de la COP29 et de la COP16 ; la lutte contre toutes les formes de discrimination ; enfin, les nombreux défis de politique étrangère qui se posent en Moldavie, en Géorgie, au Venezuela et au Soudan.

Sur l'Ukraine, les chefs d'État et de gouvernement discuteront de la finalisation du volet européen de l'emprunt auquel s'est engagé le G7 en juin sur le fondement des revenus tirés des actifs souverains russes immobilisés. Nous veillerons à ce que soit rappelée l'importance que tous les partenaires du G7 honorent l'engagement pris en juin dernier.

Il est urgent de doter l'Ukraine de ressources financières supplémentaires stables, car – rappelons-le – la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine engage à la fois notre sécurité et nos valeurs.

La France marquera également son attachement à ce que l'aide qui sera apportée aux Ukrainiens dans le cadre de cet emprunt bénéficie à leurs besoins les plus urgents, en particulier sur le volet militaire.

Par la même occasion, nous saluerons l'adoption du nouveau régime de sanctions visant les acteurs russes de déstabilisation dans le monde et contre nos États, dont la France fut, avec d'autres, à l'origine. Vous le savez, la lutte contre les ingérences étrangères russes est une priorité du Gouvernement.

S'agissant de la situation au Proche-Orient, qui est particulièrement mouvante et peut encore évoluer jusqu'au Conseil européen, le principal enjeu sera d'appeler, comme le fait la diplomatie française depuis plusieurs mois déjà, à s'engager encore davantage collectivement en faveur de l'obtention d'un cessez-le-feu, tant à Gaza qu'au Liban.

Le Conseil européen sera aussi l'occasion de présenter les contours de la conférence internationale pour le Liban qui se déroulera à Paris fin octobre, d'appeler à l'accroissement de l'aide humanitaire de l'Union européenne (UE) et des États membres afin de soutenir la population libanaise et de s'engager en faveur d'un soutien plus important envers les forces armées libanaises.

La discussion sur le conflit au Proche-Orient nous permettra de rappeler les fondamentaux de notre position : libération inconditionnelle des otages, acheminement de l'aide humanitaire à la population civile de Gaza et relance d'un dialogue politique menant à une solution à deux États dans le respect de la sécurité de l'État d'Israël – un droit inaliénable.

Sur l'Iran, nous rappellerons l'importance de l'unité des Européens face aux frappes contre Israël et aux activités de déstabilisation qui se poursuivent.

Nous saluerons l'adoption de nouvelles sanctions en réponse aux transferts de missiles balistiques iraniens à la Russie et aux activités déstabilisatrices de l'Iran dans la région, dont la récente attaque massive contre Israël. Le Conseil européen fera également un point sur les relations entre l'Union européenne et le Golfe, au lendemain du sommet UE-Conseil de coopération du Golfe.

Le Conseil se saisira évidemment des enjeux de compétitivité, une priorité de la France comme de la prochaine Commission.

Il s'agira d'un premier échange avant une discussion plus approfondie lors du sommet informel du 8 novembre prochain, qui se tiendra à Budapest en présence de Mario Draghi.

L'enjeu pour la France est d'obtenir une feuille de route concrète et ambitieuse pour mettre en œuvre de façon effective les recommandations formulées par le rapport Draghi qui, vous le savez, dresse un constat sévère, mais réaliste et lucide, du décrochage économique européen vis-à-vis de nos principaux concurrents, les États-Unis et la Chine. L'Europe est confrontée à un triple choc énergétique, commercial et sécuritaire, mais aussi aux défis liés aux transitions écologique et numérique et au vieillissement de sa population.

Nous sommes à un moment de bascule stratégique et nous devons saisir cette opportunité pour mettre en place une stratégie industrielle ambitieuse qui renforce la complémentarité entre les politiques industrielle, de concurrence, commerciale et budgétaire.

C'est à cette condition que l'Union européenne pourra relever avec succès le défi existentiel posé par la concurrence croissante des États-Unis et de la Chine. Je vous le dis ici, l'investissement dans l'innovation pour relancer la compétitivité du continent sera une priorité de notre action ; il s'agit de libérer l'épargne, qu'elle soit publique ou privée, et d'investir massivement dans l'intelligence artificielle, le quantique et les autres technologies d'avenir. Nous devons éviter que notre continent subisse un retard par rapport à ses concurrents qui serait irrattrapable.

La maîtrise des migrations est un enjeu pour le continent. La discussion du Conseil européen devrait porter sur les nombreuses propositions qui sont actuellement sur la table pour renforcer les instruments de la politique migratoire européenne.

La priorité pour la France est d'abord de mettre en œuvre et de renforcer les dispositifs existants. Le pacte sur la migration et l'asile est une première petite révolution. Nous veillerons à sa mise en œuvre rapide.

La révision de la directive 2008/115/CE, dite Retour, apparaît aujourd'hui nécessaire pour nous permettre de faciliter les procédures d'éloignement des déboutés des demandes d'asile.

S'agissant de la dimension externe, nous devons continuer de travailler à des partenariats plus ambitieux en matière de coopération et de réadmission avec les pays tiers, notamment de la rive sud de la Méditerranée, en utilisant tous les leviers dont dispose l'Union européenne.

Une discussion s'engagera également sur les enjeux à venir de la COP29 sur le climat et de la COP16 sur la biodiversité, qui se tiendront respectivement à Bakou et en Colombie en novembre. La France appellera à maintenir collectivement le haut niveau d'ambitions soutenu lors des précédentes COP et soulèvera plus particulièrement l'importance d'accompagner financièrement nos partenaires dans le combat contre le réchauffement climatique.

Ensuite, dans un contexte de recrudescence des menaces et des actes antisémites et racistes, notamment depuis le déclenchement du conflit au Moyen-Orient, le Conseil européen réitérera sa ferme condamnation de toutes les formes de discriminations.

Les échanges sur la Moldavie permettront de faire un point sur la situation politique intérieure de ce pays en proie à des manœuvres russes de déstabilisation, alors qu'il doit élire son président et se prononcer sur son avenir européen le 20 octobre.

Les chefs d'État et de gouvernement aborderont également la situation en Géorgie à la veille d'élections législatives déterminantes pour l'avenir du pays et dans un contexte de dérive persistante de son gouvernement sur les questions d'État de droit, de respect de la société civile et d'indépendance de la justice.

Concernant le Venezuela, la France l'a déjà affirmé : le choix du peuple vénézuélien doit être respecté. Or, face à l'absence de toute transparence du processus électoral, pourtant indispensable pour garantir la sincérité du scrutin, nous devrons conserver collectivement une posture ferme.

Enfin, la discussion s'achèvera par un point sur le conflit au Soudan, pays qui connaît aujourd'hui l'une des crises humanitaires les plus graves du XXIe siècle, faisant peser des risques sur la stabilité de toute une région. Il s'agira pour l'Union européenne et pour les États membres de réaffirmer leur engagement collectif, en poursuivant leur mobilisation pour répondre à la crise humanitaire et accompagner le dialogue inter-soudanais.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour échanger sur tous ces sujets. Je me réjouis de pouvoir travailler avec vous avant ce Conseil, de vous rendre compte en revenant de Bruxelles et de poursuivre nos échanges dans les mois qui viennent.

Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des affaires étrangères.

Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai choisi, au nom de la commission, d'intervenir sur deux points : l'Ukraine et la voix de la France en Europe.

Le Président de la République a promis il y a quelques jours, à la tribune des Nations unies, que la France ferait "tout ce qui est en son pouvoir pour que l'Ukraine tienne bon, se mette hors de danger et obtienne justice", notamment en lui fournissant "des équipements indispensables à sa défense".

Les dernières semaines de l'été ont été agitées par la question de savoir s'il fallait autoriser l'Ukraine à se défendre en frappant le territoire russe au moyen de missiles occidentaux à longue portée. Le président russe a fait savoir qu'il y verrait une participation directe des pays de l'Otan au conflit, laquelle appellerait une réponse symétrique.

La question semble avoir été tranchée par la négative aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne après un débat public nourri – du moins autant qu'il peut l'être sur ces questions délicates.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser la position de la France à ce jour en la matière ?

Le Président de la République a également réaffirmé notre objectif que l'Ukraine soit "restaurée au plus vite dans ses droits légitimes et qu'une paix juste et durable soit bâtie". Le 1er octobre, vous-même, monsieur le ministre, avez dit à un quotidien allemand que l'envoi de troupes au sol en Ukraine n'était toujours pas exclu.

Ainsi, nous souhaitons connaître précisément la forme que prendra le soutien français, mais aussi le soutien européen, à l'Ukraine dans les prochains mois.

Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur l'objectif précis de la France à plus long terme. Le Gouvernement se projette-t-il déjà vers l'après-guerre ?

Ce point est particulièrement important, alors que, trois jours avant son discours à l'ONU, M. Macron appelait à "penser une nouvelle forme d'organisation de l'Europe et repenser notre rapport à la Russie" une fois la guerre terminée.

Je voudrais dire qu'ici, dans cette assemblée, les sénateurs sont plus que jamais désireux de participer au débat sur l'architecture de sécurité européenne du futur et nous serons bien sûr à l'écoute du Gouvernement, s'il a des propositions.

Je voudrais également aborder la question de l'influence française au sein de l'Union européenne.

Appelant à faire preuve d'imagination, le Président de la République a encore suggéré qu'il faudrait penser "la réalité d'une Europe dans sa forme géographique, qui n'est ni tout à fait l'Union européenne ni résolument l'Otan". Est-ce à dire qu'il ne se fait plus guère d'illusions sur l'influence française au sein de l'Union ?

L'ancien commissaire européen Thierry Breton a récemment regretté que le poids de la France y soit "très dilué". En effet, il détenait auparavant un portefeuille important, qui est à présent éclaté entre cinq commissaires.

Il faut ajouter à cela que les portefeuilles de l'énergie et de la transition écologique ont été confiés à des commissaires notoirement antinucléaires et que le poids de l'Allemagne dans les institutions européennes va croissant.

Thierry Breton n'a sans doute pas tort d'attirer l'attention du public français sur les conséquences pour l'équilibre européen qu'aurait le possible retour de la CDU au pouvoir en Allemagne dans un an.

Dans ce contexte, l'état de nos finances publiques est le plus performant des contre-arguments au soutien du couple franco-allemand. Certes, la santé économique de l'Allemagne n'est pas très bonne non plus, mais au moins elle respecte les traités et, malgré sa faible croissance, elle pèse en Europe.

Face à ce constat, comment entendez-vous mettre un terme à l'affaiblissement continu – malheureusement ! – de nos positions au sein de l'Union ? Comment faire pour que la voix de la France porte en Europe ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Le soutien à l'Ukraine est un enjeu essentiel, puisque c'est finalement toute l'architecture de sécurité européenne qui a été agressée le 24 février 2022 par la Russie. Notre soutien, que ce soit sur le plan militaire, humanitaire, économique ou juridique, se poursuivra aux côtés de nos alliés européens aussi longtemps que nécessaire et que le droit international l'imposera.

Sur les différents points que vous avez mentionnés, le Président de la République a été très clair.

Beaucoup de lignes rouges ont été fixées à l'Ukraine ces deux dernières années, alors que la Russie elle-même ne s'en fixait pas. Par conséquent, nous n'allons pas communiquer sur ce point ; c'est tout le sens de l'ambiguïté stratégique qui a été choisie par le Président de la République.

L'enjeu aujourd'hui, notamment dans le cadre de cette réunion du Conseil européen, est de dégager les ressources dont ont besoin les Ukrainiens sur le plan financier pour pouvoir continuer à tenir d'un point de vue militaire. La priorité est de débloquer l'emprunt décidé par le G7 et financé à partir des intérêts des avoirs russes gelés. Nous sommes pour le moment dans une situation de blocage, notamment due à la position de la Hongrie, et des discussions auront lieu à ce sujet. On parle ici de 50 milliards d'euros répartis entre les différents membres du G7 ; cela permettra de donner de la visibilité à long terme à l'Ukraine.

C'est un enjeu majeur de sécurité pour nous, en particulier dans le contexte des élections américaines qui posent des questions de plus long terme, notamment la fiabilité de nos alliés américains et les garanties de sécurité au sein de l'Alliance atlantique. Vous avez vous-même mentionné les questions d'architecture de sécurité ; les sénateurs doivent naturellement prendre part à ces réflexions.

En ce qui concerne l'influence française, qui va au-delà des questions de portefeuille ou de personne et sur laquelle je suis sûr que j'aurai à revenir dans la suite de notre débat, je voudrais souligner que toutes les priorités que nous portons depuis quelques années – la souveraineté industrielle et technologique, la défense, le nucléaire, la prospérité et la compétitivité, etc. – sont au cœur des priorités de la nouvelle Commission. Nous veillerons naturellement, au-delà de la question du portefeuille du commissaire français, à continuer à les porter, parce que nos intérêts concernent les portefeuilles de tous les commissaires.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Je reviendrai tout à l'heure, si j'en ai le temps, sur votre dernière question.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre prochains abordera la question de la préparation de deux temps forts de la diplomatie environnementale : la COP29 sur le changement climatique et la COP16 sur la biodiversité.

Le suivi de ces négociations internationales environnementales est une priorité pour la commission que je préside, tout comme pour notre groupe de suivi consacré à ces sujets et présidé par notre collègue Ronan Dantec.

Je commencerai par la COP29 relative au climat, qui se déroulera à Bakou en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre.

Un des principaux objectifs de la présidence de la COP29 est la négociation d'une nouvelle cible en matière de financement climatique ayant vocation à remplacer en 2025 l'objectif de 100 milliards de dollars par an fixé lors de la COP15 de Copenhague en 2009.

Cette conférence est cruciale pour le respect des objectifs climatiques : si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur un nouveau cadre d'aide aux pays en développement, ces derniers pourraient relâcher leurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les parties auront à concilier durant cette conférence de nombreuses divergences, qui portent à la fois sur le montant des contributions financières – elles doivent être à la hauteur du défi – et sur la liste des pays contributeurs qui pourrait intégrer les recompositions à l'œuvre de l'économie mondiale.

La France, qui a contribué au financement de l'action climatique à hauteur de 7,6 milliards d'euros en 2022, a aujourd'hui dépassé son objectif de consacrer 6 milliards d'euros par an à ce financement.

À ce titre, la France est donc parfaitement légitime à continuer à cette occasion d'être, avec l'Union européenne, un moteur de la négociation climatique internationale, comme elle l'a superbement montré il y a neuf ans lors de l'adoption de l'accord de Paris à l'occasion de la COP21, en contribuant à l'élaboration d'une position de compromis au-delà des clivages traditionnels lors des négociations climatiques.

Venons-en à l'autre temps fort diplomatique qui fait l'objet de toute l'attention de notre commission : la COP16 relative à la biodiversité qui aura lieu à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre prochains.

Il s'agit, à la différence d'il y a deux ans, d'un rendez-vous plus technique que politique qui vise précisément à mettre en œuvre l'accord de 2022, auquel la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est particulièrement attachée.

Fin 2022, la COP15 avait conduit à la signature de cet accord qui fixe un nouveau cadre mondial en faveur de la biodiversité, remplaçant les précédents objectifs d'Aichi. Il prévoit l'atteinte en 2030 de vingt-trois cibles mondiales définies pour parvenir à un "mode de vie en harmonie avec la nature".

Une délégation de la commission, composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé et Jean-Michel Houllegatte, s'était d'ailleurs rendue au Canada dans le cadre de cette conférence. Dans son rapport d'information, la délégation avait salué ce cadre mondial ambitieux en faveur de la biodiversité, tout en alertant sur ses limites : de la robustesse du suivi et des mécanismes de correction des trajectoires en matière de biodiversité dépendra l'atteinte réelle des objectifs. Nous devons éviter le syndrome des "accords de papier" et des ambitions qui restent lettre morte.

Deux ans plus tard, il convient d'assurer la mise en œuvre concrète et opérationnelle du nouveau cadre mondial de la biodiversité, en tirant un premier bilan de la situation et des stratégies nationales élaborées par les États.

Aujourd'hui, il est temps de définir un cadre de financement pour assurer la mise en œuvre de mesures adéquates de protection de la biodiversité. La répartition de ces financements entre pays du Nord et pays du Sud constituera aussi une question épineuse et complexe à laquelle les négociateurs de la COP16 devront apporter des réponses.

Sur ce sujet également, j'invite le Gouvernement à se saisir de ces enjeux majeurs afin que l'Union européenne continue d'être une force motrice en vue de fixer d'ambitieux objectifs communs et répondre ainsi aux multiples défis environnementaux.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, nous partageons les objectifs et les constats que vous venez d'évoquer.

Nous devons accompagner nos partenaires en développement dans le combat contre le réchauffement climatique et l'adoption d'un nouvel objectif financier ambitieux doit être une priorité majeure de la COP29. Il faut que tous les pays qui sont en mesure de le faire participent à la solidarité financière internationale.

La France – je vous remercie de l'avoir dit – est l'un des principaux contributeurs : nous nous étions fixé un objectif de 6 milliards d'euros ; avec 7,6 milliards cette année, nous l'avons dépassé.

Sur la COP15 aussi, il nous faut être à la hauteur des ambitions qui ont été affichées. L'adoption du cadre mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal a permis de fixer des objectifs ambitieux pour la restauration et la conservation des écosystèmes et la COP16 doit maintenant nous permettre, dans cette lignée, de mettre en œuvre des stratégies nationales concrètes pour les atteindre.

À ce titre, la mise en place d'un mécanisme de suivi est un élément clé afin d'assurer la transparence et la redevabilité pour tous les acteurs. Soyez assuré que la France est particulièrement engagée dans la mobilisation des financements et l'élargissement de la base des donateurs.

Notre pays excède ses engagements en ayant atteint, avec deux années d'avance, son objectif d'un milliard d'euros d'aide publique au développement (APD) consacrée à la biodiversité et nous sommes très attentifs à la suppression des subventions néfastes.

Soyez assuré, là aussi, que ma collègue qui siège au Conseil Environnement a mis ces sujets au cœur de ses priorités.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen s'inscrit dans un contexte particulier d'un point de vue économique et financier, puisque le Conseil de l'Union européenne a approuvé, le 26 juillet dernier, l'ouverture d'une procédure de déficit excessif à l'encontre de sept pays de l'Union européenne, dont la France.

Alors qu'à la fin de la crise sanitaire le déficit public de la zone euro a convergé vers les 3 %, le déficit français n'a cessé, depuis 2022, de diverger. Dans son rapport qui présente un état des lieux de la situation économique et budgétaire des États membres fin 2023, la Commission européenne dresse un constat sans appel : la France, avec un déficit public de 5,5 % du PIB et une dette publique à plus de 110 %, est largement en dehors des critères fixés par le pacte de stabilité et de croissance (PSC).

Contrairement aux projections flatteuses inscrites par le gouvernement précédent dans son programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, cette situation préoccupante est loin de se corriger en 2024 – bien au contraire !

Tandis que la France s'était engagée à réduire son déficit public à 5,1 % du PIB en 2024, le ministre du budget l'estime désormais à 6,1 %. Par ailleurs, la dette s'établissait déjà à 112 % du PIB à la fin du deuxième trimestre. Si nous ne faisons rien, la situation risque de se dégrader encore en 2025.

Cette situation détériorée est injustifiable hors période de crise et nous singularise – malheureusement – au milieu de nos partenaires européens. Or elle ne saurait être imputée aux seules crises sanitaire ou énergétique, dont les conséquences sur les déficits publics sont aujourd'hui d'une importance réduite.

La Commission européenne souligne dans son rapport que la situation des finances publiques de la France n'est "ni exceptionnelle ni temporaire". D'après les dernières estimations, le déficit est attendu à 6,5 % en 2025, très loin des 3 % fixés par le PSC. La dette publique devrait dépasser, si rien n'est fait, les 114 % en 2025, largement au-delà de la limite de 60 % fixée par le traité.

Comme je l'ai mis en évidence dans le rapport que j'ai présenté au nom de la commission des finances le 12 juin dernier, la dégradation des finances publiques de la France en 2023 est avant tout le résultat de prévisions macroéconomiques imprudentes des gouvernements précédents et, surtout, du déni dans lequel ils se sont enfermés, alors qu'ils avaient en leur possession toutes les informations permettant d'anticiper cette situation.

Le Sénat n'a pourtant eu de cesse depuis plusieurs années d'alerter les gouvernements sur l'état de nos finances publiques. Il a proposé de nombreuses pistes d'économies, notamment dans le cadre du dernier projet de loi de finances, toutes balayées d'un revers de la main.

Notre pays se trouve désormais dans une situation délicate et sa crédibilité apparaît durablement entamée face à ses partenaires européens.

La procédure de déficit excessif ouvre une période d'ajustement de quatre ans pour retrouver un déficit de 3 %. Si la gouvernance économique européenne réformée permet bien une prolongation de trois ans de cette période, c'est à condition de présenter "un ensemble de réformes et d'investissements vérifiables et assortis d'échéances".

Monsieur le ministre, comment entendez-vous mettre la France en conformité avec ses engagements européens ? À défaut, le Conseil pourrait enjoindre à la France de prendre des mesures de redressement de ses comptes publics sous six mois.

Enfin, le gouvernement précédent n'a pas été en mesure de transmettre un plan budgétaire et structurel national avant le 20 septembre, comme cela était pourtant requis. Vous avez déclaré, monsieur le ministre, avoir obtenu de la Commission européenne un délai jusqu'au 31 octobre – tant mieux ! Tiendrez-vous cette nouvelle échéance et quand comptez-vous transmettre ce document au Parlement, conformément à l'article 1 K de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Comme vous l'avez mentionné, monsieur le rapporteur général, la France fait l'objet, ainsi que six autres pays de l'Union européenne, d'une procédure de déficit excessif engagée par la Commission européenne.

C'est effectivement, comme vous l'indiquez, un enjeu de crédibilité pour notre pays, y compris, au-delà de la simple question budgétaire, pour toutes les politiques que nous voulons promouvoir – souveraineté technologique, défense, protection de nos agriculteurs, etc. L'influence, la voix de la France en Europe, dépendra aussi de la crédibilité de la trajectoire fiscale et budgétaire que nous communiquons à nos partenaires.

Vous savez que le Premier ministre et le Gouvernement en font une priorité majeure. Nous allons entrer ces prochains mois dans un cycle budgétaire qui permettra de lancer une trajectoire de redressement de nos comptes publics pour revenir à 3 % de déficit à l'horizon 2029. Cette année, nous vous proposerons un budget ambitieux de réduction de notre dépense publique, laquelle est aujourd'hui la plus élevée de l'OCDE, ce qui nous placera sur cette trajectoire.

Vous avez raison de le rappeler, nos partenaires nous attendent sur ce sujet et nous serons au rendez-vous. Au-delà de la question de l'équilibre des comptes publics, il y va de la crédibilité de nos positions sur tous les grands dossiers européens.

J'ajoute que l'Union européenne devra dégager des ressources pour investir dans les industries d'avenir, comme la technologie de l'intelligence artificielle, la défense, l'espace, l'énergie. Nous devrons collectivement, à l'échelon européen, dégager des ressources d'épargne à la fois privée et publique pour pouvoir investir au même niveau que nos concurrents et partenaires, notamment les États-Unis, à l'instar de ce que nous avons su faire lors de la crise du covid-19 avec le plan Next Generation EU. C'est le message que portera la France en s'appuyant sur les conclusions du rapport Draghi.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances, pour la réplique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le ministre, j'apprécie le ton de votre discours, qui a radicalement changé. En effet, vous avez repris calmement les arguments que nous développons depuis un certain temps sur le dérapage de nos comptes publics, qui nous met en situation de fragilité, et pas seulement par rapport aux objectifs du pacte de stabilité et de croissance. C'est aussi un enjeu de souveraineté, car nous nous mettons dans la main des marchés, qui ne font pas de cadeaux. Nous le savons, la dette appartient de plus en plus à des investisseurs étrangers, avec des taux en progression et des conditions qui risquent de peser lourdement…

Monsieur le ministre, je vous charge de sensibiliser vos collègues du Gouvernement sur l'importance de l'allégement de la dette, qui passe aussi par une meilleure implication au niveau européen.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, vous avez parlé de votre hémicycle de cœur. Sachez qu'ici – vos prédécesseurs me l'ont dit à plusieurs reprises –, c'est comme dans le film Bienvenue chez les Ch'tis : on pleure quand on arrive, mais aussi quand on part. (Sourires.)

Tout semble se remettre enfin en ordre de marche, mais le monde ne nous a pas attendus. L'ordre du jour du prochain Conseil en témoigne, avec un volet international d'une ampleur considérable, reflet de l'intensité de la période que nous vivons.

L'Union européenne semble bien impuissante pour mettre fin à la guerre en Ukraine, éviter l'embrasement autour d'Israël ou apaiser la situation au Soudan. Même sur son cœur de métier, sur lequel je vais me concentrer, l'Union est à la peine : la liberté de circulation qui la fonde est chaque jour plus contestée.

Près d'un tiers des États membres, dont notre pays et désormais l'Allemagne depuis trois semaines, ont rétabli temporairement les contrôles aux frontières intérieures, conformément au code Schengen qui l'autorise en cas de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. La pression politique a encore augmenté d'un cran avant-hier, avec l'appel d'une majorité d'États membres, dont la France, à réviser la législation sur les retours des migrants irréguliers.

La triste actualité nous le rappelle trop souvent : il est indispensable de garantir l'éloignement efficace des personnes qui n'ont pas le droit de rester sur le territoire de l'Union, sans quoi la politique européenne de l'asile sera menacée. D'ores et déjà, la Hongrie, après les Pays-Bas, a demandé à la Commission européenne une exemption des règles européennes en matière d'asile et de migration si une modification des traités devait avoir lieu à l'avenir.

Monsieur le ministre, que compte proposer la France à ses partenaires, précisément, pour répondre efficacement au défi migratoire ? J'y suis quotidiennement confronté dans mon département et j'en suis convaincu : c'est un défi européen qui appelle une réponse européenne.

La compétitivité du marché intérieur est un autre défi proprement européen. C'est la condition sine qua non de la souveraineté européenne, qui est d'autant plus vitale que l'instabilité géopolitique transforme nos dépendances en vulnérabilités. C'est pourquoi les rapports rendus avant l'été, par Enrico Letta sur l'avenir du marché intérieur, puis par Mario Draghi sur l'avenir de la compétitivité européenne, ne sauraient rester lettre morte.

Décrochage clair de sa croissance ; moindre accès aux marchés mondiaux ; perte de son principal fournisseur d'énergie ; nécessité de réinvestir dans la défense, mais aussi dans les technologies émergentes après avoir manqué le train du numérique ; perspectives démographiques négatives : le constat est sombre pour l'Union, qui ambitionne d'être leader dans les nouvelles technologies – phare de la responsabilité climatique et acteur indépendant sur la scène mondiale –, tout en gardant son modèle social. Il s'agit d'un "défi existentiel", comme le dit Mario Draghi, et l'Union doit vite réagir, en trouvant comment devenir plus productive.

Le Conseil européen risque de reporter ce sujet à sa rencontre informelle en novembre, mais nous ne pouvons pas attendre, monsieur le ministre ! D'ores et déjà, l'Espagne propose un "laboratoire de compétitivité" pour tester des initiatives avec quelques États membres avant d'envisager de les étendre à tous : la France, que nous savons très occupée à rétablir sa crédibilité budgétaire auprès de ses partenaires et qui sort également affaiblie du changement in extremis de son candidat pour la Commission européenne – le choix a été trop rapidement fait –, ne doit pas rester à l'écart de cet élan.

Je voudrais insister sur l'enjeu démocratique qui s'y attache. Ces réformes ambitieuses ne seront durables que si elles bénéficient d'un soutien démocratique. Mario Draghi lui-même a appelé à veiller à ce que nos institutions démocratiquement élues soient au centre de ces débats. Les parlements nationaux en font partie et je souhaitais, monsieur le ministre, le rappeler fortement ce soir : il importe que l'exécutif prenne bien soin d'associer le Parlement aux réorientations profondes de l'Union qui s'annoncent.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le président, je ne suis pas sans savoir que votre territoire est au cœur de cet enjeu migratoire. Je vous remercie d'avoir souligné qu'il s'agissait d'un enjeu européen appelant une réponse européenne, laquelle devra être robuste, ferme, humaine. La maîtrise de l'immigration attendue par nos concitoyens fait aujourd'hui consensus chez nos partenaires européens. La crédibilité de l'Union sera jugée à l'aune de sa capacité à obtenir des résultats concrets dans la maîtrise des flux migratoires.

Nous avons adopté le pacte européen sur la migration et l'asile, qui est une avancée majeure. Il permet notamment une première sélection des demandeurs d'asile aux frontières de l'Union européenne. Nous appelons maintenant, avec nos partenaires, à sa mise en œuvre rapide, mais globale, et non pas différenciée. En effet, on commence à voir émerger un débat chez certains pour mettre en œuvre certaines parties du pacte avant d'autres.

Nous militons, pour notre part, en faveur d'une approche globale et équilibrée des différentes problématiques auxquelles sont confrontés les États membres : c'est ce qui fait la force et la justesse de ce pacte. Pendant trop longtemps, nous avons laissé certains partenaires, comme l'Italie et la Grèce, seuls face au défi migratoire. Nous avons une responsabilité collective à cet égard.

Il faudra aussi penser aux prochaines étapes, notamment la directive Retour. Je rappelle à ce sujet les efforts déployés par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur pour réformer ce texte et permettre une expulsion plus rapide des déboutés du droit d'asile. Il importe également de repenser les instruments des politiques externes de l'Union européenne : la politique des visas, les accords commerciaux, la conditionnalité de la politique d'aide au développement, ainsi que les partenariats plus globaux avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. C'est un enjeu véritablement générationnel, compte tenu des bouleversements climatiques, démographiques et économiques auxquels font face ces régions. Cela doit être au cœur des priorités de la politique externe de l'UE.

Enfin, je vous remercie d'avoir parlé de la compétitivité. La France sera au rendez-vous de ce débat. Nous porterons des propositions avec nos partenaires, notamment sur les investissements. L'Union devra opérer un changement de braquet, après avoir mis l'accent ces dernières années sur la régulation pour encadrer les plateformes numériques, pour protéger notre industrie et notre souveraineté technologique. Nous devons maintenant mettre en œuvre les mesures qui permettront d'avoir l'environnement le plus propice à l'innovation, à l'entrepreneuriat. Il importe également d'unifier les marchés de capitaux, une étape absolument essentielle. Sur ce dernier sujet, la France sera extrêmement active auprès de la Commission.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes, pour la réplique.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Je veux revenir sur Schengen et l'utilisation de cette possibilité qu'ont les États membres de fermer leurs frontières intérieures. C'est à mon sens un échec, même si cela peut paraître opportun. Ce qui compte, c'est la protection des frontières extérieures avant tout. Le Sénat a fait un travail important sur Frontex que le Gouvernement pourrait reprendre.

Par ailleurs, sur l'union des marchés de capitaux, je rappelle que l'épargne des Européens représente 30 000 milliards d'euros. Il y a sûrement des choses à faire de ce côté-là avant d'envisager d'autres emprunts pour mettre en œuvre le rapport Draghi.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, mes chers collègues, je m'associe d'abord aux félicitations adressées à M. le ministre pour sa nomination, et je formule le vœu que s'engage une bonne collaboration avec le Sénat.

Il sera notamment question lors du Conseil européen des 17 et 18 octobre de la situation internationale, qui est critique. Mon intervention y sera consacrée.

Je commencerai par parler de l'Ukraine. Les négociations en vue de son processus d'adhésion ont débuté le 25 juin dernier à Luxembourg, conjointement avec celles relatives à l'adhésion de la Moldavie.

Lors des différentes auditions que nous avons menées ici, au Sénat, nous avons pu mesurer que la route pour l'adhésion serait plus longue que prévu. Bien que l'Ukraine doive faire face à une situation de guerre avec la Russie, il est, à mon sens, important de ne pas griller les étapes. Toute procédure d'adhésion, quelle que soit la situation du pays concerné, doit se faire sans précipitation et dans le respect des règles.

Lors de la réunion du Conseil européen de février 2023, les dirigeants de l'Union ont pris acte des efforts considérables que l'Ukraine a déployés en vue d'atteindre les objectifs indispensables pour justifier de son statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union.

Nous avons pu observer que l'Ukraine continuait de déployer d'importants moyens pour remplir les conditions d'adhésion à l'Union européenne. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si des points particulièrement litigieux au cours de l'examen analytique de la candidature pourraient retarder ce processus d'adhésion ?

Sur l'Ukraine toujours, il n'est pas neutre de rappeler que se tiendra bientôt, le 5 novembre 2024, l'élection présidentielle aux États-Unis. Deux scénarios sont possibles.

Le premier repose sur l'élection de Kamala Harris, l'actuelle vice-présidente.

Le second scénario, c'est la réélection de Donald Trump. Cette dernière hypothèse est la plus inquiétante, notamment pour la cause ukrainienne.

Donald Trump, dont la proximité avec Vladimir Poutine lors de sa présidence n'est plus à démontrer, a indiqué pouvoir mettre fin à la guerre en quelques heures s'il est réélu. Si cette solution se traduisait par l'arrêt de livraisons d'armes et de moyens par les États-Unis au profit de l'Ukraine, pour l'affaiblir considérablement, l'Union européenne serait-elle en mesure de pallier la fin de l'aide américaine ?

J'en viens maintenant à la situation au Moyen-Orient, deux jours après la première commémoration du tragique et sanglant attentat du 7 octobre 2023. Un an après, la situation politique est angoissante et la situation humanitaire dramatique.

Il est compréhensible qu'Israël, attaqué de toute part, se défende. Cependant, la situation au Liban, pays historiquement lié à la France, est particulièrement inquiétante.

Je tiens à saluer la rapidité du déblocage par l'Union de 30 millions d'euros en faveur de la population civile libanaise, afin que puissent être livrés rapidement une aide alimentaire et des moyens médicaux.

Ce conflit a provoqué des déplacements de population sans précédent au Liban. Selon le gouvernement libanais, depuis la mi-septembre, plus de 1 000 personnes ont été tuées et environ 1,2 million ont été déplacées à cause des bombardements. Aux dires de la Commission européenne, près de 2 millions de personnes, Libanais et réfugiés syriens, sont en situation de carence alimentaire dans ce pays.

Est-il utile de rappeler que le Hezbollah est une organisation terroriste aux ordres de l'Iran ? Pour autant, monsieur le ministre, il est impératif d'appeler lors de ce Conseil européen à une désescalade dans le conflit au Liban, pays dont la situation intérieure était déjà tendue, mais également à une désescalade globale au Moyen-Orient.

J'aurais aimé parler de la COP29, mais je manque de temps. C'est à mon sens une hérésie d'avoir choisi l'Azerbaïdjan pour accueillir celle-ci. Je vous informe au passage que je fais partie des soixante-seize parlementaires figurant sur une liste de persona non grata

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Vous pouvez en faire un motif de fierté, monsieur le sénateur !

Vous connaissez les liens forts de l'Arménie et de la France, qui se traduisent dans l'action résolue du Gouvernement en faveur de la souveraineté et de la liberté de ce pays.

Sur l'Ukraine, vous avez raison de souligner les incertitudes que fait peser l'élection présidentielle américaine, qui aura plus largement un impact sur l'avenir de la relation transatlantique et l'architecture de sécurité européenne. Ces incertitudes nous imposent d'investir massivement dans notre outil de défense et dans la coopération industrielle européenne.

Ainsi, la France soutient activement la préférence européenne au travers de la stratégie industrielle européenne de défense (Edis) et du programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), pour disposer d'une base industrielle de défense européenne autonome. Cela nous permettra de développer nos instruments de soutien à l'Ukraine sur le temps long.

J'ai mentionné le prêt financé sur les profits d'aubaine résultant de la gestion des avoirs gelés de la Russie au sein du G7. La France a pour priorité de flécher ces 50 milliards d'euros vers l'achat de matériel militaire, pour que les Ukrainiens puissent se défendre. Se posera aussi la question du renouvellement de la Facilité européenne pour la paix, qui a servi ces dernières années à financer les livraisons d'armes à ce pays. La France y est particulièrement attachée.

Pour ce qui concerne le Moyen-Orient, nous partageons votre position sur les messages principaux que nous devrons porter.

Nous avons commémoré voilà deux jours l'attaque barbare du Hamas du 7 octobre 2023 contre la population civile israélienne, au cours de laquelle quarante-huit de nos compatriotes ont été tués. Nous appelons à la libération inconditionnelle des deux otages franco-israéliens encore aux mains de cette organisation terroriste. Le Président de la République et la diplomatie française se mobilisent pour obtenir une désescalade dans la région, avec un cessez-le-feu, la libération de tous les otages, l'acheminement de l'aide humanitaire à la population civile de Gaza et la relance du dialogue politique.

Vous avez raison de souligner la responsabilité du Hezbollah, et plus généralement de l'Iran, dans la déstabilisation régionale. Ce point sera d'ailleurs inclus dans les conclusions du Conseil européen. Y figureront également les différents paquets de sanctions adoptées par l'UE, ainsi qu'un appel à la protection de la population civile, à la désescalade et à la reprise du dialogue régional.

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le déchaînement de violence à l'encontre de populations civiles, que celles-ci se trouvent au Proche-Orient, en Ukraine ou encore au Soudan, ne connaît aucune trêve.

Après avoir fait déplacer 1,2 million de Libanais et provoqué la mort de près de 2 000 personnes par d'innombrables bombardements, après avoir perpétré sur le territoire libanais, les 17 et 18 septembre derniers, deux attentats ayant mutilé des milliers de personnes et tué des dizaines d'autres, dont des enfants, les forces armées israéliennes envahissent dorénavant le Liban.

Cette dévorante machine de guerre qui sévit à Gaza depuis le 7 octobre 2023 se déploie maintenant au Liban, où est bombardé le point de passage de Masnaa, qui est emprunté par des centaines de milliers de réfugiés pour fuir vers la Syrie.

Le bilan de l'acharnement à Gaza est à rappeler sans cesse : plus de 40 000 morts, dont 16 756 enfants, d'innombrables disparus présumés morts sous les décombres, un exode massif sans fin à la recherche éperdue d'un refuge qui n'existe pas.

Nourrissant ainsi les germes d'une guerre totale et, avec elle, l'espoir de faire taire toutes les dissidences à son projet colonial, le gouvernement israélien – je dis bien le gouvernement, et non pas le peuple israélien – bénéficie de l'hypocrisie complice des États-Unis et de la majorité des pays de l'Union européenne. D'un côté, ces gouvernements appellent timidement au cessez-le-feu ; de l'autre, ils continuent à fournir des armes à Israël.

Israël a assurément le droit de se défendre contre le terrorisme. Mais est-il réaliste de penser que le Hezbollah et le Hamas peuvent être éradiqués par les bombes, alors même qu'ils bénéficient d'un ancrage dans leur population ?

La guerre en Afghanistan et en Irak a coûté 21 000 milliards de dollars pour des résultats absolument navrants. L'organisation d'Al-Qaïda ne comptait au départ que quelques milliers de terroristes dans les montagnes d'Afghanistan. Elle a recruté à tour de bras en Irak, laissant ensuite place à Daech qui a su occuper un territoire aussi grand que la Grande-Bretagne entre la Syrie et l'Irak.

Mes chers collègues, les peuples ont besoin non pas de guerres, mais de justice, et surtout de paix. Et la paix ne peut pas s'obtenir sous les bombes.

Nous demandons justice pour le peuple palestinien, pour le peuple libanais, et aussi pour le peuple israélien.

Pour cela, il faut que les instruments diplomatiques de l'Union européenne frappent fort et juste contre le gouvernement de Netanyahou.

Monsieur le ministre, quand le Gouvernement mettra-t-il hors d'état de nuire la machine de guerre israélienne une bonne fois pour toutes ? Quel énième massacre Israël doit-il commettre pour que vous déclariez un embargo sur toutes les armes, des sanctions financières, ou encore que vous geliez les avoirs des criminels de guerre et de leurs soutiens ?

Monsieur le ministre, j'ajoute que reconnaître l'État palestinien n'est pas affaiblir l'État d'Israël.

L'Union européenne n'a pas tremblé pour prendre des sanctions à l'encontre de la Russie, qui, elle aussi, s'évertue à faire plier son voisin par une guerre d'agression.

La logique d'élargissement des conflits nous menace également à l'est de l'Europe. L'enlisement généralisé dans la guerre se confirme en Ukraine et en Russie. Le risque d'une escalade gravissime se renforce dès lors qu'aucune solution diplomatique n'est trouvée. La décision de Moscou, prise le 25 septembre dernier, de réviser sa doctrine nucléaire est grave et doit nous interroger. Le risque d'un conflit nucléaire est réel.

Son refus de jouer un rôle pour la paix, en laissant les feux de la guerre se propager de Gaza à Kiev en passant par Beyrouth, permet à l'Union européenne d'accélérer et de légitimer sa course à la remilitarisation. Alors que nous devrions agir en faveur d'un fonds de développement économique, social et écologique européen pour les services publics, c'est l'engrenage belliciste qui nous est promis. Pourtant, seule une politique de paix et de sécurité collective indépendante des logiques de blocs permettra de bannir la guerre et de construire la paix. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, vous revenez sur des sujets déjà évoqués par certains des intervenants précédents, mais je veux tout de même rappeler et souligner l'engagement de la diplomatie française. Le voyage récent au Liban et dans la région du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, en témoigne.

Je tiens aussi à insister sur l'engagement personnel du Président de la République, avec une position ferme et équilibrée depuis le 7 octobre 2023, qui consiste d'abord en une condamnation sans faille du terrorisme et de l'attaque barbare du Hamas contre la population civile israélienne, laquelle a causé plus de 1 200 victimes.

Emmanuel Macron s'est aussi engagé en faveur de la livraison d'aide humanitaire. D'ailleurs, la visite du ministre de l'Europe et des affaires étrangères a permis de fournir 12 tonnes d'aide humanitaire à la population civile libanaise la semaine dernière.

Enfin, la France milite pour un dialogue politique au service d'un processus de paix régional, qui doit aboutir à deux États, Israël vivant en sécurité au côté d'un État palestinien reconnu.

Je veux souligner encore une fois le rôle joué par le Hamas dans le déclenchement de cette guerre et de ce déchaînement de violence, et celui que joue l'Iran avec ses activités déstabilisatrices et son soutien à des proxys terroristes dans la région. Cela sera rappelé dans les conclusions du Conseil européen.

Pour conclure, je vous remercie, madame la sénatrice, d'avoir mentionné la situation au Soudan, qui est malheureusement trop souvent oubliée. Cette guerre civile a fait plus de 11 millions de réfugiés. C'est l'une des plus graves crises humanitaires de ce début de XXIe siècle. Je veux, là aussi, rendre hommage à l'action de la diplomatie française : 90 % des engagements financiers et humanitaires pris lors de la conférence de Paris, organisée par le Président de la République, ont été respectés. Nous continuerons à nous mobiliser avec nos partenaires européens pour que la population civile soudanaise ne soit pas oubliée et qu'une solution politique soit trouvée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour la réplique.

Mme Silvana Silvani. Monsieur le ministre, à aucun moment je n'ai, me semble-t-il, contesté le fait que le Hamas était une organisation terroriste, qu'il n'est aucunement question de défendre. Mais j'ai aussi souhaité souligner la responsabilité de l'armée israélienne, aujourd'hui, dans les drames vécus par les populations civiles de la région.

Nous savons aussi que certaines positions d'ordre diplomatique vous empêchent probablement d'intervenir plus franchement dans ce conflit. C'est ce que je voulais mettre en lumière ce soir.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier.

Mme Mathilde Ollivier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l'ONU demande régulièrement un cessez-le-feu, que la situation humanitaire est cauchemardesque à Gaza, le gouvernement israélien a récemment étendu son action militaire au Liban.

Les attaques contre le Hezbollah libanais ont entraîné la mort de nombreux civils à la suite de frappes aériennes dans le sud du pays.

L'argument sécuritaire ne peut être entendu face à un nombre aussi important de victimes civiles : 41 000 morts et près de 100 000 blessés à Gaza ; 2 000 morts et 1 million de déplacés au Liban.

Une année s'est écoulée depuis les attaques terroristes du 7 octobre. Une année durant laquelle nous n'avons cessé de demander un cessez-le-feu et la libération des otages retenus par le Hamas ; nous ne les oublions pas.

Un apaisement durable, avec le cessez-le-feu que nous désirons tous, ne pourra être atteint dans cette escalade de violence. Le droit international doit être respecté, le massacre de civils doit cesser et les États européens doivent agir pour que soit ramenée la paix dans la région.

Cela fait aussi presque un an maintenant que nous demandons la fin de l'envoi d'armes à Israël face aux atteintes au droit international dont nous alerte régulièrement la Cour internationale de justice.

Nous saluons, bien qu'elle soit tardive, la prise de position d'Emmanuel Macron, qui a souhaité samedi dernier l'arrêt de l'envoi d'armes à Israël. Toutefois, il faut aller plus loin et agir à l'échelon européen. Nous demandons depuis plus de six mois maintenant une suspension de l'accord d'association entre l'UE et Israël. La France, lors du prochain Conseil, saura-t-elle prendre ses responsabilités et s'exprimer en ce sens ?

En ce qui concerne le Mercosur, nous avons appris récemment que onze États membres de l'UE avaient adressé une lettre à la Commission européenne pour accélérer les négociations en vue de la signature de l'accord de libre-échange avec cette organisation.

La position de la France, depuis la signature de l'accord d'association en 2019, a toujours été de bloquer tout accord qui ne comporterait pas de clauses miroirs sur les normes environnementales et sociales. Les écologistes dénoncent la concurrence déloyale liée à l'importation de produits qui ne respectent pas les normes sociales et de durabilité en vigueur en Europe.

Michel Barnier a indiqué être opposé à cet accord, dans la lignée de la position gouvernementale depuis 2019. Quelles actions comptez-vous mener au cours des prochains mois pour rouvrir les négociations, retarder la signature de l'accord, voire abandonner celui-ci ?

J'en viens au Sahara occidental. En 2020, le Haut-Représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, affirmait que "l'Union [considérait] le Sahara occidental comme un territoire non autonome, dont le statut final [serait] déterminé par le résultat du processus de l'ONU en cours".

En 2022, une résolution de l'ONU appelait le Maroc et le Front Polisario à "parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, fondée sur le compromis, qui permette l'autodétermination du peuple du Sahara occidental".

Pourtant, le 30 juillet 2024, Emmanuel Macron a estimé que le plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental, qui ne comprend pas de recours à un processus d'autodétermination, était la "seule base de règlement" de ce conflit, en contradiction avec le droit international et les résolutions 1514 et 2072 de l'Assemblée générale des Nations unies, ainsi qu'avec les résolutions 690 et 1495 du Conseil de sécurité.

Alors, quels sont les impacts des divergences entre la France et l'Union européenne sur le Sahara occidental ?

Plus récemment, le 4 octobre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a annulé les accords sur la pêche et les produits agricoles passés entre l'UE et le Maroc en 2019, au motif que ces accords avaient été conclus en "méconnaissance des principes de l'autodétermination" du peuple sahraoui. La position prise par la France en juillet dernier ne semble prendre en considération ni le droit international ni le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination.

À cet égard, dans quel sens évoluera la position de la France lors des prochaines négociations de l'accord d'association entre l'Union et le Maroc ? Comment la France compte-t-elle inscrire ses actions et ses politiques relatives au Sahara occidental dans le respect des juridictions internationales et européennes ?

Pour finir, Greta Thunberg et plusieurs dizaines d'activistes ont été arrêtés samedi dernier à Bruxelles lors d'une action de désobéissance civile. Les militants bloquaient une route pour appeler à la fin immédiate des subventions apportées aux énergies fossiles par l'UE.

Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié en février 2023, ces subventions représentent plus de 50 milliards d'euros par an à l'échelle européenne. Une résolution adoptée par le Parlement européen à l'occasion de la COP28 appelle à ne plus utiliser les deniers publics au profit d'un secteur climaticide "d'ici 2025 au plus tard". L'échéance est proche !

Où en sommes-nous dans la mise en œuvre de cet engagement et quelles positions défendez-vous en la matière à l'échelle européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, sur la question du Proche-Orient, je vous renverrai à mes réponses précédentes, même si, je le redis, je continuerai volontiers à échanger avec vous sur ces sujets et vous rendrai naturellement compte des conclusions du Conseil européen.

Je voudrais dire un mot de l'accord avec le Mercosur, que je vous remercie d'avoir mentionné. Sur ce point, je veux vous assurer que la position de la France reste extrêmement ferme.

Nous ne sommes pas opposés par principe aux accords de libre-échange. Nous avons soutenu les accords conclus par l'Union européenne lorsqu'ils comportent des clauses miroirs et respectent un principe de réciprocité, notamment en matière de normes environnementales, dont vous avez souligné l'importance à juste titre. Tel était par exemple le cas de l'accord avec la Nouvelle-Zélande.

Pour ce qui est du Mercosur, notre position n'a pas changé : nous considérons que, en l'état, cet accord n'est pas satisfaisant ; par conséquent, nous nous y opposerons. Hier encore, à Strasbourg, lors de la session plénière du Parlement européen, j'ai pu constater que ce sujet avait été évoqué, notamment par certains présidents de groupe. Nous continuerons à créer des coalitions avec nos partenaires pour réaffirmer cette position, qui protège nos intérêts économiques, commerciaux et environnementaux, mais témoigne aussi de notre exigence de respect des principes et de la souveraineté de l'Union européenne à travers le monde, dans les relations qu'elle entretient avec ses partenaires.

Sur la question du Sahara occidental, le Gouvernement réaffirme son attachement indéfectible à son partenariat avec le Maroc. La relation entre l'Union européenne et ce pays revêt un caractère stratégique. C'est une priorité pour nous, auprès de nos partenaires européens comme des institutions de l'Union. Nous appelons donc ceux-ci à poursuivre les travaux pour renforcer nos échanges, notamment économiques, avec le Maroc et préserver les acquis de ce partenariat.

À cet égard, comme le Président de la République l'a écrit à Sa Majesté le roi du Maroc à l'occasion de la Fête du Trône, la France reste déterminée à accompagner les efforts du Maroc en faveur du développement économique et social du Sahara occidental, au bénéfice des populations locales.

Concernant la décarbonation, vous n'ignorez pas que nous soutenons les objectifs ambitieux mis en place au travers du Pacte vert, qui permettront d'aboutir à la neutralité carbone, à un continent "zéro carbone" d'ici à 2050. Ces objectifs doivent désormais être mis en œuvre au cours de la nouvelle mandature de la Commission. La France y veillera, en conservant cet objectif d'investir de façon ambitieuse à la fois dans les énergies renouvelables, dans la décarbonation et dans le nucléaire, de manière à être le premier continent à atteindre la neutralité carbone.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour la réplique.

Mme Mathilde Ollivier. Monsieur le ministre, je vous interrogeais sur le Sahara occidental ; vous m'avez répondu sur le partenariat fort avec le Maroc. Ma question était sensiblement différente…

Quant au Proche-Orient, ma question portait spécifiquement sur l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, point sur lequel il ne me semble pas avoir entendu de réponse de votre part au cours du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre, je veux avant tout vous présenter à mon tour mes vœux de réussite dans vos nouvelles fonctions, dans l'intérêt de la France et de la construction européenne.

À l'approche du prochain Conseil européen, ce débat préalable devant la représentation nationale nous semble bienvenu, car nous sommes depuis plusieurs semaines particulièrement inquiets.

Oui, nous sommes inquiets, car, dans un parallèle politique troublant entre les situations française et européenne, nous découvrons un exécutif européen qui nourrit des alliances contre nature et ne respecte plus les équilibres qui ont permis à l'Union européenne, pendant de longues années, de bâtir des compromis utiles à son développement.

Oui, nous sommes inquiets, car nous constatons amèrement que la France, après une fin de mandature déjà particulièrement compliquée, perd chaque jour en capacité à peser dans le jeu européen.

Ces constats devraient tous nous alerter, monsieur le ministre, sur le moment que nous connaissons.

Alors que l'Europe fait face à une question existentielle, dans un monde secoué par les guerres et miné par une compétition internationale exacerbée, une chape conservatrice s'abat aujourd'hui sur elle et risque malheureusement de mettre en danger ses valeurs et ses objectifs.

Mes chers collègues, nous avons un modèle à défendre, celui de la démocratie européenne, fondée sur la primauté de l'État de droit, sur le respect et la protection des droits humains et sur la solidarité.

Pourtant, pour la première fois, deux commissaires, italien et hongrois, ouvertement d'extrême droite et issus de partis politiques officiellement hostiles à l'Union européenne, figurent au sein de l'exécutif européen. Mme von der Leyen pouvait construire sa majorité en s'appuyant, au Parlement européen, sur les partis pro-européens, mais elle a finalement décidé d'accepter ces deux représentants de l'extrême droite et même d'élever le commissaire italien au rang de vice-président exécutif de la Commission.

Nous assistons ainsi à la banalisation d'alliances entre la droite du Parti populaire européen (PPE) et les groupes d'extrême droite que sont les Conservateurs et réformistes européens (CRE), les Patriotes pour l'Europe et l'Europe des nations souveraines (ENS). Cette tendance s'est fait jour dans une démarche commune en faveur d'une résolution sur le Venezuela, ou encore, plus récemment, pour empêcher l'audition des commissaires à l'agriculture et à la pêche par la commission de l'environnement du Parlement européen.

Monsieur le ministre, nous n'avons vu aucune réaction du Gouvernement à ces ronds de jambe faits à l'extrême droite ; je vous le dis très sincèrement, ce n'est pas acceptable !

Nous avons également assisté avec stupeur au changement express du commissaire européen français, dans un mouvement qui illustre finalement assez bien le moment : une soumission de la France à un diktat de la présidente de la Commission, qui ne tolérait plus le poids politique et la liberté de parole de Thierry Breton.

Cette décision devait, à ce qu'il paraît, garantir à la France, au travers de M. Séjourné, une vice-présidence exécutive et un portefeuille élargi ; finalement, notre commissaire hérite d'un périmètre bien moins important et influent que celui dont disposait Thierry Breton, amputé de l'industrie de la défense et du numérique. En outre, M. Séjourné sera plus étroitement encadré par trois commissaires issus du PPE, du fait des nombreuses co-supervisions ; ses collègues n'hésiteront pas à agir collectivement.

Cette mise au pas de la Commission européenne par Ursula von der Leyen, qui a parfaitement compris l'adage "diviser pour mieux régner", inquiète également, d'autant que cette reprise en main s'accompagne d'un fort renforcement de notre partenaire allemand au sein de la Commission européenne – relevons que de nombreux chefs de cabinet sont originaires de ce pays –, alors que les Français ont totalement disparu de ces fonctions, à en croire M. Breton.

Bien que la France et l'Allemagne connaissent toutes deux leurs difficultés internes, l'Allemagne n'a pas oublié l'importance d'une présence forte dans les différentes instances européennes.

Enfin, l'absence de commissaire à l'emploi et aux droits sociaux est un très mauvais signal envoyé à la nécessaire construction de l'Europe sociale, pourtant indispensable si nous voulons améliorer la situation des salariés et des plus précaires.

Tous ces éléments montrent que la France n'a pas pu ou su peser sur la constitution de la commission "von der Leyen II" ; finalement nous risquons de n'avoir qu'un rôle de second plan au cours de cette nouvelle mandature.

Pour conjurer ce danger, monsieur le ministre, nous vous demandons d'affirmer des orientations claires et de les défendre sans relâche lors de vos séjours bruxellois.

Pour notre part, nous ne transigerons pas sur ce que nous pensons devoir être les priorités des politiques européennes pour les années à venir.

Tout d'abord, nous serons particulièrement vigilants à l'évolution du Pacte vert.

Bien que la nomination de la commissaire espagnole Teresa Ribera en tant que première vice-présidente exécutive de la Commission pour une transition propre, juste et compétitive, soit une bonne nouvelle, nous craignons également qu'elle se retrouve particulièrement entravée et limitée par les nombreux découpages de compétences : pas moins de quatre commissaires seront par exemple responsables du pacte "Industrie propre".

La droite et l'extrême droite ne cachent plus leur ambition de détricoter le Pacte vert : allégement des contraintes environnementales de la politique agricole commune (PAC), contestation de la directive sur la restauration de la nature, recul sur la diminution de l'utilisation des pesticides et sur la directive relative à la déforestation, remise en cause de la fin des moteurs thermiques en 2035, transformation du Pacte vert en pacte propre, pour certains, et relecture de la lutte contre le dérèglement climatique au travers du prisme de la compétitivité.

"Si on ouvre la boîte de Pandore, demain ce sera la taxe carbone aux frontières, après-demain l'extension du marché carbone aux bâtiments et aux transports… Toutes les pièces du Green Deal tomberont les unes après les autres." Cette inquiétude, que je partage, est celle de Pascal Canfin, député européen du groupe Renew, proche du Président de la République.

Concernant l'agriculture, le choix de confier ce portefeuille au commissaire européen luxembourgeois – le Luxembourg n'est pas la plus grande nation agricole de l'Union européenne… – pose également question, alors même que la prochaine PAC sera essentielle pour l'avenir et l'évolution de l'agriculture européenne.

Rappelons que la Cour des comptes européenne a récemment reconnu que les plans stratégiques nationaux de la PAC ne permettaient aucunement de répondre aux objectifs fixés par le Pacte vert.

Nous serons également attentifs aux accords de libre-échange et à la position tenue par la France et son nouveau gouvernement.

Monsieur le ministre, nous attendons des clarifications de la position française sur le traité avec le Mercosur. Alors que certains annoncent que cet accord pourrait être scindé en deux afin de faciliter son adoption, à l'image du Ceta (accord économique et commercial global), la France aurait donné des gages à ses partenaires européens pour aboutir à un compromis. Le report de la mise en œuvre du règlement sur la déforestation serait même un premier signal envoyé au Brésil.

Alors que les agriculteurs connaissent de grandes difficultés et voient leurs revenus baisser, alors que la crise agricole menace de revenir dès cet hiver, la signature de cet accord en catimini, sans consultation de la représentation nationale, serait un véritable renoncement du Gouvernement et un déni de démocratie.

Enfin, l'un des sujets majeurs est bien sûr la gestion des migrations au sein de l'Union européenne et des différents États membres.

Nous avons été particulièrement choqués par les propos tenus par le ministre de l'intérieur sur les frontières Schengen et sur la remise en cause de la politique européenne d'asile.

Monsieur le ministre, cette position est-elle celle que vous défendrez au nom de la France à l'échelle européenne ?

Sur ce sujet, il convient de rappeler que nous sortons à peine d'une réforme du code frontières Schengen, adoptée le 24 mai 2024, et de l'approbation d'un tout nouveau pacte sur la migration et l'asile que la France a approuvé en juin et dont les mesures ne sont pas encore en œuvre. À peine adoptées, ces mesures sont déjà remises en cause par des responsables politiques qui semblent penser davantage à la surenchère politique qu'à la dignité des vies humaines.

Alors que plus de 50 % des frontières internes de l'espace Schengen sont déjà concernées par des contrôles temporaires, nous assistons à une politique migratoire européenne où chaque État membre fait ce qu'il veut sans respecter les cadres édictés.

Nous constatons notamment une fuite en avant sur le sujet de l'externalisation des procédures de traitement des migrants, approche où les conditions d'accueil et le respect des droits des demandeurs d'asile et des migrants passent au second plan.

Pour notre part, nous plaidons pour une profonde révision de la politique migratoire européenne.

Nous défendons la création de voies légales et sécurisées de migration, l'organisation de conditions de réadmission dans le cadre d'accords bilatéraux et l'arrêt de l'externalisation de nos politiques migratoires. Nous appelons au développement des compétences de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA), afin qu'elle assure une meilleure gestion des demandes, ainsi qu'à une réforme en profondeur de la gouvernance de Frontex.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre, sur ce sujet, nous serons très attentifs à l'action que vous mènerez au nom de la France, pays qui se doit de défendre une politique humaniste et solidaire, conforme à son histoire.

Nous ne doutons pas de votre connaissance des dossiers européens, ni de celle du Premier ministre, mais nous n'oublions pas les déclarations de M. Barnier sur la remise en cause de la primauté du droit européen sur le droit national, auxquelles, vous le savez, nous ne souscrivons pas.

Pour conclure, je veux évoquer les négociations, très importantes pour l'avenir de l'Union européenne comme pour le nôtre, qui sont devant nous.

Quel soutien supplémentaire sera apporté à l'Ukraine, pour faire mieux que résister, pour gagner ?

Quel cadre financier pluriannuel permettra de répondre aux défis de la compétition mondiale et au changement de paradigme climatique ? De quelles ressources sera-t-il doté, et avec quelle volonté de mobilisation de l'épargne des Européens et de levée d'emprunts mutualisés ?

Comment, et à quel rythme, répondra-t-on aux attentes légitimes des peuples ukrainien, moldave, géorgien, et à ceux des Balkans occidentaux de rejoindre l'Union européenne et d'être soustraits à l'influence russe ?

Comment défendra-t-on à l'intérieur de l'Union européenne l'État de droit, la démocratie et les droits humains, aujourd'hui remis en cause par plusieurs gouvernements illibéraux, et comment promouvra-t-on ce modèle à l'extérieur quand les tentations autoritaires se multiplient ?

Nous vous demandons, monsieur le ministre, à vous-même et au Gouvernement, de défendre et de poursuivre le projet européen.

Nous sommes inquiets, oui, mais nous restons pleinement combatifs et vigilants pour vous rappeler vos responsabilités, pour vous aiguillonner et pour contrôler les décisions que vous prendrez. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce discours résolument pro-européen, et j'entends les exigences que vous formulez à l'égard du Gouvernement et de l'action de la France.

Je veux vous répondre sur quelques points précis, bien que je ne doute pas que notre conversation dure plus longtemps que cet échange.

Sur la question de l'influence, je voudrais vraiment, comme je l'ai déjà fait tout à l'heure, souligner que, au-delà du portefeuille de notre commissaire, les priorités portées par la France depuis le discours de la Sorbonne et l'agenda de Versailles sur la souveraineté européenne et l'autonomie stratégique se reflètent dans celles de la nouvelle Commission.

Quand la présidente de la Commission européenne parle de défense, de nucléaire, de souveraineté industrielle et technologique, voire de droits sociaux – ils sont inclus dans le portefeuille de l'une des vice-présidentes de la Commission –, il est bien question des priorités que nous défendons, avec nos partenaires. Je ne dis pas cela pour faire un satisfecit, car vous avez raison : l'influence se construit, patiemment, durablement, avec humilité, par notre présence au sein des institutions européennes et le dialogue permanent que le Gouvernement entier – tous les ministres et non pas seulement celui chargé de l'Europe – doit entretenir avec les parlementaires européens, le Conseil et la Commission, ainsi que le dialogue que les parlementaires français, députés et sénateurs, peuvent avoir avec leurs collègues européens, à Bruxelles comme dans les différents États membres. J'y veillerai tout particulièrement dans mon action, avec le Premier ministre et tous les membres du Gouvernement.

Cette stratégie d'influence doit être mise en œuvre. Nous avons un projet pro-européen : nous sommes là pour défendre les intérêts de la France, c'est-à-dire une Europe forte qui assume de défendre sa sécurité, ses intérêts et sa puissance sur la scène internationale.

Vous avez aussi mentionné l'État de droit, autre sujet fondamental. Vous connaissez l'attachement de notre pays à le défendre. L'Union européenne est une union de valeurs, fondée sur la démocratie libérale. Des débats sont apparus ces dernières années – je suis sûr qu'ils continueront au cours de la mandature européenne qui s'ouvre – sur l'extension du domaine de la conditionnalité des fonds de cohésion des budgets européens au regard du respect de l'État de droit. Cette exigence est absolument fondamentale et cette approche a d'ailleurs obtenu des succès : je pense à la clôture des procédures concernant la Pologne.

Je veux dire un dernier mot sur les élargissements ; le sujet avait été mentionné plus tôt dans le débat, mais j'avais oublié d'y répondre.

La France soutient la perspective européenne des pays que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur : l'Ukraine, bien sûr, la Géorgie, la Moldavie et les pays des Balkans occidentaux. Ce sera un processus exigeant, qui doit répondre aux critères de l'acquis communautaire et intégrer la réforme de l'État de droit, la lutte contre la corruption, ou encore la transparence des marchés. Cela étant, la France, avec nos partenaires, s'engage à accompagner ces pays candidats dans un processus qui devra être basé avant tout sur le mérite.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le ministre délégué !

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. On ne dit pas ça pour fermer la porte, mais pour accompagner ces pays : c'est aussi la garantie de notre sécurité et de la stabilité géopolitique de notre continent.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.

M. Didier Marie. Monsieur le ministre, j'entends vos déclarations et je salue votre optimisme. Cela étant dit, le résultat des dernières élections européennes atteste d'une poussée très forte de l'extrême droite et d'une modification des rapports de force. Celle-ci est sensible au Parlement, mais aussi au Conseil – la récente victoire de l'extrême droite en Autriche le confirme – et à la Commission, avec près de quinze commissaires issus du PPE.

Il va falloir constituer des majorités d'intérêts. De ce point de vue, je m'inquiète de la nature des relations que nous avons aujourd'hui avec notre partenaire allemand. Il me semble que la première de vos missions, de celles du Gouvernement français, devrait être de restaurer la confiance avec nos partenaires allemands.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Monsieur le ministre, au nom du groupe Les Indépendants, je vous présente toutes nos félicitations pour votre nomination à ces fonctions et je vous souhaite la bienvenue dans cet hémicycle ; j'espère qu'il saura toucher votre cœur !

Notre débat de ce soir se tient alors que la prochaine réunion du Conseil européen devra faire face à deux défis : un défi diplomatique, du Proche-Orient à l'Ukraine, et un défi structurel, car l'heure est venue d'engager l'Union dans la voie d'investissements massifs pour préparer l'avenir.

Tout cela se déroule dans un contexte lourd et chargé. Le mois prochain, les États-Unis éliront un nouveau président ; cette élection aura beaucoup d'incidences en Europe. C'est aussi le mois prochain que débuteront les auditions des commissaires européens ; on verra bien lesquels seront confirmés dans leurs fonctions.

Je voudrais ce soir évoquer trois nécessités pour l'Union.

Premièrement, celle-ci doit se donner les moyens de son action.

Au Proche-Orient, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, la France et l'Europe sont mobilisées pour éviter que la situation débouche sur un conflit généralisé.

Dès après le 7 octobre 2023, afin de dissuader de nouvelles gradations en intensité, les États-Unis ont dépêché dans la région un premier porte-avions, rejoint depuis par un second. Alors que la marine américaine compte 11 porte-avions, les 27 pays de l'Union européenne ne peuvent compter que sur le Charles de Gaulle… Vous connaissez la réplique de Staline à Churchill et Roosevelt au sujet du pape : "Combien de divisions ?" (Sourires.)

Si l'on veut peser, agir et compter, il faut avoir les moyens de faire entendre sa voix avec force. L'Europe puissance dont on parle tant n'aura de sens que si un acte II pour une politique de défense plus intégrée est engagé.

À cet égard, le rôle du futur commissaire à la défense et à l'espace sera, à mon sens, déterminant. Lituanien, il sait mieux que d'autres à quel point nous nous trouvons aujourd'hui à la croisée des chemins.

Pour l'Ukraine, pour protéger nos frontières orientales, l'Union doit, enfin, devenir une puissance militaire : pour avoir la paix, prépare la guerre !

En 2022, le Conseil européen a adopté ce que l'on a appelé la "boussole stratégique". Il s'agissait de fixer une nouvelle étape de notre politique de défense et de sécurité. Le Sénat sera attentif aux précisions que vous pourrez nous donner, monsieur le ministre, sur ces objectifs capitaux et sur le chemin qui reste à parcourir pour les atteindre.

À cet égard, l'élargissement du vote à majorité qualifiée représente une voie juridique pour accélérer le processus. Nous serions heureux de vous voir porter cette demande.

J'en viens à la deuxième nécessité, celle de redresser notre productivité. Jean-François Rapin a bien expliqué tout à l'heure combien c'était fondamental, dans l'ensemble des pays européens pour échapper à la lente agonie, au déclin de l'Europe décrits par Mario Draghi dans son rapport. En effet, l'écart de PIB entre l'Europe et les États-Unis a doublé en notre défaveur au cours des vingt dernières années !

Dès lors, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous poser une question simple : l'effort d'investissement de 800 milliards d'euros préconisé dans le rapport Draghi est-il réaliste ? Pouvons-nous consentir autant d'investissements en si peu de temps ?

La troisième nécessité est celle de réformer certaines règles inscrites dans les traités européens.

Nous nous félicitons de la nomination de Stéphane Séjourné et lui souhaitons bon courage, car son portefeuille est l'un des plus stratégiques, même si, comme cela a déjà été relevé ce soir, il convient de clarifier plus avant son amplitude.

Pour ma part, j'ai deux interrogations.

Premièrement, il est grand temps de réformer le droit européen de la concurrence. Cette réforme est fondamentale pour restaurer la productivité en Europe. Sera-t-elle, ou non, du ressort du commissaire français ?

Deuxièmement, si nous voulons que l'Europe soit réellement au service de nos concitoyens, elle doit se doter de ressources propres à la mesure des défis que nous avons à affronter. Sans argent, nous ne ferons rien ! Dans cet esprit, elle devra revenir sur les rabais accordés à certains États membres. Sur ce point aussi, monsieur le ministre, je serais très heureux de vous entendre nous expliquer où nous en sommes véritablement. Y a-t-il une chance de consacrer des ressources propres ou, ce qui apparaît tout de même plus simple, de supprimer les rabais ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, sans entrer dans un débat historique, les dirigeants soviétiques ont peut-être eu tort de sous-estimer les divisions spirituelles du pape – lui aussi a contribué à la chute de l'Union soviétique…

Il n'en reste pas moins que l'Union européenne ne peut certainement pas se limiter aux efforts déclamatoires ou performatifs en matière de politique étrangère et de sécurité. Vous avez eu raison de souligner l'impact des élections américaines : quel que soit leur résultat, elles confirmeront une tendance d'éloignement des États-Unis à l'égard des priorités de l'Union européenne, qui doit investir résolument dans son autonomie stratégique sur les questions de défense. Cela fait partie des priorités que nous porterons au sein de la nouvelle Commission.

C'est dans cet esprit que nous participons aux débats sur le programme Edip et la stratégie Edis pour continuer à soutenir notre base industrielle de défense européenne. La France, aux côtés de ses partenaires, défend une préférence européenne en la matière, mais nous devrons être encore plus ambitieux et créatifs.

Vous avez évoqué la nécessité de trouver de nouvelles ressources, soulignée dans le rapport Draghi, qui mentionne d'ailleurs l'industrie de défense et la nécessaire compétitivité en la matière. Des propositions innovantes ont été formulées par certains de nos partenaires, comme l'ancienne Première ministre estonienne Kaja Kallas, qui va devenir haute représentante de l'Union européenne ; je pense notamment à l'idée d'un grand emprunt européen d'une centaine de milliards d'euros qui soutiendrait à la fois nos capacités de défense et nos amis ukrainiens dans le temps long. La France a soutenu de telles propositions et continuera de les défendre dans les prochaines années.

Quant à la possibilité de l'idée formulée par Mario Draghi de débloquer 800 milliards d'euros, je voudrais rappeler qu'il s'agit peu ou prou de la somme qui avait pu être mobilisée dans le grand emprunt Next Generation EU lancé lors de la crise, existentielle, du covid-19.

Les enjeux de compétitivité et de décrochage de productivité que vous avez évoqués sont également existentiels pour l'Union européenne : si nous ne voulons pas être tenus à l'écart des grands équilibres géopolitiques et économiques de demain, nous devons nous doter des moyens de libérer l'épargne publique et privée et d'investir dans les industries d'avenir. Tel sera clairement le message que nous porterons au sein du Conseil et auprès de la nouvelle Commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel, pour la réplique.

M. Louis Vogel. M. le ministre a été limité par son temps de parole, mais je regrette qu'il n'ait pu répondre à ma question sur la possibilité d'une réforme du droit de la concurrence.

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commémorions il y a deux jours la tragique attaque terroriste survenue le 7 octobre 2023 en Israël, qui a coûté la vie à près de 1 200 Israéliens et a entraîné la prise d'otage de près de 250 personnes par le Hamas, dont près d'une centaine sont encore détenues, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.

Je tiens à adresser tout mon soutien aux victimes de ces attaques et à leurs familles, mais aussi au peuple israélien et aux Français de confession juive, qui ont été blessés dans leur chair par cet acte d'une cruauté innommable. Aucun combat pour la liberté et pour le droit à l'autodétermination ne peut justifier de tels crimes, et Israël était fondé à faire usage de son droit à la légitime défense, à condition de l'exercer de manière proportionnée et en limitant autant que possible les répercussions sur les civils, en vertu du droit international.

Pour autant, un an plus tard, force est de constater que cette proportionnalité n'est pas de mise : la situation au Proche-Orient est extrêmement préoccupante. La paix semble encore lointaine alors que près de 80 % du territoire de la bande de Gaza a été détruit, ce qui a causé le déplacement de 2 millions de Gazaouis, la mort de près de 42 000 d'entre eux et des centaines de milliers de blessés, le tout dans un contexte de délabrement généralisé des infrastructures de santé en raison des bombardements.

J'adresse mes pensées aux victimes civiles palestiniennes et à leurs familles, ainsi qu'aux humanitaires qui œuvrent avec acharnement sur place pour leur apporter de l'aide.

Le contexte s'est encore détérioré récemment à la suite des attaques de l'Iran et du Hezbollah libanais sur le territoire israélien, qui ont conduit Israël à répliquer par des bombardements au Liban, ce qui a entraîné, à ce jour, la mort de près de 2 000 personnes et le déplacement de près d'un million de Libanais.

La situation humanitaire est extrêmement dégradée et la région se trouve face à un risque d'embrasement généralisé qui affecterait injustement les États voisins qui ne sont pas partie au conflit. Je pense par exemple à la Jordanie – je préside le groupe d'amitié de notre assemblée avec ce pays –, qui a vu ses flux touristiques baisser de 40 % alors même que son PIB repose pour 60 % sur le tourisme.

On voit aujourd'hui planer la menace d'une guerre totale, impliquant l'Iran et son programme nucléaire, ce qui serait catastrophique pour les États du Proche-Orient, les civils, et l'économie régionale et mondiale. L'urgence est donc de parvenir à stopper l'escalade avant qu'une guerre totale ne devienne inexorable.

Dans ce cadre, l'Union européenne, en tant que deuxième puissance mondiale, doit jouer un rôle clé dans la fourniture d'aide humanitaire et être un moteur dans les négociations en vue d'obtenir la paix. Le Conseil européen sera donc amené à se positionner sur ce point à l'occasion de sa prochaine réunion.

Monsieur le ministre, j'ai appris qu'une aide de la France de 10 millions d'euros sera apportée au Liban et qu'ont également été fournis deux postes sanitaires mobiles, ainsi que 10 tonnes de matériel médical. De son côté, l'Union européenne a annoncé prévoir une aide supplémentaire de 30 millions d'euros.

Il s'agit d'une première étape et je vous en félicite, ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Celle-ci a également indiqué que l'Union européenne était prête à apporter un soutien supplémentaire en mobilisant tous les outils d'intervention disponibles, y compris en recourant au mécanisme de protection civile RescUE et à sa réserve. Pourriez-vous nous indiquer si la France compte soutenir une mobilisation de ce mécanisme au Conseil européen ? Le Liban a en effet désespérément besoin de soutien pour faire face à la submersion des hôpitaux et aux pénuries de médicaments.

En outre, selon des diplomates européens, les États-Unis auraient suggéré à Bruxelles de réactiver sa mission d'assistance au poste-frontière de Rafah, afin de surveiller le point de passage de l'aide humanitaire en provenance d'Égypte. Cette reprise de la mission d'assistance sera-t-elle abordée au prochain Conseil européen et vous paraît-elle d'actualité ?

Il va par ailleurs sans dire que la situation humanitaire à Gaza comme au Liban ne sera pas soutenable à long terme sans l'obtention d'un cessez-le-feu total et immédiat et la reprise du processus de paix entre Israël et la Palestine. Pourtant, j'ai cru comprendre que les États membres ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur des mesures tangibles visant à engager une désescalade comme sur une déclaration commune demandant l'arrêt des interventions militaires au Liban et à Gaza. Une pression diplomatique accrue et coordonnée est pourtant cruciale si nous souhaitons qu'il soit mis fin à cette spirale infernale de violence.

Monsieur le ministre, pensez-vous que cette situation puisse se débloquer à l'occasion du prochain Conseil européen ? Que compte faire le Gouvernement afin de parvenir à une position commune au sein de l'Union européenne ? Quelles sont les mesures envisagées concrètement pour parvenir à un cessez-le-feu ? Par exemple, la suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël est-elle sérieusement envisagée par le Conseil européen ou cette méthode se heurte-t-elle au veto de certains États membres ?

Enfin, l'Union européenne a récemment lancé une nouvelle coalition internationale, notamment avec les pays du Golfe, visant à relancer le processus de paix par le biais d'une solution à deux États. Celle-ci s'est réunie le 26 septembre dernier en l'absence d'Israël, qui n'a pas répondu favorablement à l'invitation qui lui a été adressée. Si l'initiative me paraît opportune, je suis en revanche circonspect sur les capacités de l'Union européenne à peser dans le cadre de ces négociations, alors même qu'elle n'arrive déjà pas à se mettre d'accord sur une déclaration commune appelant à un cessez-le-feu au Liban…

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles ont été les conclusions de cette réunion et quelles suites le Conseil européen compte y donner ? Des négociations sont-elles également engagées avec les États-Unis, qui ont un pouvoir d'influence certain sur le gouvernement israélien ?

Je reconnais que cela fait beaucoup de questions… (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je dois souligner que certaines informations me manquent pour vous répondre, notamment concernant l'une des réunions à laquelle vous avez fait référence. Je m'engage à vous les fournir dès que j'aurai des éléments plus précis à ce propos.

Vous l'avez rappelé, notre objectif est à la fois de mobiliser tous nos partenaires en vue d'un soutien à la population civile et d'une aide humanitaire, de la désescalade dans la région et de la reprise d'un processus de dialogue politique. Pour cela, la coordination et l'unité des Européens sont absolument nécessaires. C'est d'ailleurs le travail que mène la France et j'espère qu'il trouvera sa traduction dans les conclusions du Conseil européen et reprendra beaucoup des points que vous avez mentionnés.

La coordination est également nécessaire pour aider ceux qui souhaitent quitter la région, notamment certains de nos ressortissants européens qui sont actuellement au Liban.

Je tiens par ailleurs à souligner l'effort tout particulier que fournit la France en matière d'aide humanitaire. À l'occasion d'une autre question, j'ai mentionné le voyage au Liban du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Noël Barrot, qui a permis de délivrer 12 tonnes d'aide humanitaire.

Le 24 octobre prochain, la France accueillera une conférence des donateurs réunissant tous les bailleurs pour continuer à soutenir le Liban. Cette action est évidemment au cœur de nos priorités et elle fera partie des initiatives que la France mettra en avant dans le cadre des négociations du Conseil européen.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Je tiens à vous féliciter à mon tour, monsieur le ministre, de votre accession à ces fonctions ministérielles.

Le Parlement européen vient de publier une vaste enquête d'opinion, réalisée auprès de plus de 26 000 citoyens issus des vingt-sept États membres. Il en ressort que les Français sont plus pessimistes que leurs voisins européens : ils sont les seuls pour qui la perception négative du Parlement l'emporte sur les avis positifs. Voilà qui ne manque pas de surprendre, alors que nombre de politiques communautaires nous ont protégés, notamment lors des crises récentes.

Depuis quatre mois, les équilibres ont évolué au sein de la délégation française, avec une extrême droite arrivée largement en tête. Cette poussée se retrouve d'ailleurs dans les scrutins nationaux d'autres États membres. Ainsi, récemment, en Autriche, le FPÖ s'est assuré la première place lors des élections parlementaires ; en Allemagne, elle s'est retrouvée pour la première fois victorieuse en Thuringe – c'est d'ailleurs la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu'un parti d'extrême droite remporte la victoire dans un Land.

Cela nous inquiète tout particulièrement. Nous sommes opposés à leurs positions sur la construction européenne et ses valeurs, à leur vision économique et géopolitique, notamment sur la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, ou encore sur l'environnement.

Soulignons à ce propos que la Thuringe est le seul Land ayant atteint l'objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le parti arrivé en tête – il est d'ailleurs arrivé en deuxième position en Saxe – est celui qui rejette toute responsabilité de l'Allemagne dans le changement climatique. Le groupe RDPI souhaite que la dynamique européenne ne soit pas entravée.

Conservons et amplifions les nombreuses avancées enregistrées ces dernières années, qui sont aussi en faveur de notre souveraineté. Je pense à la taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, à la redéfinition de la taxonomie européenne et à la relance du nucléaire, au Pacte vert, et au plan de relance européen dont un tiers a été fléché vers l'action climatique. La France a pu atteindre en 2023 une baisse record des émissions de CO2 – près de 6 % – ; cette baisse s'est poursuivie au premier semestre de cette année.

C'est aussi grâce à l'Union européenne et à l'action qu'y mène la France. Sur le fondement de ses conclusions du mois d'avril 2024 et conformément au programme stratégique 2024-2029, le prochain Conseil européen examinera dans le cadre de son ordre du jour les progrès accomplis dans le renforcement de la compétitivité de l'Union européenne.

Deux rapports, déjà cités, ont été remis : Bien plus qu'un marché d'Enrico Letta et L'Avenir de la compétitivité européenne de Mario Draghi, l'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE).

Ce dernier prône des réformes sans précédent. Il évalue à 800 milliards d'euros par an le besoin d'investissement supplémentaire afin d'enrayer la "lente agonie" de l'Europe – les mots sont forts – face à la concurrence de la Chine et des États-Unis. À cette fin, les emprunts communs sont fortement conseillés pour répondre à nos ambitions communes, notamment en matière écologique. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France ? Est également soulignée la nécessité pour la survie des industries européennes de défense de passer à des commandes communes, avec des règles de préférence européenne.

Le rapport d'Enrico Letta, présenté au Conseil européen du mois d'avril dernier, préconise quant à lui d'accélérer l'intégration européenne dans la finance, les télécoms, l'énergie et la défense. Est notamment avancée la création d'un produit d'épargne de long terme ou d'une garantie publique européenne pour soutenir l'investissement dans la transition écologique.

Le Conseil européen tiendra également un débat approfondi sur la mise en œuvre de son approche globale en matière de migration, en mettant l'accent sur l'action extérieure, le renforcement du contrôle des frontières extérieures, l'augmentation et l'accélération des retours, ainsi que la lutte contre l'instrumentalisation, la traite des êtres humains et le trafic de migrants.

Monsieur le ministre, vous avez donné à ce sujet une interview dimanche dernier, en rappelant ceci : "Il n'y a pas de réponse au défi migratoire dans le repli national." Nous en avons un exemple tout près de nous avec, trois ans après, la désillusion du Brexit : 53 % des Britanniques pensent que la situation a empiré ; seuls 10 % jugent que le pays a pu reprendre le contrôle de ses frontières. Face aux initiatives individuelles de certains États membres sur l'immigration, quel est le calendrier de mise en œuvre du pacte européen sur la migration et l'asile ?

D'autres enjeux d'importance majeure marqueront le prochain Conseil européen, à savoir la guerre d'agression russe en Ukraine et la situation dramatique au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023.

Sur la situation ukrainienne, nous avons évoqué avant l'été les nouvelles sanctions contre la Russie. Quelle possible intensification militaire est-elle envisagée ? À l'approche de l'hiver, des mesures urgentes seront également nécessaires afin d'accroître la sécurité énergétique de l'Ukraine et de répondre aux besoins immédiats de la population. En outre, le Conseil européen devrait réaffirmer son soutien à la formule de paix fondée sur la Charte des Nations unies et le droit international.

Au Moyen-Orient, l'Union européenne a toujours condamné avec la plus grande fermeté les attentats terroristes perpétrés par le Hamas en Israël, en reconnaissant aux Israéliens leur droit à se défendre, conformément au droit international. Ces attentats ont fait plus de 1 200 morts, en majorité des civils parmi lesquels se trouvent de nombreux Français. Un an après, le groupe RDPI s'associe à la douleur des familles endeuillées et à la volonté que tous les otages, notamment deux Français toujours retenus à Gaza, soient libérés au plus vite.

Une vaste campagne de bombardements et d'occupation de la bande de Gaza a suivi ce pogrom, de façon ininterrompue depuis lors. Elle aurait fait plus de 40 000 morts à ce jour et des centaines de milliers de civils ont été déplacés. Le conflit s'est étendu en Cisjordanie et au Liban, avec le Hezbollah.

Quels efforts diplomatiques pourraient être de nouveau entrepris par la France ? Alors que l'aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza s'est largement intensifiée depuis un an, quels sont les moyens supplémentaires possibles en réponse à cette situation jugée catastrophique ?

En somme, nous avons éminemment besoin d'Europe, éminemment besoin de le rappeler et de l'expliquer pour qu'elle soit comprise.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Oui, madame la sénatrice, nous avons éminemment besoin d'Europe sur tous les sujets que vous avez mentionnés, que ce soit le processus de paix, la relance du dialogue au Moyen-Orient, le soutien à l'Ukraine, qui est fondamental à la fois pour notre sécurité et pour la défense de nos valeurs de démocratie et de liberté. C'est également le cas de la maîtrise de nos frontières extérieures pour laquelle, comme vous l'avez souligné, il ne peut y avoir de solutions que dans la solidarité et la coopération européennes.

Sur ce point, je tiens à souligner que la France soutiendra, comme le demandent plusieurs de ses partenaires, une mise en œuvre accélérée du pacte sur la migration et l'asile, s'il s'agit bien de l'appliquer dans sa globalité et de conserver l'équilibre qui est au cœur du texte adopté ces derniers mois.

Je vous remercie aussi d'avoir rappelé les engagements forts qu'a pris l'Union européenne sur la question de la décarbonation de notre continent. Vous avez mentionné quelques-uns des instruments qui permettent à l'UE de peser dans les équilibres globaux sur ces questions environnementales. Par exemple, imposer la taxe carbone aux frontières nous permet de ne pas nous faire imposer un moins-disant environnemental par nos partenaires. Nous veillerons évidemment à la mise en œuvre de ces mécanismes qui sont absolument nécessaires pour tenir les engagements climatiques de l'Union.

Enfin, je partage votre constat et les recommandations sur la mise en œuvre du rapport Draghi, la nécessité d'investir massivement, de lever les barrières réglementaires à l'innovation, à la productivité et à la compétitivité de notre continent.

Je profite d'ailleurs de votre interpellation sur ce sujet pour répondre à une question qui m'a été posée précédemment. Bien sûr, cela devra aussi inclure, comme le préconise Mario Draghi, une réflexion sur les règles concurrentielles de l'Union européenne, la question des aides d'État et la possibilité de faire émerger des champions industriels à l'échelon européen capables d'être compétitifs face aux grands partenaires, mais aussi concurrents, que sont la Chine et les États-Unis.

Mme la présidente. La parole est à M. Ahmed Laouedj. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Ahmed Laouedj. Monsieur le ministre, nous sommes à l'aube d'un nouveau chapitre, décisif pour l'avenir de l'Union européenne, qui pourrait déterminer si nous allons avancer ensemble vers un avenir prospère, ou si nous allons nous laisser entraîner par les courants du populisme qui menacent de nous diviser.

Les élections du 9 juin dernier ont été un révélateur, montrant que le projet européen, ce rêve d'unité et de coopération qui a été le nôtre pendant des décennies, est fragile.

Nous devons nous rappeler que c'est notre volonté de paix, de prospérité et de solidarité qui nous a guidés.

Nous devons nous rappeler que, malgré les obstacles et les difficultés, nous avons réussi à accomplir de grandes choses.

Nous avons réussi à créer un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Nous avons réussi à construire un marché unique, qui est une source de prospérité pour nos concitoyens.

Nous avons réussi à établir des normes élevées de protection de l'environnement et des droits de l'homme.

Les électeurs européens, qui ont exprimé leurs inquiétudes dans les urnes, ont aussi des attentes fortes.

L'Union européenne est un levier d'actions essentiel pour apporter les solutions nécessaires. Nous devons poursuivre nos efforts et être à la hauteur des enjeux actuels.

Notre contexte commun est d'abord celui de l'immigration et de la question de l'intégration. À Bruxelles, les États devront rapidement présenter leur plan d'action du pacte européen sur la migration et l'asile.

La crise migratoire qui touche l'Europe depuis des années ne cesse de s'amplifier. Elle a créé de profondes divisions et tensions politiques au sein de l'Union européenne. Certains pays, comme l'Allemagne, ont choisi de fermer leurs frontières, tandis que d'autres ont adopté une attitude plus ouverte.

À cet égard, mes chers collègues, nous devons nous rappeler que le principe de libre circulation des personnes est un élément fondateur de la construction européenne. Pourtant, la généralisation des contrôles aux frontières contrevient sérieusement à ce principe. La décision de l'Allemagne risque d'ouvrir une dangereuse boîte de Pandore !

Face à la situation budgétaire tendue, nous craignons que les investissements se concentrent sur l'aspect sécuritaire, laissant l'accueil et l'intégration à la marge.

L'ordre du jour du prochain Conseil européen sera également marqué par la question de la guerre au Proche-Orient.

La situation au Liban et à Gaza constitue une crise humanitaire qui ne peut être ignorée. Des milliers de personnes ont perdu la vie, des milliers d'autres ont dû quitter leur foyer et des infrastructures essentielles ont été détruites.

Au Liban, le bilan de la guerre de 2006 a été dépassé en moins d'une semaine, alors que l'État d'Israël vient seulement de pénétrer la frontière. Trop de civils ont injustement péri à Gaza. Ne laissons pas cette tragédie se répéter à Beyrouth.

Les frappes contre le pays se sont intensifiées ces dernières heures, semant la peur et la désolation parmi la population. La France doit de nouveau exprimer son désaccord face à l'invasion du Sud-Liban. Sans buts de guerre explicites, cette incursion pourrait s'éterniser et se transformer en colonisation. Cette offensive sert simplement les intérêts du Premier ministre israélien, qui ne cache plus son intention de briser les Libanais.

Le 5 octobre dernier, le Président de la République Emmanuel Macron a dit qu'il était favorable à un arrêt des livraisons d'armes à Israël, en indiquant que la priorité devait être le retour à une solution politique. L'Union européenne doit s'aligner sur cette position de la France et prendre des mesures pour soutenir des initiatives diplomatiques efficaces. Cela pourrait inclure un embargo sur la livraison des armes à Israël.

Il s'agit non pas uniquement de mettre fin à un conflit, mais de construire une paix durable !

Dans la lignée de nos dernières conclusions, nous devons rappeler notre attachement à l'intégrité du territoire ukrainien. L'approbation du nouveau prêt de 35 milliards d'euros dans le cadre du programme international d'aide est une nécessité. Ce soutien est crucial pour les Ukrainiens.

Par ailleurs, nous devrons, avant l'hiver, nous prononcer en faveur d'un renforcement des infrastructures énergétiques ukrainiennes. L'attribution d'un nouveau programme en faveur du secteur énergétique est nécessaire.

Enfin, en matière de fiscalité européenne, le groupe RDSE est du côté des solutions ! Depuis toujours, nous proposons d'améliorer le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, d'actionner le levier sur le surplus des résultats d'exploitation des entreprises, de mettre en place un impôt minimum commun sur les multinationales. Une fiscalité européenne plus juste est nécessaire pour financer les investissements massifs dont l'Union européenne a besoin.

Monsieur le ministre, je vous souhaite bon vent dans vos nouvelles missions ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je vous remercie de vos bons vœux.

Vous avez à votre tour fait le constat de la fragilité de l'Union européenne. Ce constat, nous le partageons, qu'il s'agisse de la situation économique et géopolitique ou du rôle que l'Union européenne doit jouer pour répondre à ces défis.

Beaucoup des sujets que vous avez mentionnés ont déjà été abordés à l'occasion d'autres interventions. Je m'attarderai sur deux points.

Vous avez évoqué le rétablissement du contrôle aux frontières de l'Allemagne.

Je tiens à rappeler que ce rétablissement temporaire et proportionné du contrôle aux frontières est prévu par l'accord de Schengen. La France a d'ailleurs pris une décision similaire à l'époque des attentats terroristes de 2014 et 2015. Pour autant, une telle situation ne peut pas nous satisfaire durablement : elle appelle à prendre des mesures européennes collectives de maîtrise de nos frontières extérieures, via la mise en œuvre rapide du pacte européen sur la migration et l'asile, le renforcement de l'agence Frontex, les mécanismes de solidarité entre pays européens, et à apporter des réponses européennes à ces défis qui touchent tous nos partenaires et tous les pays de l'UE.

Monsieur le sénateur, je vous remercie également d'avoir mis en exergue la question du renforcement des infrastructures énergétiques de l'Ukraine, alors que nous savons qu'un hiver difficile se profile et que, une fois de plus, la Russie se livre à des frappes cyniques contre les infrastructures civiles de ce pays. Sachez que la France sera particulièrement attentive au renforcement de ces infrastructures comme au soutien à la défense antimissile ukrainienne, puisqu'il s'agit de l'une des priorités de ses livraisons d'armes depuis le 24 février 2022.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonneau.

M. François Bonneau. Monsieur le ministre, le 9 septembre dernier, l'ancien président du Conseil italien et ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a dévoilé son rapport très attendu sur l'avenir de la compétitivité européenne.

Ce rapport met en avant trois axes pour relancer la croissance au sein de l'Union européenne : innover et combler le retard technologique ; avoir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité ; renforcer la sécurité et réduire les dépendances. Il pose un diagnostic sévère, mais juste, et indique quelles réformes structurelles il serait utile de mettre en place pour que l'Union européenne soit plus forte.

Un sujet m'intéresse tout particulièrement : on apprend dans ce rapport qu'entre juin 2022 et juin 2023, 78 % des dépenses européennes d'approvisionnement en matériel de défense ont été confiées à des fournisseurs non européens, dont 63 % aux États-Unis…

Le rapport est aussi force de solution, puisqu'il contient au total 170 propositions et prévoit une nouvelle stratégie industrielle, à la fois, pour mieux libérer le potentiel d'innovation au sein de l'Union européenne et pour investir en mutualisant les ressources. Mario Draghi estime que la mise en œuvre de ses propositions nécessiterait entre 750 milliards et 800 milliards d'euros d'investissements par an d'ici à 2030, soit environ 4,5 % du PIB européen.

Dans le domaine de la souveraineté stratégique, l'une de ces propositions consiste à mettre en place une véritable "politique économique étrangère" pour réduire nos dépendances stratégiques. Mario Draghi propose notamment de créer une "plateforme européenne des matières premières critiques", chargée d'agréger la demande pour les achats conjoints et de gérer des stocks stratégiques à l'échelon européen. Il s'agit bien ici de sécuriser les approvisionnements essentiels pour notre industrie. Cette proposition va dans le bon sens dans le contexte de crise stratégique que nous traversons.

En réceptionnant ce rapport, Ursula von der Leyen a affirmé : "Beaucoup d'éléments vont découler et ont déjà découlé dans les lignes directrices politiques et seront intégrés dans les lettres de mission [des futurs commissaires européens]." Cela m'amène à aborder le sujet du renouvellement de la Commission européenne, plus particulièrement le cas de Thierry Breton.

Le Président de la République avait été clair dans les discussions avec Mme von der Leyen : il voulait pour la France un poste de vice-président de la Commission européenne, qui devait lui permettre de décliner ses priorités d'autonomie stratégique et de souveraineté économique. Au-delà du marché intérieur, de l'industrie et du numérique, dont Thierry Breton avait déjà la charge, le Président français militait pour que notre commissaire européen récupère également le portefeuille de la recherche et du commerce, voire de l'énergie.

Visiblement, les mauvaises relations entre Thierry Breton et la présidente von der Leyen ont conduit cette dernière à imposer un ultimatum à la France : soit Thierry Breton était maintenu dans ses fonctions sur son périmètre existant, soit la France proposait un nouveau commissaire en vue d'obtenir un portefeuille plus large, mais il devrait s'agir d'un commissaire plus docile. Nous avons vu quelle solution a été retenue, même s'il faut encore passer l'étape des auditions devant le Parlement européen…

Permettez-moi de m'interroger sur le poids de la France au sein de la future Commission européenne après un tel désaveu !

En conclusion, monsieur le ministre, je souhaite connaître le sort du projet de loi relatif à la résilience des activités d'importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier. Ce texte, fruit de la transposition de directives européennes, devait être examiné au mois de juin dernier par notre assemblée. La dissolution en a décidé autrement… Ce texte sera-t-il prochainement réinscrit à l'ordre du jour de nos travaux ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, beaucoup des points que vous avez soulevés ont déjà été abordés, et je partage nombre des constats que vous avez dressés.

Je souhaite revenir sur le chiffre que vous avez cité sur l'acquisition de matériel de défense non européen, en particulier en provenance des États-Unis. Se pose en effet la question de notre dépendance dans des domaines aussi souverains que la technologie militaire, et ce au regard de l'éloignement du partenaire américain, des garanties de sécurité américaine et de la nécessité qui s'impose à nous d'assurer notre autonomie stratégique.

C'est pourquoi nous ferons de la préférence européenne notre priorité, afin de développer une base industrielle européenne de défense. Depuis l'agression russe contre l'Ukraine le 24 février 2022, nous en mesurons l'urgence et cela fera partie de nos priorités dans le cadre de la stratégie Edis et du programme Edip, dont il a déjà été question.

Enfin, nous souhaitons inscrire rapidement à l'ordre du jour des travaux du Parlement l'examen du projet de loi relatif à la résilience des activités d'importance vitale, à la protection des infrastructures critiques, à la cybersécurité et à la résilience opérationnelle numérique du secteur financier. Je vous présenterai dès que possible un calendrier plus précis.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le ministre, je vous parlerai, moi aussi, du pacte européen sur la migration et l'asile.

En effet, le mois dernier, l'Allemagne a réintroduit des contrôles sur l'ensemble de ses frontières. L'Alsacien que je suis ne peut que le regretter et constater que cette décision, une nouvelle fois, a été prise sans information ni concertation préalable.

Il y a quelques semaines déjà, les Pays-Bas et la Hongrie demandaient officiellement à bénéficier des clauses dérogatoires dont bénéficient aujourd'hui l'Irlande et le Danemark en matière d'affaires intérieures. Avant cela, la Suède ou l'Autriche avaient radicalement changé de pied en durcissant considérablement leur politique migratoire. En dehors de l'Union européenne, c'est désormais au gouvernement britannique d'indiquer sa volonté de s'inspirer des mesures mises en place en Italie par Mme Meloni.

Dans ce contexte, il faut souligner que le pacte adopté avant l'été a néanmoins eu le mérite – c'est essentiel ! – d'amorcer un changement de paradigme et d'assumer une approche plus en phase avec les attentes des Européens. Toutefois, il faut également reconnaître que ces nouvelles règles n'offrent pas encore toutes les marges nécessaires à une maîtrise efficace des flux migratoires – c'est le moins que l'on puisse dire…

Soulignons que les mesures contenues dans le pacte ne peuvent entrer en vigueur qu'à compter de 2026, ce qui est une éternité au regard de l'impatience exprimée par nos concitoyens, notamment lors des dernières élections européennes.

Avant même l'entrée en vigueur de ce pacte, on a le sentiment qu'il est déjà nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier. Mais sur quelles bases ? Il semble en effet difficile de modifier des règles sur lesquelles il a été si compliqué de s'entendre.

La lettre de mission du commissaire désigné aux affaires intérieures esquisse quelques pistes. Celles-ci concernent notamment la gestion opérationnelle des frontières extérieures, la lutte contre les passeurs et, surtout, la politique de retour et de réadmission.

Sur ces sujets prioritaires, les discussions restent néanmoins extrêmement vives. Je pense par exemple à la question du financement des clôtures à certaines frontières extérieures terrestres. Vous connaissez le problème, monsieur le ministre… Je pense aux évolutions à apporter à la notion de "pays tiers sûrs" et aux accords à conclure avec les pays d'origine et de transit.

Je pense, aussi, à l'externalisation partielle des demandes d'asile – par le passé, on les appelait "plateformes régionales de débarquement" ; aujourd'hui, on les nomme "hubs de retour".

Je pense plus largement, enfin, à l'indispensable révision de la directive Retour, bloquée depuis 2018.

Les négociations sont évidemment très difficiles. Ma question est donc la suivante : alors que le nouveau gouvernement français a clairement indiqué vouloir mieux maîtriser les poussées migratoires, pouvez-vous dire, monsieur le ministre, quelle sera la position de la France sur les différents sujets que j'ai énumérés ?

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi d'attirer votre attention sur un rappel au règlement qui a eu lieu dans cet hémicycle, le 8 octobre dernier. Il concernait la récente décision de la Commission européenne d'intégrer au programme Erasmus des établissements quelque peu étonnants, comme la faculté des sciences islamiques de Skopje ou l'université de Gaziantep, qui vient de rendre un vibrant hommage à Ismaël Haniyeh, patron défunt du Hamas.

Le programme Erasmus vise, me semble-t-il, à former la jeunesse aux valeurs de l'Union européenne, et certainement pas à celles d'une radicalisation islamiste exacerbée. Aussi, monsieur le ministre, pourriez-vous examiner cette question de près ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Monsieur le sénateur, je vous réponds tout de suite à propos d'Erasmus. J'ai effectivement été saisi du sujet.

Nous ne laisserons rien passer. Il y avait déjà eu des polémiques comparables sous la mandature précédente ; avec le gouvernement de l'époque et les parlementaires européens, nous nous étions mobilisés. Il est inadmissible que quelque forme d'incitation à la haine, à l'intolérance et au radicalisme que ce soit puisse être soutenue par des fonds européens.

Je m'engage donc – je suis prêt à revenir vers vous pour en parler – à me plonger dans la question des financements par Erasmus et à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des discours porteurs de haine ou de radicalisation ne profitent de fonds européens. Cela a toujours été la position très claire de notre pays.

Vous avez mentionné de nombreuses solutions potentielles. J'ai effectivement évoqué la mise en œuvre accélérée du pacte migratoire, la révision de la directive Retour, la meilleure intégration et utilisation des outils des politiques externes de l'Union européenne, qu'il s'agisse de l'aide au développement, des leviers visas, des accords commerciaux ou des partenariats robustes avec les pays de transit et de départ. Je pense que le sujet devra être central dans les préoccupations de la Commission européenne.

Partout en Europe, nos concitoyens attendent de l'Union européenne des réponses claires en termes de maîtrise des flux migratoires. Je vous remercie d'avoir rappelé qu'il s'agissait d'une priorité du gouvernement français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sortons d'une séquence politique assez inédite, qui aura vu les élections européennes provoquer en France de profonds bouleversements.

Les institutions de l'Union européenne, elles, ne nous ont pas attendus pour fonctionner. Ce Conseil européen des 17 et 18 octobre prochains met à l'ordre du jour des sujets importants, comme la compétitivité. C'est sur ce point que je vais m'attarder ce soir, dans le prolongement du rapport Draghi, qui a été publié voilà quelques semaines et dont je partage un certain nombre de constats et de préconisations.

L'économie européenne décroche face à ses concurrents mondiaux. La conjoncture récente vient fragiliser un peu plus une économie européenne sur la défensive souffrant de la concurrence mondiale face au Brésil, à la Russie, à l'Inde, à la Chine et à l'Afrique du Sud, les fameux Brics, ainsi qu'aux États-Unis.

Les chiffres sont têtus : de 2010 à 2023, le taux de croissance cumulé du PIB atteint 34 % aux États-Unis, contre seulement 21 % dans l'Union européenne. Sur cette même période, la productivité du travail a progressé de 22 % aux États-Unis et de 5 % dans la zone euro. Les raisons de notre manque de compétitivité sont multiples ; elles soulèvent des interrogations quant aux nombreux choix qui ont été effectués au cours de la décennie passée.

La première de ces raisons – à mon sens, cela doit être la mère de toutes les batailles – réside dans le sous-investissement européen en matière de recherche et développement (R&D). Nous savons que la R&D est un véritable stimulateur de croissance. Le rapport Draghi constate que les entreprises européennes investissent moins en recherche et innovation que les entreprises américaines. En 2021, cela représentait près de 270 milliards d'euros de moins.

Le constat vaut aussi pour notre industrie automobile. Celle-ci accuse un retard du même ordre, notamment face à la concurrence chinoise, qui se renforce dans le domaine des véhicules électriques.

Au cours des vingt dernières années, les trois premiers investisseurs en recherche et développement en Europe ont été dominés par les entreprises du secteur automobile ; c'était la même chose aux États-Unis. Mais, aujourd'hui, les premiers investisseurs outre-Atlantique sont tous dans le domaine des nouvelles technologies, qui regroupe les principaux géants de la Tech, ainsi que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les fameux Gafam.

Quant aux Chinois, ils ont opportunément réussi à conserver l'automobile comme fer de lance de la recherche et de l'innovation, grâce à l'impératif environnemental.

Dans le cas de l'automobile comme dans celui de la Tech, l'Europe n'est pas suffisamment présente aujourd'hui. Pour moi, c'est un vrai problème.

Je souhaite également aborder le financement de l'économie. Nos entreprises européennes dépendent majoritairement de l'emprunt bancaire pour se financer. Or, depuis 2022, les taux d'intérêt sont à la hausse, ce qui affecte les capacités des entreprises à investir.

Aux États-Unis, les entreprises ont principalement recours au financement par le marché ; elles ne sont donc pas dépendantes des banques. En outre, l'économie américaine est massivement subventionnée par le gouvernement fédéral.

Les deux points que je viens d'évoquer ne sont pas les seuls motifs du décrochage européen. Il y a également des variables structurelles, comme le vieillissement de la population européenne et la baisse du niveau d'éducation. Cela va se révéler problématique, notamment face aux Brics, qui montent en puissance.

Le sujet est vaste ; vous l'avez d'ailleurs rappelé, monsieur le ministre. L'ordre du jour de ce prochain Conseil européen fera figurer l'agenda 2024-2029 des priorités pour renforcer notre compétitivité à long terme.

L'OCDE a, certes, prédit une réduction du décrochage économique européen à partir de 2025, mais nous devons dès à présent mettre en place des politiques visant à améliorer le financement de l'économie, ainsi qu'à relancer la recherche l'innovation, la démographie et l'éducation. Vous y avez vous-même fait référence, monsieur le ministre.

Je compte sur la diplomatie française et sur la voix de la France pour agir sur ces différents dossiers, qui, à mon sens, sont fondamentaux.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du Premier ministre et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. Madame la sénatrice, vous pourrez effectivement compter sur la voix de la France pour défendre les préoccupations que vous avez exprimées et pour agir sur les dossiers que vous avez mentionnés.

Je voudrais vous remercier d'avoir abordé la question des véhicules électriques. Vous le savez, nous sommes au cœur d'un débat majeur au sein de l'Union européenne sur le sujet. La France soutient les conclusions de l'enquête qu'a menée la Commission européenne sur les distorsions de concurrence et sur les subventions dont la Chine fait bénéficier son industrie de véhicules électriques.

Nous ne pouvons pas être le dernier continent à faire preuve de naïveté. Les États-Unis investissent massivement dans la recherche et l'innovation – nous le voyons avec l'Inflation Reduction Act (IRA) –, mais ils protègent aussi leur industrie : ce sont les États-Unis de Joe Biden qui imposent des tarifs douaniers de 100 % sur les véhicules électriques.

La France soutient la proposition de la Commission européenne d'imposer des tarifs contre l'industrie des véhicules électriques chinois, qui bénéficie de subventions. Il y a eu un vote sur le sujet voilà quelques jours. Nous appellerons d'ailleurs la Commission européenne à mettre en place des mesures de compensation pour protéger les éventuels secteurs qui pourraient être menacés de rétorsions dans le cadre de ce différend.

Encore une fois, nous devons être capables de soutenir notre recherche et notre innovation, mais également de nous protéger contre les pratiques abusives de nos partenaires et concurrents.


Source https://www.senat.fr,le 16 octobre 2024