Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi, à TF1 le 23 octobre 2024, sur le projet de budget 2025, les bas salaires, les 35 heures, le télétravail et le travail des séniors.

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Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7 h 36 Bonjour, Sehla BOUGRIOU.

SEHLA BOUGRIOU
Bonjour Bruce.

BRUCE TOUSSAINT
Donc, votre invitée ce matin est la ministre du Travail, Astrid PANOSYAN-BOUVET.

JOURNALISTE
Bonjour Madame la Ministre.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.

SEHLA BOUGRIOU
Cette nuit, les députés se sont prononcés en commission contre votre projet d'alourdir les charges des entreprises. Est-ce vraiment la bonne solution quand on veut voir les mêmes entreprises augmenter les salaires ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On a un sujet d'abord de budget. Je veux dire, là, si on avait une crise financière aujourd'hui, ce ne serait bon pour personne, ni pour les entreprises, ni pour les ménages de condition modeste, ni pour les petits épargnants. Et donc il y a vraiment la nécessité aujourd'hui et de réduire les dépenses publiques et d'augmenter de manière circonstancielle les impôts. Depuis ces trente dernières années, parce qu'on a un coût du travail élevé - sur lequel on peut revenir - on a voulu, pour de très, très bonnes raisons, aider les entreprises, notamment en allégeant leurs charges patronales.

SEHLA BOUGRIOU
Mais qu'est-ce que vous répondez aux entreprises, effectivement ? Qui aujourd'hui craignent des pertes d'emploi massives ? 130 000…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce que je réponds aujourd'hui aux entreprises, ce que je réponds aujourd'hui aux entreprises, dans les 130 000 emplois, d'abord, c'est dû à l'ensemble du contexte économique qui se tend. Quand on regarde, si vous regardez les mêmes études, les réductions d'emplois liées à ces augmentations de charges patronales sont beaucoup plus limitées. Ce que je dis simplement, c'est que le système, aujourd'hui, n'est plus tenable. On ne peut pas avoir ce rythme d'aide aux entreprises pour compenser un coût du travail qui est très élevé et donc, on va le faire de manière extrêmement progressive. Moi, je viens du monde de l'entreprise, donc j'en connais aussi les contraintes et on fera une clause de revoyure l'année prochaine pour voir s'il y a un impact aussi important qu'anticipé.

SEHLA BOUGRIOU
Autre inquiétude d'ailleurs des patrons, c'est une forme de smicardisation. Alors, le SMIC, justement d'un mot, il augmente de 2 % au mois de novembre, est-ce suffisant alors que votre mantra à vous, justement, c'est…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais justement, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, le financement de la protection sociale pèse essentiellement sur les salaires et donc ça augmente le coût du travail. Depuis trente ans, on a voulu alléger les charges patronales, ce qui fait que ça coûte maintenant jusqu'à 80 milliards d'euros, c'est presque autant que le budget de l'Éducation nationale. Et la deuxième chose, effectivement, c'est que comme on mutualise de plus en plus le salaire, il y a moins de salaires pour la personne. Il y a Antoine FOUCHER, qui est un auteur très intéressant, qui vient nous montrer qu'avant 1980, on mettait quinze ans à doubler son revenu, aujourd'hui, on met 80 ans à le faire. Et donc il y a un vrai sujet aujourd'hui de dynamiser les progressions salariales sur l'ensemble de l'échelle salariale.

SEHLA BOUGRIOU
Sur la réforme de l'assurance-chômage que vous avez donc enterrée, vous laissez la main aux syndicats qui ont jusqu'au 15 novembre pour se mettre d'accord. On indemnise trop les règles du chômage aujourd'hui ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non. Alors là aussi, je pense que comme on dit, il faut débunker un certain nombre de vérités reçues. Le salaire de remplacement d'une personne au chômage, il est autour de 57 %, contre 80 % dans les pays d'Europe du Nord. Donc, non, le système d'assurance-chômage n'est pas nécessairement plus généreux, non, il n'est pas nécessairement plus généreux. Et on voit que dans des pays dans lesquels il y a des règles plus dures qu'en France, vous avez toujours un nombre d'emplois non pourvu. Donc les sujets aujourd'hui, c'est à la fois des sujets de formation, de transport, de logement et de garde d'enfants. et c'est ça qu'ils font qu'on regarde en priorité.

SEHLA BOUGRIOU
Et des sujets très concrets aussi, comme par exemple le cas des transfrontaliers qui travaillent à l'étranger et qui sont indemnisés ici en France. Qu'est-ce qu'il faut changer ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors il y a plusieurs choses qu'il faut changer. Il y a un règlement européen, mais ça, ça prend plus de temps parce qu'il faut qu'on soit autour de la table avec les pays européens. Mais il y a des choses qu'on peut changer déjà, notamment très concrètement pour un commis de cuisine à Genève qui est payé sur des salaires genevois aujourd'hui. Quand il revient de l'autre côté du lac, il est en droit, l'offre raisonnable d'emploi, de refuser des offres en France parce que les rémunérations sont inférieures à la Suisse. L'idée, c'est de remettre les choses pour dire que l'offre raisonnable d'emploi se situe dans un marché du travail français et non suisse, c'est aussi de renforcer les contrôles, c'est ce que fait Pôle… France Travail, pour justement s'occuper mieux et accompagner mieux et inciter plus à la reprise d'emploi rapidement les travailleurs transfrontaliers en France.

SEHLA BOUGRIOU
Plus généralement, est-ce qu'il faut aujourd'hui travailler plus ? Gérald DARMANIN, par exemple, explique qu'il faut mettre fin aux 35 heures.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, il faut travailler plus tout au long de la vie. On a un problème en France qui est que depuis cinquante ans, on a pensé qu'en sortant les seniors du marché du travail, on augmenterait le taux d'activité des jeunes. Résultat, cinquante ans après, même si on a fait des progrès, on a des taux d'activité des jeunes qui sont toujours plus bas que la moyenne européenne et des taux d'activité des seniors qui sont toujours plus bas que la moyenne européenne, c'est travailler plus longtemps en meilleure santé et mieux tout au long de la vie.

BRUCE TOUSSAINT
Travailler dans la semaine, pardon, c'était ça aussi le sens de la question. Est-ce qu'il faut travailler, effectivement, renoncer aux 35 heures ? Vous dites quoi ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Les 35 heures, en fait, il faut aussi savoir ce que c'est. 35 heures, ça veut dire qu'on peut travailler plus que 35 heures, mais à ce moment-là, on a des heures supplémentaires et on est majoré en heures supplémentaires. Naturellement, il y a beaucoup de nos concitoyens qui travaillent plus de 35 heures par semaine. Là aussi, c'est méconnaître la situation et souvent, c'est en majorant les heures supplémentaires…

SEHLA BOUGRIOU
Vous ne répondez pas à Gérald DARMANIN, vous ne répondez pas à sa question.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… C'est méconnaître la situation, c'est-à-dire que les Français ne travaillent pas 35 heures. Quand vous regardez le nombre d'heures, c'est plutôt quarante heures. Simplement, il y a un nombre d'heures majorées qui permet aussi, parce que c'est défiscalisé, de gagner en heures supplémentaires.

BRUCE TOUSSAINT
Et le télétravail, vous pensez que c'est une bonne idée ou pas ? Il y a beaucoup d'entreprises qui commencent à y revenir sur cette…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que le télétravail, alors, il faut d'abord relativiser. Il y a un tiers des salariés qui travaillent en télétravail parce qu'il y a beaucoup de salariés, notamment le travail posté, le métier du lien. On ne peut pas télétravailler quand on s'occupe d'une personne vulnérable, un bébé ou une personne âgée, donc déjà, ça relativise. Et ensuite, effectivement, si c'est un moyen de s'organiser un ou deux jours, c'est à l'entreprise de décider. Après, moi, je peux comprendre qu'il y ait des entreprises qui décident de revenir parce qu'il y a eu des choix de faire du tout télétravail. Et l'entreprise, c'est aussi un collectif, c'est aussi aux entreprises et au niveau de l'entreprise de décider.

SEHLA BOUGRIOU
Hier, à votre place, c'était le ministre de l'Économie, Antoine ARMAND, qui s'est dit prêt à une ouverture sur le gel des petites retraites pendant six mois. Alors d'abord, pour vous, c'est quoi une petite retraite ? Et surtout, combien ça va coûter ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, une petite retraite, je pense que ça doit être aussi à l'équivalent de ce qu'une personne au SMIC gagne, par exemple. Et on voit qu'on, vous voyez, on a un système des retraites qui est indexé sur le salaire des actifs ? Donc il va falloir aussi qu'on regarde avec courage et avec lucidité également les solidarités entre actifs et inactifs et les solidarités entre générations.

SEHLA BOUGRIOU
C'est-à-dire ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Et donc, on va regarder les petites retraites… Ça veut dire que dans un pays où les revenus d'actifs et d'inactifs sont à peu près égaux, où 75 % des retraités sont propriétaires, je pense qu'il faut aussi qu'on regarde les choses avec courage. Donc on ne gèle pas d'abord les retraites. On est en train de les décaler et on est en train de regarder comment protéger plus encore les petites retraites, sachant que le minimum vieillesse n'est pas concernée aujourd'hui par ce gel. Il faut aussi dire la chose.

SEHLA BOUGRIOU
Ça, on l'a bien compris. Quand le Rassemblement national et la France Insoumise réfléchissent tous deux à voter pour l'abrogation de cette réforme des retraites, qu'est-ce que ça vous inspire ? Est-ce que ça vous inquiète ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, ce qui m'inquiète, c'est de ne pas regarder la vérité en face, c'est-à-dire qu'un régime des retraites aujourd'hui par répartition n'est pas tenable sur les équilibres démographiques si on ne fait pas ce décalage. Par contre, il faut aussi regarder ce qui a été source d'anxiété pendant ces manifestations, et sur lequel le Premier ministre a dit qu'il voulait ouvrir aujourd'hui des discussions : c'est la question des retraites progressives pour les seniors, c'est la question des retraites des femmes, et c'est la question de l'usure professionnelle, et ça, c'est une mesure de justice.

SEHLA BOUGRIOU
Autre chose sur l'apprentissage : pourquoi freiner les aides à l'apprentissage alors que cela convenait aux entreprises et aux apprentis ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, c'est une formidable réussite, c'est une révolution culturelle à tout niveau de qualification. Simplement, il faut aussi regarder le coût raisonnable. Aujourd'hui, on dépense plus que l'Allemagne sur l'apprentissage qui est un modèle en la matière, donc on n'arrête pas les aides, on va les recalibrer tout simplement.

SEHLA BOUGRIOU
Merci beaucoup.

BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup, Astrid PANOSYAN-BOUVIER. Merci, Sehla BOUGRIOU. On va se retrouver dans quelques instants pour évoquer le très bel automne du cinéma français.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 octobre 2024