Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, dans Les Échos le 29 octobre 2024, sur les ingérences étrangères lors des élections législatives en Géorgie et en Moldavie.

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Média : Les Echos

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Q - Comment l'Union européenne peut-elle aider la Géorgie et la Moldavie après ces séquences électorales entachées d'irrégularités ?

R - Il ne faut pas être naïf. Nous voyons depuis des années que la Russie est tentée d'utiliser toutes les zones grises de notre continent comme autant de théâtres d'influence et d'ingérence. L'agression russe contre l'Ukraine le 24 février 2022 a rappelé qu'il y avait dans notre voisinage un enjeu de stabilité et de sécurité pour le continent européen. Il importe que l'Union européenne y soit présente. Je pense bien évidemment au soutien à l'Ukraine, mais aussi à la Géorgie, à la Moldavie, à l'Arménie ou encore aux Balkans occidentaux.

Q - L'Union européenne doit aussi prendre acte des aspirations européennes des populations. Il en va à la fois de la défense de nos valeurs et de nos intérêts de sécurité pour la stabilité de l'Europe. Dans le cas précis de la Géorgie, les observateurs électoraux (OSCE, Otan, Parlement européen) ont été explicites en parlant de menaces, d'intimidations, de recul démocratique.

R - Il ne s'agit pas, selon eux, d'élections libres et équitables. On a ici un pays candidat à l'Union européenne, cela entraîne des responsabilités, le respect de l'État de droit, l'intégrité des élections, et donc cette séquence aura des conséquences sur la relation que nous avons avec le gouvernement géorgien. Nous allons observer avec la plus grande vigilance ce qu'il va se passer dans les prochains jours et notamment tout risque de violence à l'encontre des manifestants.

Q - Le parti Rêve géorgien dit être tout autant favorable à une adhésion à l'Union européenne que l'opposition. Peut-on les croire ?

R - La candidature à l'Union européenne, ce n'est pas un bout de papier. L'Union européenne, c'est une union de valeurs avec des exigences. On a vu la dérive illibérale du gouvernement depuis déjà quelques années, que ce soit les menaces contre les minorités LGBT, la loi sur les ingérences étrangères que nous avons dénoncée, cette élection avec les cas d'entraves soulignés par les observateurs électoraux. C'est tout cela que l'Europe doit dénoncer pour soutenir l'aspiration européenne légitime de la population géorgienne.

Q - Comment peut-on mieux se protéger contre les ingérences russes ?

R - La Russie a clairement désigné l'Europe comme son ennemie. En 2014, pendant le mouvement du Maïdan à Kiev, les Ukrainiens veulent se tourner vers l'Europe. À l'époque, on parle pourtant seulement d'un accord de libre-échange. C'est pour ces drapeaux européens que certains sont assassinés, parce qu'ils aspirent à un avenir démocratique, débarrassé de la corruption.

On voit ces ingérences russes désormais en Moldavie, en Géorgie, dans les Balkans, mais aussi dans nos propres démocraties avec des attaques cyber, la manipulation de l'information. Nous nous sommes donné les moyens de nous défendre contre les attaques hybrides, avec la création de Viginum [Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères, NDLR] ou le renforcement de nos moyens de renseignement grâce à la loi de programmation militaire, mais aussi avec le Digital Services Act au niveau européen.

Je plaide aussi pour une Europe qui repart à l'offensive, en défendant nos valeurs, notre sécurité, et en soutenant les Ukrainiens contre la guerre d'agression de la Russie. Quel que soit le résultat de l'élection présidentielle américaine, on doit continuer à aider les Ukrainiens à se défendre contre l'agresseur russe parce que c'est notre sécurité et nos intérêts qui sont en jeu à nos frontières. Et nous devons continuer à renforcer aussi notre investissement en Géorgie, en Moldavie, dans les Balkans, ces régions que nous avons trop longtemps négligées.

Q - Le Premier ministre hongrois est à Tbilissi. Faut-il sanctionner Viktor Orban pour ses initiatives diplomatiques non concertées ?

R - C'est une initiative de la Hongrie seule et non pas de l'Union européenne. Le président du conseil européen et de nombreux ministres des affaires européennes l'ont rappelé dans un communiqué hier.

Q - Cela vient à la suite de déplacements à Pékin et Moscou où il dit qu'il parle au nom de l'Union européenne...

R - Nous venons de décider d'adopter des droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques chinois en raison des pratiques déloyales de la Chine. C'est la démonstration que si on veut peser, à la veille d'élections américaines décisives, face à la Russie, face à la Chine mais aussi face aux États-Unis qui font œuvre de protectionnisme, il faut être soudés et agir de façon collective. Il n'y a qu'en étant unis que l'on sera capable d'imposer des rapports de force et de défendre nos intérêts.

Q - Mais il n'y a pas de moyens pour les 26 autres États membres de réprimander Viktor Orban ?

R - Dans le cas de la Hongrie, même si cela est distinct, il y a eu des mesures prises pour les violations de l'État de droit, avec notamment des fonds européens suspendus. En même temps, depuis deux ans, on a avancé en Europe pour ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Ukraine, pour renouveler les sanctions face à la Russie, pour finaliser un accord sur un prêt du G7 à partir des avoirs gelés de la banque centrale russe de 50 milliards d'euros, qui sera utilisé en priorité pour les besoins militaires de l'Ukraine. Nous sommes donc capables d'être unis et soudés.

Q - Ce message d'unité sera un thème du prochain sommet européen ?

R - Quelques jours après l'élection américaine, on aura le sommet de la Communauté politique européenne, issue d'une initiative française, puis le Conseil européen informel sur la mise en œuvre du rapport Draghi. Cela a toujours été la ligne du président de la République depuis le discours de la Sorbonne : une Europe qui assume sa puissance, défend ses intérêts sur le plan commercial et sécuritaire, investit pour sa réindustrialisation, sort d'une forme de naïveté, et le fait de façon collective. Chaque État a son histoire, ma mission est de parler à tous pour créer du consensus.

Q - L'élargissement de l'UE à la Moldavie et à la Géorgie est-il encore crédible ?

R - C'est un processus long et exigeant, fondé sur le mérite, qui implique des réformes importantes de l'État de droit, de lutte contre la corruption, d'indépendance de la justice, etc. Mais ce serait une erreur historique d'abandonner ces régions face à l'ingérence russe. Il y a une aspiration européenne dans ces pays dont nous devons tenir compte car il en va aussi de la stabilité du continent européen. C'est prévenir les crises de demain, éviter d'avoir des conflits gelés manipulés par des puissances extérieures, tout en restant exigeants à l'égard de ces gouvernements.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 novembre 2024