Interview de M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, à France 2 le 25 novembre 2024, sur le délit d'apologie du terrorisme, la question du consentement dans les relations entre les hommes et les femmes et le risque de censure du gouvernement concernant le budget 2025.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bonjour monsieur le ministre.

DIDIER MIGAUD
Bonjour.

JULIEN ARNAUD
Alors, vous allez vous occuper de ce dossier des pare-brises, j'imagine. Ce n'était pas prévu, ce n'était pas votre urgence ce matin mais voilà, maintenant, vous allez le noter…

DIDIER MIGAUD
Ça explique l'engorgement de la Justice…

JULIEN ARNAUD
Ça fait partie exactement.

DIDIER MIGAUD
Ça fait partie, oui.

JULIEN ARNAUD
Cela fait partie des petites choses. Commençons, si vous le voulez bien, par votre réaction à cette proposition de loi pour le moins polémique déposée par la France insoumise. Ils veulent abroger le délit d'apologie du terrorisme. Que répondez-vous ?

DIDIER MIGAUD
Je suis résolument contre. Je ne comprends pas qu'on puisse baisser la garde devant la menace du terrorisme qui est, aujourd'hui, très présente. Je suis extrêmement choqué. La liberté d'expression n'a jamais tout permis. Il y a des limites à cette liberté d'expression. Et à partir du moment où l'apologie, ça consiste à justifier, excuser, trouver des circonstances atténuantes à un acte terroriste, c'est inadmissible.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous reprenez le terme d'ignoble prononcé par le ministre de l'Intérieur ?

DIDIER MIGAUD
Il n'y a pas de terme qui est qualifié. C'est ignoble, c'est… En tout cas, cela doit être combattu avec la plus grande force.

JULIEN ARNAUD
Alors, le député Ugo BERNALICIS dit " Cette loi, c'est devenu une espèce de paravent pour brimer la liberté d'expression.

DIDIER MIGAUD
La liberté d'expression, je le répète, n'a jamais tout permis.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous pensez qu'abroger libérerait encore davantage la parole antisémite ?

DIDIER MIGAUD
C'est évident. Si en 2014, on a éprouvé le besoin d'en faire une incrimination et que cela puisse relever du code pénal, c'est parce que justement, beaucoup de propos montraient que c'était nécessaire. Et cela doit être condamné avec la plus grande fermeté. Les juges ont là la liberté d'appréciation.

JULIEN ARNAUD
Alors que dites-vous maintenant, vous qui êtes un ancien socialiste ? Alors vous n'êtes plus au Parti socialiste, mais on voit que vos amis socialistes y sont aux côtés de LFI au sein de ce qu'on appelle le Nouveau Front populaire. Vous dites quoi à vos amis socialistes quand ils entendent ce genre de choses ?

DIDIER MIGAUD
J'ai compris qu'ils s'opposeraient. J'ai entendu les déclarations de François HOLLANDE et d'autres responsables socialistes, je crois, Boris VALLAUD donc…

JULIEN ARNAUD
Et au-delà de s'opposer, on peut quand même rester dans le même groupe ? C'est un peu facile de s'opposer, mais tout en restant ensemble quoi.

DIDIER MIGAUD
C'est la question qui doit leur être posée.

JULIEN ARNAUD
Oui, oui, qu'on leur posera mais en tout cas, il n'y a pas d'injonction ce matin de votre part, si on a bien compris.

DIDIER MIGAUD
Je n'ai pas d'injonction à donner, sinon à montrer que je suis très choqué par cette proposition.

JULIEN ARNAUD
Alors vous avez aussi été choqué évidemment par tout ce que l'on a entendu au procès PELICOT. Les réquisitions s'ouvrent à partir d'aujourd'hui. C'est un procès, d'après vous, qui va rester dans l'histoire, qui va marquer un tournant dans la société française, comme il y a eu d'autres avant lui qui l'ont fait ?

DIDIER MIGAUD
Oui, je le pense et je me réjouis que madame PELICOT ait accepté que ce procès soit public pour que les uns et les autres, on puisse prendre conscience de ce qu'on doit sortir de cette culture de la domination de l'homme sur la femme. Et le XXI? siècle ne doit pas le permettre. Et la Justice s'organise pour faire en sorte justement que l'on puisse combattre davantage les violences intrafamiliales et particulièrement les violences faites aux femmes.

JULIEN ARNAUD
Alors comment concrètement ? On sait que le Premier ministre doit faire des annonces en fin de matinée. Quelles sont les mesures à mettre en place le plus rapidement possible ?

DIDIER MIGAUD
Je laisse au Premier ministre le soin d'annoncer les mesures. Mais la Justice, elle, s'est organisée. Vous avez des pôles dédiés au niveau des tribunaux judiciaires, au niveau des cours d'appel. Vous avez un certain nombre de mesures qui ont été prises, comme les bracelets antirapprochement, comme les ordonnances de protection qui peuvent être émises dans des délais extrêmement rapides. Et d'ailleurs une loi nouvelle fait en sorte que dans les 24 heures, on puisse prendre une ordonnance de protection. Donc, la Justice considère que c'est une priorité absolue de lutter contre les atteintes et les violences faites aux femmes.

JULIEN ARNAUD
Alors vous, vous êtes favorable à ce que la notion de consentement apparaisse dans la loi. On sait qu'il y a un débat là-dessus. Ça changerait quoi exactement ?

DIDIER MIGAUD
C'est un problème de société. Le consentement, on voit combien c'est quelque chose qui est important de ne pas consentir à quelque chose, c'est essentiel. Et je comprends parfaitement cette demande d'association féminine et des femmes.

JULIEN ARNAUD
Alors il y en a d'autres qui sont contre, qui disent que ça ne changerait rien.

DIDIER MIGAUD
J'entends ces réserves, oui, parce qu'il y a une jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui est ouverte par rapport à ce sujet. Mais je pense que ça peut avoir du sens de le mettre dans la loi à la condition, bien évidemment, qu'on ne renverse pas la charge de la preuve et que ça ne rend pas les choses plus difficiles pour la victime. Je pense qu'on peut trouver une rédaction. En tout cas, j'y suis tout à fait favorable, je l'ai dit. Il y a des propositions de loi qui devraient nous permettre de trouver la solution.

JULIEN ARNAUD
Ça devrait intervenir quand ? Il y a un délai ?

DIDIER MIGAUD
Je l'espère le plus rapidement possible. Il y a une proposition de loi qui est présentée par LFI mais qui, je pense, n'est pas très bien rédigée et qui pourrait remettre en cause justement cette charge de la preuve. Et nous travaillons avec la délégation des droits des femmes à la fois de l'Assemblée nationale et du Sénat pour trouver les solutions. En tout cas, je ferai tout pour que la chancellerie puisse aider à une solution.

JULIEN ARNAUD
Il y a ce rendez-vous de Michel BARNIER - on l'a dit tout à l'heure en fin de matinée - pour ces annonces. Il y a un autre rendez-vous pour lui dans quelques minutes maintenant, ce sera à 8h30. Il a rendez-vous avec Marine Le PEN parce qu'il va rencontrer l'ensemble des présidents de groupes d'opposition. D'abord, Marine Le PEN, pour vous, pour préciser les choses, elle fait partie de l'arc républicain ou pas ? Il faut la recevoir ?

DIDIER MIGAUD
Elle est députée de la République.

JULIEN ARNAUD
Oui mais tout le monde n'est pas d'accord au sein du Gouvernement. C'est bien ce qu'avait dit Antoine ARMAND…

DIDIER MIGAUD
Elle est députée de la République, elle est l'élue du suffrage universel comme tous ses collègues. J'ai toujours été respectueux en tout cas des résultats du suffrage universel.

JULIEN ARNAUD
Comment peut-il la convaincre de ne pas voter la censure ?

DIDIER MIGAUD
Je n'en sais rien, il faut laisser les discussions s'organiser. Le Premier ministre la reçoit. Il reçoit aussi tous les chefs de groupes d'opposition. La conséquence peut être très lourde pour le pays, c'est l'absence de budget, l'absence de loi de finances ou partir sur les recettes de 2024, c'est-à-dire avec un lourd déficit, avec une actualisation qui ne se fait pas. Pour la Justice, ce serait extrêmement dommageable.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous allez veiller, en tant que garde des Sceaux, à ce qu'il ne lui fasse pas des concessions trop larges sur la question de l'immigration par exemple ?

DIDIER MIGAUD
Ecoutez, nous verrons ce qu'il y aura sur la table. Je ne commande jamais un texte dont la rédaction n'est pas déjà sur la table. Donc ça ne sert à rien.

JULIEN ARNAUD
On va attendre alors de voir quelles sont les propositions de part et d'autre. Il y a un texte qui est sur la table en revanche, c'est le texte du budget. Et on voit que le Gouvernement a beaucoup de mal à le faire passer, ce qui pourrait déboucher sur cette censure. Regardez la une du Parisien de ce matin. Le Parisien se demande où trouver les économies. Il se trouve que dans votre vie précédente, vous étiez premier président de la Cour des comptes. Donc les économies, vous savez où les trouver. Pourquoi est-ce que le Premier ministre ne vous appelle pas ? Et quelles seraient vos pistes ?

DIDIER MIGAUD
Écoutez, relisez les rapports de la Cour des comptes et vous verrez un certain nombre de propositions. Je ne pense pas… En tout cas, on m'a fait le reproche de me battre pour le budget de la Justice parce que je trouve que c'est justifié. Et ça ne remet pas en cause la nécessaire maîtrise de nos finances publiques.

JULIEN ARNAUD
Oui, mais il est en train de tout lâcher petit à petit, Michel BARNIER.

DIDIER MIGAUD
Beaucoup de pays tout autour de nous arrivent à maîtriser les finances publiques et à avoir des priorités. Et le régalien doit être une priorité. La justice, l'Intérieur, la police, tout cela, ce sont des priorités que l'on doit affirmer pour protéger nos citoyens.

JULIEN ARNAUD
Justement, protéger les citoyens dans un contexte de ce que votre collègue de l'intérieur appelle la mexicanisation de la France. Quand on lit le Figaro ce matin, on se demande s'il n'a pas raison. Parce qu'on voit qu'il y a de plus en plus de menaces sur les magistrats. Il raconte de plus en plus des menaces personnelles. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ?

DIDIER MIGAUD
Oui. Le recours aux actions ultra-violentes qui sont celles des cartels sud-américains. Nous ne sommes pas encore à une mexicanisation en France. Mais ce sont des méthodes qui sont utilisées par les cartels sud-américains. Une violence extrême.

JULIEN ARNAUD
Y compris sur des magistrats ?

DIDIER MIGAUD
Mais ce sont des menaces sur les magistrats, sur les personnels de grève, sur les personnes pénitentiaires. C'est pour cela que nous souhaitons agir et le plus immédiatement possible. Il y a une loi qui doit être votée, je l'espère, dans le courant du premier semestre. Mais il faut des mesures immédiates. Il faut organiser la Justice pour combattre cette ultra-violence des narcotrafiquants. Il faut aussi des mesures sur le système pénitentiaire. C'est inacceptable que des trafiquants puissent organiser, continuer à organiser leur trafic de la prison et commanditer des meurtres. Donc, il faut prendre des mesures. J'en ai proposé et je vais les mettre en application immédiatement.

JULIEN ARNAUD
Didier MIGAUD, offensif ce matin dans " Les 4V " sur Télématin. Merci beaucoup.

DIDIER MIGAUD
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 novembre 2024