Tribune de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt et Mme Sophie Primas, ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, dans "Le Figaro" le 25 novembre 2024, sur l'accord avec le Mercosur, intitulée "Pourquoi la France dit non au Mercosur".

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Média : Le Figaro

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Le traité de libre-échange entre l'UE et les pays du Mercosur est non seulement dangereux pour l'environnement, mais il sape notre souveraineté alimentaire et nuit à nos agriculteurs, argumentent la ministre de l'agriculture et la ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger.

Les 26 et 27 novembre prochains, le Gouvernement demandera au Parlement de soutenir son refus de conclure cet accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur tel que la Commission européenne l'envisage.

Les débats parlementaires devront permettre de faire entendre la légitime inquiétude exprimée dans la rue par nos agriculteurs et partagée par de nombreux Français. Ils seront aussi l'occasion de rappeler la position ferme et réitérée de la France : l'accord est inacceptable, et l'Union européenne doit continuer à s'opposer à son adoption.

Cette opposition ne marque aucunement notre refus des accords commerciaux, ni la négation des liens diplomatiques, historiques et culturels qui lient profondément l'Europe et les pays du Mercosur. La France est une puissance exportatrice qui a besoin d'ouvrir des perspectives à toutes ses entreprises. Il ne s'agit pas non plus de montrer d'un doigt accusateur les pays du Mercosur, qui sont souverains. Il s'agit de dénoncer le bilan défavorable d'un accord, incohérent avec l'ensemble de nos ambitions européennes, qui créerait une concurrence déloyale, qui fragiliserait des filières agricoles entières et provoquerait des désordres majeurs pour notre agriculture française et européenne, notre souveraineté alimentaire, la santé de nos consommateurs et la préservation de l'environnement. Ces dommages surpassent largement les bénéfices économiques envisagés pour certains secteurs.

Nous identifions trois menaces majeures. Trois raisons pour la France de dire non.

C'est un des fondements majeurs de l'opposition de la France depuis 2019, comme l'a rappelé le Président de la République : l'incompatibilité de l'accord avec les engagements climatiques européens. Le signer fragiliserait la crédibilité de la trajectoire ambitieuse de réduction des émissions de CO2 définie par les Accords de Paris. À l'heure où la protection de l'environnement est le défi du siècle, c'est inenvisageable.

Rappelons l'opposition très vigoureuse de plusieurs pays d'Amérique du Sud lors de l'adoption du règlement européen sur la déforestation. Nous n'avons pas le droit d'abdiquer cette ambition, alors que la fragilisation de l'Amazonie et du Cerrado est une cause majeure du réchauffement de notre planète.

Plus globalement, nos ambitions environnementales européennes sont pour l'heure inconciliables avec les pratiques agricoles en vigueur dans les pays du Mercosur, ces derniers étant parmi les premiers utilisateurs de produits phytosanitaires au monde, dont beaucoup sont interdits en Europe depuis plusieurs années.

Au-delà de la menace environnementale, nous sommes confrontés à un risque économique, social et sanitaire. Nos agriculteurs, piliers de nos territoires et de notre identité, respectent des normes rigoureuses en matière de bien-être animal et de qualité des productions auxquels les consommateurs, que nous sommes tous, sont attachés.

Or ces normes, que certains contestent déjà et qui pèsent sur la compétitivité du modèle agricole européen, perdraient leur sens et leur effectivité si nous autorisions l'importation massive de denrées alimentaires issues de pays qui s'en affranchissent. Comment exiger de nos producteurs qu'ils soient vertueux si, dans le même temps, nous laissons entrer sur nos marchés des denrées cultivées ou élevées selon des méthodes qui ne respectent pas nos règles ? Nous devons garder à l'esprit que certains pays du Mercosur autorisent jusqu'à 145 pesticides interdits dans l'Union européenne ou que des antibiotiques comme activateurs de croissance sont autorisés dans certains élevages, notamment avicoles, alors qu'ils sont interdits en Europe !

En agissant ainsi, nous exposerions nos agriculteurs, déjà durement éprouvés par les crises successives, à une concurrence insoutenable qui ne ferait qu'accentuer leur colère. Légitimement.

Cette demande que le Président de la République et le Gouvernement formulent est une triple exigence de bon sens, d'efficacité et de justice. Si une norme est nécessaire pour un produit chez nous, elle doit l'être pour tous les produits similaires, d'où qu'ils viennent. D'où notre exigence, en dehors de l'accord lui-même, de développer des mesures dites "miroirs", c'est-à-dire réciproques et concernant l'ensemble de nos partenaires commerciaux.

Nous devons défendre un modèle agricole exigeant, respectueux de l'environnement et des consommateurs. Un modèle où chaque producteur, européen ou étranger, respecte les mêmes normes. Accepter un accord avec le Mercosur sans garanties environnementales et sanitaires claires traduites dans des mesures miroirs fermement contrôlées reviendrait à trahir nos agriculteurs. Nous ne pouvons l'accepter.

Enfin, et surtout, signer l'accord avec le Mercosur compromettrait gravement notre souveraineté alimentaire, qui était pourtant au coeur du Sommet de Versailles de 2022. Au regard des évolutions de la géopolitique de l'alimentation, jamais l'agriculture ne doit devenir une variable d'ajustement dans les décisions que prend l'Union européenne. La France le refuse.

Les quotas supplémentaires d'importations à droits de douane réduits, notamment pour la viande bovine, la volaille, le sucre, l'éthanol ou le maïs, risqueraient de provoquer des déséquilibres profonds pour nos producteurs. Ces filières, déjà fragilisées, se trouveraient confrontées à une concurrence déloyale exacerbée par des coûts de production bien plus faibles dans les pays du Mercosur.

L'application de cet accord entraînerait inévitablement une baisse du prix des denrées, une chute des revenus et la fermeture de nombre de nos exploitations. Un tel scénario serait en contradiction totale avec l'engagement collectif que nous avons pris en faveur d'une agriculture européenne de qualité.

N'ayons pas peur de le dire : cet accord serait un contrat de délocalisation pour notre agriculture. En important massivement des produits que nous ne produirions plus chez nous, nous deviendrions davantage dépendants d'acteurs extérieurs pour nourrir nos populations. C'est un choix lourd de conséquences, non seulement pour nos agriculteurs mais aussi pour l'autonomie stratégique de l'Europe.

Trois menaces, donc, qui conduisent le gouvernement français à refuser cet accord.

Les compromis que certains avancent sont trop minces pour ne pas s'apparenter à une compromission aux yeux des Européens. Les conséquences seraient lourdes si l'Union européenne donnait, dans ce contexte, le sentiment d'un abandon de ses valeurs mais aussi de ses atouts.

C'est justement pour éviter cela que la France se mobilise vigoureusement, pleinement, et jusqu'au bout, pour que l'Union européenne ne se résigne pas.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2024