Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la déclaration du gouvernement portant sur les négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
La parole est à Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
M. Pierre Cordier
Sans doute la meilleure d'entre nous, comme l'aurait dit Jacques Chirac !
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
Il y a très exactement soixante ans, le 21 septembre 1964, commençait un voyage de près de 32 000 kilomètres à travers le continent latino-américain. Bien qu'ils n'aient pas exactement été prononcés à cette occasion, la postérité y associera ces mots : " Marchemos la mano en la mano ! " Ce voyage, c'est le général de Gaulle qui l'effectua, trois semaines durant, dans le but de renforcer les liens qui nous unissent aux républiques d'Amérique latine. Ces mots, je crois utile de rappeler qu'ils sont le reflet d'une ambition inchangée : les peuples français et latino-américains ont marché, marchent et marcheront main dans la main.
Cette relation, parce qu'elle est forte et profonde résistera avec certitude aux épreuves du temps, à la condition toutefois qu'elle demeure exigeante et que les grands équilibres dans lesquels elle s'inscrit ne soient pas menacés. Or, à l'heure où plusieurs de nos partenaires pressent la conclusion d'un accord de libre-échange avec le Mercosur, le risque est réel car – et j'insiste sur ce point – l'accord, tel que la Commission européenne l'envisagerait, n'est pas acceptable, et le gouvernement français et le président de la République s'y opposent donc pleinement, résolument. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Jean-Pierre Vigier
Très bien !
M. Arnaud Le Gall
Voilà qui a le mérite d'être clair !
Mme Annie Genevard, ministre
Si cette opposition est ferme, elle n'a rien de doctrinaire…
M. Arnaud Le Gall
Dommage !
Mme Annie Genevard, ministre
…et vous ne trouverez personne au gouvernement qui entende prohiber les échanges agricoles. Ne l'oublions pas, le secteur agricole est, pour la France, un véritable vecteur de puissance au plan mondial. Nous demeurons le sixième pays exportateur de produits agricoles et agroalimentaires, et nos exportations généraient, en 2023, près de 85 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 6,5 milliards d'euros d'excédent commercial. Ces résultats, nous les devons pour partie à la libération des échanges et à l'abaissement des droits de douane. Les parts de marché agricoles que nous avons conquises à l'instauration du marché unique européen le démontrent.
Il serait donc irresponsable pour la France de s'opposer par anticipation et par principe à tout accord de libre-échange tant un accord de ce type, lorsqu'il est équilibré, peut offrir de précieux débouchés pour nos filières, pour la France et pour l'Europe.
Si nous nous opposons à cet accord, ce n'est pas par dogmatisme mais par pragmatisme, parce que les craintes graves qu'il a fait naître chez nous n'ont pas su trouver de réponse en vingt-cinq années de négociation.
Les premières de ces craintes sont économiques et sanitaires. Nous ne pouvons plus continuer de donner aux agriculteurs le sentiment de n'être qu'une monnaie d'échange sur le plan international.
Compte tenu des évolutions de la géopolitique de l'alimentation, reléguer notre souveraineté alimentaire au second plan serait une folie.
L'agriculture ne doit jamais devenir une variable d'ajustement dans les décisions que prend l'Union européenne. La France s'y refuse.
Dans cette configuration internationale, notre vote doit permettre de reconnaître solennellement que la France veillera désormais à ce que l'agriculture ne soit plus seulement un secteur défensif, mais aussi un secteur stratégique à défendre – voilà notre ambition.
Le problème va plus loin, car si en soixante-sept ans d'existence notre Union a su bâtir un cadre normatif étoffé, robuste, qui encadre avec rigueur les modes de production agricole et fait de nos paysans les garants de notre sécurité sanitaire, les multiples audits qu'elle a menés depuis 2017 en Argentine, au Brésil et en Uruguay ont mis en évidence des failles parfois qualifiées de systémiques dans leurs dispositifs d'inspection et de contrôle. Un audit l'a encore rappelé récemment pour la viande bovine.
Cet état de fait implique que, dans les conditions actuelles, la production des pays du Mercosur ne nous garantit ni le respect des normes européennes pour les denrées importées, tel que nous l'envisageons en Europe, ni l'établissement de conditions de concurrence loyales pour nos agriculteurs.
M. Vincent Descoeur
Il y a en effet un problème !
M. Benjamin Dirx
Exactement !
Mme Annie Genevard, ministre
Dans ce cadre, le président de la République et le gouvernement formulent une exigence de bon sens : chaque norme appliquée à un produit européen doit aussi l'être à n'importe quel produit extra-européen. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
M. Vincent Descoeur
Parfait !
M. Jean-Luc Bourgeaux
Enfin !
Mme Annie Genevard, ministre
C'est pourquoi la France souhaite développer des mesures dites miroirs, réciproques et s'appliquant à l'ensemble de nos partenaires commerciaux, ainsi que le contrôle de leur exécution.
C'est la clé pour défendre notre modèle agricole, vertueux et respectueux de l'environnement et des consommateurs.
M. Arnaud Le Gall
La blague !
M. Matthias Tavel
Vous n'y croyez pas vous-même !
Mme Annie Genevard, ministre
Comment justifier l'ouverture de notre marché à l'importation de 180 000 tonnes de sucre, lorsqu'on sait que jusqu'à 145 pesticides, dont l'utilisation est interdite aux producteurs européens, peuvent être librement utilisés dans les exploitations du Mercosur ?
M. Vincent Descoeur
C'est inacceptable !
Mme Annie Genevard, ministre
Ce constat est d'autant plus frappant quand on sait que les limites maximales de résidus phytosanitaires autorisés en Europe sont jusqu'à six fois plus élevées dans certains pays du Mercosur.
De même, comment justifier l'ouverture de notre marché à l'importation de 180 000 tonnes de volaille, lorsqu'on sait que des antibiotiques sont utilisés en élevage comme vecteur de croissance dans certains pays du Mercosur – ce qui est interdit en Europe – et que des molécules classées cancérogènes, mutagènes et toxiques, interdites chez nous, peuvent parfois y être utilisées en agriculture biologique ?
Face à ces procédés, qui ne sont pas les nôtres, la concurrence serait impossible,…
M. Vincent Descoeur
Et déloyale !
Mme Annie Genevard, ministre
…nos agriculteurs seraient fragilisés et la sécurité sanitaire de nos denrées mise en danger.
Ce vote est d'autant plus important que la France formule de sérieuses craintes quant à une perte de souveraineté alimentaire, car l'introduction sur notre marché de tels produits engendrerait des déséquilibres pour nos filières agricoles.
Pour des secteurs aussi sensibles que la viande de bœuf ou de volaille, l'éthanol, le sucre ou le maïs, nous connaissons le résultat : baisse du prix des denrées alimentaires, baisse des revenus et donc fermeture de multiples exploitations et sites de production, dans un contexte déjà difficile pour le renouvellement des générations. (M. Laurent Wauquiez applaudit.)
M. Vincent Descoeur
Exactement !
M. Jean-Pierre Vigier
Bravo !
M. Jean-Luc Bourgeaux
Cela serait la fin de notre agriculture !
Mme Annie Genevard, ministre
Avec cet accord, nous signerions le contrat de délocalisation d'une partie de notre agriculture car nous importerions davantage de produits qui ne respecteraient pas nos normes.
Alors que seulement quatre années nous séparent de la pandémie, comment assumer de fragiliser durablement et profondément un secteur aussi vital que notre alimentation ? Les Français et les Européens nous le reprocheraient.
Face à ces craintes, profitons de cette tribune pour lancer une ultime alerte car il y a tout juste un an, un puissant cri de colère traversait le continent, de la Bretagne aux Carpates, et ciblait un monde politique dont les agriculteurs n'acceptaient plus le cap. Ne l'oublions pas.
Ces deux dernières semaines, des échos nous en sont revenus. Ils nous disent que la colère est vive et que depuis de trop nombreuses années, le monde agricole est pris en étau, presque étouffé, par des injonctions contradictoires, dont l'accord négocié avec le Mercosur, tel que l'envisage la Commission, est l'emblème.
Nos paysans ne refusent pas de s'adapter au changement climatique – ils en sont les premières victimes –, mais ils ne supportent pas que, dans le même temps, nous promouvions l'importation de produits ne respectant pas les normes qui leur sont imposées – d'autant plus qu'ils ont le sentiment qu'on leur demande de changer leurs pratiques à marche forcée.
Mme Marie Pochon
Eh oui ! Mais c'est le résultat de votre politique !
Mme Annie Genevard, ministre
Ils ne supportent plus cette incohérence. Ils ne veulent plus de cette schizophrénie ; ils veulent continuer de nourrir tous les Français.
M. Jean-Luc Bourgeaux
Et de bien les nourrir !
Mme Annie Genevard, ministre
Ils refusent de se résigner à une agriculture à deux vitesses : d'une part, celle que seuls certains Français pourraient se permettre ; d'autre part, celle réservée aux plus précaires de nos citoyens, condamnés à ne se nourrir que de denrées importées, lesquelles ne respecteraient pas nos normes de production. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Laurent Wauquiez
Très bien !
M. Vincent Descoeur
Eh oui !
Mme Annie Genevard, ministre
Ils ont raison. Ils demandent que l'on défende la souveraineté alimentaire. La nation entière doit être à leurs côtés. Telle doit être la boussole de notre politique agricole.
Face à la perspective de la ratification de cet accord, adressons à nos partenaires un message clair : ne jetez pas l'allumette dans le baril de poudre. Le souffle d'une telle détonation parcourrait tout le continent, jusqu'à Bruxelles, et creuserait une fracture béante entre le Berlaymont et nos campagnes.
Ce sont les raisons qui poussent le gouvernement à s'opposer à cet accord tel que l'envisage la Commission.
Mes voyages diplomatiques m'ont donné la conviction que nous n'étions pas les seuls, car l'absence de garanties sérieuses pour nos agriculteurs, notre sécurité sanitaire, notre souveraineté et notre environnement, ne préoccupe pas seulement la France.
M. Fabrice Brun
Cette opposition fédère !
M. Vincent Descoeur
Elle a raison !
Mme Annie Genevard, ministre
Ce matin, le conseil des ministres de la Pologne a décidé de voter contre l'accord du Mercosur. Le ministre de l'agriculture polonais, M. Czes³aw Siekierski, me l'a confirmé. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Pierre Cordier
Très bien les Polonais !
Mme Annie Genevard, ministre
C'est un magnifique signal auquel nous devons répondre en y apportant notre concours.
Parce que nous souhaitons continuer de marcher main dans la main avec les pays du Mercosur, parce que nous souhaitons que la France demeure une grande puissance agricole, parce que nous souhaitons protéger nos agriculteurs, notre santé et notre souveraineté, et parce que nous souhaitons que l'Europe reste pour les Français le destin dont ils veulent, vous nous trouverez à vos côtés, mesdames et messieurs les députés, pour mener cette bataille.
Cette bataille, nous voulons la mener avec vous – Jean-Noël Barrot, Benjamin Haddad, Sophie Primas…
M. Hervé Berville
D'excellents ministres !
Mme Annie Genevard, ministre
…et l'ensemble du Gouvernement.
Un accord transpartisan contre la signature de ce traité, tel que la Commission l'envisage, aurait une grande force politique – c'est tout le sens du vote sur cette déclaration. C'est le message que nous voulons délivrer à l'Europe : l'unité dans la diversité de nos idées politiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger
Ensemble, nous débattons d'un enjeu crucial : l'accord d'association entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Cette discussion, suivie d'un vote, constitue un moment clé pour nos travaux.
Ayant la charge de la politique commerciale, il n'y a pas un jour où je ne traite de ce sujet – soyez-en assurés. Échanger avec vous des dernières évolutions du dossier est un moment très important.
Le Gouvernement a tenu à ce débat car, sur une question d'une portée aussi capitale, il était inconcevable de contourner l'expression souveraine des parlements nationaux.
Il va sans dire que je souscris pleinement aux propos d'Annie Genevard et je souhaite réaffirmer l'unité d'action du gouvernement et du président de la République sur ce sujet.
L'accord d'association entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, en négociation depuis vingt-cinq ans, est bien plus qu'un simple sujet technique, comme nous l'avons rappelé à la Commission européenne.
Il entraîne des conséquences majeures pour nos sociétés, pour nos territoires, pour nos acteurs économiques, et même, pour la confiance que les Français placent en l'Europe. Il exige une concertation transparente et démocratique afin que toutes les opinions puissent être entendues. La semaine dernière, au Conseil des affaires étrangères – pour le commerce –, j'ai pu mesurer que cette transparence constitue un enjeu majeur pour l'ensemble de nos partenaires européens.
La mobilisation remarquable des plus de 600 parlementaires français ayant adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne témoigne de l'implication exemplaire de la représentation nationale. Je vous en remercie.
La force de cet engagement nous oblige et nous rappelle que les grandes décisions européennes doivent toujours puiser leur légitimité dans les aspirations et les préoccupations de nos concitoyens.
La ministre de l'agriculture vous a exposé avec clarté les menaces importantes que la version actuelle de l'accord fait peser sur l'avenir de nos filières agricoles. Elle a parfaitement démontré que jamais plus l'agriculture, en particulier ses filières fragiles, ne peut constituer une variable d'ajustement dans ces négociations.
Mais l'agriculture, si précieuse pour la France et ses territoires, n'est pas l'unique point de difficulté de cet accord, car il est en décalage complet, si ce n'est en contradiction, avec les défis environnementaux de notre temps.
Les pays du Mercosur jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique et dans la préservation de la biodiversité. Il ne s'agit pas de pointer un doigt accusateur sur eux, ils sont souverains, et plutôt que de les accuser, nous devons les respecter, reconnaître leurs efforts et les convaincre.
En Europe, au nom de l'environnement, nous imposons à nos producteurs, à nos industriels, et ce dans tous les secteurs, ainsi qu'à nos concitoyens des normes de plus en plus exigeantes.
M. Jean-Paul Lecoq
C'est pour leur santé !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Ce choix a des conséquences sur notre compétitivité.
Nous ne pouvons donc pas, au nom de notre politique commerciale, faire entrer sur le marché de l'Union européenne des produits moins-disants et moins normés en matière environnementale, donc plus compétitifs. (M. Laurent Wauquiez applaudit.)
M. Vincent Descoeur
Eh oui !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Il y va de la cohérence des politiques publiques européennes, mais aussi de l'adhésion de nos concitoyens à la politique européenne dans son ensemble. L'incompréhension et la colère des agriculteurs en sont le symbole.
Cela irait même à l'encontre de la position actuelle de la Commission européenne, car elle a désormais introduit les enjeux de durabilité au cœur des futurs accords de libre-échange qu'elle négocie.
M. Loïc Prud'homme
Ne soyons pas naïfs !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Revenir sur nos engagements environnementaux avec des pays aussi importants et stratégiques que sont ceux du Mercosur serait totalement incohérent.
La France s'évertue, depuis plusieurs années, à défendre une politique commerciale équilibrée et durable. Aussi voulons-nous que cette approche soit pleinement intégrée à l'accord avec les pays du Mercosur. Nous ne pouvons pas accepter qu'un accord signé en 2024 ne respecte pas les standards de 2024, d'autant plus que cela s'est fait pour l'accord récemment signé entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande.
Mme Marie Pochon
C'est une blague ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Nous n'accepterons pas un texte qui ne ferait pas de l'accord de Paris un élément essentiel. Il ne peut pas s'agir d'une référence vague ou d'un simple principe ;…
M. Matthias Tavel
Mais c'est pourtant bien le cas, pour vous !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
…son non-respect par l'une des parties pourrait suspendre l'application de l'accord du Mercosur.
Nous n'accepterons pas davantage un accord dont les dispositions en matière de développement durable seraient dépourvues de force exécutoire, par l'absence d'un dispositif de règlement des différends et donc de sanctions.
Que ferions-nous si un an ou deux après la signature de l'accord, un ou plusieurs pays décidaient de se retirer de l'accord de Paris ? Les dispositions juridiques efficaces qui devraient nous protéger de ce risque doivent impérativement se trouver au cœur de l'accord, mais ce n'est pas encore le cas.
M. Fabrice Brun
L'accord avec le Mercosur est une insupportable provocation, compte tenu de la détresse des agriculteurs !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Je le redis également avec conviction : nous demandons à l'Union européenne de progresser dans la négociation de clauses miroirs.
M. Jean-Paul Lecoq
Et les moyens pour les faire respecter ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Si une norme s'applique à un produit européen, elle doit s'appliquer de la même manière à tout produit similaire, quelle que soit son origine.
D'où notre exigence, abstraction faite, même, de l'accord avec le Mercosur, de développer des mesures miroirs, c'est-à-dire un principe de réciprocité dans l'ensemble de nos partenariats commerciaux.
M. Jean-Paul Lecoq
Oui, mais il faut les moyens de le contrôler !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Levons ici toute ambiguïté : contrairement à ce qu'on entend parfois, il ne s'agit en aucun cas pour la France ou son gouvernement de se fermer au commerce.
M. Matthias Tavel
C'est un aveu !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Fermeté n'est pas fermeture.
M. Vincent Descoeur
Très bien !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
La France est une grande puissance exportatrice et nos agriculteurs le savent mieux que quiconque, Mme la ministre Annie Genevard vient de le souligner. Dans le domaine industriel et dans celui des services, nous avons besoin d'accords de commerce pour continuer de diversifier nos approvisionnements, ouvrir de nouveaux débouchés et accompagner les entreprises dans la sécurisation de leurs relations d'affaires ou dans l'accès aux marchés publics.
M. Arnaud Le Gall
Mais ce n'est pas la même chose !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Nous sommes d'ailleurs très vigilants sur le contenu du volet industriel de l'accord.
Les accords que nous concluons désormais doivent être équilibrés, justes et doivent protéger nos intérêts, d'autant que les autres États n'hésitent pas à imposer pareille exigence. Ils doivent aussi protéger le modèle de société que nous défendons, au nom de nos préférences collectives. Voilà des points essentiels, qui constituent autant de lignes rouges.
Notre opposition à l'accord signifie-t-elle que nous nous fermons à l'Amérique latine ? Non, bien entendu !
Nous avons besoin d'un partenariat étroit avec les pays du Mercosur, avec lesquels nous partageons une histoire forte, une communauté de valeurs et des intérêts économiques importants. Qu'il s'agisse de liens économiques ou géostratégiques, nous ne méconnaissons pas une seconde l'importance des relations puissantes de l'Europe avec cette zone du monde. Toutefois, l'estime dans laquelle nous tenons nos partenaires du Mercosur ne doit pas nous aveugler : l'accord en discussion n'est pas acceptable.
M. Jérôme Buisson
" En l'état " !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Depuis cette tribune, je tiens à vous assurer de ma détermination absolue, de celle de la ministre de l'agriculture et de l'ensemble du gouvernement à marteler notre position, à partager nos arguments avec nos homologues européens et à les convaincre.
M. Vincent Descoeur
Vous y parviendrez !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Je dois d'ailleurs reconnaître que nous bénéficions d'une écoute, certes prudente et discrète, mais certainement de plus en plus attentive au sein du Conseil européen.
Enfin, nous sommes très clairs sur le respect du mandat donné par celui-ci à la Commission au sujet de la forme de l'accord, censé être un accord d'association mixte. Un changement de forme, qui permettrait le contournement du vote à l'unanimité des États membres et de la ratification des parlements nationaux serait inacceptable…
M. Matthias Tavel
Commencez par faire voter le Ceta !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
…et porterait atteinte au respect des compétences des États membres. Ce serait contraire au mandat de 1999, auquel la Commission européenne ne cesse de se référer.
Depuis sa nomination, il y a huit semaines seulement, le gouvernement déploie une énergie sans précédent pour convaincre ses partenaires de se rallier à sa position. La version finale de l'accord n'étant pas encore connue,…
M. Matthias Tavel et M. Maxime Laisney
Ah !
M. Matthias Tavel
Sans blague !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
…car les négociations se poursuivent, beaucoup d'États membres n'ont pas encore rendu publique leur position officielle. Il reviendra à chacun d'entre eux, et à eux seuls, de la faire connaître le moment venu.
M. Matthias Tavel
Faudra-t-il alors revoter ?
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Il est néanmoins utile et instructif d'observer les déclarations publiques de figures majeures de la vie politique de plusieurs États membres, ainsi que du Parlement européen, pour constater que le débat a désormais pleinement investi la scène européenne. D'ailleurs, la ministre de l'agriculture rappelait à l'instant la position de la Pologne, un élément essentiel. Il me semble que notre position gagne des soutiens, mais nous ne devons pas relâcher notre vigilance et notre travail de persuasion.
Mme Marie-Christine Dalloz
C'est nécessaire !
M. Fabrice Brun
C'est même indispensable.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Mesdames et messieurs les députés, chacune de vos voix est cruciale. Votre mobilisation constante a déjà marqué les esprits et doit durer : vous êtes, avec nous, les acteurs clés de ce combat.
M. Fabrice Brun
C'est l'Assemblée nationale qui en donnera la direction.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
La diplomatie parlementaire, en direction de vos homologues de tous les pays européens et de toutes les sensibilités, et vos relais à Strasbourg et à Bruxelles sont des leviers puissants pour faire valoir nos préoccupations et nos exigences au plus haut niveau.
M. Matthias Tavel
Commencez par mobiliser votre propre groupe au Parlement européen !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Je compte donc sur vous, sur votre voix. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
(…)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Ce débat aura montré combien le gouvernement et l'Assemblée nationale sont unis dans le rejet sans concession de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur.
Votre vote souverain, et celui du Sénat demain, constitueront un mandat démocratique renforçant notre légitimité pour défendre la voix du non auprès de la Commission et du Conseil européens. Il ne s'agit donc pas de cosmétique. (M. Jean-Paul Lecoq s'exclame.)
Vous nous avez posé de nombreuses questions. Monsieur Chassaigne, vous nous avez interpellées sur les conditions d'acceptation de l'accord. Nous sommes très claires : nous n'accepterons pas l'accord au regard des risques environnementaux et agricoles qu'il comporte.
Nous posons nos conditions, que M. Lecamp a rappelées : respect indispensable de l'accord de Paris ; alignement des clauses de développement durable de l'accord avec la nouvelle approche de l'Union européenne en la matière et possibilité de sanctions ; extension des clauses miroirs à tous nos partenaires commerciaux et renforcement des dispositifs de contrôle associés.
Madame Thomin, monsieur Potier, nous avons entendu la proposition du groupe Socialistes et apparentés et nous partageons votre analyse. Il faut renforcer les clauses miroirs. Nous avons besoin de vous tous pour mener ce combat. Il ne peut y avoir de négociations parallèles. Nous devons tous exprimer notre opposition à cet accord.
Monsieur Dive, monsieur Fesneau, je vous remercie de soutenir nos actions. Depuis quelques semaines, le gouvernement déploie une énergie sans précédent.
Monsieur Chassaigne, monsieur Kervran, monsieur Molac, vous nous avez interpellées sur les modalités de vote de l'accord au Conseil. Nous nous battons pour que le vote à l'unanimité et la ratification des parlements nationaux, prévus par le mandat initial, ne soient pas contournés.
Je salue la résolution défendue par M. Lecamp. Je le répète, nous nous opposons à toute scission – elle serait de la seule initiative de la Commission européenne.
S'agissant d'un accord d'association mixte, la France dispose de trois leviers de taille pour faire entendre sa voix : le Conseil, le Parlement européen et les parlements nationaux
Monsieur Casterman, madame Dupont, nous envisageons toutes les éventualités et tous les recours : la conviction de nos partenaires européens, la constitution d'une minorité de blocage, la conviction des parlementaires européens, mais également des recours juridiques.
Monsieur Trébuchet, vous nous interpellez sur l'isolement de la France en Europe. Je ne suis pas d'accord. La voix de la France compte, elle porte dans l'établissement de l'agenda de la nouvelle Commission, dans le renouveau de la politique industrielle ou dans la défense de nos intérêts commerciaux par exemple.
Monsieur Chassaigne, monsieur Kervran, madame Thomin, vous nous interrogez sur la compatibilité de l'accord avec les objectifs de développement durable.
Comme vous, nous sommes circonspects : si l'accord inclut certaines clauses environnementales et sociales regroupées dans un chapitre intitulé " Commerce et développement durable ", il ne reflète que très partiellement la nouvelle approche de l'Union européenne et l'ambition de la France dans ce domaine.
Monsieur Le Gall, nous sommes d'accord avec vous pour rejeter cet accord. Mais comme vous ne sauriez afficher la même position que nous, vous nous attribuez une responsabilité dans la progression des négociations.
Pourtant, nous ne cessons de nous y opposer depuis que nous sommes aux affaires, c'est-à-dire depuis huit semaines. En outre, à titre personnel, lorsque je présidais la commission des affaires économiques du Sénat, j'ai toujours voté contre, résolution après résolution.
M. Éric Martineau
C'est bien !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Je le répète : nous avons la volonté et la stratégie.
Monsieur Potier, monsieur Fesneau, monsieur Sitzenstuhl, monsieur Marion, nous sommes d'accord : il n'est pas question de se fermer au commerce.
Cependant, avec fermeté, nous plaidons pour une politique de rupture avec nos pratiques passées. Notre grille de lecture est claire – vous l'avez rappelée.
Bien sûr, nous avons besoin d'un partenariat étroit avec les pays du Mercosur. Vous avez raison, monsieur Lecamp, cet accord n'affaiblira pas l'influence de la Chine, ou celle des États-Unis, dans la zone concernée. De même, l'échec de cet accord n'empêchera pas les Européens et les Français d'y être présents – toutes les entreprises du CAC40 y sont déjà depuis longtemps.
Nous devons faire preuve de volontarisme et de fermeté contre cet accord. Nous avons besoin d'une équipe de France combative pour faire entendre notre voix. Je suis heureuse de pouvoir compter sur un Parlement uni pour mener ce combat à nos côtés.
La bataille que nous allons livrer sera rude, mais elle est fondamentale. Au-delà de la protection des intérêts de telle ou telle filière, c'est l'identité de la nouvelle politique européenne qui est en jeu.
Dire oui à la déclaration du gouvernement, c'est voter contre l'accord.
Si nous ne faisons pas bloc autour de nos convictions européennes et de nos ambitions communes, alors nous trahirons le rêve des créateurs de l'Europe. Ils voulaient une Europe de la paix, une Europe forte dans le monde, consciente de ce qu'elle représente sur la scène économique mondiale. À nous d'être à la hauteur de cet héritage. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et DR. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Compte tenu de l'heure tardive, je ne vais pas reprendre point par point chacune de vos interventions.
Un député du groupe RN
C'est dommage !
Mme Annie Genevard, ministre
Si ce projet d'accord avec le Mercosur était adopté, c'est évidemment l'agriculture qui en paierait le prix le plus lourd. Il faut nous concentrer sur ce point. Pourquoi paierait-elle le prix le plus lourd ? Parce que l'accord ouvrirait le marché européen aux produits du Mercosur.
Or ce marché est considéré comme un Graal par beaucoup de pays producteurs : accéder au marché européen, c'est un honneur. Le ministre de l'agriculture polonais a utilisé le terme d'ennoblissement : accéder au marché européen, c'est donc un ennoblissement.
On ne peut pas accéder à ce marché à n'importe quel prix : ni au prix de la dévastation des forêts, ni au prix de la contamination par des produits interdits en Europe depuis des décennies, car jugés dangereux pour la santé humaine et l'environnement. On ne peut en brader l'accès pour que le consommateur européen puisse acheter des produits à des prix cassés car ne reflétant aucun des efforts que nos producteurs fournissent pour nous procurer une alimentation saine, vertueuse et respectueuse. Pour toutes ces raisons, accepter ce projet d'accord reviendrait à trahir nos agriculteurs.
Ce soir, il faut faire le choix de la responsabilité. Nous ne sommes évidemment pas tous d'accord et nos visions de l'agriculture divergent pour une multitude de raisons. Mais un point a fait l'unanimité : chacun à votre façon, que ce soit M. Biteau qui a évoqué les conséquences sociales de l'accord, ou MM. Kervran et Vermorel-Marques qui ont parlé de la beauté de l'élevage – je ne cite que quelques députés, que les autres ne m'en tiennent pas rigueur –, vous avez tous dit non à ce projet d'accord avec le Mercosur. Ce soir, alors que vous vous apprêtez à voter, tous les regards se tournent vers la France. Nous espérons qu'elle sera imitée.
M. Pierre Cordier
Ça fait longtemps que ce n'est pas arrivé !
Un député du groupe RN
On compte sur vous !
Mme Annie Genevard, ministre
Refusons unanimement l'accord avec le Mercosur, pour soutenir non pas le gouvernement, mais nos paysans ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Dominique Potier
Bravo !
M. le président
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 novembre 2024