Interview de Mme Agnès Canayer, ministre déléguée, chargée de la famille et de la petite enfance, à Radio J le 29 novembre 2024, sur le débat parlementaire sur l'abrogation de la réforme des retraites, la réduction du panier de soins de l'aide médicale d'État, le gel des pensions de retraite, la réforme de la protection de l'enfance, le financement de l'ensemble des structures petite enfance et le programme d'éveil à la vie affective et sexuelle.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Agnès CANAYER, bonjour.

AGNES CANAYER
Bonjour,

CHRISTOPHE BARBIER
Vous pouvez prendre Myriam en stage au ministère de la petite enfance. Elle connaît très bien les cas des enfants. L'ambiance n'était pas familiale, cette nuit, à l'Assemblée nationale, on a failli en venir aux mains dans cette fameuse niche sur l'abrogation de la réforme des retraites où il y avait un jeu contre la montre, une course contre la montre. Qu'est-ce que ça dit, vous qui venez du Sénat où on est beaucoup plus placide, qu'est-ce que ça dit de notre crise démocratique ?

AGNES CANAYER
Ça dit, surtout, qu'on vit de fortes tensions et qui, malheureusement, s'expriment à l'Assemblée, c'était totalement inadmissible par des faits de violence. C'est vrai que l'Assemblée nationale a une ambiance qui est très loin de celle du Sénat, beaucoup plus pacifiée, beaucoup plus respectueuse des débats. Et je pense que c'est vraiment là l'image que l'on doit donner de la démocratie.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors c'est vrai que l'ambiance est due à cette absence de majorité, mais aussi à la tension qui approche. L'éventuelle motion de censure, peut-être, dès la semaine prochaine. Michel BARNIER lâche du lest. Il négocie. Il n'y aura pas de hausses de taxes, de l'électricité. L'électricité baissera comme prévu. 14 % de baisse, ce ne sera pas rien, mais ça va coûter cher à l'Etat.

AGNES CANAYER
Écoutez, aujourd'hui, nous sommes dans une période de tension. On le savait, effectivement, d'entrée de jeu, puisque quand la majorité sur laquelle repose le Gouvernement est une majorité composite, donc on savait qu'on aurait une négociation, cette période de tension. Le Premier ministre a toujours dit que le budget se ferait avec les parlementaires, avec les propositions pour construire un budget qui soit adopté parce que la France a vraiment besoin d'un budget. Maintenant, à quel prix ? Nous verrons à la fin. Mais ce qui est important, aujourd'hui, je pense, c'est que nous ne soyons pas en situation de crise législative, budgétaire et financière parce que ça aurait forcément des répercussions pour les Français ?

CHRISTOPHE BARBIER
Mieux vaut un budget avec des concessions que pas de budget du tout.

AGNES CANAYER
Oui, certainement. Mieux vaut un budget avec des concessions. Mais vaut, vraiment, un budget pour la France. On voit bien qu'en termes d'investissement, de dette et de perspectives, notamment, parce que des fonctionnaires ne pourraient pas être payés au début de l'année, les hôpitaux auraient du mal à fonctionner. On est déjà dans une situation complexe avec une dette importante rajouter de la dette à la dette complexifiée et puis surtout de l'instabilité, de l'anxiété pour les Français. Je crois que ce n'est pas le moment.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça donne l'impression, en ce moment, qu'il y a un chantage de Marine LE PEN, elle réclame et l'obtient. Elle met un ultimatum : "Vous avez jusqu'à lundi". Qu'est-ce que ça vous entraîne comme réaction ?

AGNES CANAYER
Ecoutez, la configuration politique fait qu'elle a un poids pivot.

CHRISTOPHE BARBIER
Elle est le premier groupe à l'assemblée.

AGNES CANAYER
Elle est le premier groupe à l'Assemblée. Ça lui donne un poids et des moyens pour négocier et puis faire pression. Maintenant, je pense que tout le monde amène ces éléments, tout le monde amène ces attentes. D'autres partis ont aussi fait part de leur besoin et de leur volonté, d'autres groupes politiques, parce que ce qui importe quand même, c'est avant tout d'avoir cette majorité qui vote le budget. Il vote le budget à l'Assemblée nationale. Donc. Et Michel BARNIER a vraiment dit ça sera en écoutant les propositions des uns et des autres et en trouvant un texte d'équilibre.

CHRISTOPHE BARBIER
L'AME, l'Aide médicale d'Etat, devrait voir son panier de soins restreint, réduit. Est-ce que dans votre domaine, vous craignez des conséquences ? Je pense aux enfants de migrants, de clandestins. Il y a, parfois, des petits enfants qui ont besoin de soins.

AGNES CANAYER
Oui, mais ça, c'est une revendication que le Sénat a portée aussi depuis de nombreuses années…

CHRISTOPHE BARBIER
Pour mettre un peu d'ordre.

AGNES CANAYER
Pour réduire, effectivement, l'AME qui est une dépense, aujourd'hui, exponentielle. Maintenant, réduire sur l'urgence, sur des actes médicaux qui correspondent vraiment aux actes majeurs et primaires. Et je pense qu'évidemment derrière, ça permettra aussi, quand même, de préserver et d'éviter surtout des abus et d'éviter une immigration qui vient pour des questions de santé. C'est ça l'enjeu de la réduction du panier de l'AME.

CHRISTOPHE BARBIER
À l'autre bout de la vie, il y a le set ultimatum Marine LE PEN sur le gel des pensions de retraite. Est-ce qu'il faut le lâcher et revaloriser les retraites, comme prévu pour tout le monde au 1er janvier ?

AGNES CANAYER
Aujourd'hui, c'est vrai que c'est une demande forte. Elle vient de Marine LE PEN, elle vient d'autres groupes. Maintenant, dès lors que l'enjeu, c'est le pouvoir d'achat des Français, il faut regarder les mesures qui portent sur le pouvoir d'achat. C'est pour les petites retraites, ça peut avoir du sens.

CHRISTOPHE BARBIER
Il faut rester concentré sur ses petites retraites ?

AGNES CANAYER
Il faut rester concentré comme on l'a fait sur les allègements de charges sur les plus bas revenus. Je pense qu'aujourd'hui, on a un certain nombre de Français qui ont des difficultés pour avoir à rajouter les deux bouts chaque fin de mois. Il faut vraiment qu'on travaille sur ces pauvretés et sur ces petits salaires.

CHRISTOPHE BARBIER
Que répondre à la gauche qui dit : "Le RN est en cogestion, le Gouvernement est sous la tutelle du RN ?"

AGNES CANAYER
Ecoutez, non, le Gouvernement a sa propre majorité et travaille avec sa propre majorité. Sauf que je vous le redis, il y a une configuration politique qui fait qu'elle n'est pas suffisante. Et si on a une alliance des improbables, l'extrême droite et l'extrême gauche, on sait que nous n'avons plus de majorité et que le Gouvernement peut être renversé. Nous travaillons pour le fait et le Premier ministre, avant tout, travaille pour le fait qu'il n'y ait pas cette alliance des improbable qui serait avant tout une alliance politique sans cohérence politique, mais simplement dans un enjeu de renverser le Gouvernement, de mettre le chaos et de créer, en France, les conditions d'une réelle instabilité.

CHRISTOPHE BARBIER
Cette réelle instabilité, certains disent qu'il y a une solution, il faut que le président de la République démissionne. On l'a entendu chez Jean-François COPE, cette solution, chez Charles De COURSON. Que leur répondre ?

AGNES CANAYER
Ecoutez, non, je pense que le président de la République, il est élu pour cinq ans. La démocratie repose sur un président au-dessus des partis qui est arbitre. C'est le fonctionnement des institutions en France. Et je ne pense pas que la démission du président de la République changerait, mais rajouterait, là aussi, encore de l'instabilité, du chaos et ça ne permettrait pas d'avancer.

CHRISTOPHE BARBIER
Venons-en maintenant à vos dossiers, notamment la protection de l'enfance. Le Premier ministre a parlé aux patrons de départements parce que ce sont les départements qui sont en première ligne. Est-ce que vous allez leur donner des moyens ?

AGNES CANAYER
Ce n'est pas qu'une question de moyens. Aujourd'hui, la protection de l'enfance est en crise. On voit qu'on a besoin de réformer pour faire en sorte que les enfants qui sont pris en charge, près de 300 000 enfants en France, sont pris en charge par les départements dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance. Et bien qu'il y ait les conditions de leur réussite, de leur épanouissement et qu'on leur donne les mêmes chances que tous les enfants en France.

CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas le cas, aujourd'hui. Quand on passe par l'ASE, on a un destin compliqué.

AGNES CANAYER
Oui, alors mon enjeu, aujourd'hui, c'est de protéger tous les enfants et de faire en sorte que tous les enfants, surtout ceux qui sont déjà l'objet de vulnérabilité parce qu'abandonnés et des chances de réussite, il n'y a que 1 % des enfants qui sortent de l'aide sociale à l'enfance qui font des études. Donc on voit que…

CHRISTOPHE BARBIER
Au-delà du bac ?

AGNES CANAYER
12 %, le bac, 1 % c'est très faible. Donc, on voit bien qu'ils n'ont pas les mêmes conditions de réussite que les autres enfants français. Donc il faut réformer la protection de l'enfance. Et ce n'est pas qu'une question de moyens, c'est une question d'attractivité des métiers. C'est une question de meilleure orientation des jeunes vers des environnements plus familiales plutôt que dans des grandes institutions où ils sont un peu noyés dans le collectif. C'est véritablement mieux former les professionnels, c'est travailler avec l'éducation nationale, travailler avec la santé, travailler avec la justice aussi, évidemment, les départements, pour avoir des parcours qui sont personnalisés, concentrés autour de l'enjeu de l'intérêt de l'enfant.

CHRISTOPHE BARBIER
On manque, aujourd'hui, de familles d'accueil prêtes à accueillir dans une vraie famille, ces enfants.

AGNES CANAYER
Oui, alors il y a de moins en moins de familles d'accueil parce qu'elles sont vieillissantes. Et c'est vrai qu'on a une baisse du nombre de familles d'accueil alors que je considère que c'est, quand même, un des meilleurs moyens de prendre en charge les enfants et de les remettre dans des vraies familles, dans d'autres familles qui sont professionnelles, qui sont les familles d'accueil. Néanmoins, il y a, aujourd'hui, un peu d'espoir parce que j'ai rencontré plusieurs départements, je pense au Finistère, je pense à la Seine-Maritime où là, la courbe du nombre des assistants familiaux remonte parce qu'il y a des politiques proactives de la part des départements. Des départements qui en font des vrais travailleurs sociaux, qui les intègrent dans les équipes des travailleurs du département, les forme, leur donne des outils et des temps de répit. Et ça rend plus attractif ce métier-là.

CHRISTOPHE BARBIER
On a beaucoup parlé, aussi, récemment des crèches avec la publication du livre de Victor CASTANET chez Flammarion, Les Ogres qui pointaient notamment "People in Baby" sur l'un des gros opérateurs du système. Vous intervenez ?

AGNES CANAYER
Ecoutez, oui, il y a eu plusieurs rapports de l'IGAS. Il y a eu le fameux livre de Victor CASTANET que vous citez, qui a montré des dérives, des dérives inadmissibles, des dérives avec des conséquences réelles pour eux, pour les enfants. Et ces dérives sont, aujourd'hui, extrêmement documentés. Et donc, nous avons transmis au procureur de la République de Paris, via un article 40 c'est fait pour qu'il y ait une instruction qui soit menée, pour voir si ça relevait ou non du judiciaire.

CHRISTOPHE BARBIER
Et est-ce que, plus globalement, sur tous ces opérateurs du monde des crèches, l'État va remettre un tour de vis ?

AGNES CANAYER
Oui, tout à fait. Alors déjà, nous allons remettre à plat le financement de l'ensemble des structures petite enfance. C'est un gros chantier que nous lançons, ça s'appelle "La prestation PSU" autour de la page, tous les moyens de financement qui sont extrêmement complexes, aujourd'hui, de ces structures petites enfances et tous les opérateurs nous disent que ça les contraint et que ça ne leur donne pas les moyens de pilotage. Fin de cette politique pour la petite enfance et, ensuite, on va mettre en place plus de contrôle. L'IGAS a lancé des contrôles déjà sur des entreprises privées de crèches, je pense à la Maison Bleue, on va avoir le rapport, bientôt. Puis, il y aura d'autres contrôles et puis nous allons prendre des mesures pour aligner le taux d'encadrement, notamment dans les micro-crèches…

CHRISTOPHE BARBIER
Les micro-crèches, c'est très peu de bébés ?

AGNES CANAYER
C'est dix bébés bébé. Aujourd'hui, ces micro-crèches qui sont souvent portées par des entreprises de crèches à but lucratif ou non-lucratif, ont des taux d'encadrement inférieurs aux petites crèches et elles ont des moyens de financement, notamment, je pense au coût horaire qui est peu encadré. Et ce sont ces mesures là que nous allons prendre pour avoir plus de lisibilité et plus d'encadrement des pratiques, aujourd'hui, des crèches privées.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'aujourd'hui, mettre son enfant dans une micro-crèche, c'est le mettre en danger ?

AGNES CANAYER
Non, aujourd'hui, ce n'est pas le mettre en danger. C'est comme dans tout secteur, il y a des secteurs dans lequel…, des micro-crèches qui fonctionnent très bien. Moi, j'en vois régulièrement. Je rencontre des professionnels et quand je vois la manière dont ils sont engagés, la manière dont ils accompagnent les enfants, la manière dont ils cherchent à développer les sens et l'éveil des enfants, ils sont véritablement formidables et les parents n'ont aucune crainte à confier leurs enfants, le matin. Il y a des structures dans lesquelles ça marche moins bien. Il y a des structures auxquelles le taux d'encadrement n'est pas bon. Il y a des structures dans lesquelles les professionnels ne sont pas suffisamment formés. Ce sont ces structures que nous devons contrôler et sur lesquelles nous devons, dès lors que ne respectent pas la qualité de l'accueil de l'enfant qui est au cœur du sujet, et bien, prendre des sanctions.

CHRISTOPHE BARBIER
A la marge de la tranche d'âge dont vous vous occupez, il y a tout le débat actuel sur le programme d'éveil à la vie affective et sexuelle qui va entrer à l'éducation nationale. Certains disent, il faut parler de l'identité de genre, du phénomène trans. Très tôt, dès la maternelle, d'autres disent : "Non, ça doit être plus beaucoup plus tard". Quelle est votre position ?

AGNES CANAYER
Je pense que dans l'éducation des enfants, il faut les éclairer sur tous les sujets, ne serait-ce que parce qu'il est nécessaire qu'ils forgent leur propre couple, leurs propres idées et leurs propres réflexions. Si vous ne parlez pas d'un sujet, l'enfant, qu'est-ce qu'il fera ? Il ira chercher sur les écrans. Il ira chercher sur les réseaux sociaux. Il ira chercher sur le net. Aujourd'hui, le vrai sujet aussi, c'est la nécessité de, à la fois ouvrir l'esprit de l'enfant et lui donner les armes pour pouvoir forger son propre, sa propre opinion et faire en sorte aussi qu'il n'ait pas les moyens d'aller voir, trop fréquemment, dans des sources incontrôlables qui sont celles du numérique.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes optimiste, vous serez encore ministre la semaine prochaine, vous pourrez revenir nous voir ?

AGNES CANAYER
Bien sûr.

CHRISTOPHE BARBIER
Il faut être fataliste pour faire ce métier.

AGNES CANAYER
Écoutez, nous travaillons et on continue pour faire en sorte. Je crois beaucoup en Michel BARNIER. Il a vraiment…, les Français, le soutien et je pense qu'il sera encore là et nous derrière.

CHRISTOPHE BARBIER
Agnès CANAYER, merci beaucoup et bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2024