Interview de M. Laurent Saint-Martin, ministre, chargé du budget et des comptes publics, à RTL le 3 décembre 2024, sur les conséquences du vote de motion de censure, à la veille de l'examen des deux motions de censure déposées suite à l'annonce, par le Premier ministre, du recours à l'article 49.3 pour l'adoption, par l'Assemblée nationale, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Et tout de suite, Thomas, votre invité en pleine crise politique. Et alors que le Gouvernement BARNIER risque de tomber pour de bon dans les 24 heures, vous recevez l'homme qui tient les cordons de la bourse. C'est Laurent SAINT-MARTIN, le ministre du Budget.

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Laurent SAINT-MARTIN.

LAURENT SAINT-MARTIN
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
C'est peu de dire qu'on ne comprend pas grand-chose au tableau politique depuis dimanche. Vous avez fait vos cartons, vous en êtes où vous ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, je suis au travail, comme l'ensemble du Gouvernement. Il y a, je crois, devant nous quelques heures cruciales. Nous devons savoir si nous voulons priver notre pays d'un budget. C'est ça la question qui est posée aujourd'hui aux députés, suite à la responsabilité engagée du Gouvernement par le Premier ministre hier. Je rappelle une chose. Hier a été présenté un texte issu d'un compromis parlementaire, issu de ce qui s'appelle une commission mixte paritaire. C'est-à-dire que des députés et des sénateurs se sont mis autour de la table pendant 8 heures, sans la présence du Gouvernement, pour se mettre d'accord sur le texte qui est le budget de la Sécurité sociale, qui permet des avancées extrêmement importantes pour l'ensemble de nos concitoyens, pour nos hôpitaux, pour les EHPAD. Et ce sont les parlementaires ensemble qui se sont mis d'accord pour ce budget de la Sécurité sociale.

THOMAS SOTTO
La commission mixte paritaire n'était pas représentative de l'ensemble de l'Assemblée, puisqu'il y a deux groupes qui vont appeler à la censure du Gouvernement.

LAURENT SAINT-MARTIN
Une majorité des parlements. Et le parlement, je rappelle que c'est l'Assemblée nationale et le Sénat réunis se sont mis d'accord en majorité pour ce budget de la Sécurité sociale. Ce que le Gouvernement a dit, c'est qu'il voulait respecter le parlement. Nous le disons, depuis le premier jour. Et aujourd'hui, des députés, finalement, des deux extrêmes, c'est-à-dire du Nouveau Front populaire. Et je regrette que le Parti Socialiste se solidarise de cela, parce que ce n'est pas un parti de Gouvernement pour faire cela. Et le Rassemblement National, finalement, menace de censurer sur quoi ? Menace de censurer sur un texte issu d'un compromis parlementaire. Il faut bien que chacun comprenne l'irresponsabilité qu'il y a derrière. On priverait le pays d'un budget, parce que des parlementaires ensemble se sont mis d'accord sur un texte.

THOMAS SOTTO
On va venir sur les conséquences de ce que serait un pays sans budget comme vous dites. Mais avant cela, on a appris il y a quelques minutes que Michel BARNIER sera l'invité des deux 20 h de TF1 et de France 2, interview en direct. C'est quoi ? C'est ses adieux ? C'est son jubilé ? Ou il a encore des choses à annoncer ? Est-ce qu'il reste des choses à négocier ? Ou est-ce que c'est fini ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Ecoutez, nous marchons sur deux jambes depuis le début. Nous avons dit qu'en responsabilité, nous devions redresser les comptes de la nation. C'est important, parce que sans équilibre des comptes, la nation ne pourra pas continuer à protéger sa population. Donc nous avons fait un budget ambitieux, un budget de réduction du déficit.

THOMAS SOTTO
D'accord, Laurent SAINT-MARTIN. Non mais ma question est très précise ; est-ce qu'il reste des choses à négocier ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Je vous explique pourquoi c'est important. Un budget ambitieux de redressement des comptes publics, c'est le préalable à tout. Nous l'avons fait en connaissant la donne politique, c'est-à-dire en allant chercher des compromis avec l'ensemble des forces politiques. Et nous l'avons fait, vous l'avez vu, chaque semaine, en dialoguant, en faisant évoluer le texte. D'ailleurs, certains nous l'ont reproché, en disant que nous avions des concessions trop importantes. Nous en avons fait un certain nombre pour permettre à ce que l'équation politique…

THOMAS SOTTO
Laurent SAINT-MARTIN…

LAURENT SAINT-MARTIN
Laissez-moi terminer, c'est important, que l'équation politique puisse permettre justement d'avoir à la fois un budget de courage et un budget de compromis politique. Si après, certains veulent verser dans l'irresponsabilité, alors que le Gouvernement, lui, a pris ses responsabilités, c'est à eux de le dire. Ils ont 24 heures pour se prononcer là-dessus. Mais je crois qu'à un moment, il va falloir savoir quelles sont les conséquences de tout cela. En a-t-on vraiment envie pour le pays ?

THOMAS SOTTO
Est-ce que je peux vous poser une question ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais faites !

THOMAS SOTTO
Alors, est-ce qu'il reste des choses à négocier, oui ou non ? Est-ce que la phase de discussion est terminée ? Vous avez cédé sur le déremboursement ou le non-déremboursement des médicaments, alors que la veille, vous disiez exactement l'inverse.

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, c'est faux.

THOMAS SOTTO
Si, c'est vrai.

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, c'est faux.

THOMAS SOTTO
Vous disiez "Le Gouvernement ne fera pas de nouvelles concessions."

LAURENT SAINT-MARTIN
Sur la trajectoire du budget de la Sécurité Sociale, c'est ce que nous avons fait. Et le déremboursement des médicaments permettait de maintenir la même trajectoire du budget de la Sécurité Sociale. Donc, personne ne s'est dédit. Nous avons continué dans le dialogue. Nous l'avons fait jusqu'au bout. Et vous voyez bien que derrière…

THOMAS SOTTO
Vous n'avez pas vu le communique de Matignon hier après-midi.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais que fait…

THOMAS SOTTO
Michel BARNIER expliquait justement qu'il avait entendu et que…

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, mais je vous expliquerai en quoi ça ne change rien aux trajectoires de la Sécurité Sociale. En revanche, ce que je peux vous dire, c'est que nous avons toujours été ouverts au dialogue. Nous le sommes toujours, par définition. Le Gouvernement est toujours là pour continuer à entendre. Mais qu'a fait le Rassemblement National hier avec la gauche ? Ils ont dit "quoi qu'il arrive, nous censurons." Vous voyez bien que, finalement, ce n'était pas une question de mesures. Ce n'était pas une question de dialogue. Ils cherchaient un prétexte, et notamment…

THOMAS SOTTO
Là, ils ne disent pas "quoi qu'il arrive, nous censurons. Ils disent "Il reste une ligne rouge, qui est les pensions de retraite indexées sur l'inflation." Est-ce que là-dessus, ça peut changer d'ici demain ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Ce que j'entends, c'est que le Rassemblement National cherchait surtout un prétexte pour mettre le pays à terre, pour voter une motion de censure qu'ils avaient en tête depuis le début. C'est bien ça que vous avez entendu, comme moi, hier, par rapport à ça. Ça, ça s'appelle de l'irresponsabilité. S'ils veulent changer d'avis, comme les députés socialistes peuvent encore changer d'avis d'ici demain dans l'intérêt de la nation et pas dans leur intérêt particulier, là, oui, ils démontreront effectivement un esprit de responsabilité pour la nation.

THOMAS SOTTO
Pardon, je vous repose la question. Est-ce que sur les pensions de retraite, vous pouvez encore changer d'avis, ou est-ce que c'est non ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais sur les pensions de retraite, nous avons évolué largement. Je le répète, nous indexons, dès le 1er janvier, toutes les retraites.

THOMAS SOTTO
À hauteur de la moitié de l'inflation.

LAURENT SAINT-MARTIN
Nous allons même le compenser pour l'ensemble des retraités qui sont en dessous du niveau du SMIC. Nous avons fait ce que demandent beaucoup de groupes politiques sur les cotisations patronales. Nous l'avons fait sur le déremboursement des médicaments. Nous l'avons fait sur des dizaines de mesures. Et aujourd'hui, la question, c'est quoi ? C'est est-ce qu'on veut faire payer plus d'impôts dès le 1er janvier à tous les Français s'il n'y a pas de budget ? Oui ou non. La question, c'est est-ce qu'on va empêcher les agriculteurs d'avoir des mesures de soutien ? Oui ou non.

THOMAS SOTTO
Est-ce que le temps des négociations est terminé ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Écoutez, nous, nous sommes au dialogue du début jusqu'à la fin.

THOMAS SOTTO
Vous êtes très fort au ni oui ni non. Pardon, mais je ne comprends pas ce que vous avez dans la tête.

LAURENT SAINT-MARTIN
Nous sommes ouverts au dialogue depuis le début jusqu'à la fin. Ce que j'observe, c'est que je vois bien que maintenant, on n'est plus dans un dialogue de l'autre côté. On est dans des prétextes permanents. Le Premier ministre a dit hier qu'en réponse à un certain nombre de préoccupations, il ouvrait toutes les portes possibles jusqu'au déremboursement des médicaments. Et que vous voyez bien que quand vous fermez une porte, une autre s'ouvre. Et que donc tout ça n'est que question de prétextes politiques et politiciens. Ce n'est pas au niveau. Ce n'est pas au niveau parce que c'est l'avenir de la nation dont on parle. Et sans budget, ce sont des impôts en plus pour les Français ; c'est l'empêchement d'augmenter les budgets régaliens de la Justice, des Armées, du ministère de l'Intérieur, de la Recherche. Et à la fin, c'est tout simplement un pays qui va continuer à creuser son déficit sans investir. Est-ce que c'est ça dont nous voulons ? Est-ce que c'est ça dont nous avons besoin ? Je pose la question pas seulement aux députés du RN. Je le pose aussi et surtout à ceux du Nouveau Front populaire qui doivent normalement montrer un esprit de responsabilité. Car appartenant à des partis républicains, je pense notamment aux socialistes.

THOMAS SOTTO
Laurent SAINT-MARTIN, sur l'indexation des retraites à l'inflation pour tous au 1er janvier. Est-ce que c'est oui ? Est-ce que c'est non ? Ou est-ce que c'est "je ne sais pas" ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Nous avons toujours dit que nous étions ouverts au dialogue là-dessus.

THOMAS SOTTO
Donc ce n'est pas non ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais écoutez-moi, nous avons déjà…

THOMAS SOTTO
J'essaie. Pardon mais je vous sens très tendu, je peux comprendre. C'est compliqué. Mais je n'arrive pas à entendre vos réponses.

LAURENT SAINT-MARTIN
Parce que peut-être que vous préparez votre question en avance après. Je vous dis que depuis le début sur la revalorisation des retraites, nous avons avancé et nous avons fait un compromis. Le compromis, ce n'est pas le chantage. Le compromis, ce n'est pas dire "non, ça ne va toujours pas." À un moment, comment est-ce que vous redressez les comptes du pays si vous abandonnez toutes les mesures de redressement ? Nous l'avons dit, les retraités ont été augmentés à hauteur de plus de 5,3 % l'an dernier. Nous avons fait le choix d'abord d'un décalage de 6 mois. Nous avons entendu les compromis de différents groupes politiques pour pouvoir faire en sorte que tous les retraités soient revalorisés au 1er janvier 2025. Et ceux qui sont autour du SMIC seront totalement compensés. À un moment, pardon, la responsabilité a été prise du côté du Gouvernement. Il faut qu'elle le soit aussi du côté des oppositions.

THOMAS SOTTO
Vous diriez que vous avez été au bout du dialogue ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Je crois que nous sommes allés au bout du dialogue pour pouvoir à la fois redresser les comptes et être à l'écoute de compromis politiques.

THOMAS SOTTO
Imaginons que le Gouvernement tombe, la France n'ait pas de budget, ni de la sécu, ni de budget tout court d'ici la fin de l'année. Est-ce que ça serait si grave que ça ? Elisabeth BORNE, ancienne Première ministre, a dit il y a quelques jours "Ça veut dire qu'au 1er janvier, votre carte vitale ne fonctionnera plus et que les pensions de retraite ne seront pas versées." C'est vrai ou pas, ça ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais ça a des conséquences directes.

THOMAS SOTTO
Est-ce que c'est vrai qu'au 1er janvier la carte vitale ne fonctionne plus ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, s'il n'y a pas de projet de loi de financement de sécurité sociale, il va falloir prendre, comme sur les autres textes financiers, des mesures d'urgence pour faire en sorte que le pays fonctionne. Mais je vais vous donner des conséquences, moi, très concrètes. Près de 400 000…

THOMAS SOTTO
Excusez-moi de vous poser quelques questions, mais au 1er janvier, les retraités ne toucheront pas leurs pensions s'il n'y a pas de budget ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, je n'ai pas dit ça.

THOMAS SOTTO
C'est ce que dit Elisabeth BORNE.

LAURENT SAINT-MARTIN
J'ai dit que tous paieront des impôts en plus. Voilà, tous paieront des impôts en plus. Tout simplement pourquoi ? Parce que le barème de l'indexation sur l'inflation des retraites et des impôts en général, lui, sera modifié. Donc vous aurez des impôts pour tout le monde en plus. À peu près 18 millions d'imposables vont payer des impôts en plus à partir du 1er janvier s'il n'y a pas de budget. Vous allez en avoir près de 400 000 nouveaux qui vont se mettre à payer des impôts alors qu'ils n'en payaient pas avant. Encore une fois, on ne pourra pas embaucher de nouveaux fonctionnaires de police et de gendarmerie, ni de magistrats. On ne pourra pas continuer à faire les mesures de protection pour nos agriculteurs. Et ce n'est pas que moi qui le dis. Est-ce qu'on peut aussi écouter, à défaut de vouloir écouter les ministres ou les hommes politiques… Est-ce qu'on peut écouter les représentants de ces acteurs-là ? Est-ce qu'on peut écouter le président de la FNSEA qui dit "il nous faut un budget pour les agriculteurs" ? Est-ce qu'on peut entendre le président du MEDEF qui dit "Attention pour les entreprises et pour l'emploi, il nous faut un budget" ? Pareil pour l'U2P, ce qui sont les petites entreprises. Pareil pour la CPME, qui sont pour les PME. Est-ce qu'on peut écouter tous ces gens-là qui vous disent…

THOMAS SOTTO
Mais est-ce que ce n'est pas votre responsabilité à vous, les politiques, de ne pas avoir été capable de vous mettre d'accord avec l'Assemblée qu'ont élu les Français pour trouver un budget, pour trouver un compromis ? Parce que chacun veut un compromis, mais chacun veut le sien on a l'impression.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais vous avez vu la liste des compromis qu'a fait ce Gouvernement. À nouveau, parfois certains nous l'ont reproché. Nous avons à la fois maintenu un cap de redressement des comptes publics, et nous l'avons fait en acceptant de très nombreux compromis avec l'ensemble des groupes politiques.

THOMAS SOTTO
J'ai une dernière question. Compte tenu de la gravité de la situation, de ce que vous nous décrivez s'il n'y a pas de budget, est-ce que vous pensez, vous, Laurent SAINT-MARTIN, ministre du Budget, qu'il faut tout faire pour que ce Gouvernement ne tombe pas, tout faire, y compris céder peut-être à certaines revendications, à certains caprices ? Est-ce que c'est ça l'intérêt général supérieur de la nation ?

LAURENT SAINT-MARTIN
L'intérêt général, c'est que chacun prend ses responsabilités. Le Gouvernement, sur les retraites, sur les médicaments, sur les allègements généraux de cotisations, sur tous ces sujets-là, a fait des compromis, a ouvert la porte, a modifié la copie initiale du Gouvernement. Le Gouvernement a pris ses responsabilités du début à aujourd'hui.

THOMAS SOTTO
C'est fini.

LAURENT SAINT-MARTIN
C'est aux oppositions de prendre les leurs.

THOMAS SOTTO
Merci Laurent SAINT-MARTIN d'être revenu ce matin sur RTL. Michel BARNIER, que vous avez vu hier, il est résigné ? Pour lui, c'est fini ou pas ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Personne n'est résigné. Tout le monde est déterminé pour l'avenir du pays.

THOMAS SOTTO
Merci à vous d'être venu sur RTL ce matin.

LAURENT SAINT-MARTIN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2024